COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80M
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 31 JUILLET 2024
N° RG 24/01339
N° Portalis DBV3-V-B7I-WQBB
AFFAIRE :
Société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE
C/
[C] [O]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendule 25 avril 2024 par le Cour d'Appel de VERSAILLES
N° Chambre : 4-1
N° RG : 24/00737
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Saïd SADAOUI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE ET UN JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Saïd SADAOUI de la SELAFA AERIGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0305
APPELANTE
****************
Madame [C] [O]
née le 20 novembre 1991 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Non représentée
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 juin 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffière lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par ordonnance du 21 février 2024, notifiée aux parties le 21 février 2024, le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Nanterre (section commerce) a :
. constaté le non-respect du calendrier qui avait été imparti à la partie défenderesse,
. rejeté les pièces et conclusions communiquées par la partie défenderesse le 14 février 2024
. ordonné la clôture de la procédure,
. dit qu'aucune conclusion nouvelle ne pourra être déposée ni aucune pièce nouvelle produite aux débats, conformément à l'article R 1454-19-3 du code du travail,
. dit que la présente affaire sera plaidée lors du bureau de jugement du 11 juillet 2024,
. dit que la notification de la présente ordonnance vaut convocation devant le bureau de jugement,
. rappelé que cette ordonnance est une mesure d'administration judiciaire et n'est susceptible d'aucun recours.
Par déclaration adressée au greffe de la cour d'appel de Versailles le 29 février 2024, la société a interjeté appel de cette ordonnance.
Par ordonnance du 25 avril 2024, le conseiller de la mise en état de la chambre 4-1 de cour d'appel de Versailles a déclaré l'appel irrecevable.
Les motifs de l'ordonnance sont les suivants : l'ordonnance de clôture est une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
Par requête aux fins de déféré du 2 mai 2024, à laquelle il est expressément renvoyé pour l'énoncé complet des moyens, la société Lagardère travel retail France demande à la cour de :
. réformer l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état de la chambre sociale 4-1 de la cour d'appel de Versailles, le 25 avril 2024 dans toutes ses dispositions (n° RG 24/737),
. déclarer recevable l'appel nullité interjeté par la société Lagardère travel retail France SNC à l'encontre de l'ordonnance rendue par le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Nanterre le 21 février 2024 en ce qu'il a excédé ses pouvoirs.
Elle soutient que l'appel nullité à l'encontre des décisions du bureau de conciliation et d'orientation est recevable dès lors que ce dernier excède ses pouvoirs, que la seule question posée à la cour pour apprécier la recevabilité de l'appel nullité interjetée par la société est celle de savoir si le bureau de conciliation a excédé ses pouvoirs (sans considération d'une violation ou non du principe du contradictoire), que la réponse est affirmative, le bureau de conciliation ne pouvant pas rejeter les pièces et écritures de la société sans excéder ses pouvoirs, de sorte que pour ce seul motif, l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état devra être infirmée.
Elle ajoute que la décision qui excède la compétence du bureau de conciliation de rejet des écritures et pièces de la société défenderesse n'est pas fondée puisque la partie demanderesse n'a jamais sollicité un tel rejet, qu'en effet, par courriel du 19 février 2024, le conseil de la salariée sollicitait un renvoi de la clôture du dossier afin de pouvoir répliquer aux écritures de la société, demande à laquelle la société s'est associée.
Elle conclut en indiquant que dans ces conditions, la décision de rejet des écritures et pièces de la société viole manifestement le principe du contradictoire établi par les articles 15 et 16 du code de procédure civile puisqu'elle a pour effet de priver la société de toute communication et par conséquence de la priver d'un double degré de juridiction.
Le défendeur au déféré, Mme [O], n'a pas fait parvenir de conclusions à la cour.
MOTIFS
D'abord, selon l'article 537 du code de procédure civile, les mesures d'administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours, fût-ce pour excès de pouvoir.
Telle est le cas de l'ordonnance de clôture prise par le bureau de conciliation et d'orientation en application de l'article L.1454-1-2, dernier alinéa du code du travail, qui n'est sujette à aucun recours, fût-ce pour excès de pouvoir, à la différence des mesures prises par le bureau de conciliation et d'orientation en application des articles R. 1454-14 et R. 1454-15 du code du travail à l'encontre desquelles l'appel immédiat est ouvert en cas d'excès de pouvoir (Soc., 14 décembre 2022, pourvoi n° 20-22.425, publié).
L'article R. 1454-1 du code du travail précise que « En cas d'échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d'orientation assure la mise en état de l'affaire jusqu'à la date qu'il fixe pour l'audience de jugement. Des séances peuvent être spécialement tenues à cette fin.
Après avis des parties, il fixe les délais et les conditions de communication des prétentions, moyens et pièces.
Il peut dispenser une partie qui en fait la demande de se présenter à une séance ultérieure du bureau de conciliation et d'orientation. Dans ce cas, la communication entre les parties est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par notification entre avocats et il en est justifié auprès du bureau de conciliation et d'orientation dans les délais impartis.
Il peut entendre les parties en personne, les inviter à fournir les explications nécessaires à la solution du litige ainsi que les mettre en demeure de produire dans le délai qu'il détermine tous documents ou justifications propres à éclairer le conseil de prud'hommes. »
Selon l'article R. 1454-19 du code du travail, « Dans les cas où l'affaire est directement portée devant lui ou lorsqu'il s'avère que l'affaire transmise par le bureau de conciliation et d'orientation n'est pas prête à être jugée, le bureau de jugement peut prendre toutes mesures nécessaires à sa mise en état mentionnées à l'article R. 1454-1.
A défaut pour les parties de respecter les modalités de communication fixées, le bureau de jugement peut rappeler l'affaire à l'audience, en vue de la juger ou de la radier.
Sont écartés des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense. »
Selon l'article R. 1454-19-3 du code du travail, alinéa 1, « Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ».
L'excès de pouvoir suppose de porter fondamentalement atteinte aux droits et obligations des parties
quant à la substance même du litige au fond.
Il en va ainsi, par exemple, en cas de déni de justice, de méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs ou encore de violation d'une immunité de juridiction.
L'excès de pouvoir suppose que le juge ait méconnu l'étendue de son pouvoir juridictionnel (1 Civ. 20 février 2007, n°06-13134, Bull. I n°61). Il est retenu lorsqu'un juge sort du cadre des fonctions qui lui sont propres au sein de la juridiction principale dont il émane :
- soit qu'il prenne une mesure relevant d'une autre formation de cette juridiction (Civ. 1, 10 mai 1995, n° 93-14.375, Bull. civ. I, n° 192 ; Civ. 1 , 29 juin 1994, n° 92-18.084, Bull. civ. I, n 224),
- soit qu'il sorte du champ d'appréciation limité qui lui est assigné pour entrer dans celui dévolu à une autre formation (Civ. 1, 16 févr. 1994, n° 88-14.685, Bull. civ. I, n° 67 ; Civ. 2 , 24 févr. 1993, n° 91-17.230, Bull. civ. II, n° 77).
La violation du principe de la contradiction ne constitue pas un excès de pouvoir susceptible de rendre un appel-nullité recevable (1re Civ., 17 juin 2009, pourvoi n° 08-11.697, Bull. 2009, I, n° 129). De même, la méconnaissance des articles 6 § 1 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne caractérise pas un excès de pouvoir (Com., 19 juin 2012, n° 11-20.066, Bull. civ. IV, n° 130).
Enfin, l'existence d'un excès de pouvoir ne peut résulter du fait qu'une ordonnance de clôture aurait été rendue de façon prématurée et sans qu'une partie en soit informée (Civ. 2 , 29 janv. 2004, n° 02-13.439, Bull. civ. II, n° 31).
Dans un tel cas, il n'y a pas de place pour l'appel-nullité. Ainsi, lorsqu'un juge de la mise en état fixe un délai pour conclure sous peine de clôture ou de rejet des conclusions tardives, il n'affecte que la situation des parties dans leurs rapports processuels. Il ne porte pas véritablement atteinte à leurs droits et obligations sur le fond.
En l'espèce, il n'est pas contesté que lors de de la première audience devant le bureau de conciliation qui s'est déroulée le 5 avril 2023, l'affaire a été renvoyée devant une audience de mise en état fixée au 21 février 2024.
Au visa de l'article L. 1454-1-2 du code du travail, le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Nanterre a rendu le 21 février 2024 une ordonnance par laquelle il ordonne la clôture de la procédure, dit qu'en conséquence aucune conclusion nouvelle ne pourra être déposée ni aucune pièce nouvelle produite aux débats conformément à l'article R. 1454-19-3 du code du travail, dit que les dernières pièces et conclusions de la partie défenderesse communiquées à la partie demanderesse le 14 février 2024 sont rejetées, et dit que l'affaire sera plaidée devant le bureau de jugement le 11 juillet 2024, ce qui caractérise l'excès de pouvoir selon la société appelante.
Toutefois, ainsi que l'a retenu le conseiller de la mise en état, la mesure d'administration judiciaire contestée, en ce qu'elle rejette les conclusions et pièces de la société communiquées tardivement, n'affecte pas le droit d'appel du jugement à intervenir.
De plus, il n' apparaît pas, en tout état de cause, que le bureau de conciliation et d' orientation ait violé les textes précités.
La société soutient, sur ce point, que le bureau de conciliation et d'orientation ne pouvait écarter ses pièces et conclusions communiquées en dehors du calendrier fixé par la juridiction, ce pouvoir revenant au seul bureau de jugement selon l'article R.1454-19 du code du travail précité.
Cependant, le pouvoir de clôturer, ici dévolu au bureau de conciliation et d'orientation en application de l'article L.1454-1-2, implique celui d'écarter des pièces et conclusions. Il suffirait en effet d'une production tardive pour empêcher toute clôture, ce qui paralyserait toute mise en état devant le bureau de conciliation et d'orientation qui en est chargé et rendrait vain tout calendrier de procédure.
Le renvoi par l'article R.1451-1 du code de travail aux règles du livre premier du code de procédure civile, et donc à l'article 446-2, dernier alinéa dont s'inspire l'article R.1454-1, accrédite cette solution, ces textes permettant, en matière de procédure orale, au juge qui a fixé les délais d'écarter les conclusions et pièces qui ne les respectent pas.
La compétence dévolue par l'article R.1454-19 du code du travail au bureau de jugement pour écarter des pièces et conclusions apparaît spécifique et limitée. Elle suppose en effet que l'affaire ait été directement portée devant le bureau de jugement ou que celle transmise par le bureau de conciliation et d'orientation ne s'avère pas prête, ce qui n'était pas le cas ici et imposait à ce bureau de régler la difficulté dont il était saisi.
La compétence édictée par l'article R.1454-19 ne peut donc être vue comme réservant au profit exclusif du bureau de jugement le pouvoir d'écarter et de clôturer.
Le bureau de conciliation et d'orientation a tiré les conséquences d'une violation flagrante du calendrier de procédure par la société, reconnue d'ailleurs par cette dernière, peu important que le salarié ait été d'accord pour un renvoi afin de lui permettre de répliquer aux pièces et conclusions tardives, étant ici rappelé que les conclusions litigieuses avaient été communiquées hors calendrier, mais avant l'ordonnance de clôture, soit à une date à laquelle le bureau de conciliation et d'orientation restait chargé d'assurer la mise en état de l'affaire.
Il résulte de l'application combinée des textes précités que le bureau de conciliation et d'orientation pouvait, d'une part, écarter des pièces et conclusions communiquées tardivement et, d'autre part, clôturer la procédure, le fait qu'il ait procédé ainsi dans une seule et même décision apparaissant certes peu commun mais non contraire aux textes précités.
Il sera ici rappelé in fine que la mise en état devant le conseil de prud'hommes est empreinte d'un certain particularisme, qui vise à assurer une réelle effectivité des règles procédurales devant la juridiction prud'homale au regard du volume d'affaires dont elle est saisie et de l'impératif de célérité de toute juridiction résultant de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'État étant régulièrement condamné en application de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, au titre du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice résultant d'un allongement excessif du délai de réponse judiciaire.
L'ordonnance sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a retenu que l'appel-nullité formé par la société contre l'ordonnance de clôture du 21 février 2024 est irrecevable.
Il convient de mettre les éventuels dépens du déféré à la charge de la société Lagardère travel retail.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance du 25 avril 2024 du conseiller de la mise en état de la chambre 4-1 de la cour d'appel de Versailles,
Y ajoutant,
METS les éventuels dépens du déféré à la charge de la société Lagardère travel retail.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente