C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 1
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 19 MAI 2022 à
la SELARL SYLVIE MAZARDO
la SELARL PINCHAUX-DOULET
FCG
ARRÊT du : 19 MAI 2022
MINUTE N° : - 22
N° RG 19/03668 - N° Portalis DBVN-V-B7D-GB6U
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ORLEANS en date du 14 Novembre 2019 - Section : INDUSTRIE
APPELANT :
Monsieur [B] [G]
né le 19 Septembre 1987 à RIS ORANGIS (91130)
3 Place des Déportés
45390 BRIARRES SUR ESSONNE
représenté par Me Sylvie MAZARDO de la SELARL SYLVIE MAZARDO, avocat au barreau d'ORLEANS
ET
INTIMÉE :
S.A. MAURY IMPRIMEUR prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social
ZI route d'Etampes- rue du Général Patton
45330 MALESHERBES
représentée par Me Sophie PINCHAUX de la SELARL PINCHAUX-DOULET, avocat au barreau d'ORLEANS
Ordonnance de clôture : 15 février 2022
Audience publique du 1er Mars 2022 tenue par Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assistée lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier.
Après délibéré au cours duquel Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité,
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre,
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller
Puis le 19 Mai 2022, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 9 mars 2006, la SAS Maury Imprimeur a embauché M. [B] [G], en qualité de manutentionnaire au sein du service façonnage. À compter du 27 octobre 2011, il a été affecté à un poste de second sur encarteuse. Il travaillait de nuit et embauchait à 22 heures.
Le vendredi 27 mai 2016, il est arrivé en retard à son poste de travail.
Par lettre du 9 juin 2016, la SAS Maury Imprimeur a convoqué M. [B] [G] à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, lui notifiant une mise à pied conservatoire.
Par courrier du 24 juin 2016, la SAS Maury Imprimeur a notifié à M. [B] [G] son licenciement pour faute grave en raison d'une prise de poste en retard et en état d'ivresse.
Le 22 novembre 2016, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, M. [B] [G] a contesté son solde de tout compte ainsi que le fait de s'être trouvé en état d'ivresse sur son lieu de travail. Il a reconnu être arrivé en retard le 27 mai 2016 mais a indiqué avoir prévenu par téléphone en début de soirée de ce retard. Il a ajouté que son licenciement dissimulait une autre cause, soit la dénonciation qu'il a faite de faits répétés de pressions, brimades et insultes de la part de certains chefs de service dont il avait été témoin.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 décembre 2016, la SAS Maury Imprimeur a apporté à M. [B] [G] des explications concernant son solde de tout compte.
Le 11 juin 2018, M. [B] [G] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orléans aux fins de contester son licenciement, le considérant comme abusif et afin de voir condamner la SAS Maury Imprimeur aux dépens et au paiement de diverses sommes.
La SAS Maury Imprimeur a demandé au conseil de prud'hommes de débouter M. [B] [G] de ses demandes et de le condamner aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 14 novembre 2019, auquel il est renvoyé pour un ample exposé du litige, le conseil de prud'hommes d'Orléans a :
- dit que le licenciement de M. [B] [G] reposait sur une faute grave,
- condamné M. [B] [G] à verser à la SAS Maury Imprimeur la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [B] [G] aux dépens.
Par déclaration adressée par voie électronique au greffe de la cour en date du 27 novembre 2019, M. [B] [G] a relevé appel de cette décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 14 février 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles M. [B] [G] demande à la cour de :
Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Orléans le 14 novembre 2019 en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [B] [G] reposait sur une faute grave et en ce qu'il a condamné M. [B] [G] au paiement de la somme de 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Dire et juger que le licenciement notifié pour faute grave par lettre datée du 24 juin 2016 est sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence, condamner la SAS Maury Imprimeur à lui verser les sommes de :
27 000 € nets de CSG CRDS d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en application de l'article L.1235-3 du Code du Travail,
- 4 695,50 € nets d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 4 507,68 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis, outre 450,76 € bruts d'indemnité de congés payés y afférents,
- 1 129,80 € bruts de rappels de salaire correspondant à la mise à pied outre 112,98 C bruts d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,
- 2 000 € d'indemnité en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Dire et juger que l'indemnité conventionnelle de licenciement, ainsi que les salaires et accessoires de salaire produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de la SAS Maury Imprimeur devant le Bureau de Conciliation, lesdits intérêts étant capitalisés par année échue et produisant eux- mêmes intérêts en application de l'article 1154 du Code Civil ;
Débouter la SAS Maury Imprimeur de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires,
Condamner la SAS Maury Imprimeur aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 23 avril 2020 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la SAS Maury Imprimeur, formant appel incident, demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [B] [G] reposait sur une faute grave, en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, et en ce qu'il l'a condamné aux dépens,
Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [B] [G] au paiement d'une somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau
Condamner M. [B] [G] au paiement de la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles exposés par la concluante en 1ère instance,
Y ajoutant,
Condamner M. [B] [G] au paiement de frais irrépétibles au stade de l'appel à la somme de 2 000 €,
Débouter M. [B] [G] de toutes ses demandes, fins, conclusions ou prétentions, plus amples ou contraires,
Le condamner aux dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 février 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement pour faute grave
En droit, la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1232-1, L. 1232-6, L. 1234-1 et L. 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.
Aux termes de la lettre de licenciement du 24 juin 2016, qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche à son salarié d'avoir pris son poste avec retard et en état d'ivresse.
Le salarié reconnaît avoir embauché avec retard mais avoir prévenu de ce retard et conteste avoir été en état d'ivresse.
Il ressort des attestations produites tant par l'employeur que par le salarié, que ce dernier est arrivé le samedi 28 mai 2016 à 0h45 pour une prise de poste le vendredi 27 mai 2016 à 22 heures, après avoir quitté une fête de famille et qu'il avait chargé un collègue, M. [C], quand celui-ci se rendait à son travail, d'informer son supérieur de ce retard. M. [C] a lui-même chargé un autre collègue M. [X] de la transmission du message. Il apparaît que M. [B] [G] n'a pas contacté directement son supérieur hiérarchique comme il aurait pu le faire au vu des horaires de permanence gardiennage/standardiste.
L'existence d'un retard de plus de deux heures est donc avérée. Il y a lieu de retenir que l'employeur a été informé du retard de M. [B] [G] mais de manière indirecte et tardive.
Le règlement intérieur de l'entreprise en son article 8 dispose : « Il est interdit à tout membre du personnel de pénétrer ou de séjourner en état d'ivresse ou sous l'empire de la drogue dans l'établissement. En raison de l'obligation faite aux chefs de service d'assurer la sécurité dans l'établissement, la direction pourra imposer l'alcootest au salarié qui manipule des produits dangereux ou qui sont affectées à une machine dangereuse ou ('), et dont l'état d'imprégnation alcoolique constituerait une menace pour eux-mêmes ou pour leur entourage. Les salariés concernés pourront également faire faire, par le médecin de leur choix, dans les deux heures suivant la cessation du travail, les examens de contrôle clinique et biologique correspondants et en communiquer les résultats, sous couvert du secret médical, au médecin du travail. »
M. [B] [G] travaille sur une encarteuse, soit une machine dangereuse. Il reconnaît dans ses écritures et lors de l'entretien préalable, ainsi qu'il ressort du rapport de son conseil qui l'avait assisté, avoir consommé trois verres d'alcool pour l'anniversaire de son cousin et avoir retardé sa prise de poste pour ne pas conduire avec un taux supérieur à la limite légale. Il soutient s'être présenté en capacité de travailler et sans être sous l'emprise de l'alcool, ne voulant pas laisser ses collègues dans l'embarras du fait de son absence.
Il ressort de l'attestation de M. [P], responsable sécurité, et de celle de M. [R], responsable d'atelier façonnage que M. [B] [G] avait consommé de l'alcool lors d'une fête familiale avant de venir travailler et s'est présenté sur le lieu de travail avec une haleine alcoolisée et en ayant un comportement anormal.
M. [B] [G] s'est soumis, en présence de sa s'ur et en refusant la présence d'un délégué du personnel, à un alcootest lequel s'est avéré positif. Il n'a pas, comme le règlement intérieur le lui en laissait la possibilité, fait réaliser par le médecin de son choix un contrôle de son taux d'alcoolémie qui aurait pu invalider le résultat positif relevé sur son lieu de travail.
En l'espèce, l'état d'ébriété est avéré et rendait nécessaire son éviction de l'atelier. Il s'agit cependant d'un fait isolé, M. [B] [G] n'ayant aucun antécédent disciplinaire alors que son ancienneté est supérieure à dix années.
Les faits reprochés au salarié n'étaient pas de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise.
Il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement pour faute grave fondé. En revanche, le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture
Dès lors que la faute grave n'est pas retenue, la mise à pied conservatoire n'est pas justifiée de sorte que M. [B] [G] a droit au paiement du salaire indûment retenu pendant cette période.
La SAS Maury Imprimeur est condamnée à lui payer la somme de 1 129,80 € brut à titre de rappel de salaire ainsi que celle de 112,98 € brut au titre des congés payés afférents.
L'article L. 1234-1 du code du travail dispose que lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit, s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
En l'espèce, M. [B] [G] était présent au sein de cette société depuis dix ans et trois mois. Il a donc droit à une indemnité compensatrice de préavis qu'il convient de fixer en considération de sa rémunération à la somme de 4 507,68 € brut, outre 450,76 € brut au titre des congés payés afférents.
En application de l'article R. 1234-2 du code du travail, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à 10 ans. Ainsi, sur la base d'un salaire de référence de 2 253,84 €, il convient de fixer l'indemnité de licenciement à la somme de 4 695,50 € net.
Sur les intérêts de retard et la demande de capitalisation des intérêts
Les créances de nature salariale produiront intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2018, date à laquelle la SAS Maury Imprimeur a accusé réception de sa convocation à comparaître à l'audience de conciliation.
Aux termes de l'article 1343-2 du code civil, créé par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable aux instances engagées à compter du 1er octobre 2016 (cf article 9 de ladite ordonnance), 'Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise'.
Les conditions de ce texte étant remplies, il convient de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts formée par M. [B] [G] , dans les conditions de ce texte.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu d'infirmer la décision déférée en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Il y a lieu de condamner l'employeur, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge du salarié l'intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles. L'employeur est débouté de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
Infirme le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes d'Orléans le 14 novembre 2019 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Dit que le licenciement de M. [B] [G] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Maury Imprimeur à payer à M. [B] [G] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2018 :
- 1 129,80 euros brut à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied ;
- 112,98 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 4 507,68 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 450,76 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 4 695,50 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la SAS Maury Imprimeur à payer à M. [B] [G] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre ;
Condamne la SAS Maury Imprimeur aux dépens de première instance et d'appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier
Karine DUPONT Alexandre DAVID