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28/04/2022 | FRANCE | N°19/02188

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre sociale, 28 avril 2022, 19/02188


C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 28 AVRIL 2022 à

la SELARL SAINT CRICQ & ASSOCIES

la SELARL LESIMPLE-COUTELIER & PIRES



-XA-







ARRÊT du : 28 AVRIL 2022



MINUTE N° : - 22



N° RG 19/02188 - N° Portalis DBVN-V-B7D-F66L



DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 23 Mai 2019 - Section : ACTIVITES DIVERSES





APPELANT :
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Monsieur [L] [E]

né le 04 Mars 1955 à ROUVROY (62000)

2 rue Croix des Pierres

37140 RESTIGNE



représenté par Me Stéphane RAIMBAULT de la SELARL SAINT CRICQ & ASSOCIES, avocat au ...

C O U R D ' A P P E L D ' O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE - A -

Section 2

PRUD'HOMMES

Exp +GROSSES le 28 AVRIL 2022 à

la SELARL SAINT CRICQ & ASSOCIES

la SELARL LESIMPLE-COUTELIER & PIRES

-XA-

ARRÊT du : 28 AVRIL 2022

MINUTE N° : - 22

N° RG 19/02188 - N° Portalis DBVN-V-B7D-F66L

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 23 Mai 2019 - Section : ACTIVITES DIVERSES

APPELANT :

Monsieur [L] [E]

né le 04 Mars 1955 à ROUVROY (62000)

2 rue Croix des Pierres

37140 RESTIGNE

représenté par Me Stéphane RAIMBAULT de la SELARL SAINT CRICQ & ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS

ET

INTIMÉE :

S.A.S. TOURAINE CONVOYAGES prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social

2 rue de la Castellerie

37550 SAINT AVERTIN

représentée par Me Catherine LESIMPLE-COUTELIER de la SELARL LESIMPLE-COUTELIER & PIRES, avocat au barreau de TOURS

Ordonnance de clôture : 24 FEVRIER 2022 9H00

Audience publique du 24 Février 2022 tenue par Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller, et ce, en l'absence d'opposition des parties, assisté lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier,

Après délibéré au cours duquel Monsieur Xavier AUGIRON, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,

Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre,

Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.

Puis le 28 Avril 2022, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier a rendu l'arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [L] [E] a été engagé par la société Touraine Convoyages (SAS) selon contrat à durée indéterminée, à compter du 7 décembre 2015, en qualité de chauffeur-convoyeur de véhicules industriels. Il était chargé de rapatrier des véhicules d'un lieu de stationnement à un autre lieu de stationnement.

Un litige est né entre les parties sur la comptabilisation des heures de travail effectuées et l'application d'un accord d'entreprise, invoqué par l'employeur, qui prévoit des jours de congé supplémentaires en compensation des temps de trajets entre deux convoyages.

Par ailleurs, M. [E] a reçu un premier avertissement par courrier du 5 septembre 2016, afférent au défaut de transmission des relevés d'heures de travail hebdomadaires.

M. [E] a reçu un second avertissement par courrier du 6 septembre 2016, reprochant à celui-ci de ne pas avoir inséré sa carte-conducteur dans le lecteur des véhicules convoyés sur certains parcours.

Par courrier du 27 décembre 2016, M. [E] a adressé à la société Touraine Convoyages une lettre dans laquelle il prenait acte de la rupture de son contrat de travail dans lequel il reprochait à son employeur :

-que ni le contrat de travail, ni les bulletins de salaire ne précisaient une quelconque classification permettant de vérifier sa rémunération, pas plus que la convention collective applicable,

-que le décompte de son horaire de travail serait irrégulier (horaire de base, décompte des heures supplémentaires, horaires de nuit),

-qu'il existerait des " horaires de travail dissimulés "

-qu'il a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie à compter du 23 septembre 2016.

Par requête enregistrée au greffe le 21 décembre 2017, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Tours pour demander l'annulation des avertissements, obtenir le paiement d'un rappel de salaire afférent aux heures supplémentaires accomplies, demander qu'il soit jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses indemnités.

Par jugement du 23 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Tours a :

-Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission,

-Annulé l'avertissement du 6 septembre 2016,

-Condamné la société Touraine Convoyages à payer à M.[E] la somme de 50 euros nets à titre de dommages-intérêts pour cet avertissement,

-Débouté M.[E] de ses autres demandes,

-Condamné M.[E] à payer à la société Touraine Convoyages la somme de 1776,70 euros au titre du préavis non effectué,

-Débouté la société Touraine Convoyages de ses autres demandes reconventionnelles,

-Laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

M. [E] a relevé appel partiel du jugement, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception présentée le 25 juin 2019, par déclaration notifiée par voie électronique le 21 juin 2019 et enregistrée sous le numéro 19/02187. Cette déclaration a été réitérée, pour régularisation du nom de la partie intimée, le 24 juin 2019 au greffe de la cour d'appel, l'affaire étant enregistrée sous le numéro 19/02188.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 août 2019, sous le numéro 19/02188.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 22 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles M. [E] demande à la cour de :

-Infirmer, dans les limites de l'appel formé par M. [E], le jugement du conseil de prud'hommes de Tours du 23 mai 2019

-statuant à nouveau

-condamner la société Touraine Convoyages à payer à M. [E] :

-6165,54 € à titre d'heures supplémentaires

-616,55 € à titre de congés payés afférents

-11 218,82 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé

-annuler l'avertissement notifié le 5 septembre 2016

-condamner en indemnisation de cet avertissement annulé la société Touraine Convoyages à payer à M. [E] 1000 € à titre de dommages-intérêts

-dire et juger que la prise d'acte de rupture de M. [E] est justifiée et doit produire les effets d'un licenciement abusif

-condamner la société Touraine Convoyages à payer à M. [E] :

-1869,77 € à titre d'indemnité de préavis

-186,97 € à titre de congés payés afférents

-7500 € à titre de dommages-intérêts

-ordonner à la société Touraine Convoyages de remettre à M. [E] , à peine d'une astreinte de 50 € par jour de retard, une attestation Pôle Emploi rectifiée

-infirmer de plus fort le jugement du 23 mai 2019 en ce qu'il a condamné M. [E] à payer à la société Touraine Convoyages la somme de 1776,70 euros

-débouter la société Touraine Convoyages de son appel incident

-condamner la société Touraine Convoyages à payer à M. [E] une indemnité d'un montant de 2000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 23 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la société Touraine Convoyages demande à la cour de :

-Dire et juger mal fondé l'appel de M. [E]

-dire et juger recevable et bien fondé l'appel incident de la société Touraine Convoyages

-confirmer le jugement entrepris sauf :

-en ce qu'il a annulé l'avertissement en date du 5 septembre 2016 et en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement d'une somme de 50 € à titre de dommages-intérêts

-en ce qu'il a limité à 1776,70 € la somme allouée à l'employeur au titre du préavis non exécuté

-statuant de nouveau sur ces points :

-débouter M. [E] de ses demandes

-condamner M. [E] à payer à la société Touraine Convoyages une somme de 1869,77 € au titre du préavis non-exécuté

-la condamner à payer 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

-condamné M.[E] aux dépens

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires

Le contrat de travail signé entre les parties prévoyait : " la durée annuelle des temps de conduite est fixée à 1607 heures. La durée normale du travail dans l'entreprise est de 35 heures hebdomadaires. Vous bénéficierez des conditions appliquées dans le cadre de l'annualisation suivant accord sur la réduction du temps de travail du 25 novembre 1999 ".

Cet accord prévoyait des dispositions spécifiques aux chauffeurs convoyeurs :

" le total des heures de conduite sera annoté sur une fiche hebdomadaires remplie par le chauffeur-convoyeur puis validé par la direction de l'entreprise. Si la récapitulation de ses fiches hebdomadaires fait apparaître un total annuel inférieur à 1600 heures de conduite, le salaire mensuel sera maintenu sur les bases actuelles. Si cette récapitulation fait apparaître un total annuel supérieur à 1600 heures de conduite, le surplus fera l'objet d'un repos compensateur, ou si l'entreprise le décide, d'un paiement en heures supplémentaires aux conditions légales en vigueur.

Réduction sous forme de congés supplémentaires :

Pour tenir compte des contraintes du métier et en particulier des temps de trajet retour, importants entre deux convoyages, il est accordé à compter de la mise en place du présent accord, pour l'ensemble des chauffeurs convoyeurs :

-un total de 12 jours ouvrés de congés entre le 1er août et le 31 mars de l'année suivante, sans que ces jours puissent être accolés aux autres congés légaux. "

Les 7 heures annuelles de conduite supplémentaires prévues par le contrat de travail par rapport à l'accord d'entreprise correspondent à la journée de solidarité instaurée entretemps.

Un avenant à cet accord a été signé le 2 octobre 2000, prévoyant :

" Le temps de trajet retour (en train ou avion) entre deux convoyages seront décomptés comme du temps de travail. Le surplus de ces heures au-delà des heures de conduite correspond à 15 jours ouvrés de congés (RTT) en supplément des congés payés légaux. En cas de dépassement horaire calculé sur l'année civile, des jours supplémentaires pourront être accordés. Les éventuelles difficultés d'application de ce décompte seront examinées et tranchées par l'instance paritaire ".

Par ailleurs, l'article L. 3171-4 du code du travail indique que "en cas de litige relatif à l'existence et au nombre d'heures effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estimait utiles".

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

M. [E] soutient que ces accords ne peuvent pas s'appliquer, compte tenu de ce que le temps de trajet correspond à un temps de travail effectif au sens de l'article L.3121-1 du code du travail, s'agissant pour lui soit d'un temps de trajet anormal entre son domicile et son lieu de travail, au sens de l'article L.3121-4 du code du travail, soit d'un trajet entre deux lieux de travail, ce qui dans les deux cas ne permettrait pas à l'employeur de s'affranchir de le rémunérer. Il invoque les dispositions de l'article L.3121-30 du code du travail qui impose des jours de repos lorsque des heures supplémentaires sont effectuées au-delà du contingent annuel maximal.

M.[E] produit des relevés journaliers et hebdomadaires, mentionnant les heures de conduite et les " temps de travail effectif ", et des récapitulatifs journaliers distinguant les heures de temps de conduite, les " temps SNCF ", les temps de " transport ", autres que SNCF, et les " autres travaux ".

Il a établi un tableau récapitulatif reprenant lui-même un décompte journalier et hebdomadaire comparatif des heures relevées par l'employeur d'une part et lui-même d'autre part (pièce 19), sur la base duquel il forme sa demande chiffrée, énoncée comme suit, s'agissant de la période travaillée entre janvier 2016 et septembre 2016 :

-242,50 heures supplémentaires majorées de 25 %, dont il déduit 205,15 heures supplémentaires payées, soit un solde de 37,35 heures supplémentaires majorées de 25 %, soit 606,47 euros

-285,30 heures supplémentaires majorées à 50 %, soit 5559,07 euros

Total réclamé = 6165,54 euros

Ces éléments sur les horaires de travail que le salarié prétend avoir accomplis sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société Touraine Convoyages répond qu'étaient décomptés dans le temps de travail annualisé de 1607 heures, et comme temps de travail effectif, outre les temps de conduite, les temps de trajet effectués en transport en commun ou en covoiturage pour se rendre sur le lieu de récupération du véhicule, que ce soit en début de semaine lors du trajet initial, ou entre deux missions, ou encore en fin de semaine pour rentrer au domicile, étant précisé qu'il était fréquent que M.[E] prenne le véhicule à convoyer le lundi pour se rendre chez lui le week-end.

Pour la société Touraine Convoyages, seul était compensé forfaitairement par des jours de RTT le surplus éventuel des heures de trajet correspondant aux temps d'attente dans les transports en commun, ou les transports en taxi pour se rendre à la gare, sans que le salarié soit tenu de produire des justificatifs temporels. Elle excipe de l'accord de l'inspection du travail au système ainsi instauré.

La cour en déduit que la société Touraine Convoyages reconnaît donc devoir rémunérer M. [E] non seulement pour les heures de conduite des véhicules à convoyer, mais aussi les temps de trajet en transports en commun ou co-voiturage, ce qui correspond également à la thèse soutenue par M.[E] qui entend retenir ces temps de trajets comme temps de travail effectif, et ce qui correspond aux termes de l'avenant du 2 octobre 2000 à l'accord d'entreprise du 25 novembre 1999 qui stipule que " les temps de trajet retour entre deux convoyages seront décomptés en temps de travail ".

M.[E] a d'ailleurs été rémunéré en décembre 2016 de 205,15 " heures supplémentaires à 125 % annualisées ".

La société Touraine Convoyages produit les mêmes relevés journaliers et hebdomadaires que ceux produits par M.[E], mais signés par le salarié et l'employeur, ne reprenant que les heures de conduite, sans les " temps de travail effectifs ", ainsi que les mêmes récapitulatifs journaliers que ceux produits par le salarié, avec la même distinction des temps de conduite et des " temps SNCF", " transports " et " autres travaux ".

En réalité, il résulte de ces éléments que la différence d'analyse entre les parties porte sur la rémunération des temps de " bus, taxi, correspondances etc... " qui n'ont pas été rémunérées par la société Touraine Convoyages, les divergences des temps de conduite ou de trajet ne jouant que dans de très faibles proportions.

Or, il résulte de l'accord d'entreprise et de son avenant que l'intention des parties signataires a été d'accorder aux convoyeurs un repos compensateur en contrepartie des temps de trajets non comptabilisés dans les temps de transport effectifs en train ou par tout autre moyen, quand bien même est utilisé le terme de " congés en supplément ".

Lors de ces périodes d'attente, de transfert ou de correspondance pour aller effectuer ou retourner d'un convoyage lointain, le salarié n'en est pas moins à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles, de sorte qu'il s'agit bien d'un travail effectif, au sens de l'article L.3121-1 du code du travail, et d'ailleurs soit compensé, soit payé.

La société Touraine Convoyages affirme que ces temps, " non quantifiables et vérifiables " correspondent aux temps de trajet évoqués par l'accord d'entreprise, compensés par l'octroi de 15 jours de congés supplémentaires, l'accord d'entreprise indiquant au demeurant qu'en cas de dépassement de l'horaire légal de travail, " le surplus fera l'objet d'un repos compensateur ou si l'entreprise le décide, d'un paiement en heures supplémentaires ".

Cependant, le repos supplémentaire de 15 jours, dont M. [E] ne conteste pas avoir bénéficié, apparaît insuffisant à compenser dans son intégralité l'accomplissement de plus de 300 heures supplémentaires non rémunérées, dont il est justifié.

C'est d'ailleurs pourquoi l'avenant du 2 octobre 2010 prévoit que si le "surplus" des temps de trajet retour entre deux convoyages, décomptés comme temps de travail, " correspond à 15 jours de congés ", " en cas de dépassement horaire calculé sur l'année civile, des jours supplémentaires pourront être accordés ", ce qui n'a manifestement pas été le cas, de sorte que ces heures de dépassement doivent être rémunérées à l'intéressé.

Aussi la cour a la conviction que M. [E] a accompli des heures supplémentaires qui, pour partie, n'ont pas donné lieu à rémunération.

Il y a lieu d'évaluer la créance du salarié à ce titre sur la période considérée, compte tenu des éléments évoqués, à la somme de 3000 euros, outre 300 euros au titre des congés payés afférents, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.

- Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour travail dissimulé

L'article L8221-5 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, prévoit que " est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ; "

En l'espèce, compte tenu des difficultés posées par l'application de l'accord d'entreprise et de son avenant, sur la comptabilisation des heures de trajets, qui sont à l'origine du litige, le caractère intentionnel du défaut de règlement de l'intégralité des heures supplémentaires accomplies n'est pas établi.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande à ce titre.

-Sur l'avertissement du 5 septembre 2016 et celui du 6 septembre 2016

L'article L.1331-1 du code du travail définit la sanction disciplinaire comme suit : " Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ".

L'avertissement constitue une sanction disciplinaire au sens de ce texte.

L'article L1333-1 du code du travail prévoit :

" En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. "

Enfin, l'article L1333-2 du code du travail prévoit : " Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise ".

Dans le courrier d'avertissement du 5 septembre 2016, l'employeur reprochait à M. [E] de ne pas avoir établi ses " relevés d'heures de la semaine selon le modèle qui a été fourni ". Il était rappelé le litige opposant M. [E] à la société Touraine Convoyages sur l'application de l'accord d'entreprise déjà évoqué.

Cet avertissement faisait suite à un courrier adressé par M. [E] le 28 août 2016, dans lequel il se plaignait de ne pas être rémunéré pour les temps de trajets pendant les temps d'attente ou de correspondance.

Il n'en demeure pas moins que M. [E] ne conteste pas ne pas avoir fourni les relevés d'heures, alors qu'ils étaient nécessaires au décompte du temps de travail accompli, en dépit du litige opposant les parties sur ce point, et que ces documents lui auront, d'ailleurs, été utiles dans le cadre de la présente procédure.

C'est pourquoi l'avertissement qui lui a été délivré apparaît justifié et la sanction proportionnée à la faute commise.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

S'agissant de l'avertissement du 6 septembre 2016, il était reproché à M. [E] de ne pas avoir inséré sa carte de chauffeur sur certains parcours, dont des exemples étaient précisés.

Le conseil de prud'hommes a annulé cet avertissement, au motif que l'employeur avait déjà infligé la veille à M.[E] un autre avertissement, de sorte que l'employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire pour les faits antérieurs au 5 septembre 2016.

Cependant, la règle à laquelle le conseil a fait référence interdit à l'employeur de sanctionner un salarié deux fois pour les mêmes faits.

En l'espèce, ce ne sont pas les mêmes faits qui sont invoqués dans chacun des deux avertissements, en sorte que l'employeur n'avait aucunement épuisé son pouvoir disciplinaire à l'égard des faits invoqués dans le second avertissement.

Sur le fond, M. [E] a contesté les faits qui lui étaient reprochés par courrier du 11 octobre 2016, en rappelant qu'il était demandé aux chauffeurs de faire lire leur carte " lorsqu'ils passent au bureau " tous les 3 ou 4 mois, comme mentionné dans un courriel qui leur avait été adressé le 15 février 2016. Il produit divers justificatifs de ce que, contrairement à ce qu'affirme l'employeur, les données ont été fournies, ou le tachygraphe du véhicule convoyé était défaillant, ou encore ce véhicule n'était équipé d'aucun disque.

L'avertissement du 6 septembre 2016 apparait donc injustifié, et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point, de même que sur le montant des dommages-intérêts alloués à M. [E] à ce titre, à hauteur de 50 euros, ce qui n'a pas été critiqué par ce dernier.

- Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail

Le salarié qui reproche à l'employeur des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail peut prendre acte de la rupture de son contrat. Lorsque ce salarié prend acte de la rupture de son contrat, en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

C'est au salarié, qui reproche les manquements à l'employeur, de démontrer les griefs qu'il invoque et le doute profite à l'employeur. Ces manquements doivent empêcher la poursuite du contrat de travail.

Par courrier du 27 décembre 2016, M. [E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail pour les motifs suivants :

-Le contrat de travail ne précise pas, ni les bulletins de paye, la classification permettant de vérifier les modalités de la rémunération,

-ni le contrat de travail ni le bulletin de paye ne font référence à la convention collective applicable,

-le décompte de l'horaire de travail est irrégulier,

-l'horaire de base était erroné de même que le décompte des heures supplémentaires, dont celles effectuées de nuit.

Dans ses écritures, M. [E] ne critique que le grief tiré du décompte erroné des heures de travail accomplies.

En effet, il n'est plus contesté qu'aucune convention collective, ni aucune classification afférente, n'est applicable à l'activité exercée par la société Touraine Convoyages.

Il a, en revanche, été jugé que l'intégralité des heures supplémentaires, même en décomptant celles compensées par l'octroi d'un repos supplémentaire, n'ont pas été rémunérées à M. [E], malgré ses demandes dans ce sens.

Il s'agit pour l'employeur d'un manquement majeur à ses obligations contractuelles.

Par voie d'infirmation du jugement entrepris, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est donc justifiée et doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

- Sur l'indemnité de préavis et les congés payés afférents :

L'article L.1234-5 du code du travail prévoit que l'indemnité de préavis correspond aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. Elle doit tenir compte notamment des heures supplémentaires habituellement accomplies.

L'article L.1234-1 du code du travail prévoit que :

" Lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit:

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois. "

L'article L.1234-5 du code du travail prévoit que " lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice ".

Il y aura lieu d'allouer à M. [E] la somme de 1869,77 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 186,97 euros de congés payés afférents .

- Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit, compte tenu de l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise, et de la taille de l'entreprise, supérieur à 10 salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 1 et 2 mois de salaire.

Au regard des éléments soumis à la cour, compte tenu de l'âge du salarié, de son ancienneté, de ses perspectives de retrouver un emploi, il y a lieu d'évaluer à 2000 euros le préjudice consécutif au licenciement abusif.

- Sur la remise d'une attestation Pôle Emploi rectifiée

La remise d'une attestation Pôle Emploi rectifiée en conformité avec la présente décision sera ordonnée.

Aucune circonstance ne permet de considérer qu'il y ait lieu d'assortir cette disposition d'une mesure d'astreinte pour en garantir l'exécution.

- Sur la demande reconventionnelle de la société Touraine Convoyages visant au paiement d'une indemnité de préavis

La rupture du contrat de travail ayant été prononcée aux torts de l'employeur, celui-ci sera, par voie d'infirmation, débouté de sa demande d'indemnité de préavis non effectué.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La solution donnée au litige commande de condamner la société Touraine Convoyages à payer à M. [E] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Touraine Convoyages sera déboutée de sa propre demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 23 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Tours, en ce qu'il a débouté M. [L] [E] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 5 septembre 2016, en ce qu'il a annulé l'avertissement du 6 septembre 2016 et condamné la société Touraine Convoyages à payer à ce dernier la somme de 50 euros de dommages-intérêts afférents et en ce qu'il a débouté M. [L] [E] de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

Infirme ce jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,

Condamne la société Touraine Convoyages à payer à M. [L] [E] la somme de 3000 euros à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires accomplies, outre 300 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents ;

Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par M. [L] [E] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Touraine Convoyages à lui payer les sommes suivantes :

-1869,77 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 186,97 euros d'indemnité de congés payés afférents

-2000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Ordonne la remise d'une attestation Pôle Emploi conforme à la présente décision, et dit n'y avoir lieu à mesure d'astreinte ;

Condamne la société Touraine Convoyages à payer à M. [L] [E] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute elle-même de ce chef de prétention ;

Condamne la société Touraine Convoyages aux dépens de première instance et d'appel.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier

Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02188
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;19.02188 ?
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