COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56C
Chambre civile 1-3
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 04 JUILLET 2024
N° RG 23/02991
N° Portalis DBV3-V-B7H-V224
AFFAIRE :
S.A. ENEDIS
C/
[W] [U]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Mars 2023 par le TJ de NANTERRE
N° Chambre : 6
N° RG : RG 20/0237
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES
Me Sandra NADJAR
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. ENEDIS
N° SIRET : 444 608 442
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617
Représentant : Me Michel GUENAIRE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03
APPELANTE
****************
Madame [W] [U]
née le 30 août 1981 [Localité 4] (78)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Sandra NADJAR, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1033
Représentant : Me Léa HORTANCE, plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 mars 2024, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller, chargé du rapport et Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence PERRET, Président,
Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller
Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme FOULON
FAITS ET PROCEDURE :
La société anonyme Enedis est le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité. Elle est chargée notamment du comptage de la consommation d'électricité.
En février et mars 2018, elle a remplacé les compteurs électriques posés au profit de Mmes [U], [I] et [X], domiciliées [Adresse 1] à [Localité 5], par des compteurs Linky.
Critiquant la pose de ceux-ci sur les panneaux en bois existants, Mmes [W] [U], [B] [I] et [P] [X] ont, le 17 février 2020, vainement sollicité leur remplacement.
Le 10 mars 2020, elles ont assigné la société Enedis.
Par jugement du 24 mars 2023, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- déclaré recevable l'action engagée par Mmes [W] [U], [B] [I] et [P] [X],
- condamné la société Enedis, au profit de Mme [U], à poser ou à faire poser conformément aux normes en vigueur un panneau de contrôle (platine + fond de panneau) d'un modèle agréé par ses soins sous astreinte, passé un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, de 100 euros par jour de retard durant deux mois, délai à l'expiration duquel il devait être de nouveau statué,
- rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [U],
- condamné la société Enedis à verser à Mme [U] la somme de 1 800 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la société Enedis aux dépens,
- rejeté les demandes présentées par Mmes [B] [I] et [P] [X],
- laissé à leur charge et à celle de la société Enedis les frais irrépétibles qu'elles ont engagés,
- rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.
Par acte du 2 mai 2023, la société Enedis a interjeté appel du jugement et prie la cour, par dernières écritures du 13 février 2024, de :
- réformer ou annuler le jugement déféré en ce qu'il a :
* condamné, au profit de Mme [U], la société Enedis à poser ou à faire poser conformément aux normes en vigueur un panneau de contrôle (platine + fond de panneau) d'un modèle agréé par ses soins sous astreinte, passé un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, de 100 € par jour de retard durant deux mois, délai à l'expiration duquel il devra être de nouveau statué,
* condamné la société Enedis à verser à Mme [U] la somme de 1 800 euros au titre
des frais irrépétibles,
* condamné la société Enedis aux dépens,
* débouté la société Enedis de toutes ses demandes,
Statuant à nouveau,
- dire que les conditions de l'article 1240 du code civil ne sont pas réunies en l'espèce,
- débouter Mme [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [U] à payer à la société Enedis la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [U] aux entiers dépens de l'instance.
Précisant que son action n'avait pas pour objet de faire obstacle au déploiement des compteurs Linky mais de s'assurer du respect des normes réglementaires applicables pour sa sécurité et celles de ses biens, Mme [U], par dernières écritures du 31 janvier 2024, prie la cour de :
- débouter la société Enedis de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement déféré,
- condamner la société Enedis à payer à Mme [U] une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Enedis aux entiers dépens.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société Enedis
Le tribunal a retenu que la société Enedis engageait sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard de Mme [U] en ne respectant pas la norme NF C 14-100 relative aux installations de branchement à basse tension. Il a condamné la société Enedis à installer un panneau de contrôle conforme sous astreinte et retenu que Mme [U] ne justifiait pas d'un risque accru d'incendie, notamment du fait que le compteur Linky avait été installé dans une gaine à l'extérieur de l'appartement qu'elle occupe.
Poursuivant l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à poser ou faire poser un panneau de contrôle, la société Enedis soutient qu'elle n'a pas méconnu les exigences établies par la norme NF C 14-100 qui n'est, selon elle, pas applicable à une opération de remplacement d'un compteur existant par un compteur Linky. Elle ajoute qu'en tout état de cause, l'article 9 de la norme NF C 14-100 n'impose pas le changement du panneau de contrôle lors du remplacement d'un compteur existant dans la mesure où, d'une part, le branchement litigieux est un branchement collectif et non individuel et d'autre part, le changement de compteur n'avait ni pour objet ni pour effet d'installer un panneau de contrôle.
En réponse Mme [U] objecte que, quelle que soit la version de la norme NF C 14-100 applicable au présent litige, la responsabilité de la société Enedis doit être engagée. Elle estime ainsi d'une part, que l'opération de remplacement d'un compteur existant par un compteur Linky est soumise aux règles fixées par la norme NF C 14-100 conformément à l'article 51 du règlement sanitaire départemental et au domaine d'application fixé par cette norme et d'autre part, que la société Enedis a méconnu les règles fixées par la norme.
Sur ce,
A titre liminaire, la cour relève que la mise en place des compteurs Linky est réalisée par la société Enedis sur le fondement de l'article L. 341-4 du code de l'énergie, transposant dans la législation française la directive européenne n° 2009/72 du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité.
En outre, il résulte de la combinaison des articles L. 322-4 du code de l'énergie et L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales que les compteurs n'appartiennent pas aux utilisateurs, mais à l'autorité concédante de la distribution d'électricité, le gestionnaire du réseau public d'électricité Enedis ayant, selon l'article L. 322-8 du code de l'énergie, pour mission d'assurer leur pose, leur entretien et leur renouvellement.
Il en résulte que le remplacement par la société Enedis des anciens compteurs par des dispositifs de comptage communicants procède d'une obligation légale de modernisation du réseau public de distribution de l'électricité, qu'elle est tenue de mettre en 'uvre dans le cadre de la mission de service public qui lui est confiée.
Sur l'application de la norme NF C 14-100 en cas de remplacement d'un compteur
La norme NF C 14-100 du 9 janvier 2008 traite de la conception et de la réalisation des installations de branchement à basse tension comprises entre le point de raccordement au réseau et le point de livraison.
L'article 1.1 intitulé " Domaine d'application " dispose que " les règles sont applicables également aux parties modifiées d'une installation de branchement existante, réalisée initialement dans le cadre du présent document.
Lorsque les modifications doivent être réalisées sur une partie d'installation de branchement réalisée initialement avec une version antérieure au présent document, les règles du présent document seront utilisées pour les parties modifiées. En cas d'impossibilité technique dûment justifiée, on respectera au moins les règles de la version en vigueur initialement et les parties modifiées devront dans tous les cas :
- Présenter un degré de protection minimal IP2XC ou équivalent par rapport aux pièces nues sous tension, capot fermé,
- Avoir une isolation double renforcée
(Amendement A2)
" En outre,
- Pour les modifications d'installations existantes de branchement collectif, l'Annexe J est applicable
- Pour les modifications de branchement lors du réseau basse tension, l'Annexe K est applicable ".
La norme NF C 14-100 est, conformément à la lettre de l'article 1.1, applicable aux nouvelles réalisations de branchement à basse tension.
La modification du compteur de Mme [U] a été effectuée en 2018 de sorte qu'il y a lieu d'appliquer au présent litige la version de la norme NF C 14-100 incluant les amendements A1(mars 2011), A2 (août 2014) et A3 (mars 2016).
Si la société Enedis estime que cette norme n'est en l'espèce pas applicable dès lors que le changement de compteur existant ne peut, selon elle, être entendu comme un nouveau branchement au sens du texte précité, Mme [U], elle, invoque les dispositions de l'article 51 de la circulaire du 9 août 1978 relative à la révision du règlement sanitaire départemental type qui prévoient que " les modifications conduisant au remplacement ou au renforcement des circuits d'alimentation électrique doivent être conformes aux normes NF C 14-100 et C 15-100 ".
Partant, si l'opération de remplacement ne peut être assimilée à un " nouveau branchement " au sens de ce texte dès lors qu'elle ne nécessite pas une modification de la constitution physique du branchement, elle ne peut néanmoins être confondue avec une simple opération de maintenance dans la mesure où ce remplacement constitue une modernisation des équipements qui enregistrent des données de consommation.
La cour constate néanmoins que l'Annexe J de ladite norme vise les " modifications d'installations existantes de branchement collectif " de sorte que la norme NFC14-100 n'exclut pas " la modification d'installation " de son champ d'application matériel.
Or, l'installation du compteur Linky litigieuse constitue une telle modification.
Il en résulte que si le remplacement d'un compteur ne correspond pas à une opération " de remplacement ou de renforcement des circuits d'alimentation électriques " au sens l'article 51 de la circulaire du 9 août 1978 relative à la révision du règlement sanitaire départemental type, il ressort néanmoins du texte la norme NF C14-100, et particulièrement de la définition de son champ d'application, qu'elle est applicable à l'opération de remplacement.
Sur l'application de l'article 9 de la norme NF C 14-100
Pour déterminer si la norme impose le changement de panneau de contrôle, qui supporte l'appareil général de commande et de protection, il convient de vérifier ce que prévoit la norme NFC14-100 pour les branchements tels que celui dont dispose l'intimée.
Aux termes de l'article 9 de la norme NF C 14-100 : " Les appareils de contrôle et de commande du branchement ont pour objet de garantir que l'énergie électrique est livrée à l'utilisateur conformément aux conditions administratives, techniques et commerciales figurant dans le contrat de l'utilisateur.
Ces appareils sont placés sur un panneau de contrôle pour les branchements à puissance limitée de type 1 ou en coffret pour les branchements à puissance limitée de type 2.
Pour les branchements à puissance surveillée l'appareil de sectionnement à coupure visible peut être posé sur un panneau, en coffret, en armoire ou directement sur une paroi.
Les panneaux sont d'un modèle agréé par le gestionnaire du réseau de distribution ; lorsqu'ils sont installés en dehors d'un coffret, ils doivent comporter un fond ".
Il ressort de l'article 3.2 intitulé " Branchements " que les branchements sont distingués en fonction " du mode de contrôle de la puissance de l'utilisateur : puissance limitée ; puissance surveillée. ".
Selon l'article 3.2.2 le branchement collectif " comprend :
- la (ou les) canalisation(s) suivante(s) :
- La liaison au réseau (voir 3.3.2) ;
- Les canalisations collectives (voir 3.3.3)
o Tronçons communs (voir 3.3.4)
o Colonnes (voir 3.3.5)
o Dérivations collectives (voir 3.3.6)
- Les dérivations individuelles (voir 3 .3.7)
- Les appareils de contrôle, de commande, de sectionnement et de protection (voir 3.4.8) ;
- Le circuit de communication du branchement (voir 3.3.9) "
Il résulte de la norme qu'en présence d'un branchement collectif, la dérivation individuelle n'est pas raccordée directement au réseau mais à la colonne montante qui est à l'intérieur de l'immeuble.
Mme [U] relève d'ailleurs que les branchements à puissance limitée de type 1 et de type 2 ne peuvent renvoyer qu'aux branchements individuels définis aux articles 3.2.6.1 et 3.2.6.2 de la norme NF C 14-100, ce qui n'est pas remis en cause par la société Enedis.
En l'espèce il n'est pas contesté que la desserte en énergie électrique de Madame [U] s'effectue par l'intermédiaire d'une colonne électrique montante, et que plus de deux clients sont desservis de la même manière à la même adresse sur un immeuble collectif.
Ainsi, s'il ressort de l'article 9.1.2 de la norme NF C 14-100 qu'un branchement collectif peut contenir une dérivation individuelle à puissance limitée, ce branchement ne peut pas être assimilé en revanche à un branchement individuel, dès lors que plusieurs clients sont desservis de la même manière à la même adresse.
Partant, la cour constate que le branchement de Mme [U] est un branchement collectif et non, comme l'illustrent les schémas des article 3.2.6.1 et 3.2.6.2 de la norme, un branchement individuel à puissance limitée de type 1 (avec un point de livraison dans les locaux de l'utilisateur) ou de type 2 (avec un point de livraison en dehors des locaux de l'utilisateur).
Dès lors, l'article 9 de la norme NF C 14-100 qui conditionne les modèles de panneaux obligatoires de contrôle n'est pas applicable au branchement de Mme [U], de sorte que la preuve de la nécessité d'un changement systématique du tableau de comptage lors de la pose d'un compteur Linky imposé par la norme sus citée n'est pas rapportée.
Ainsi, le changement du tableau en bois, demandé par Mme [U] n'est pas obligatoire au sens de la norme NFC 14-100.
Il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Enedis.
Au surplus, trois conditions sont nécessaires pour pouvoir mettre en 'uvre la responsabilité civile délictuelle ou quasi-délictuelle : la charge de la preuve du dommage direct personnel et certain, ainsi que de son lien de causalité avec le fait générateur pèse sur le demandeur.
Mme [U] allègue un risque d'incendie.
S'il n'est pas possible d'allouer des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît du fait de la prolongation certaine et directe d'un état de chose actuel et comme susceptible d'évaluation immédiate. (Cass. Crim. 1er juin 1932).
Or Mme [U] ne démontre pas que le dommage est certain. Le risque, dans la mesure ou la survenance d'un incendie reste purement éventuel, ne peut donc être réparable. Il est relevé en outre qu'aux termes des éléments produits aux débats et notamment le courrier du 7 juin 2023 de la société Enedis à l'intimée, le changement de panneau n'a pas pu être organisé en raison de l'absence de réponse de cette dernière.
En l'absence d'une telle démonstration du caractère actuel et certain du dommage, la responsabilité quasi-délictuelle de la société Enedis ne peut être engagée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le tribunal a condamné la société Enedis à verser à Mme [U] la somme de 1 800 euros au titre des frais irrépétibles et l'a condamnée aux dépens.
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.
Le jugement est infirmé et Mme [U], succombant à l'instance, est condamnée à verser à la société Enedis la somme de 1500 euros au titre de ses frais irrépétibles engagés ainsi qu'aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, par décision contradictoire mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Mme [W] [U] de l'ensemble de ses demandes,
Condamne Mme [U] à payer à la société Enedis la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [W] [U] aux dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,