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15/01/2007 | FRANCE | N°06/582

France | France, Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile 1, 15 janvier 2007, 06/582


COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE CIVILE
GROSSES + EXPÉDITIONS
la SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE la SCP LAVAL-LUEGER

15 / 01 / 2007
ARRÊT du : 15 JANVIER 2007
No :
No RG : 06 / 00582

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 29 Novembre 2005

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :
La SA SAFER DU CENTRE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège 44 bis, Avenue de Châteaudun 41000 BLOIS

représentée par la SCP DESPLANQUES-DEVAUC

HELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP BAYLAC-OTTAVY, du barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉS :
La...

COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE CIVILE
GROSSES + EXPÉDITIONS
la SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE la SCP LAVAL-LUEGER

15 / 01 / 2007
ARRÊT du : 15 JANVIER 2007
No :
No RG : 06 / 00582

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 29 Novembre 2005

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :
La SA SAFER DU CENTRE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège 44 bis, Avenue de Châteaudun 41000 BLOIS

représentée par la SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP BAYLAC-OTTAVY, du barreau de TOURS
D'UNE PART
INTIMÉS :
La S.C.I. LALONDE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège 15 allée des Cèdres 14000 CAEN

représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
av Me Pierre BAUGAS, du barreau de CAEN

Monsieur Philippe Y...... 37140 ST NICOLAS DE BOURGUEIL

Madame Corinne Y...... 37140 ST NICOLAS DE BOURGUEIL

représentés par la SCP DESPLANQUES-DEVAUCHELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP BAYLAC-OTTAVY, du barreau de TOURS

Maître Alain Z... pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de Monsieur Jean-Pierre A...... 14000 CAEN

représenté par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Jean-Jacques SALMON, du barreau de CAEN
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL EN DATE DU 16 Février 2006
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 20 octobre 2006
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, à l'audience publique du 20 NOVEMBRE 2006, Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de Chambre, a entendu les avocats des parties, avec leur accord, par application des articles 786 et 910 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Lors du délibéré :
Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de Chambre, Rapporteur, qui en a rendu compte à la collégialité,

Madame Marie-Brigitte NOLLET, Conseiller,
Madame Elisabeth HOURS, Conseiller.
Greffier :
Madame Anne-Chantal PELLÉ, Greffier lors des débats.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 15 JANVIER 2007 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.

Par ordonnance du 11 mars 2002, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de Jean-Pierre A... a autorisé la vente au profit de la SCI LALONDE de deux parcelles en nature de vignes AOC sises à SAINT-NICOLAS-DE-BOURGUEIL (37), respectivement cadastrées lieudit " Les Gueilles " section E no1168 pour 38 a 91 ca et lieudit " Le Haut Gagne " section D no 1600 pour 18 a 68 ca, le tout moyennant le prix de 19. 819 €.

Les époux Y..., titulaires d'un bail rural sur lesdites parcelles de terre, ont manifesté l'intention d'exercer leur droit de préemption.
Par autre ordonnance du 21 juillet 2003, le juge commissaire, après avoir constaté que ces derniers étaient déjà propriétaires de parcelles représentant une superficie supérieure à trois fois la surface minimum d'installation, de sorte qu'ils ne remplissaient pas les conditions requises pour bénéficier du droit de préemption institué à l'article L 412-5 du code rural, a réitéré l'acte de cession au profit de la SCI LALONDE.
Le 23 décembre 2003, la SAFER DU CENTRE a notifié à la SCI LALONDE l'exercice de son droit de préemption, cette décision ayant pour objectif déclaré le maintien de l'exploitant en place, dont elle avait recueilli la candidature, en l'occurrence les époux Y..., titulaires d'un bail rural depuis 14 ans, riverains de la parcelle C 1600 et voisins de la parcelle E 1168.
Après que la SAFER DU CENTRE lui eut notifié, le 2 juin 2004, sa décision d'attribuer lesdites parcelles aux intéressés, la SCI LALONDE a saisi le Tribunal de Grande Instance de TOURS, pour obtenir l'annulation de la décision de préemption et de la décision de rétrocession ainsi prises par la SAFER.
Par jugement du 29 novembre 2005, le tribunal a fait droit à ses demandes et a prononcé l'annulation de ces décisions.
La SAFER DU CENTRE a interjeté appel du jugement.
Aux termes de conclusions récapitulatives signifiées le 12 septembre 2006, la SAFER et les époux Y... sollicitent l'infirmation de la décision, le rejet des demandes de la SCI LALONDE et la condamnation de cette dernière au paiement d'une indemnité de 3. 500 €, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre sa condamnation aux dépens.
Ils font valoir que, contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge, le maintien en place des époux Y... n'était nullement acquis, la SCI LALONDE n'ayant, en effet, pris aucun engagement officiel de reconduire le bail dont ils étaient titulaires et la conversion de leur bail à colonat en bail à ferme n'étant pas automatique. Ils allèguent que le juge judiciaire ne peut porter une appréciation sur l'opportunité de la décision de rétrocession, qu'il a seulement le pouvoir de vérifier le respect des objectifs légaux et la réalité de la motivation invoquée, qu'en l'occurrence la décision de préemption est parfaitement motivée au regard des exigences légales, en ce qu'elle tend au maintien de l'exploitant en place, à l'agrandissement et à l'amélioration de la répartition parcellaire de l'exploitation et à la sauvegarde du caractère familial de cette exploitation. La SAFER DU CENTRE se défend d'avoir commis un détournement de pouvoir en rétrocédant les terres aux époux Y... et soutient que son intervention, en permettant aux intéressés d'accéder à la propriété, constituait le seul moyen d'assurer de manière certaine leur maintien dans les lieux, que, malgré la faible superficie des terres en cause, la rétrocession de ces parcelles, situées à proximité du siège de l'exploitation des attributaires, constituait une amélioration certaine de l'appareil de production, ce qui répond aux objectifs assignés par la loi, et qu'il ne saurait être déduit de la différence entre le prix d'acquisition et le prix de rétrocession un quelconque détournement du droit de préemption à des fins illicites, les SAFER, si elles n'ont aucun but lucratif, ayant néanmoins la nécessité de couvrir les frais supportés à l'occasion de telles procédures et d'équilibrer leurs comptes, voire même de constituer des réserves destinées au financement d'opérations futures.

Par conclusions signifiées le 6 octobre 2006, la SCI LALONDE poursuit la confirmation du jugement déféré et sollicite la condamnation de la SAFER DU CENTRE à lui payer la somme de 3. 500 € en remboursement de ses frais irrépétibles, ainsi que sa condamnation aux dépens.
Elle fait valoir que la SAFER, qui est investie d'une mission d'intérêt général, ne peut servir d'intermédiaire pour favoriser un intérêt particulier, qu'en l'espèce, le maintien des époux Y... sur les parcelles objet du litige n'était pas menacé, puisque les intéressés bénéficiaient d'un bail, que la volonté de leur permettre d'accéder à la propriété ne constitue pas l'un des objectifs assignés par la loi à la SAFER, qu'en exerçant ainsi son droit de préemption, l'appelante a recherché la satisfaction d'un intérêt particulier, en l'occurrence celui des époux Y..., lesquels ne remplissaient pas les conditions requises pour pouvoir bénéficier personnellement du droit de préemption prévu par les dispositions de l'article L 412-5 du code rural, et que, en agissant ainsi, elle a commis un détournement de pouvoir, étant observé qu'il n'est pas sérieux de prétendre que l'acquisition de 57 ares serait de nature à permettre la restructuration d'une exploitation de 160 ha 30 a et que la différence substantielle entre le prix d'acquisition et le prix de rétrocession, d'environ 4. 000 €, s'apparente pour la SAFER à la rémunération d'un service rendu. La SCI LALONDE soutient que la situation des preneurs en place ne pouvait être remise en cause par la vente des terres à son profit, dès lors que le bail à colonat dont ils étaient titulaires était convertible de plein droit en bail à ferme, qu'elle avait d'ores et déjà indiqué qu'elle entendait proposer aux exploitants un bail à long terme et qu'aucun des associés de la SCI ne remplissait les conditions requises pour pouvoir prétendre bénéficier d'une reprise. Elle allègue enfin qu'il ne s'agit pas en l'occurrence d'apprécier l'opportunité de la décision de la SAFER, mais d'exercer un contrôle juridictionnel sur la légalité de cette décision, la motivation retenue étant totalement injustifiée.

Aux termes de ses écritures signifiées le 17 mai 2006, maître Z..., agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de Jean-Pierre A..., déclare s'en rapporter à justice sur le mérite de l'appel interjeté.
SUR CE, LA COUR :
Attendu que, à peine de nullité, la SAFER doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou l'autre des objectifs définis à l'article L 143-2 du code rural ; Que cette obligation de motivation de ses décisions n'est pas de pure forme, mais exige que la SAFER explique précisément comment la préemption lui permettra d'atteindre l'objectif visé et que soient exposées les données concrètes permettant de vérifier la réalité de l'objectif annoncé ;

Attendu qu'en l'espèce, la SAFER DU CENTRE a motivé sa décision de préempter, par référence au paragraphe 1er de l'article L 143-2 du code rural, et, précisément, par le " maintien de l'exploitant en place par accession à la propriété " ; Que, dans sa décision du 23 décembre 2003, il est fait mention de ce qu'elle " a d'ores et déjà recueilli la candidature des preneurs actuels exploitant le bien vendu, par bail depuis 14 ans, riverains de la parcelle C 1600 et voisins de la parcelle E 1168 ", lesquels " font valoir dans le cadre d'une EARL familiale (2 associés exploitants) une superficie d'environ 67 ha 80 (20 ha 30 en vigne AOC et 47 ha 50 en céréales), soit une surface pondérée de 160 ha 30, avec trois salariés représentant l'équivalent de deux plein-temps. Le siège d'exploitation est distant d'environ 800 mètres du bien vendu " ; Qu'elle ajoute toutefois que " la situation des candidatures actuelles ne préjuge pas de l'attribution future du bien, dont la décision de rétrocession définitive ne sera prise par la SAFER DU CENTRE qu'après étude des autres candidatures que la publicité légale à réaliser pourra révéler " ;

Attendu que, si la motivation utilisée répond, en apparence, aux exigences légales, il résulte de l'examen de la situation que la régularité de la décision ainsi motivée n'est que formelle et que l'objectif déclaré n'a pas de consistance réelle ;
Attendu, en effet, que l'article L 143-2-1o du code rural, auquel il est fait référence, vise " l'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs " ; Que la poursuite, comme en l'espèce, de l'objectif de maintien d'un agriculteur suppose que la vente envisagée soit de nature à remettre en cause la situation de l'exploitant en place ;

Or, attendu, ainsi que l'a retenu, à juste titre, le premier juge, que la situation des époux Y..., exploitants en place, n'était pas menacée par la vente envisagée à la SCI LALONDE ; Que les intéressés, contrairement à ce qu'indique à tort la SAFER DU CENTRE dans ses écritures, étaient en effet titulaires d'un bail sur les parcelles en cause, en l'occurrence un bail à métayage à long terme, à eux consenti le 26 avril 1989, pour une durée de 18 ans ; Que, si ledit bail vient, certes, à expiration le 26 avril 2007, la SCI LALONDE a fait, néanmoins, connaître à la SAFER DU CENTRE, dès le 27 novembre 2003, soit antérieurement à la décision de préemption, qu'elle s'engageait à consentir aux époux Y... un bail de longue durée sur les terres dont s'agit ; Que, en tout état de cause, les intéressés disposaient, en application de l'article L 417-11 du code rural, de la faculté de demander la conversion du bail à métayage en bail à ferme, avec les garanties s'attachant à ce statut, étant observé que, étant en place depuis plus de huit ans, la conversion ne peut, nonobstant toute disposition contraire, leur être refusée ; Qu'il n'existe, en outre, aucun risque réel de reprise des terres par l'un quelconque des associés de la SCI LALONDE, aucun d'entre eux n'exerçant la profession d'agriculteur et ne remplissant les conditions requises pour pouvoir bénéficier d'une telle reprise ; Que, nonobstant la vente envisagée au profit de la SCI LALONDE, les époux Y... étaient ainsi assurés de leur maintien en place ; Que l'objectif déclaré par la SAFER DU CENTRE est donc purement fictif, étant observé que ce n'est pas l'accession à la propriété des exploitants agricoles qui, aux termes de l'article L 143-2 du code rural, doit être recherchée, mais seulement leur maintien sur l'exploitation ;

Attendu que, bien que la décision de préemption ne soit expressément motivée que par référence à l'objectif de maintien de l'exploitant en place, la SAFER DU CENTRE tente aujourd'hui de soutenir qu'elle tendrait également à l'agrandissement et à l'amélioration de la répartition parcellaire de l'exploitation et à la sauvegarde du caractère familial de celle-ci ; Que, outre la circonstance que ces objectifs ne sont nullement visés dans la décision, ce qui les rend inopérants, il n'est, en tout état de cause, ni expliqué, ni justifié, par la SAFER en quoi et comment l'acquisition par les époux Y... de ces parcelles, représentant au total 57 ares, serait de nature à permettre la restructuration d'une exploitation de plus de 160 ha et à sauvegarder le caractère familial de cette dernière, lesdites parcelles, même situées à proximité de l'exploitation, n'apparaissant, ni en raison de leur dimension, ni en raison de leur localisation, présenter un intérêt essentiel pour l'équilibre de ladite exploitation ;

Attendu que force est de constater que la décision de préemption de la SAFER, à défaut de répondre effectivement à l'un des objectifs assignés par la loi, n'a eu pour objet que de permettre aux époux Y... d'accéder, de manière détournée, à la propriété des parcelles dont s'agit ; Que, ce faisant, la SAFER DU CENTRE n'a pas poursuivi la défense d'un intérêt général, mais seulement la défense d'intérêts particuliers, en l'occurrence ceux des époux Y..., lesquels, ne remplissant pas les conditions requises pour pouvoir bénéficier du droit de préemption institué au profit du fermier en place, ont ainsi trouvé le moyen de contourner les dispositions d'ordre public du statut du fermage ;

Attendu qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a annulé la décision de préemption de la SAFER DU CENTRE et, par suite, la décision de rétrocession au profit des époux Y... ;
Attendu que la SAFER DU CENTRE, qui succombe, supportera les dépens, ainsi que le paiement à la SCI LALONDE d'une indemnité de procédure de 1. 500 € ;

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la SAFER DU CENTRE à payer à la SCI LALONDE la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1. 500 €), sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
REJETTE le surplus des demandes,
CONDAMNE la SAFER DU CENTRE aux dépens et accorde à la SCP LAVAL-LUEGER, avoués, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Arrêt signé par Monsieur Alain RAFFEJEAUD, président et Madame Anne-Chantal PELLÉ, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Orléans
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 06/582
Date de la décision : 15/01/2007
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Tours, 29 novembre 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.orleans;arret;2007-01-15;06.582 ?
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