La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°22/02909

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3-1, 04 juillet 2024, 22/02909


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 30B



Chambre commerciale 3-1



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 22/02909 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VFA3







AFFAIRE :



S.A.S. SABRINA PRESSING DE [Localité 6]



C/



[E] [Z]





S.A.S. CALYPSO PROJECT ECO

...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Avril 2022 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 8>
N° RG : 20/06355



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Christine POMMEL



Me Katell FERCHAUX- LALLEMENT



Me Franck LAFON



TJ NANTERRE



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE JUILLE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30B

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 22/02909 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VFA3

AFFAIRE :

S.A.S. SABRINA PRESSING DE [Localité 6]

C/

[E] [Z]

S.A.S. CALYPSO PROJECT ECO

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Avril 2022 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 8

N° RG : 20/06355

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Christine POMMEL

Me Katell FERCHAUX- LALLEMENT

Me Franck LAFON

TJ NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. SABRINA PRESSING DE [Localité 6] - [Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Christine POMMEL, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 118

APPELANTE

****************

Monsieur [E] [Z] - [Adresse 1]

Représenté par Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 et Me Bernard DEMONT, Plaidant, avocat au barreau de Paris

INTIME

****************

S.A.S. CALYPSO PROJECT ECO - RCS Nanterre n° 797 988 144 -

[Adresse 4]

Représentée par Me Christine POMMEL, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 118

S.E.L.A.R.L. [D]-PECOU, mission conduite par Maître [I] [D], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. SABRINA PRESSING DE [Localité 6] - [Adresse 3]

Représentée par Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et la SCP PIERREPONT & ROY-MAHIEU, Plaidant, avocat au barreau de Paris

PARTIES INTERVENANTES

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Bérangère MEURANT, Conseillère faisant fonction de président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Madame Marietta CHAUMET, Vice-Présidente placée,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 30 juin 2011, M. [C] [Z] a donné à bail commercial à la société Sabrina Pressing de [Localité 6], pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2011, des locaux dépendants d'un ensemble immobilier sis [Adresse 2] à [Localité 5] afin qu'elle y exploite une activité de pressing, retoucherie et vente de textiles et articles de mercerie, moyennant un loyer annuel de 20.500 € en principal, payable mensuellement et d'avance.

M. [E] [Z] est venu aux droits de M. [C] [Z], décédé le 7 février 2012, aux termes d'un acte de partage notarié du 6 avril 2013.

Considérant que la société Sabrina Pressing de [Localité 6] avait manqué à ses obligations contractuelles en domiciliant des sociétés dans les lieux loués et en installant une enseigne drapeau sans autorisation du bailleur, M. [E] [Z] lui a fait signifier le 26 juin 2019 une sommation d'exécuter visant la clause résolutoire du bail et l'article L.145-17 du code de commerce, lui enjoignant dans le délai d'un mois, de :

- cesser toute domiciliation au sein des locaux ;

- enlever l'enseigne drapeau 'pressing' en façade de l'immeuble.

Suivant acte extrajudiciaire du 18 décembre 2019, M. [E] [Z] a fait délivrer à la société Sabrina Pressing de [Localité 6] un congé à effet du 30 juin 2020 à minuit portant refus de renouvellement du bail commercial sans paiement d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, au visa de l'article L.145-17 1° du code de commerce.

Par acte du 30 juillet 2020, M. [E] [Z] a fait assigner la société Sabrina Pressing de [Localité 6] devant le tribunal judiciaire de Nanterre qui a, par jugement contradictoire du 20 avril 2022 :

- Déclaré valable le congé signifié le 18 décembre 2019 à la société Sabrina Pressing de [Localité 6] pour le 30 juin 2020 à minuit ;

- Ordonné, à défaut de départ volontaire, l'expulsion de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], ainsi que de tout occupant de son chef des lieux donnés à bail le 30 juin 2011 et situés [Adresse 2], si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;

- Ordonné, en tant que de besoin, le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux, aux frais, risques et périls de la société Sabrina Pressing de [Localité 6] après avoir été listés, décrits avec précision et photographiés par l'huissier chargé de l'exécution ;

- Fixé l'indemnité d'occupation due par la société Sabrina Pressing de [Localité 6] à M. [E] [Z] à compter du 1er juillet 2020 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clefs, au montant du loyer qui aurait été dû en vertu du bail expiré majoré de 20% ;

- Condamné la société Sabrina Pressing de [Localité 6] au paiement de cette indemnité d'occupation jusqu'à la libération des locaux ;

- Condamné la société Sabrina Pressing de [Localité 6] à payer à M. [E] [Z] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Sabrina Pressing de [Localité 6] aux dépens de l'instance qui pourront être recouvrés directement par la SCP Demont, avocat, en application de l'article 700 du code de procédure civile (sic) ;

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraire ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 26 avril 2022, la société Sabrina Pressing de [Localité 6] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Par jugement du 23 novembre 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a placé la société Sabrina Pressing de [Localité 6] en liquidation judiciaire et désigné Me [I] [D] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 31 mars 2023, Me [D] ès qualités a été assigné en intervention forcée par acte établi à la requête de M. [E] [Z].

Par ordonnance du 31 mai 2023, la SAS Calypso Project Eco a été autorisée par le juge-commissaire à la liquidation, à la demande du liquidateur et après avis favorable du procureur de la République, à reprendre les éléments du fonds de commerce et à poursuivre la procédure pendante devant la cour d'appel de Versailles, le cessionnaire se trouvant subrogé dans les droits et obligation du cédant, moyennant le paiement d'une somme de 5.000 €.

La société Calypso Project Eco est intervenue volontairement à la procédure par conclusions du 4 juillet 2023.

Par ordonnance du 7 juillet 2023, le premier président de la cour d'appel a arrêté l'exécution provisoire du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2023, la SELARL [D]-Pecou, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], demande à la cour de:

- Rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prétendue résiliation de plein droit du bail ;

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre en date du 20 avril 2022 ;

- Déclarer nul le congé signifié le 18 décembre 2019 à la société Sabrina Pressing de [Localité 6] pour motifs graves et légitimes ;

En conséquence,

- Dire et juger que le bail en date du 30 juin 2011 s'est poursuivi par tacite reconduction ;

- Condamner M. [E] [Z] à payer à la SELARL [D]-Pecou en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sabrina Pressing de [Localité 6] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [E] [Z] en tous les dépens qui pourront être recouvrés par Me Franck Lafon conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions en intervention volontaire notifiées le 6 mars 2024, la société Calypso Project Eco demande à la cour de :

- Déclarer recevable son intervention volontaire ;

- Débouter M. [E] [Z] de ses demandes d'irrecevabilité ;

- Prendre acte de la reprise par la société Calypso Project Eco du fonds de commerce de la société Sabrina Pressing de [Localité 6] par ordonnance du juge-commissaire du tribunal de commerce de Nanterre du 31 mai 2023 ;

- Déclarer recevables et bien fondées les demandes de la société Calypso Project Eco venant aux droits de la société Sabrina Pressing de [Localité 6] ;

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre rendu le 20 avril 2022 ;

- Déclarer nul le congé signifié le 18 décembre 2019 à la société Sabrina Pressing de [Localité 6] pour défaut de motifs graves et légitimes ;

- Débouter en conséquence M. [E] [Z] de sa demande de résolution du bail et de sa demande de refus de renouvellement fondée sur les infractions sus-précisées ;

- Désigner tel expert qu'il plaira à la cour de commettre avec mission de donner son avis sur le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle la société Calypso Project Eco, venant aux droits de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], pourrait prétendre, et sur le montant de l'indemnité d'occupation due par ce dernier jusqu'à son départ effectif des lieux et notamment :

- se faire communiquer tout document et pièce utiles ;

- visiter les lieux sis [Adresse 2], les décrire, dresser, le cas échéant, la liste des personnels employés par le locataire ;

- rechercher, en tenant compte de ce que les lieux loués sont à destination de restaurant, de la situation et de l'état des locaux, tout élément permettant de déterminer l'indemnité d'éviction principale et les indemnités accessoires dans le cas :

1°) d'une perte du fonds : valeur marchande du fonds déterminée suivant les usages, augmentée des frais et honoraires accessoires, des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation afférents à la cession d'un fonds d'importance identique, des frais de licenciement, de la réparation du trouble commercial, des frais de mailing ...,

2°) de la possibilité d'un transfert de fonds, sans perte conséquente de clientèle, sur un emplacement de qualité équivalente et, en tout état de cause, le coût d'un tel transfert comprenant notamment : acquisition d'un titre locatif ayant les mêmes avantages que l'ancien, frais et droits de mutation, frais de déménagement et de réinstallation, réparation du trouble commercial, frais de mailing ...,

- rechercher tous les éléments susceptibles de permettre de fixer l'indemnité d'occupation dont le locataire sera redevable ;

A défaut,

- Condamner M. [E] [Z] à payer à la société Calypso Project Eco la somme de  270.000 € à titre d'indemnité d'éviction pour le fonds de commerce qu'elle occupe sis [Adresse 2] ;

- Fixer l'indemnité d'occupation due par l'appelante depuis la date pour laquelle le congé a été donné et jusqu'à libération des lieux, après paiement de l'indemnité d'éviction, au montant du loyer actuellement acquitté qui correspond à la valeur locative des locaux ;

- Condamner M.[E] [Z] à verser à la société Calypso Project Eco une somme de   6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamer M. [E] [Z] aux dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 4 mars 2024, M. [E] [Z] demande à la cour de :

- Déclarer le chef de demande en paiement d'une indemnité d'éviction, et en désignation d'expert pour donner son avis sur son montant, totalement irrecevable puisque formulée plus de 2 ans après la date d'effet du congé du 18 décembre 2019 pour le 30 juin 2020, par application des dispositions des articles L.145-9 et L.145-60 du code de commerce, pourtant rappelées dans le congé lui-même (pièce 11) ;

- Déclarer irrecevable cette demande en ce qu'il s'agit d'une 'demande nouvelle' par application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile ;

- Confirmer en toute hypothèse le jugement rendu le 20 avril 2022 ;

- Par application des dispositions des articles L.145-9 et L.145-17 1° du code de commerce, valider le congé refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes délivré à la SAS Sabrina Pressing de [Localité 6], par exploit de la SCP Benzaken en date du 18 décembre 2019 ;

En conséquence,

- Prononcer l'expulsion de la SAS Sabrina Pressing de [Localité 6], ainsi que celle de tout occupant de son chef, sous astreinte journalière de 100 € à compter de la signification de la décision à intervenir, avec le concours si besoin est de la force publique et d'un serrurier ;

- Fixer, à compter de la date d'effet du congé, l'indemnité d'occupation au montant du loyer majoré de 20% ;

- Fixer à la somme de 6.000 € l'article 700 du code de procédure civile exigible, et juger que les entiers dépens sont exigibles, et en tant que de besoin condamner la société Calypso Project Eco in bonis à les payer.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2024.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Il convient de rappeler à titre liminaire qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Dans la mesure où la fin de non-recevoir tirée de la résiliation de plein droit du bail n'est pas invoquée par M. [E] [Z] dans ses conclusions, la demande de Me [D], ès qualités, tendant à voir rejeter cette fin de non-recevoir est sans objet.

1/ Sur la demande de nullité du congé pour défaut de motifs graves et légitimes

Me [D], ès qualités, et la société Calypso Project Eco demandent à la cour d'infirmer le jugement et de déclarer nul le congé délivré par le bailleur pour défaut de motifs graves et légitimes.

Conformément à l'article L.145-9 du code de commerce, les baux commerciaux ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.

Il en résulte, qu'en fin de bail, le bailleur est parfaitement en droit de refuser le renouvellement du bail commercial, sans motifs graves et légitimes, à la condition de payer une indemnité d'éviction au preneur.

Par acte d'huissier du 18 décembre 2019, M. [E] [Z] a fait délivrer à la société Sabrina Pressing de [Localité 6] un congé à effet du 30 juin 2020.

La société Sabrina Pressing de [Localité 6] n'a pas discuté la validité de ce congé. Ce n'est qu'après avoir été assignée par le bailleur qu'elle a contesté l'existence de motifs graves et légitimes et a sollicité la nullité du congé.

Or, l'absence de motifs graves et légitimes ne peut donner lieu qu'au paiement d'une indemnité d'éviction et, en aucun cas, à la nullité du congé et au renouvellement du bail.

Par conséquent, les demandes de l'appelante et de la société Calypso Project Eco visant à la nullité du congé pour défaut de motifs graves et légitimes sont inopérantes et doivent être rejetées de même que la demande aux fins de constatation de la tacite reconduction du bail.

2/ Sur la validité du refus de paiement d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes

Me [D], ès qualités, conteste l'existence des motifs graves et légitimes allégués par le bailleur. Il fait tout d'abord valoir que la société Calypso Project Eco était titulaire d'un contrat de location-gérance, ce qui n'était pas prohibé par le bail commercial en ce qu'il ne s'agit pas d'une sous-location. Il ajoute que le siège social de la société Invest Euro Med a été modifié dans le mois de la sommation et que le preneur a simplement omis d'enlever l'étiquette figurant sur la boîte aux lettres, qui a depuis été retirée. Le liquidateur judiciaire prétend ensuite que l'enseigne litigieuse était présente dès le début du bail en 2011, avec l'accord de la copropriété, et qu'elle a simplement été changée pour une enseigne plus petite et moins lumineuse. Il ajoute que la société Sabrina Pressing de [Localité 6] a finalement fait retirer l'enseigne.

La société Calypso Project Eco estime que les faits reprochés à la société Sabrina Pressing de [Localité 6] ne constituent pas des motifs graves et légitimes alors que le bailleur et la copropriété de l'immeuble n'ont subi aucun préjudice et que les infractions invoquées ont été régularisées dans le mois de la sommation. Sur la domiciliation, elle explique qu'elle a conclu un contrat de location-gérance le 1er septembre 2015, ce qui n'est pas prohibé par le contrat de bail, et que depuis cette date elle réglait les loyers directement au bailleur, sans opposition de sa part. Elle fait valoir que son siège social et celui de la société Invest Euro Med ont été modifiés les 5 et 8 juillet 2019, soit dans le mois de la sommation. Sur l'enseigne, elle explique qu'elle a été installée dès 2011 avec l'accord de la copropriété et que la pose de l'enseigne faisait partie des travaux de réfection autorisés par le bailleur. Elle ajoute qu'une enseigne plus petite a été installée en 2016 et que M.[E] [Z] qui habite dans l'immeuble depuis 2013 en avait parfaitement connaissance.

M. [E] [Z] réplique que la société Sabrina Pressing de [Localité 6] n'a pas respecté plusieurs clauses du contrat de bail commercial en domiciliant dans les lieux plusieurs sociétés et en installant une enseigne drapeau sans son accord préalable. Il explique qu'en dépit d'une mise en demeure, les infractions ont persisté justifiant son refus de renouvellement du bail pour motifs graves et légitimes sans paiement d'une indemnité d'éviction. Il fait valoir que la location-gérance invoquée par l'appelante ne concernait que la société Calypso Project Eco et non la société Invest Euro Med. Il conteste le fait que les travaux de réfection incluaient la pose de l'enseigne.

*****

L'article L.145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail mais qu'il doit, sauf exceptions prévues aux articles L.145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Il résulte de l'article L.145-17 1° du code de commerce que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. Toutefois, s'il s'agit de l'inexécution d'une obligation, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser.

Aux termes du contrat de bail conclu le 30 juin 2011, le preneur s'est engagé à 'ne pas domicilier toute autre société dans les lieux loués' et à 'ne pas modifier et ne poser aucune enseigne ou plaque sans l'accord du bailleur et de la copropriété s'il y a lieu'.

Il ressort des deux constats d'huissier du 24 mai 2019, et cela n'est pas contesté par les parties, que la société Sabrina Pressing de [Localité 6] a fait installer une enseigne drapeau devant le local et que le nom des sociétés Invest Euro Med et Calypso Project a été ajouté sur les boites aux lettres de la société Sabrina Pressing de [Localité 6].

La cour constate que si la société Calypso Project Eco était bénéficiaire d'un contrat de location-gérance qui n'est pas prohibé par le contrat de bail commercial, il n'est pas contesté par l'appelante que la société Invest Euro Med était domiciliée dans les locaux en violation des clauses du bail.

L'existence de manquements du preneur à ses obligations contractuelles est ainsi caractérisé. Il convient toutefois de rechercher si ces manquements constituent des motifs graves et légitimes permettant au bailleur de refuser le versement d'une indemnité d'éviction.

Il est rappelé que la charge de la preuve incombe au bailleur qui doit justifier de la gravité et de la persistance du motif.

- Sur la domiciliation de sociétés :

La cour relève qu'à deux reprises, le 30 mai 2016 et le 30 octobre 2018, le bailleur avait mis en demeure le preneur de cesser toute domiciliation de sociétés et que ce dernier n'a pas mis fin à ce manquement à la suite de ces courriers et n'a pas informé le bailleur de la conclusion d'un contrat de location-gérance au profit de la société Calypso Project Eco, de sorte que la gravité du motif est établie.

Toutefois, les sociétés Invest Euro Med et Calypso Project Eco ont immédiatement procédé au transfert de leur siège social après la réception de la sommation du bailleur le 26 juin 2019, leurs demandes ayant été reçues par le greffe les 5 et 8 juillet 2019. Il importe peu que le nom des sociétés soit toujours présent sur les boites aux lettres au mois d'août 2019 dès lors qu'il est justifié que les formalités légales relatives au transfert du siège social ont été réalisées. Le manquement ayant cessé dans le mois de la mise en demeure du bailleur, la persistance du motif n'est pas caractérisée.

- Sur la pose d'une enseigne drapeau :

Il est établi qu'une enseigne drapeau a été installée en façade de la vitrine, la locataire indiquant sans être contestée qu'elle l'a été dès le début du bail en 2011 puis qu'elle a été remplacée en 2016 par une enseigne plus petite et moins lumineuse. Comme le soutient M. [E] [Z], cette enseigne a effectivement été installée sans que la société Sabrina Pressing de [Localité 6] ait obtenu l'accord du bailleur préalablement à son installation et la simple tolérance ou le silence de ce dernier ne suffisent pas à caractériser une autorisation ou une renonciation implicite qui ne peuvent résulter que d'un acte non équivoque.

Pour autant, il appartient au bailleur de justifier de la gravité de ce manquement, seule à même de motiver le refus de renouvellement du bail sans paiement d'une indemnité d'éviction, conformément aux dispositions de l'article L.145-17 1° du code de commerce.

Outre qu'il n'explique pas en quoi la pose d'une enseigne revêt un caractère de gravité, la cour constate que M. [E] [Z], qui avait nécessairement connaissance de son existence depuis 2013 en ce qu'il habite depuis cette date dans l'immeuble, n'y fait aucune allusion dans ses deux mises en demeure précitées du 30 mai 2016 et du 30 octobre 2018. Il ne justifie par ailleurs d'aucune plainte de la copropriété de l'immeuble et ce tandis que Me [D], ès qualités, et la société Calypso Project Eco communiquent des échanges de courriels en novembre 2020 avec ladite copropriété, qui indique « nous n'avons pas reçu de contestations concernant la pose de l'enseigne. Conformément à l'article 6, il semble que cela n'est pas en infraction à condition d'avoir obtenu les autorisations administratives nécessaires s'il y a lieu ». L'article 6 du règlement de copropriété versé aux débats prévoit en effet notamment qu' « En ce qui concerne les boutiques, (...) les écriteaux et enseignes pourront être librement apposés à condition de n'apporter aucune gêne aux autres co-propriétaires et d'avoir obtenu les autorisations administratives nécessaires s'il y a lieu ».

Au demeurant et comme en attestent les photographies produites par Me [D], ès qualités, et la société Calypso Project Eco, l'enseigne actuelle, installée en 2016, est de taille limitée et la locataire précise, sans être contredite, qu'elle est éteinte entre 19h30 et 8h30, ce qui corrobore l'absence de gêne pour les autres co-propriétaires.

La gravité du manquement n'est en conséquence pas établie.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les manquements du preneur ne caractérisent pas des motifs graves et légitimes permettant au bailleur de refuser le versement d'une indemnité d'éviction.

3/ Sur la demande de paiement de l'indemnité d'éviction

La société Calypso Project Eco, qui vient aux droits de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], sollicite la désignation d'un expert ou à défaut le versement d'une indemnité d'éviction de 270.000€. Elle prétend que sa demande est recevable car, en contestant le congé, la locataire a conservé le droit de former une demande d'indemnité d'éviction à tout moment sans avoir à respecter le délai de 2 ans de l'article L.145-9 du code de commerce.

M. [E] [Z] soutient que les demandes de paiement d'une indemnité d'éviction et en désignation d'un expert sont irrecevables en ce qu'elles ont été formulées plus de 2 ans après la date d'effet du congé et en ce qu'il s'agit d'une demande nouvelle formulée pour la première fois devant la cour d'appel.

*****

L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Selon l'article L.145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en application du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.

L'article L.145-9 du même code précise que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

Il en résulte que la demande en paiement d'une indemnité d'éviction, par voie d'action comme par voie d'exception, devait être formée avant le 30 juin 2022, le congé ayant été donné pour le 30 juin 2020 à minuit.

La cour constate que la société Sabrina Pressing de [Localité 6] n'a jamais formé de demande d'indemnité d'éviction en première instance et que ce n'est que dans ses premières conclusions d'appelant du 22 juillet 2022 qu'elle a réclamé le paiement d'une indemnité d'éviction auquel  Me [D], ès qualités, a renoncé dans les conclusions suivantes.

Conformément aux dispositions susvisées, la demande d'indemnité d'éviction de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], soulevée pour la première fois en cause d'appel et postérieurement à la date de prise d'effet du congé, était irrecevable.

Si la société Calypso Project Eco, qui n'était pas partie en première instance, ne peut se voir opposer les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, il n'est pas contesté qu'elle n'a été subrogée dans les droits et obligations de la société Sabrina Pressing de [Localité 6] qu'à compter de l'ordonnance du juge-commissaire en date du 31 mai 2023, alors que le délai biennal pour former une demande d'indemnité d'éviction avait déjà expiré.

Il en résulte que la demande de paiement d'une indemnité d'éviction formée par la société Calypso Project Eco dans ses conclusions d'intervention volontaire du 4 juillet 2023, est également irrecevable car prescrite.

4/ Sur l'indemnité d'occupation

M. [E] [Z] réclame le paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer majoré de 20% à compter de la date d'effet du congé, tandis que la société Calypso Project Eco demande qu'elle soit fixée au montant du loyer actuellement acquitté.

Conformément à l'article L.145-28 du code de commerce, l'indemnité d'occupation doit être fixée en fonction de la valeur locative sans application de la règle du plafonnement.

En l'espèce, M. [E] [Z] ne donnant aucune explication sur sa demande de majoration de 20% du montant du loyer et le bail commercial ne prévoyant pas le calcul de cette indemnité, il convient de fixer le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer actuellement acquitté.

5/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société Calypso Project Eco, subrogée dans les droits et obligations de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], sera condamnée aux dépens d'appel.

Il ne sera pas fait droit aux demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Dit recevable en son intervention volontaire la société Calypso Project Eco,

Déclare irrecevable la demande de paiement d'une indemnité d'éviction formée par la société Sabrina Pressing de [Localité 6] et reprise par la société Calypso Project Eco,

Confirme le jugement rendu le 20 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre, sauf en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation au montant du loyer qui aurait été dû en vertu du bail expiré majoré de 20%,

Statuant à nouveau de ce chef,

Fixe l'indemnité d'occupation due à M. [E] [Z] par la société Calypso Project Eco, venant aux droits de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], à compter du 1er juillet 2020 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, au montant du loyer qui aurait été dû en vertu du bail expiré,

Y ajoutant,

Déboute la SELARL [D]-Pecou, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], et la société Calypso Project Eco de leur demande de nullité du congé signifié le 18 décembre 2019 ;

Condamne la société Calypso Project Eco, venant aux droits de la société Sabrina Pressing de [Localité 6], aux dépens d'appel,

Déboute les parties de leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseillère faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, La conseillère,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre commerciale 3-1
Numéro d'arrêt : 22/02909
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.02909 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award