COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53J
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 3 SEPTEMBRE 2024
N° RG 23/01163 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VWGR
AFFAIRE :
[T], [P] [J]
C/
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET DE L'ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2023 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE
N° Chambre : 2
N° RG : 2020F00368
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Charles-henri DE GAUDEMONT
Me Paul BUISSON
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANT
Monsieur [T], [P] [J]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 6] (Tunisie)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentant : Me Charles-henri DE GAUDEMONT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 21
Plaidant : Me Emmanuel BEUCHER, avocat au barreau de SENLIS, vestiaire : 160
****************
INTIME
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET DE L'ILE DE FRANCE
Ayant son siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social.
Représentant : Me Paul BUISSON, - Cabinet BUISSON & ASSOCIES- avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 6
Plaidant : Me Francis BONNET DES TUVES- INFINITY AVOCATS AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G 0685
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marietta CHAUMET, Vice-Présidente placée, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président,
Madame Marietta CHAUMET, Vice-Présidente placée,
Mme Véronique MULLER, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Julie FRIDEY,
Greffier lors du prononcé de la décision : Madame Françoise DUCAMIN,
Exposé du litige
La Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France (la banque) a prêté à la société Majestic Tours :
- 54 000 euros le 27 septembre 2016, par un contrat numéro 00000908647 ;
- 26 000 euros le 27 septembre 2016 par un contrat numéro 00000908664 ;
- 20 000 euros le 7 décembre 2016 par un contrat numéro 00000960545 ;
- 20 000 euros le 7 décembre 2016 par un contrat numéro 00000960559 ;
- 20 000 euros le 7 décembre 2016 par un contrat numéro 00000960565 ;
- 20 000 euros le 7 décembre 2016 par un contrat numéro 00000960576 ;
- 26 000 euros le 7 décembre 2016 par un contrat numéro 00000960582 ;
- 30 000 euros le 7 décembre 2017 par un contrat numéro 00001287002.
M. [J], son dirigeant, s'est porté caution de ses engagements.
Le 20 janvier 2023, le tribunal de commerce a notamment rejeté la demande formulée par la banque au titre du prêt n°00001287002 et condamné M. [J] à payer à la banque :
- 27 341,38 euros au titre du prêt 00000908664 ;
- 32 319,76 euros au titre du prêt 00000908647 ;
- 13 022.67 euros au titre du prêt 00000960545 ;
- 13 022,67 euros au titre du prêt 00000960559 ;
- 13 022,67 euros au titre du prêt 00000960565 ;
- 13 022,67 euros au titre du prêt 00000960576 ;
- 13 022,67 euros au titre du prêt 00000960582.
Le 17 février 2023, M. [J] a interjeté appel de toutes les dispositions de ce jugement.
Par dernières conclusions du 30 janvier 2024, il demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la banque au titre du prêt n°00001287002 ;
- L'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau,
- D'ordonner la déchéance de ses engagements de caution pour disproportion, subsidiairement pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde ;
- Rejeter les prétentions de la banque ;
- Lui allouer une indemnité de procédure de 3 500 euros.
Par dernières conclusions du 6 février 2024, la banque intimée sollicite la confirmation du jugement et l'allocation d'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile).
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait référence aux conclusions écrites susvisées.
Motifs
Sur la demande relative au prêt n°00001287002
Aucun appel incident ou provoqué n'a été formé contre le chef du dispositif du jugement du 20 janvier 2023 ayant rejeté la demande de la banque au titre de ce prêt, que l'appelant est sans intérêt à critiquer.
La demande de confirmation du jugement de ce chef ne peut en conséquence qu'être écartée.
Sur la disproportion alléguée
L'article L. 332-1 du code de la consommation dispose, dans sa rédaction applicable à la cause :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C'est à la caution s'en prévalant qu'incombe la preuve de l'existence d'une telle disproportion. En l'absence d'anomalies apparentes, le créancier professionnel n'a pas à vérifier l'exactitude de la déclaration faite par la caution personne physique quant à ses revenus et patrimoine préalablement à la souscription de son engagement (Com, 10 mars 2015, n° 13-15.867 ; 13 sept 2017, n°15-20.294, publié ; 12 nov 2020, n°19-11.900 et 19-17.861).
Pour apprécier la disproportion, le juge ne doit pas prendre en considération le passif dissimulé par la caution (Com, 25 sept 2019, n°18-14.108).
Cette disproportion s'apprécie par rapport aux biens de la caution sans distinction, de sorte qu'un bien dépendant de la communauté d'une caution mariée doit être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l'exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l'absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l'article 1415 du code civil (Com, 15 nov 2017, n°16-10.504, publié).
La disproportion de l'engagement de la caution personne physique est sanctionnée par l'inopposabilité de son engagement au créancier professionnel.
C'est au créancier professionnel de faire la preuve de ce que la caution personne physique peut faire face à son engagement au moment où elle est appelée (Com, 17 fév 2021, n°19-17.746 ; 9 oct 2019, n°18-11.969 ; 7 juin 2016, n°14-28.164).
Ce moment s'entend de la date de l'assignation en paiement (Com, 9 juillet 2019, n°17-31.346 ; Com., 5 mai 2021, n° 19-22.688).
En l'espèce, c'est le 9 juillet 2020 que la banque a assigné M. [J] en paiement ; pour accueillir ses demandes au titre de sept engagements de caution, le tribunal retient que ces engagements étaient disproportionnés au jour de leur conclusion, mais que M. [J] pouvait y faire face au jour où il a été appelé.
La demande de l'appelant tendant à voir « ordonner la déchéance des engagements de caution de M. [J] » en raison de la dispoportion de ces engagements peut être comprise comme tendant à voir déclarer ces engagements inopposables à la banque.
Au travers des sept contrats en cause, souscrits entre le 27 septembre 2016 et le 7 décembre 2017, soit en l'espace de 15 mois, M. [J] s'est porté caution des engagements de la société Majestic Tours dans la limite d'une somme totale de 234 000 euros.
Le 7 décembre 2017, la société Majestic Tours a souscrit deux autres emprunts auprès de la banque ; mais de ces deux emprunts, M. [J] ne s'est pas porté caution, de sorte que, contrairement à ce que soutient celui-ci, les montants empruntés n'ont pas à être pris en considération dans l'appréciation de la proportionnalité de ses engagements.
Il est constant que, au moment de souscrire les engagements de caution litigieux, M. [J] n'a rempli aucune fiche de renseignements ; mais comme le relève l'intimée à juste titre, aucun texte de nature législative ou réglementaire n'impose à un établissement de crédit de faire remplir une telle fiche à une personne physique se portant caution.
M. [J] produit trois avis d'imposition dont il résulte qu'au titre des revenus de l'année 2015, de l'année 2016, de l'année 2017 et de l'année 2019, il n'était pas imposable.
Il résulte de la fiche d'immeuble produite que M. [J] et son épouse sont propriétaires d'un appartement sis à [Adresse 5], acquis en 2008 ; selon un avis de valeur émanant d'un expert immobilier en date du 23 mars 2021, ce bien valait alors 160 000 euros. Mais pour l'acheter, les époux [J] ont souscrit un emprunt, dont le capital restant dû était de quelque 80 000 euros en mai 2021 (pièce n°13 produite par l'appelant).
Il résulte encore de cette fiche que, le 7 octobre 2021, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble a inscrit sur ce bien une hypothèque judiciaire pour sûreté de quelque 18 000 euros, sur le fondement d'un jugement du 5 mars 2020 ; que, le 18 juillet 2022, le Trésor public a inscrit sur l'immeuble une hypothèque pour sûreté de quelque 102 000 euros.
La valeur de l'immeuble est ainsi entièrement absorbée par les dettes subsistantes et les inscriptions dont il est grevé.
De l'ensemble de ces éléments d'appréciation, il résulte que, comme l'a justement retenu le premier juge, les engagements litigieux étaient, au jour de leur souscription, manifestement disproportionnés aux biens et revenus de la caution.
La banque établit que, le 20 mai 2017, M. [J] a constitué avec M. [M] une société 3ZEM Automobile, dont il possédait 51% du capital social, fixé à 16 000 euros ; que le 17 septembre 2018, M. [J] a cédé toutes ses parts à son associé ; mais elle n'établit pas la valeur de ces parts au moment de leur cession ; le bilan produit montre que cette entreprise a réalisé au cours de l'année civile 2018 une perte d'exploitation de 19 452 euros.
La banque établit d'autre part que M. [J] était propriétaire de la moitié du capital social de la société Majestic Tours, initialement fixé à 22.500 euros ; mais le 24 juin 2022, cette société a été placée en liquidation judiciaire et la banque ne produit aucun élément de nature à permettre l'évaluation des parts de M. [J] au 9 juillet 2020.
Or au 9 juillet 2020, la dette de M. [J] envers la banque au titre de ses engagements de caution était en principal, comme l'a retenu le jugement, d'un montant total de 124 774,49 euros.
Il convient donc de retenir que, contrairement à ce que soutient la banque, M. [J] n'était pas en capacité de faire face à son obligation au moment où il a été appelé.
D'où il suit que le jugement doit être infirmé du chef de l'ensemble des condamnations prononcées contre M. [J] et que, statuant à nouveau, il convient de rejeter l'ensemble des demandes de la banque.
La demande subsidiaire de l'appelant fondée sur un prétendu manquement de la banque à son devoir de mise en garde est donc sans objet.
Sur les demandes accessoires
L'intimée, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel. L'équité commande toutefois de n'allouer d'indemnité de procédure à aucune des parties.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement,
Dit irrecevable la demande de confirmation du jugement en ce qu'il rejeté la demande formulée au titre du prêt n°00001287002 ;
Infirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France de toutes ses prétentions ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,