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04/07/2024 | FRANCE | N°23/08337

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 04 juillet 2024, 23/08337


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 82J



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 23/08337 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WHUA



AFFAIRE :



[E] [T]

...



C/

S.A.S. MANPOWER FRANCE











Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 29 Novembre 2023 par le Président du TJ de NANTERRE

N° RG : 23/02797



Expéditions exécutoires
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Copies

délivrées le : 04.07.2024

à :



Me Christine DUARD-BERTON, avocat au barreau de PARIS (B0566)



Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE JUILLET DEUX MILL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82J

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 23/08337 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WHUA

AFFAIRE :

[E] [T]

...

C/

S.A.S. MANPOWER FRANCE

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 29 Novembre 2023 par le Président du TJ de NANTERRE

N° RG : 23/02797

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.07.2024

à :

Me Christine DUARD-BERTON, avocat au barreau de PARIS (B0566)

Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [E] [T]

Monsieur [E] [T] pris en sa qualité de délégué syndical central CFTC Interim Manpower

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

SYNDICAT NATIONAL DU TRAVAIL TEMPORAIRE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Christine DUARD-BERTON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0556

APPELANTS

****************

S.A.S. MANPOWER FRANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 429 955 297

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2372790

Ayant pour avocat plaidant Me Romain CHISS, du barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Juin 2024, Madame Marina IGELMAN, conseillère ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,

Madame Marina IGELMAN, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Manpower France est une entreprise de travail temporaire déployant son activité au travers d'un réseau de plusieurs centaines d'agences réparties sur l'ensemble du territoire national et auprès de plusieurs milliers d'entreprises clientes utilisatrices.

Le syndical national du travail temporaire CFTC (la CFTC Intérim ou le SNTT-CFTC), est une organisation syndicale représentative ayant pour objet la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, collectifs et individuels, des salariés permanents et intérimaires du travail temporaire.

Le 11 juillet 2023, le syndicat CFTC Intérim a publié sur son site internet CFTC-Intérim Manpower un article intitulé « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants », reprenant un avis rendu par le conseil social et économique central (le CSEC) le 15 juin 2023 à l'occasion de sa consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise.

Le 27 octobre 2023, la direction de la société a demandé à M. [E] [T], délégué central CFTC Intérim Manpower, le retrait de cet avis du site internet du syndicat.

Le 31 octobre 2023, M. [T] a indiqué avoir supprimé les données chiffrées ainsi que les noms des clients, et a conservé la publication ainsi modifiée.

Le 3 novembre 2023, la société Manpower France a considéré que le caviardage des chiffres ne changeait rien à la violation de la confidentialité attachée aux informations publiées et a formulé une nouvelle demande de retrait, refusée par le syndicat le 6 novembre suivant au motif qu'aucun élément confidentiel ne transparaissait dans l'avis expurgé ainsi publié.

Autorisée par ordonnance du 16 novembre 2023 à assigner à heure indiquée, la société Manpower France a fait assigner en référé M. [T] et le syndicat national du travail temporaire CFTC aux fins d'obtenir principalement le retrait de la publication du 11 juillet 2023.

Par ordonnance contradictoire rendue le 29 novembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- déclaré l'ensemble des conclusions et pièces communiquées par les parties recevables,

- enjoint au syndicat national du travail temporaire CFTC et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower, à compter du prononcé de la décision et sous astreinte de cent euros par jour de retard, de retirer sa publication intitulée « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants » du site https://www.cftcmanpower.fr,

- débouté le syndicat national du travail temporaire CFTC et M. [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower de leur demande reconventionnelle au titre des dépens et des frais irrépétibles,

- mis à la charge du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower la somme de 1 000 euros à payer à la société Manpower France en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis à la charge du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower les entiers dépens de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire au seul vu de la minute,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

Par déclaration reçue au greffe le 12 décembre 2023, le syndicat national du travail temporaire CFTC et M. [T] ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a déclaré l'ensemble des conclusions et pièces communiquées par les parties recevables.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 10 janvier 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, le syndicat national du travail temporaire et M. [T] demandent à la cour, au visa des articles 834, 835 du code de procédure civile, L. 2315-3 et L. 2315-35 du code du travail, de :

'- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- enjoint au syndicat national du travail temporaire CFTC et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower, à compter du prononcé de la présente décision et sous astreinte de cent euros par jour de retard, de retirer sa publication intitulée « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants » du site https://www.cftcmanpower.fr ;

- débouté le syndicat national du travail temporaire CFTC et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower de leur demande reconventionnelle au titre des dépens et des frais irrépétibles,

- mis à la charge du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower la somme de 1 000 euros à payer à la sas Manpower France en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis à la charge du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower les entiers dépens de l'instance ;

- ordonné l'exécution provisoire au seul vu de la minute ;

- déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires

en conséquence et statuant à nouveau, il est demandé à la cour d'appel :

à titre principal,

- d'ordonner au profit du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower le rétablissement de la publication intitulée « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants » sur le site du site https://www.cftcmanpower.fr, à compter du prononcé de la présente décision.

à titre subsidiaire,

- d'ordonner au profit du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower le rétablissement de la publication intitulée « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants » expurgée sur le site du site https://www.cftc-manpower.fr à compter du prononcé de la présente décision.

en tout état de cause,

- condamner la société Manpower France à payer au syndicat CFTC Intérim et à M. [E] [T] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société Manpower France aux dépens.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 7 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Manpower France demande à la cour, au visa des articles 485, 834, 835 du code de procédure civile, L. 2315-3 et L. 2315-35 du code du travail, de :

'- déclarer la société Manpower France recevable en son appel incident, ses demandes, fins et conclusions ;

y faisant droit

- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Nanterre du 29 novembre 2023 en ce qu'elle :

- enjoint au syndicat national du travail temporaire CFTC et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower, à compter du prononcé de la présente décision et sous astreinte de cent euros par jour de retard, de retirer sa publication intitulée « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants » du site https://www.cftc-manpower.fr ;

- déboute le syndicat national du travail temporaire CFTC et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower de leur demande reconventionnelle au titre des dépens et des frais irrépétibles ;

- mis à la charge du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower la somme de 1 000 euros à payer à la sas Manpower France en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis à la charge du syndicat national du travail temporaire CFTC et de M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower les entiers dépens de l'instance ;

- ordonne l'exécution provisoire au seul vu de la minute ;

- déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires mais seulement en ce qu'elle déboute le Syndicat National du Travail Temporaire CFTC (SNTT-CFTC) et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Nanterre du 29 novembre 2023 en ce qu'elle :

- déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires mais seulement en ce qu'elle rejette la demande de la société Manpower France de dire et juger se réserver la liquidation de l'astreinte ;

statuant à nouveau et y ajoutant :

- se réserver la liquidation de l'astreinte

- débouter le Syndicat National du Travail Temporaire CFTC (SNTT-CFTC) et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contraires au présent dispositif ;

- condamner solidairement le syndicat national du travail temporaire CFTC (SNTT-CFTC) et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower à payer à la société Manpower France une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- condamner solidairement le Syndicat National du Travail Temporaire CFTC (SNTT-CFTC) et M. [E] [T] ès qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower aux entiers dépens.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Le SNTT-CFTC et M. [T], ès qualités de délégué syndical central CFTC intérim Manpower, sollicitent l'infirmation de l'ordonnance et le rétablissement de la publication intitulée « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants » sur le site https://www.cftc-manpower.fr, à compter du prononcé du présent arrêt.

Ils concluent tout d'abord sur l'absence d'urgence, rappelant que celle-ci doit s'apprécier à la date à laquelle la juridiction des référés prononce sa décision.

Ainsi, ils font valoir que la publication litigieuse de l'avis du SCE sur le site internet de la section CGTC-Intérim remontait au 11 juillet 2023, soit plus de 4 mois au jour de l'assignation en référé.

Ils soulignent que cette absence d'urgence est d'autant plus manifeste que la société Manpower a laissé d'autres organisations syndicales publier des avis identiques sur leur site internet sans être inquiétées.

Ils ajoutent que le premier juge, en se référant à la diffusion des données figurant dans l'avis publié le 11 juillet 2023 n'a pas constaté l'urgence au vu de la publication de l'avis expurgé de toutes les données dites sensibles tel qu'il figurait sur le site internet au jour où il s'est prononcé le 29 novembre 2023.

Les appelants concluent ensuite au caractère infondé de la demande de retrait de la publication du 11 juillet 2023, laquelle ne constituait pas un trouble manifestement illicite, ce d'autant qu'au jour où le premier juge a rendu sa décision, l'avis soumis à son examen était expurgé de toutes les données sensibles.

Se fondant sur l'article L. 2315-3 du code du travail et la jurisprudence rendue en matière de devoir de confidentialité des syndicats ils font valoir en premier lieu que la société Manpower ne démontre pas avoir établi de manière préalable le caractère confidentiel de l'avis rendu par le CSEC le 15 juin 2023 à l'occasion de sa consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise.

Ils relèvent que cet avis ne mentionne pas que les informations délivrées par l'employeur sont confidentielles, de sorte que la société Manpower est infondée à soutenir a posteriori que l'avis litigieux revêtait un caractère confidentiel.

Ils font observer également que l'extrait du procès-verbal de la réunion du CSEC du 15 juin 2023 ne porte pas davantage de mention de confidentialité.

Ils considèrent que le premier juge a retenu à tort que « le caractère confidentiel de ces données était apparent sur un certain nombre de documents sur lesquels cet avis [était] fondé et communiqués dans le cadre de la réunion du 15 juin 2023 relative à la situation économique et financière de l'entreprise » puisque comme déjà rappelé, l'employeur est tenu de cibler les informations et le support les regroupant déclarées confidentielles, tandis qu'au cas présent, l'avis ne comportait aucune mention de confidentialité.

Ils soulignent également que les pièces estampillées comme confidentielles n'étaient pas annexées à l'avis rendu par le CSEC, alors que l'indication par l'expert du caractère confidentiel de son rapport relève de son obligation au secret et ne saurait pallier la carence de l'employeur n'ayant pas préalablement déclaré confidentielle l'information délivrée.

En conclusion ils soutiennent que dès l'instant où la société Manpower n'a ni indiqué de manière préalable le caractère confidentiel de l'avis du CSEC rendu le 15 juin 2023, ce dernier ne portant aucune mention de confidentialité, ni davantage joint en annexe de cet avis les documents estampillés comme confidentiels et ayant servi à son établissement, la publication de cet avis sur le site internet de la CFTC Intérim ne contrevient pas à l'obligation de discrétion des représentants syndicaux.

En second lieu, les appelants font valoir que la société Manpower, en admettant, ou en ayant admis sans s'en inquiéter, sur le site internet du syndicat CFECGC Manpower des publications similaires à la sienne, reconnaît que ces publications ne contreviennent pas à l'obligation de discrétion des représentants syndicaux, et ne constituent donc pas un trouble manifestement illicite.

Ainsi, ils ont fait lister, notamment par procès-verbal de commissaire de justice, les diverses publications du syndicat CFECGC pour démontrer qu'elles comportent des données identiques à celles contenues dans l'avis du CSEC du 15 juin 2023 publié sur le site de la CFTC Intérim, relevant que la seule différence entre les deux publications tient au fait que le SNTT-CFTC a diffusé en même temps un article critique et polémique du contenu de l'avis du CSEC.

Subsidiairement, les appelants concluent que M. [T] a pris soin d'expurger l'avis précité de toutes les données économiques de l'entreprise (données chiffrées, données de pourcentage, nom des clients...), de sorte qu'ils sont fondés à solliciter le rétablissement de la publication intitulée « Manpower France : une entreprise parasitée par la gouvernance spéculative et financière de ses dirigeants », telle qu'expurgée.

Rappelant que la publication dont le retrait a été ordonné par le juge de première instance contenait la retranscription d'un avis du CSEC de la société rendu à l'occasion de sa consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise, soit des informations confidentielles particulièrement sensibles qui justifiaient l'urgence, la société Manpower sollicite la confirmation de l'ordonnance qui a ordonné ce retrait.

Sur l'existence d'une urgence justifiant la compétence du juge des référés, l'intimée indique que si la publication litigieuse date du 11 juillet 2023, elle n'en a eu connaissance que le 25 octobre suivant et qu'elle a immédiatement réagi en sollicitant du SNTT-CFTC son retrait dès le 27 octobre.

Elle précise que si d'autres organisations syndicales n'ont pas été « inquiétées », c'est parce qu'elle n'a eu connaissance de ces publications qu'à la lecture des conclusions adverses, précisant qu'elle en a également immédiatement demandé le retrait auprès de la CFE-CGC, auquel cette dernière a procédé le jour même.

Elle ajoute que l'urgence restait caractérisée même si le SNTT-CFTC avait expurgé la publication litigieuse des données chiffrées puisque y demeuraient des informations sensibles et confidentielles qu'elle ne veut légitimement pas voir divulguer à la concurrence.

Au visa des articles L. 2315-35 et L. 2315-3 du code du travail, l'entreprise soutient que si un syndicat a le droit de communiquer librement des informations au public sur un site internet, cette liberté peut être limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la divulgation d'informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers.

La société Manpower explique qu'en vue de la consultation annuelle du CSEC sur la situation économique et financière de l'entreprise, un certain nombre de documents confidentiels ont été remis aux membres du CSEC via la base de données économiques, sociales et environnementales (la BDESE) de la société ; que les documents ainsi remis comportaient tous en bas de chaque page la mention « confidentiel » ; que le rapport de l'expert est également estampillé « confidentiel » en rouge ; qu'en outre, ces documents ont été présentés comme étant confidentiels lors de leur dépôt dans la BDESE au moyen d'une colonne indiquant « date fin de confidentialité ».

Elle expose que lors de la réunion du 15 juin 2023, le CSEC a remis un avis motivé à la direction, reprenant de façon très détaillée un certain nombre d'informations sensibles et confidentielles, comme par exemple les données financières de la société (chiffre d'affaires, résultats, marge, parts de marchés, etc.), le détail de la performance financière, une analyse de la situation économique, le détail de l'activité de chaque Direction régionale, le détail de l'activité de la société par secteur d'activité, les investissements de la société, le détail des données liées à l'emploi, les projections de l'activité pour 2023, le fait que le développement de l'offre Experts et Cadres soit loin du niveau attendu, le fait que la société ait des difficultés à avoir des commandes, le fait que les agences connaissent un fort turn-over du personnel permanent, etc.

Elle prétend qu'il est manifeste que le procès-verbal du CSEC et l'avis qu'il contient, faisant la synthèse des informations, sont confidentiels et rétorque que le fait que les documents n'aient pas été annexés à l'avis rendu ne saurait faire perdre aux informations qu'il contient leur caractère confidentiel.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, l'article L. 2315-35 du code du travail prévoyant que le procès-verbal de la réunion n'a vocation à être diffusé qu'à l'intérieur de l'entreprise, il est en de même de l'avis rendu par le CSEC qui en est une partie intégrante.

Elle soutient que le trouble manifestement illicite est donc bien caractérisé.

Sur l'argument adverse selon lequel elle aurait admis des publications similaires émanant d'autres syndicats, elle entend démontrer qu'il est inopérant et que dès qu'elle a eu connaissance de divulgations semblables, elle en a toujours demandé le retrait auprès du syndicat concerné, la CFE-CGC s'étant d'ailleurs immédiatement exécutée. Elle établit un tableau récapitulatif pour le prouver.

Elle considère également diffamatoire le fait pour le SNTT-CFTC et M. [T] d'affirmer qu'elle se servirait de l'obligation de discrétion des syndicats pour les empêcher de manifester leurs opinions, rappelant qu'elle est attachée au principe de la liberté syndicale et au droit d'expression, principes qu'elle applique à toutes les organisations syndicales.

Enfin, elle sollicite l'infirmation de la décision querellée et demande à la cour de dire qu'elle se réserve la liquidation de l'astreinte.

Sur ce,

Aux termes de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite est caractérisé par 'toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit' qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.

La constatation de l'existence d'un trouble manifestement illicite suffit à caractériser l'urgence afin de le faire cesser.

L'article L. 2315-34 alinéa 1 du code du travail dispose que les délibérations du comité social et économique sont consignées dans un procès-verbal établi par le secrétaire du comité dans un délai et selon des modalités définis par un accord conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2312-16 ou, à défaut, par un décret.

L'article L. 2315-35 suivant prévoit que le procès-verbal des réunions du comité social et économique peut, après avoir été adopté, être affiché ou diffusé dans l'entreprise par le secrétaire du comité, selon des modalités précisées par le règlement intérieur du comité.

Il découle de ces textes que les procès-verbaux des réunions du CSE, dont fait partie intégrante l'avis du CSE, lequel contient en l'espèce le compte-rendu d'une délibération d'un point inscrit à l'ordre du jour, ainsi que la motivation du vote concerné au regard de la situation économique et financière sur l'exercice 2022 de la société Manpower France, n'ont vocation qu'à faire l'objet, le cas échéant, d'une communication exclusivement à l'intérieur de l'entreprise, la seule exception légalement envisagée étant celle visée à l'article L. 2315-33 du code du travail, le CSE pouvant décider que certaines de ses délibérations seront transmises à l'autorité administrative.

Dès lors, constitue une violation de ces règles, caractérisant un trouble manifestement illicite, le fait pour un syndicat d'avoir diffusé sur son site internet l'avis rendu par le CSEC de la société Manpower France le 15 juin 2023 à l'occasion de sa consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise, sous la forme d'un article.

Même expurgé des chiffres et des noms des clients, la diffusion du procès-verbal d'une réunion du CSE et/ou de ses annexes, constitue une violation des règles susvisées, lesdits documents étant internes au CSEC, ne pouvant être modifiés a posteriori, de surcroît afin d'en faire une diffusion publique par nature prohibée par les textes de loi.

Par ces motifs, outre ceux du premier juge expressément adoptés en cause d'appel, l'ordonnance querellée sera confirmée, y compris en ce qu'elle a dit qu'il n'y avait pas lieu pour le juge des référés à se réserver la liquidation de l'astreinte.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Parties perdantes, le SNTT-CFTC et M. [T], ès qualités, ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Ils devront en outre supporter solidairement les dépens d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Manpower France la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Les appelants seront en conséquence condamnés solidairement à lui verser une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme l'ordonnance du 29 novembre 2023,

Y ajoutant,

Dit que le Syndicat National du Travail Temporaire CFTC et M. [E] [T] en qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower supporteront solidairement les dépens d'appel,

Condamne solidairement le Syndicat National du Travail Temporaire CFTC et M. [E] [T] en qualité de délégué syndical central CFTC intérim Manpower à verser à la société Manpower France la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/08337
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.08337 ?
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