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04/07/2024 | FRANCE | N°23/00277

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-2, 04 juillet 2024, 23/00277


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 86D



Chambre sociale 4-2



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 23/00277

N° Portalis DBV3-V-B7H-VUU7



AFFAIRE :



Fédération CGT DES SOCIÉTÉS D'ETUDES



C/



SASU ADP GSI FRANCE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 décembre 2022 par le Pole social du TJ de Nanterre

N° RG : 21/01416







>








Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Katell FERCHAUD-LALLEMENT



Me Jacques AGUIRAUD







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Vers...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 86D

Chambre sociale 4-2

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 23/00277

N° Portalis DBV3-V-B7H-VUU7

AFFAIRE :

Fédération CGT DES SOCIÉTÉS D'ETUDES

C/

SASU ADP GSI FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 décembre 2022 par le Pole social du TJ de Nanterre

N° RG : 21/01416

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Katell FERCHAUD-LALLEMENT

Me Jacques AGUIRAUD

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 23 mai 2024 et prorogé au 04 juillet 2024, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Fédération CGT DES SOCIÉTÉS D'ETUDES

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 et Me Karine MARTIN-STAUDOHAR, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 256 substitué par Me Anna PEREZ, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

APPELANTE

****************

SASU ADP GSI FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, Constitué, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 475 et Me Jérôme BENETEAU, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 727

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 février 2024, Madame Valérie DE LARMINAT, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

Greffier lors de la mise à disposition : Madame Dorothée MARCINEK

Rappel des faits constants

La SASU ADP GSI France, dont le siège social est situé à [Localité 2] dans les Hauts-de-Seine, est une entreprise de services numériques qui intervient dans le domaine de la paie et des ressources humaines. Elle emploie environ 2 000 salariés sur neuf sites en France et applique la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 16 juillet 2021, dite Syntec.

Le 8 juin 2017, la société ADP GSI France a conclu un avenant à l'accord collectif relatif à l'organisation et la durée du travail, qui détermine notamment les modalités de l'annualisation du temps de travail et les modalités suivant lesquelles les salariés acquièrent et utilisent leurs journées de réduction du temps de travail (JRTT), intitulé « L'accord relatif à la durée et à l'organisation du temps de travail, et aux congés de la société ADP GSI France ' avenant de révision n°2 à l'accord du 1er octobre 2003 et à l'avenant n°1'»

L'article 3.6.3 de l'accord énonce précisément ce qui suit':

« Chaque salarié en modalité horaire aura un compteur débit/crédit pouvant être alimenté dans la limite de plus ou moins 4 heures par semaine. Ainsi, la durée du travail reportable à l'initiative du salarié est fixée à 4 heures par semaine, que ce soit en débit ou en crédit, dans la limite de 38 heures (compteur glissant sur l'année fiscale).

Le crédit d'heures ainsi constitué (dans la limite de 4 heures par semaine, et dans la limite de 38 heures par an) ne saurait en aucun cas être assimilé à des heures supplémentaires, puisque l'alimentation du compteur résulte de l'initiative du collaborateur, dans le cadre de la souplesse dont il dispose dans l'organisation de son temps de travail, dans le cadre des horaires variables prévus par le présent avenant. Ces heures font l'objet de récupération au fil de l'eau, ou par journée de récupération si le solde du compteur le permet.

Le crédit d'heures peut être utilisé pour :

' réduire son temps de travail théorique journalier au fil de l'eau, tout en respectant les plages horaires fixes et la durée minimale de 6 heures par journée de travail, ou 3 heures en cas de demi-journée de travail,

' bénéficier de demi-journées ou journées de récupération dans la limite de 5 jours par an, suivant les modalités ci-après définies :

. A prendre dans les trois mois.

. Avec accord du manager au regard d'éventuels impératifs de continuité de service.

. Proposition du manager de la date de prise d'au moins un jour si le salarié atteint un crédit de 2 jours. Dans ce cas, la date proposée se situe dans le délai de 3 mois.

. A défaut de prise dans ces conditions, les jours non pris seront perdus.

. Une journée d'absence pour récupération est calculée sur la base de l'horaire journalier théorique du salarié.

. La demande du salarié devra satisfaire à un délai de prévenance minimal de 48 heures pour toute demi-journée ou journée de récupération.

. Ces demi-journées ou journées de récupération peuvent être accolées à tout autre type de congés ou absences. Dans ce cas, le délai de prévenance devra être au moins égal à la durée totale de l'absence.

En fin d'année fiscale, il est autorisé un report d'un débit de 4 heures. Tout solde négatif supérieur à ces 4 heures donnera lieu à retenue sur salaire.

Quant au crédit d'heures éventuel, il devra être soldé au plus tard dans les 3 mois suivant son acquisition selon les modalités ci-dessus.

Dès lors qu'un débit d'heures est supérieur au maximum autorisé et perdure pendant plus d'un mois, le salarié concerné recevra la première fois une alerte par mail afin qu'il puisse remédier rapidement à la situation. Son responsable hiérarchique recevra la même alerte au même moment et selon les mêmes modalités.

Dans l'hypothèse où le solde ne serait pas réajusté dans un délai de 15 jours suivant le premier message, l'intéressé(e) recevra une notification écrite l'informant que les heures de débit dépassant le seuil autorisé feront l'objet d'une retenue sur salaire au cours du mois suivant.

En cas de rupture du contrat de travail, il y a lieu de régulariser le crédit ou le débit d'heures à l'intérieur du délai de préavis. En l'absence de préavis, un débit constaté au moment du départ de la société donnera lieu le cas échéant à une retenue correspondante sur salaire. »

Contestant les conditions d'application de ces dispositions au sein de la société, faute de solution trouvée à l'amiable, la Fédération CGT des Sociétés d'Études a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre en interprétation de l'accord, par requête reçue au greffe le 12 février 2021.

La décision contestée

Devant le tribunal judiciaire, la Fédération CGT des Sociétés d'Études a présenté une demande d'exécution forcée, sous astreinte, des dispositions contestées, selon l'interprétation qu'elle défend.

La société ADP GSI France a, quant à elle, conclu au débouté de la Fédération CGT des Sociétés d'Études et sollicité la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par jugement contradictoire rendu le 9 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- débouté la fédération CGT des sociétés d'Études de l'ensemble de ses demandes,

- mis à la charge de la fédération CGT des sociétés d'Études la somme de 2 000 euros à payer à la société ADP GSI France en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis à la charge de la fédération CGT des sociétés d'Études les entiers dépens de l'instance.

Pour débouter le syndicat de ses demandes, le tribunal judiciaire a retenu qu'il résultait de l'article 3.6.3 de l'accord que, si les salariés ont la liberté d'utiliser leur crédit d'heures sous forme de récupération immédiate ou de journées de récupération, ils sont en toute hypothèse tenus de solder leur crédit d'heures au plus tard dans les trois mois suivant son acquisition, quand bien même ils ne souhaitent pas les prendre sous forme de journées, qu'il s'en suivait que l'employeur avait pu, sans méconnaître les stipulations de l'accord collectif et sans nécessairement leur imposer de procéder à la capitalisation des heures accumulées, considérer que les salariés ne pouvaient plus solliciter la récupération des heures portées au crédit de leur compteur individuel passé un délai de trois mois, que par ailleurs, aucune stipulation de l'accord n'imposait d'alerter les salariés sur le niveau du crédit d'heures figurant sur leur compte individuel, alors qu'ils peuvent consulter leur compte à tout moment.

La procédure d'appel

La Fédération CGT des Sociétés d'Études a interjeté appel du jugement par déclaration du 24 janvier 2023 enregistrée sous le numéro de procédure 23/00277.

Par ordonnance rendue le 7 février 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries le 27 février 2024, dans le cadre d'une audience collégiale.

Prétentions de la Fédération CGT des Sociétés d'Études, appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 24 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Fédération CGT des Sociétés d'Études demande à la cour de':

- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement entrepris,

jugeant à nouveau,

- juger que la société ADP GSI France n'applique pas l'accord collectif d'entreprise relatif à la durée et à l'organisation du temps de travail et aux congés, tel que modifié par avenant du 8 juin 2017,

- ordonner à la société ADP GSI France d'exécuter l'accord collectif d'entreprise relatif à la durée et à l'organisation du temps de travail, et aux congés tel que modifié par avenant du 8 juin 2017 en son article 3.6.3. et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, la cour se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte,

- condamner la société ADP GSI France à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société ADP GSI France aux entiers dépens,

- débouter la société ADP GSI France de l'ensemble de ses demandes.

Prétentions de la société ADP GSI France, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 5 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société ADP GSI France demande à la cour d'appel de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

en conséquence,

- rejeter l'ensemble des prétentions adverses,

- condamner la Fédération CGT des Sociétés d'Études à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la Fédération CGT des Sociétés d'Études aux entiers dépens de l'instance.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur l'injonction sollicitée

Le chapitre 3 de « L'accord relatif à la durée et à l'organisation du temps de travail, et aux congés de la société ADP GSI France ' avenant de révision n°2 à l'accord du 1er octobre 2003 et à l'avenant n°1'» s'applique aux salariés dont le temps de travail se décompte en heures.

Pour ces salariés, sauf exception, le temps de travail est annualisé sur la période du 1er juillet de l'année N au 30 juin de l'année N+1, pour une durée de travail de 1 607 heures par an et une durée hebdomadaire de travail sur 5 jours est de 38 heures, soit 7 heures 36 minutes par jour.

Afin d'atteindre une durée du travail moyenne annuelle de 35 heures hebdomadaires, l'accord met en place un système d'acquisition de jours de JRTT.

Les salariés peuvent ainsi acquérir 10 JRTT par an en plus des 2 jours de ponts sur la période.

L'article 3.6.3 de l'accord définit les règles d'utilisation du compteur débit/crédit mis en place pour gérer l'acquisition, la prise ou la perte des JRTT.

Tout d'abord, ces dispositions fixent une limite hebdomadaire puisque le salarié ne peut pas accumuler plus de 4 heures par semaine, en débit ou en crédit.

Ensuite, l'accord prévoit deux modalités distinctes d'utilisation du crédit d'heures ainsi obtenu.

Soit, première hypothèse en cas de modalité de décompte du temps de travail en heures, le salarié utilise son crédit d'heures pour «'réduire son temps de travail théorique journalier au fil de l'eau'», cette possibilité étant limitée par la durée minimale de travail de 6 heures par jour et 3 heures par demi-journée.

Soit, seconde hypothèse en cas de décompte du temps de travail en jours, le salarié utilise son crédit d'heures pour «'bénéficier de demi-journées ou journées de récupération dans la limite de 5 jours par an'», le salarié souhaitant bénéficier de journées ou de demi-journées devant les prendre dans un délai de trois mois, sans quoi les jours sont perdus.

Les parties sont d'accord sur le mécanisme ainsi défini, la société ADP GSI France ajoutant que l'accord collectif institue un «'compteur débit/crédit'» visant à récapituler les heures et/ou minutes de travail effectif effectuées en plus ou en moins des 38 heures hebdomadaires et qu'elle a mis en place un outil «'GTA Web'» pour assurer le suivi.

Toutefois, la Fédération CGT des Sociétés d'Études soutient que la société ne respecte pas les termes de l'accord et ajoute des conditions qui ne sont en aucun cas prévues par celui-ci.

Elle expose que lorsque le crédit du salarié atteint 7h36 dans le cadre de la première hypothèse, alors l'employeur le bascule automatiquement en journée dans le cadre de la deuxième hypothèse, ce qui a pour effet de le soumettre à un écrêtage de trois mois, ce qui n'est pas, selon elle, prévu par l'accord. Autrement dit, lorsque le salarié totalise 7h36 de crédit, les heures et les minutes sont transformées en jours.

La société ADP GSI France ne remet pas en cause le fait qu'elle procède effectivement comme l'a décrit le syndicat, sous réserve de spécifier que le compteur débit/crédit s'alimente à la semaine et non à la journée, mais considère, ce faisant, qu'elle respecte parfaitement l'accord.

Au soutien de son interprétation, la Fédération CGT des Sociétés d'Études fait valoir plusieurs arguments':

- Il est clairement indiqué que seules les journées sont soumises au délai de trois mois, il est mentionné que les jours seront perdus et non les heures pouvant être prises au fil de l'eau.

- Aucune stipulation ne prévoit la transformation des heures de crédit en jours lorsque le compteur affiche 7h36.

- Cette règle que croit pouvoir tirer la société ADP GSI France de l'accord collectif entraîne la disparition de la possibilité de prendre des heures au fil de l'eau pendant une durée de trois mois après leur acquisition, lorsque le salarié totalise 7h36 de crédit.

- Le salarié ne peut plus utiliser son crédit au fil de l'eau, même dans un délai de trois mois, il doit obligatoirement prendre une journée, sans quoi son crédit d'heures est perdu.

- L'accord ne prévoit pas une telle obligation, le salarié étant libre de gérer son temps de travail en utilisant ses heures de crédit au fil de l'eau, soit en journée, soit en demi-journée.

La Fédération CGT des Sociétés d'Études conclut que, contrairement aux prescriptions de l'accord, l'employeur oblige le salarié à utiliser son crédit d'heures dans un délai de trois mois, que ce soit pour la réduction de son temps journalier de travail ou pour la prise de journées ou de demi-journées, qu'il supprime donc purement et simplement des heures accumulées par le salarié, qui lui permettaient de réduire son temps de travail, sans que cette suppression ne soit permise par aucune disposition de l'accord collectif.

La société ADP GSI France conteste cette interprétation de l'article 3.6.3.

Il est rappelé qu'en application des dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil posant le principe de la force obligatoire des contrats, l'employeur signataire d'un accord collectif d'entreprise a pour obligation de l'exécuter de bonne foi.

Par ailleurs, l'interprétation d'un accord collectif suppose l'application des règles des articles 1188, 1189 et 1192 du code civil, lesquelles prévoient que':

« Le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.

Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »,

« Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.

Lorsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci. »,

et « On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. ».

Enfin, il est constant que le salarié qui a refusé de prendre ses congés payés dans le délai imparti, sans motif légitime, en est définitivement privé.

La société ADP GSI France indique que l'obligation de prise d'une journée de récupération dans un délai de trois mois, lorsque le crédit d'heures du salarié demeure sur cette période égal ou supérieur à l'équivalent d'une journée de travail, a pour finalité de garantir au salarié le respect d'une durée raisonnable de travail dans le temps, à l'instar de la règle relative à la perte des congés payés non pris au terme de la période prévue à cet effet.

La société ADP GSI France fait valoir que les objectifs de l'accord, tels qu'énoncés dans son préambule, sont définis ainsi':

- « Harmoniser la durée du travail et ses aménagements au sein de l'entreprise, les dispositions relatives aux congés et jours de repos, et d'améliorer ainsi l'organisation du travail en retenant une seule modalité d'aménagement horaire »,

- « Garantir un rythme et une charge de travail raisonnables et respectueux de la santé et de la vie personnelle des salariés »,

- « Favoriser l'articulation vie privée/vie professionnelle et la qualité de vie au travail, notamment en sécurisant la souplesse des horaires de travail et ainsi permettre au personnel de mieux organiser sa vie professionnelle et personnelle ».

La société ADP GSI France ajoute qu'en vue de respecter ces objectifs, l'accord collectif encadre strictement le dispositif des horaires variables via':

- une injonction pour chaque salarié de « tendre à une durée hebdomadaire de 38 heures de travail effectif » (article 3.6.1),

- une définition stricte des plages variables (article 3.6.2),

- une utilisation raisonnée du compteur débit/crédit (article 3.6.3).

Elle souligne que l'interprétation qu'elle propose de la disposition contestée est seule de nature à veiller au respect de l'objectif de garantir un rythme et une charge de travail raisonnables énoncé dans le préambule, en favorisant une durée hebdomadaire moyenne autour de 38 heures de travail effectif et que le fait pour le salarié d'être exposé au terme d'un délai de 3 mois à la perte d'une fraction de son crédit d'heures inscrit sur son compteur débit/crédit participe également à l'effectivité de la règle inscrite à l'article 3.6.1. en obligeant le salarié à prendre une ou des journées de récupération pour ne pas la ou les perdre.

Selon la société ADP GSI France, au regard de ces éléments, l'article 3.6.3 prévoit'le mécanisme suivant :

- Il est attribué à chaque salarié un « compteur débit/crédit pouvant être alimenté [à l'initiative du salarié] dans la limite de plus ou moins 4 heures par semaine ».

- Le compteur débit/crédit est limité à 38 heures en cumul glissant sur l'année.

- Le salarié utilise son crédit d'heures affecté au compteur débit/crédit pour :

. « réduire son temps de travail théorique journalier au fil de l'eau », c'est-à-dire concrètement en fixant son temps quotidien de travail effectif à moins de 7h36 (mais d'au moins 6h00), ceci permettant de réduire le crédit d'au plus 1h36 sur une journée,

. « bénéficier de demi-journées ou journées de récupération dans la limite de 5 jours par an'», ceci permettant de réduire le crédit de 3h48 pour une demi-journée et de 7h36 pour une journée.

- Lorsque le crédit d'heures atteint 7h36 (1 jour) sur le compteur débit/crédit, le salarié doit alors prendre une journée de récupération « dans les 3 mois », à une date qu'il détermine en tenant compte « d'éventuels impératifs de continuité de service », et en respectant un délai de prévenance minimal de 48 heures.

- Lorsque le crédit d'heures atteint 15h12 (2 jours) sur le compteur débit/crédit, le manager peut proposer la date de prise d'au moins une journée de récupération « dans le délai de 3 mois ».

Ainsi que le fait valoir la société ADP GSI France, il apparaît que la conjonction « ou » présente dans la phrase « Ces heures font l'objet de récupération au fil de l'eau, ou par journée de récupération si le solde du compteur le permet » n'a pas pour objet d'offrir en toutes circonstances au salarié un choix entre la récupération au fil de l'eau et la prise de journées (ou demi-journées) de récupération.

Elle ajoute à son argumentation d'abord que la formule « si le solde du compteur le permet » signifie que la prise de journées (ou demi-journées) de récupération est à privilégier dès que le crédit d'heures atteint 7h36, ensuite que si le salarié dispose d'une « alternative » selon la terminologie du syndicat qui ne figure pas dans l'accord, entre une récupération au fil de l'eau ou par journée de récupération, celle-ci n'est pas totalement discrétionnaire et le salarié doit en toute hypothèse respecter l'obligation expressément mentionnée à l'article 3.6.3 de prise d'une journée de récupération dans les 3 mois suivant l'atteinte d'un crédit de 7h36, sauf à réussir dans ce délai à réduire son compteur débit/crédit en-deçà de 7h36 via une récupération au fil de l'eau, et enfin qu'il est instructif de relever que le bloc suivant la soi-disant «'alternative », qui commence par « Le crédit d'heures peut être utilisé pour » ne comporte pas la conjonction « ou » et impose nécessairement la prise de journées de récupération (si le solde du compteur le permet), sinon la formule « à prendre dans les 3 mois » serait dépourvue de toute utilité.

En définitive, tant l'interprétation littérale de ces dispositions que l'objectif assigné aux termes du préambule de l'accord conduisent à retenir la thèse de l'employeur.

En réponse à l'argumentation du syndicat, la société ADP GSI France explique que le salarié conserve constamment la faculté de privilégier la récupération au fil de l'eau, sous réserve de réaliser moins de 38 heures sur une ou plusieurs semaines données, et pas simplement moins de 7h36 sur une journée donnée, et de réduire ainsi suffisamment le compteur débit/crédit. Elle prétend dès lors que ce n'est qu'à titre d'ultime moyen d'assurer une durée du travail raisonnable dans le temps qu'elle impose, conformément aux dispositions de l'accord d'entreprise du 8 juin 2017, la prise d'une journée de récupération. Cependant, si le salarié ayant atteint le crédit de 7h36 parvient dans le délai de trois mois à abaisser son compteur débit/crédit en-deçà de 7h36, il n'est pas de facto susceptible de perdre la journée de récupération non prise dans ce délai.

Elle explique que sa volonté n'est absolument pas de priver le salarié de son droit à récupération, raison pour laquelle elle a mis en place un dispositif automatisé de notification à deux mois puis à un mois de l'échéance, pour exclure tout risque de perte par inadvertance ou difficulté d'agenda personnel.

Ainsi, contrairement à ce que soutient le syndicat, il ne peut être affirmé que la société ADP GSI France ajoute une condition de prise d'une journée de récupération dès lors que le crédit d'heures atteint 7h36, puisque cette règle est expressément énoncée à l'article 3.6.3. Pour preuve, la Fédération CGT des Sociétés d'Études n'est pas en mesure de citer la disposition conventionnelle prétendument méconnue par la société.

La société ADP GSI France explique qu'alors qu'elle compte 5 organisations syndicales représentatives dans son périmètre, à savoir l'UNSA (32,79%), la CGT (23,44%), la CFE-CGC (16,32%), la CFTC (15,73%) et la CFDT (11,72%), l'accord n'a été signé que par la CFTC et l'UNSA. Elle relate qu'elle a partagé sa lecture de l'article 3.6.3 avec les délégués du personnel dans le cadre de plusieurs réunions et a assuré une importante communication, notamment au moyen d'un document de synthèse auprès des managers et des salariés de l'entreprise concernés. Elle souligne que seule la Fédération CGT des Sociétés d'Études persiste à contester son interprétation.

En conclusion, il sera retenu, à l'instar des premiers juges, que l'article 3.6.3 contesté doit s'interpréter conformément à la thèse défendue par la société ADP GSI France.

Il s'ensuit le débouté de la Fédération CGT des Sociétés d'Études de sa demande tendant à voir ordonner à la société ADP GSI France d'exécuter l'accord collectif d'entreprise relatif à la durée et à l'organisation du temps de travail, et aux congés tel que modifié par avenant du 8 juin 2017 en son article 3.6.3. sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, la cour se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la Fédération CGT des Sociétés d'Études aux dépens de l'instance et à verser à la société ADP GSI France une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure.

La Fédération CGT des Sociétés d'Études, qui succombe en son recours, supportera les dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

La Fédération CGT des Sociétés d'Études sera en outre condamnée à payer à la société ADP GSI France une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 000'euros et sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 9 décembre 2022,

Y ajoutant,

CONDAMNE la Fédération CGT des Sociétés d'Études au paiement des dépens d'appel,

CONDAMNE la Fédération CGT des Sociétés d'Études à payer à la SASU ADP GSI France une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel,

DÉBOUTE la Fédération CGT des Sociétés d'Études de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-2
Numéro d'arrêt : 23/00277
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.00277 ?
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