C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE - A -
Section 1
PRUD'HOMMES
Exp +GROSSES le 19 MAI 2022 à
la SAS ENVERGURE AVOCATS
la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS
la SELARL 2BMP
FCG
ARRÊT du : 19 MAI 2022
MINUTE N° : - 22
N° RG 19/03498 - N° Portalis DBVN-V-B7D-GBUF
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 04 Novembre 2019 - Section : INDUSTRIE
APPELANTES :
SAS [L] MILLETplacée en redressement judiciaire par jugement rendu par le Tribunal de Commerce de TOURS le 24/07/18, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
1 boulevard Louis XI
37000 TOURS
représentée par Me Pierre GEORGET de la SAS ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
SELARL AJASSOCIÉS ayant son siège social 10-12 Allée Pierre Coubertin 78000 VERSAILLES prise en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société [L] [P] désignée en cette qualité par jugement du 24/07/18 par le Tribunal de Commerce de TOURS
6 bis rue de la Barre
37000 TOURS
représentée par Me Pierre GEORGET de la SAS ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
SELARL [U]-FLOREK prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la société [L] [P] désignée en cette qualité par jugement du 24/07/18 rendu par le Tribunal de Commerce de TOURS
puis en qualité de liquidateur judiciaire de ladite société, désignée en cette qualité par jugement du tribunal de commerce de TOURS du 4/02/20
18 rue Néricault Destouches
37000 TOURS
représentée par Me Pierre GEORGET de la SAS ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉES :
Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) intervenant par l'UNEDIC - CGEA de RENNES, agissant poursuites et diligences de son président, en qualité de gestionnaire de l'AGS,
Cours Raphaël Binet - Immeuble Le Magister
CS 96925 - Immeuble Le Magister
96925 RENNES
représentée par Me Alexis LEPAGE de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
Madame [X] [O]
née le 15 Juin 1965 à St Etienne
12 rue des Tamaris
37550 SAINT AVERTIN
représentée par Me Louis PALHETA de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : 15 février 2022
Audience publique du 01 Mars 2022 tenue par Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assistée lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier.
Après délibéré au cours duquel Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité,
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre,
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller
Puis le 19 Mai 2022, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er avril 1999, la SARL Tours Fenêtres a embauché Mme [X] [O] en qualité de secrétaire, niveau 2, échelon 2. A la suite de la reprise de l'activité par la S.A.S. [L] [P], le contrat de travail a été transféré à cette dernière le 1er octobre 1999.
Par avenant du 3 juillet 2013, Mme [X] [O] a été nommée au poste de secrétaire et assistante administrative au service métallerie pour 151 heures 67 mensuelles.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006.
Le tribunal de commerce de Tours a placé la société [L] [P], employant 37 salariés, en redressement judiciaire le 24 juillet 2018.
Le 23 octobre 2018, l'administrateur judiciaire et le président de la SAS [L] [P] ont proposé à Mme [X] [O], en application de l'article L. 1222-6 du code du travail, une modification de son contrat de travail, consistant à réduire le nombre d'heures de travail mensuel de 151 heures 67 à 86 heures 67 et à ramener le salaire de 1 862,01 € à 1 064 € brut.
Le 23 octobre 2018, le juge commissaire a autorisé le licenciement de six salariés occupant les postes d'assistants accueil, assistant administratif et commercial, directeur d'exploitation, les deux postes de menuisier-serrurier et le poste de responsable service fermeture.
Le 5 novembre 2018, Mme [X] [O] a refusé la modification de son contrat de travail.
Par courrier du 8 novembre 2018, Mme [X] [O] a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique fixé au 19 novembre 2018. Il lui a été remis lors de cet entretien une lettre d'information concernant les motifs économiques justifiant son licenciement, ainsi que les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle.
Mme [X] [O] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle de sorte que son contrat de travail a pris fin le 10 décembre 2018.
Le 17 décembre 2018, Mme [X] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Tours aux fins de contester son licenciement et afin de voir fixer sa créance à la somme de 27'464,65 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire à la somme de 27'464,65 € à titre d'indemnité pour non-respect de l'ordre des licenciements ainsi qu'à une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 4 novembre 2019, auquel il est renvoyé pour un ample exposé du litige, le conseil de prud'hommes de Tours a :
- dit que le licenciement de Mme [X] [O] était sans cause réelle et sérieuse;
- fixé au passif de la société [L] [P] les sommes suivantes :
24'206,13 € au titre de l'indemnité de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné à la SELARL [U]-Florek, ès qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la SAS [L] [P] d'inscrire lesdites créances au passif du redressement judiciaire de ladite société ;
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les créances salariales qui seront assorties des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil soient le 18 décembre 2018 et fixé à la somme brute de 1 862,01 €, la base mensuelle des salaires prévus à l'article R 1454- 28 du code du travail ;
- déclaré opposable au CGEA centre ouest, en qualité de gestionnaire de l'AGS, la décision dans les limites prévues aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail et les plafonds prévus aux articles L. 31253-17 et D. 3253-5 du code du travail ;
- fixé les dépens de l'instance au passif du redressement judiciaire de la SAS [L] [P] en frais privilégiés ;
- débouté la SAS [L] [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour un montant de 2 000 €.
Par déclaration adressée par voie électronique au greffe de la cour en date du 12 novembre 2019, la SAS [L] [P], la SELARL Ajassociés et la SELARL [U]-Florek ont relevé appel de cette décision.
Par jugement du 4 février 2020, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS [L] [P] et a désigné la SELARL [U]-Florek en qualité de liquidateur judiciaire.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 21 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la SELARL [U]-Florek ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [L] [P] demande à la cour de:
Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Tours en toutes ses dispositions,
En conséquence, et statuant à nouveau,
A titre liminaire, dire et juger irrecevables toutes demandes de condamnation ;
A titre principal,
Débouter Madame [O] de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
Réduire à plus justes proportions le quantum des dommages et intérêts sollicités ;
Reconventionnellement,
Condamner Madame [O] à payer à la SELARL [U]-FLOREK ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société [L] [P] une indemnité de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner, enfin, Madame [O] aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 24 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles Mme [X] [O] demande à la cour de :
Dire et juger la SELARL [U]- FLOREK, mission conduite par Maître [H] [U], ès qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la Société [L] [P], si ce n'est irrecevable, mal fondée en son appel.
En conséquence, l'en débouter.
Reconventionnellement, recevoir Madame [X] [O] en son appel incident, la dire bien fondée.
Dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et à défaut que l'employeur n'a pas respecté les critères d'ordre.
En conséquence, ordonner à la SELARL [U]- FLOREK, mission conduite par Maître [H] [U], ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la Société [L] [P] d'avoir à inscrire au passif de la Société [L] [P] les sommes suivantes :
- à titre principal : indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 27 464,65 €
- à titre subsidiaire : dommages-intérêts pour non-respect des critères d'ordre : 27.464,65 €
-article 700 du code de procédure civile : 2000 €
Condamner l'appelante en tous les dépens.
En toute occurrence, dire et juger la décision à intervenir opposable au CGEA/AGS qui devra par ailleurs garantir les condamnations prononcées dans les limites fixées par la loi.
Débouter pour finir tant la SELARL [U]- FLOREK, mission conduite par Maître [H] [U], ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la Société [L] [P], que le CGEA/AGS de toutes leurs demandes fins et prétentions.
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 25 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles l'AGS intervenant par l'UNEDIC- C.G.E.A de Rennes demande à la cour de :
Statuant sur l'appel interjeté par Maître [U] ès qualités du jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Tours en date du 4 novembre 2019,
Réformer en tous points la décision entreprise.
S'entendre Madame [O] déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
A titre subsidiaire :
Réduire à de plus justes proportions les éventuels dommages et intérêts qui pourraient lui être alloués.
En toute hypothèse,
Déclarer la décision à intervenir opposable au CGEA en qualité de gestionnaire de l'AGS, dans les limites prévues aux articles L. 3253-8 et suivants du Code du Travail, et les plafonds prévus aux articles L 3253-17 et D 3253-5 du Code du Travail.
La garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D.3253-5 du Code du travail. En l'espèce, le plafond applicable est le plafond 6.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 février 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Mme [X] [O] fait valoir que l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement, s'étant contenté de rechercher un reclassement en externe, sans justifier d'une quelconque démarche interne qui aurait pu permettre de la maintenir dans les effectifs de la société.
L'employeur répond en substance, à titre principal, que bénéficiant d'une autorisation de licenciement du juge commissaire, il n'avait pas à rechercher un reclassement en interne.
Cependant, l'ordonnance du juge-commissaire autorisant l'administrateur judiciaire à procéder à des licenciements pour motif économique ne dispense pas celui-ci de satisfaire à son obligation de reclassement (Soc., 8 juin 1999, pourvoi n° 96-44.811, Bull. 1999, V, n° 268 et Soc., 1er mars 2000, pourvoi n° 97-45.977).
En effet, le licenciement économique ne peut intervenir que si le reclassement du salarié n'est pas possible. La proposition de la modification du contrat de travail par réduction de l'horaire de travail, que le salarié peut toujours refuser, ne dispense pas l'employeur de lui proposer dans le cadre de son obligation de reclassement les postes disponibles dans l'entreprise, fussent ils à temps partiel (en ce sens, Soc., 29 septembre 2009, pourvoi n° 08-43.085).
En l'espèce, il n'est justifié d'aucune recherche de reclassement de l'administrateur judiciaire en interne, ni d'aucune proposition en vue du reclassement de Mme [X] [O]. A cet égard, il n'a pas été proposé à la salariée le poste qu'elle avait refusé dans le cadre de la proposition de modification de son contrat de travail.
Par conséquence, en l'absence d'une recherche sérieuse et loyale des postes de reclassement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture
Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié.
Mme [X] [O] justifie de 19 années complètes d'ancienneté. Elle peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 15 mois de salaire
Mme [X] [O] a bénéficié du maintien de sa rémunération à hauteur de 75% de son salaire brut au titre du contrat de sécurisation professionnelle. Elle n'a été au chômage qu'un peu plus de quatre mois avant de retrouver un emploi en intérim à compter du mois d'avril 2019.
En considération de sa situation particulière, notamment de sa rémunération, de son âge, de son ancienneté au moment de la rupture, des circonstances de celle-ci, et en l'état des éléments soumis à l'appréciation de la cour, la créance de Mme [X] [O] à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée au passif de la procédure collective de la SAS [L] [P] pour un montant de 12.000 euros brut. Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur l'intervention de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés
Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'AGS intervenant par l'UNEDIC- C.G.E.A de Rennes, laquelle ne sera tenue à garantir les sommes allouées à Mme [X] [O] que dans les limites et plafonds définis aux articles L.3253-8 à L.3253-17, D. 3253-2 et D.3253-5 du code du travail.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il y a lieu de fixer les dépens de première instance et d'appel au passif de la procédure collective de la SAS [L] [P].
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles.
L'équité ne recommande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
Infirme le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a fixé au passif de la procédure collective de la SAS [L] [P] la créance de Mme [X] [O] à titre d'indemnité sans cause réelle et sérieuse à la somme de 24'206,13 € ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :
Fixe la créance de Mme [X] [O] au passif de la procédure collective de la SAS [L] [P] à la somme de 12 000 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit que l'AGS intervenant par l'UNEDIC- C.G.E.A de Rennes sera tenue de garantir la somme allouée à Mme [X] [O] dans les limites et plafonds définis aux articles L 3253-6 à L 3253-18, D 3253-5 et D 3253-2 du code du travail ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Fixe les dépens de l'instance d'appel au passif de la procédure collective de la SAS [L] [P].
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier
Karine DUPONT Alexandre DAVID