COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE SOLENNELLE GROSSES + EXPÉDITIONS la SCP LAVAL-LUEGER la SCP LAVAL-LUEGER 04 / 04 / 2008
ARRÊT du : 04 AVRIL 2008
No :
No RG : 07 / 00750
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Commerce de CLERMONT-FERRAND en date du 24 Octobre 2002
PARTIES EN CAUSE
SARL FRANCE POULIES agissant poursuites et diligences de son Gérant domicilié en cette qualité audit siège, Bourrasset-63580 VALZ SOUS CHATEAUNEUF
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour ayant pour avocat Me Claude AUJAMES, du barreau de CLERMONT FERRAND
DEMANDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
D'UNE PART
SA E. BOURBIE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Zone Industrielle des Listes-BP 44-63502 ISSOIRE CEDEX
représentée par Me Estelle GARNIER, avoué à la Cour ayant pour avocat la SCP PORTEJOIE-BERNARD-FRANCOIS, du barreau de CLERMONT-FERRAND
Maître Olivier Z... pris en qualité de liquidateur judiciaire de la SA DYNAMIC MACHINES, demeurant ...28100 DREUX
représenté par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour ayant pour avocat la SCP CHERRIER-VENAT TERRIOU, du barreau de CLERMONT FERRAND
DÉFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
D'AUTRE PART
DÉCLARATION DE SAISINE EN DATE DU 26 Mars 2007
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 9 janvier 2008
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré : Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre, Madame Odile MAGDELEINE, Conseiller, Monsieur Alain GARNIER, Conseiller, Monsieur Thierry MONGE, Conseiller, Monsieur Jean-Louis BERSCH, Conseiller.
Greffier :
Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 Février 2008, ont été entendus Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre en son rapport et les avocats en leurs plaidoiries.
Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 04 Avril 2008 par Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre en application des dispositions de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société France Poulies a acheté deux tours neufs de provenance espagnole (de marque Pinacho) à la société Dynamic machines (société Dynamic)-depuis en liquidation judiciaire, avec Me Z... pour liquidateur-qui en a confié le transport depuis l'Espagne à la société E. Bourbié (société Bourbié), laquelle les a déchargés sur son site, à Issoire, avant de les livrer quelques jours plus tard à la société France Poulies, à Valz-sous-Châteauneuf. A réception des deux machines, le 17 avril 2000, la société France Poulies a émis des réserves, les tours ayant été laissés plusieurs jours sous la pluie sur le site de la société Bourbié.
Cette dernière société devant également prendre en charge, en retour, un tour d'occasion (marque Hernault Toyoda), appartenant à la société France Poulies, objet d'une reprise par la société Dynamic, ce tour aurait lui-même subi des dommages au cours du transport et lors de son déchargement. Des réserves ont été formulées, mais à deux reprises, en avril et juin 2000, par la société Dynamic.
La société Dynamic, ensuite représentée par son liquidateur, a, par acte d'huissier de justice du 26 septembre 2002, assigné la société Bourbié en réparation des dommages affectant les trois tours. La société France Poulie est intervenue à l'instance.
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Par jugement du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand du 24 octobre 2002, la société Bourbié a été condamnée à payer à Me Z..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dynamic, la somme de 52. 030,87 € correspondant aux frais de réparation des deux tours neufs qu'elle avait exposés, aux lieu et place de son client, la société France Poulies. Le même jugement a fixé reconventionnellement la créance de la société Bourbié au passif de la liquidation judiciaire de la société Dynamic, au titre des frais de transport, à la somme de 1. 931,16 €. De son côté, la société France Poulies a obtenu la condamnation de la société Bourbié à lui payer la somme de 7. 988,33 €, coût de location d'un tour de remplacement. En revanche, la demande de la société France Poulies, estimée encore propriétaire du troisième tour, lors de son déplacement chez la société Dynamic, et tendant à la réparation du préjudice né de la fissuration de celui-ci, a été rejetée par le jugement.
Ce jugement a été partiellement infirmé par arrêt de la cour d'appel de Riom du 28 avril 2004. L'arrêt confirme le jugement précité en ce qu'il a condamné la société Bourbié à payer à Me Z... la somme de 52. 030,87 € et à la société France Poulie celle de 7. 988,33 €. En revanche, il déclare irrecevable la demande de fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Dynamic de la créance de frais de transport de la société Bourbié et condamne celle-ci à payer à Me Z... la somme complémentaire de 15. 000 € de dommages-intérêts pour le préjudice économique et financier subi par la société Dynamic, du fait des dommages affectant les deux tours neufs. Sur un fondement délictuel, la société Bourbié est, enfin, condamnée à payer à la société France Poulie la somme de 36. 465,80 € correspondant à la valeur de remplacement du troisième tour de marque Hernault.
Par arrêt du 7 novembre 2006 (no 1213 FS + P + B + I + R, sur pourv. no A 04-17. 128, Bull. civ. IV, no 220), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Riom, en ce qu'il a condamné la société " France Poulies " en réalité, Bourbié, comme l'a rectifié un arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2007 à payer la somme de 36. 465,80 € à la société France Poulies.
La cassation est prononcée au visa de l'article L. 133-3 du Code de commerce, l'arrêt du 7 novembre 2006 jugeant que la notification au transporteur de la protestation motivée du destinataire, qui doit être faite dans les trois jours de la réception à peine d'extinction de l'action, concerne tous les dommages, " y compris ceux non apparents lors de la réception " et qu'en l'espèce, en relevant qu'il n'était pas nécessaire, pour leur validité, que les réserves de la société Dynamic énoncent chacun des désordres subis par le matériel, notamment ceux non apparents, la cour d'appel a violé le texte précité.
*** La cour d'appel d'Orléans, désignée comme cour de renvoi, a été saisie par déclaration de la société France Poulies déposée au greffe le 26 mars 2007.
M. Rémery, président de chambre, délégataire du Premier Président pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article R. 212-5, alinéa 1er du Code de l'organisation judiciaire, a renvoyé l'affaire à l'audience solennelle.
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Ont été signifiées sur le fond les dernières conclusions suivantes auxquelles la Cour se réfère pour un plus ample exposé du litige :
*par la société France Poulies, le 20 septembre 2007 ;
*par la société Bourbié, le 26 novembre 2007 ;
*par Me Z..., ès qualités, le 2 janvier 2008, qui s'en rapporte à justice, compte tenu de la portée de la cassation partielle. ***
La société France Poulies fait valoir, à l'appui de sa demande de réparation, à concurrence de la somme de 36. 465,80 €, que :
*elle n'était pas le donneur d'ordre du transporteur, la société Bourbié-celle-ci ayant pour cocontractant la société Dynamic-et que, la responsabilité de la société Bourbié envers elle doit donc s'apprécier sur un fondement quasi délictuel, comme l'avait retenu la cour d'appel de Riom, de sorte que les dispositions de l'article L. 133-3 du Code de commerce ne lui seraient pas opposables, puisqu'elle n'était pas en mesure de prendre des réserves ;
*à supposer qu'elles le soient, la société Dynamic a pris, dans le délai légal, des réserves qui valent pour tous les dommages subis par le tour Hernault, y compris pour la fissuration du banc granitique, ici en cause, dommage qui n'était pas apparent dans les trois jours prévus par le texte précité, de sorte qu'aucune réserve ne pouvait alors être prise ;
*on peut considérer que les réserves initiales, signalant la déformation de la façade du tour, sont suffisantes pour le dommage ici en cause.
Elle conclut à la condamnation de la société Bourbié à lui payer les sommes de 36. 465,80 € de dommages-intérêts et 2. 000 par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
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La société Bourbié rappelle que la société Dynamic avait la qualité de destinataire, qu'il lui appartenait donc de prendre des réserves dans les trois jours de la réception, qu'aucune réserve ultérieure, fût-ce pour dénoncer des dommages occultes dans le délai précédent, n'est possible, si aucune expertise judiciaire n'a été demandée dans le délai, comme en l'espèce et que la fissuration du banc granitique n'avait pas été signalée avant le 8 juin 2000, hors du délai de l'article L. 133-3 du Code de commerce.
Estimant ainsi l'action éteinte, la société Bourbié conclut au débouté ainsi qu'à l'allocation d'une somme de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
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L'instruction a été clôturée par ordonnance du 9 janvier 2008, ainsi que les avoués en ont été avisés.
A l'issue des débats qui ont eu lieu le 8 février 2008, le président d'audience a informé les parties que l'arrêt serait rendu le 4 avril 2008.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Attendu qu'au préalable, il convient de rappeler que la cour de renvoi n'est pas saisie des dispositions irrévocables de l'arrêt de la cour d'appel de Riom, savoir la condamnation de la société Bourbié au titre des conséquences dommageables du premier sinistre affectant les deux tours neufs (52. 030,87 € à Me Z... pour le dommage matériel subi par la société Dynamic,15. 000 € au même pour le préjudice économique et financier de cette société ; 7. 988,33 € à la société France Poulie pour le coût de location d'un tour de remplacement) et le rejet de la créance de la société Bourbié au titre de ses frais de transport ; que la cour de renvoi n'est saisie que de la demande de la société France Poulie en paiement de la somme de 36. 465,80 € due, selon elle, en réparation du dommage consécutif à l'avarie subie par le tour de marque Hernault ;
Attendu, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 133-3, alinéas 1er et 2 du Code de commerce, la réception des objets transportés éteint toute action contre le voiturier pour avarie si, dans les trois jours, le destinataire n'a pas notifié au voiturier sa protestation motivée ou formé la demande d'expertise prévue à l'article L. 133-4 du même Code ; qu'il résulte de ce texte qui, de manière générale, éteint, en l'absence de protestation du destinataire, toute action contre le voiturier, sans distinguer le fondement de cette action, que la société France Poulies ne peut soutenir que les dispositions de l'article L. 133-3 précité ne lui seraient pas applicables pour n'avoir pas été elle-même en mesure de prendre des réserves ; qu'en effet, l'omission des réserves imputable au destinataire, qualité non contestée qu'avait la société Dynamic, suffit à entraîner l'extinction de toute action contre le voiturier, fût-ce de la part d'un tiers non partie au contrat de transport ; que, le cas échéant, il appartiendrait à celui-ci, privé d'action contre le transporteur par la faute du destinataire, d'en rechercher la responsabilité, ce qui n'est pas le problème posé en l'espèce ;
Attendu, en second lieu, qu'exprimant un principe général du droit des transports, l'article L. 133-3 du Code de commerce qui commence par affirmer que la réception des marchandises transportées éteint toute action institue, en réalité, une mesure de faveur en ouvrant un délai pour permettre de signaler une avarie qui n'aurait pas été apparente à la réception ; qu'en conséquence, ce délai a justement été prévu pour dénoncer les désordres occultes au moment de la livraison ; que, certes, il pourrait être soutenu que des avaries de transport, non encore visibles, pourraient se manifester postérieurement à l'expiration du délai imparti, mais, d'une part, sur le plan probatoire, plus le temps s'écoule, moins il est justifié d'attribuer ces avaries découvertes après au transport lui-même et, d'autre part et surtout, le législateur a offert, dans l'article L. 133-4 du Code de commerce, la faculté de déclencher, par simple ordonnance sur requête, une expertise judiciaire, demande équivalente à la protestation motivée de l'article L. 133-3 ; qu'en l'espèce, et alors que des réserves avaient été émises dans le délai et que le choc subi par le tour pouvait faire craindre d'autres dommages non encore décelés, il eût été prudent de provoquer cette expertise ; qu'en conséquence, pour préserver l'action contre le transporteur, les dommages, qui n'étaient pas apparents à la réception, doivent tous être signalés dans les trois jours de celle-ci ou une demande d'expertise judiciaire doit être présentée dans ce même délai ;
Attendu qu'il convient donc d'analyser les réserves formulées dans les trois jours, qui, pour être efficaces, ne doivent pas avoir été générales et doivent s'appliquer à l'avarie en cause ; que, s'agissant du tour litigieux de marque Hernault, les seules réserves utiles, prises par la société Dynamic dans les trois jours, le 20 avril 2000, ne signalaient que l'arrachement de la porte de l'armoire électrique et de la climatisation ainsi que le choc subi par la façade avant et la déformation de celle-ci, mais il a fallu attendre le 8 juin 2000 pour que la société Dynamic indique que le bâti de la machine était aussi fendu, cette avarie étant parfois indiquée, dans les écritures des parties, sous les termes " fissuration du banc granitique " ; que c'est cette avarie qui, en rendant le tour inutilisable, est à l'origine du dommage dont la réparation est recherchée par la société France poulies ; qu'il s'agit, comme l'avait retenu le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand (p. 6 du jugement déféré), d'un " nouveau dégât " distinct de ceux objets des réserves du 20 avril 2000 ; que la société France Poulies elle-même, dans ses dernières conclusions (p. 7), après avoir évoqué la déformation de la façade du tour, signale la fissuration du banc granitique sans lier les deux désordres autrement que par le fait qu'ils se seraient produits au cours de la même opération de transport, mais non que le second serait dû au premier ; qu'on ajoutera que, dans sa lettre de réserves du 8 juin 2000, la société Dynamic demande bien à la société Bourbié de se " rapprocher de sa compagnie d'assurance afin de mandater un expert pour constat de ces dégâts supplémentaires " ; qu'il résulte de ce qui précède que la société France Poulies n'a donc plus d'action contre la société Bourbié et que sa demande en paiement de la somme de 36. 465,80 € ne peut qu'être rejetée ;
Sur les dépens et l'indemnité de procédure
Attendu que la société France Poulie supportera les dépens exposés devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand et la cour d'appel de Riom correspondant au rejet de sa demande concernant le tour de marque Hernaut et tous les dépens exposés devant la cour d'appel d'Orléans ;
Attendu que la société France Poulie sera également tenue de payer à la société Bourbié la somme globale de 3. 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
STATUANT publiquement, contradictoirement, sur renvoi après cassation, après rapport de M. Rémery, président de chambre ;
STATUANT dans les limites de la cassation partielle prononcée ;
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand déféré, en ce qu'il a rejeté la demande de la société France Poulies tendant à la réparation des dommages subis lors du transport d'un tour de marque Hernault Toyoda, type HES 52 et REJETTE, en conséquence, sa demande en paiement de la somme de 36. 465,80 € en principal dirigée à l'encontre de la société E. Bourbié ;
DIT que la société France Poulie supportera les dépens exposés devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand et la cour d'appel de Riom correspondant au rejet de sa demande concernant le tour de marque Hernaut et tous les dépens exposés devant la cour d'appel d'Orléans ;
LA CONDAMNE à payer à la société E. Bourbié la somme globale de 3. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en remboursement de tous frais hors dépens exposés devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand et les cours d'appel de Riom et Orléans ;
ACCORDE à la SCP Laval-Lueger (en qualité d'avoué de Me Z...) et à Me Garnier, en qualité d'avoué de la société E. Bourbié, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du Code de procédure civile ;
ET le présent arrêt a été signé par M. Rémery, Président et Mme Fernandez, Greffier ayant assisté au prononcé de l'arrêt.