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04/07/2024 | FRANCE | N°22/00831

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-2, 04 juillet 2024, 22/00831


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-2



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JUILLET 2024



N° RG 22/00831 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VCBR



AFFAIRE :



[H] [L]



C/



S.A.S. ETF





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 février 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Section : I

N° RG : 21/00460






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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Valérie LANES



Me Philippe ROZEC







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 22/00831 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VCBR

AFFAIRE :

[H] [L]

C/

S.A.S. ETF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 février 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Section : I

N° RG : 21/00460

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Valérie LANES

Me Philippe ROZEC

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 23 mai 2024 et prorogé au 04 juillet 2024, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [H] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Valérie LANES de l'AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2185

APPELANT

****************

S.A.S. ETF

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Philippe ROZEC, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R045 substitué par Me Eve Gauthier, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

Greffier lors de la mise à disposition : Madame Dorothée MARCINEK

Rappel des faits constants

La société par actions simplifiée ETF, dont le siège social est situé à [Localité 5] dans les Hauts-de-Seine, est spécialisée dans les travaux publics et particuliers, et notamment les travaux de voies ferrées, signalisation, routes, bâtiments, ouvrages d'art et canalisations. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective des ouvriers de travaux publics du 15'décembre 1992.

M. [H] [L], né le 10'novembre 1985, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée du et'à effet au 2'septembre 2019, en qualité d'aide monteur caténaires, statut ouvrier, niveau 1, position 1, coefficient 100, moyennant une rémunération initiale de 1'638,04'euros pour 151,67 heures de travail par mois.

Après un entretien préalable qui s'est tenu le 23'novembre 2020, auquel il ne s'est pas présenté, M. [L] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave, par lettre datée du 4'décembre 2020'dans les termes suivants':

«'Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 5 novembre 2020, distribué le 13 suivant, vous avez été convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'à licenciement fixé le 23 novembre 2020. Vous ne vous êtes pas présenté ni fait représenter à cet entretien.

Vous avez été embauché par contrat à durée indéterminée du 2 septembre 2019 en tant qu'aide monteur caténaires. A ce poste, vous étiez affecté à des tâches de protection électrique.

A l'issue de votre visite médicale d'embauche du 7 octobre 2019, le médecin du travail, docteur [C], vous a déclaré apte au poste de monteur ajusteur (électricité).

En parallèle, dans le cadre de la qualification perchage, nécessaire pour les entreprises réalisant ce type de travaux à compter du 1er janvier 2021, les opérations de protections électriques sont considérées comme étant des tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire. A ce titre, et conformément à un arrêté ministériel en date du 7 mai 2015 relatif aux tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire autres que la conduite de trains, nous devons faire passer des visites médicales spécifiques à nos salariés réalisant notamment des travaux de perchage afin de s'assurer de leur aptitude à occuper de telles fonctions.

Cela étant dit, nous tenons à vous rappeler les griefs qui vous sont reprochés : vous avez refusé de vous soumettre à quatre reprises à un examen médical de manière totalement infondée et illégitime. Vous n'avez à aucun moment pris le soin de prévenir au préalable la société, comme cela vous avait pourtant été demandé à de multiples reprises et ce, afin que nous puissions notamment éviter la facturation des visites. Cela a nécessairement causé un préjudice financier à l'entreprise.

Vous avez passé une visite médicale le 8 juin 2020, et avez été déclaré inapte par le docteur [V], médecin agréé par la SNCF. Le 24 juin 2020, ne comprenant pas la décision de ce médecin, vous avez demandé à reprogrammer une visite médicale, ce que nous avons fait. Une nouvelle visite a donc été fixée le 2 juillet 2020. A l'issue de celle-ci, le docteur [V] a rendu l'avis suivant': «'pas de conclusion, doit repasser en ophtalmologie'», car vous n'aviez qu'une copie de votre pièce d'identité en dépit des directives sur la convocation. Une nouvelle visite a alors été programmée le 24 juillet 2020.

Par la suite et malgré nos rappels sur la nécessité de vous soumettre à ces examens, vous avez à plusieurs reprises refusé de vous rendre à cette visite médicale (refus de l'invitation Outlook du 9 juillet, confirmations de refus le 17 juillet 2020 par téléphone auprès de [J] [O], gestionnaire RH de l'agence et d'[R] [D], responsable d'exploitation, puis par courriel du même jour).

Le 22 juillet 2020, nous vous avons contacté par téléphone. Vous nous avez alors informés être en arrêt maladie jusqu'au 24 juillet, date de votre visite médicale. Nous avons donc été contraints d'annuler la visite médicale. Un mail vous a été adressé le jour même rappelant notamment l'impérieuse nécessité de vous soumettre aux visites médicales.

Nous vous avons adressé une convocation par mail le 23 juillet pour une nouvelle visite fixée le'3 août 2020'pour laquelle vous vous étiez engagé à vous présenter. Malgré cela, et sans prendre la peine de nous prévenir, vous ne vous y êtes pas rendu.

C'est lors d'un appel téléphonique à l'initiative de l'entreprise en date du 11 août que nous apprenons que vous étiez en arrêt maladie du 27 juillet au'5 août 2020, puis en prolongation jusqu'au 10 août. Nous vous avons alors rappelé que vous deviez nous informer sans délai de vos absences et nous adresser vos arrêts de travail sous 48 heures. Une nouvelle fois nous avons été dans l'obligation d'annuler la visite médicale.

Lors de cet entretien téléphonique, vous avez reconnu que la société avait fait des pieds et des mains pour avoir les visites médicales mais que vous aviez des doutes sur votre avenir, que vous vous posiez des questions, et avez affirmé «'je n'ai plus de motivation pour retourner travailler'».

Un entretien a ensuite été fixé le 25 août à votre demande en présence d'un représentant du personnel, M. [N]. Pourtant, la veille de l'entretien, vous nous informez que vous ne pouvez finalement honorer l'entretien, sans aucune explication. Vous revenez finalement sur votre position et lors de cet entretien du 25 août en présence de M.'[N], vous n'avez pas souhaité apporter de précisions quant à votre volonté ou non de vous soumettre aux visites médicales pourtant obligatoires, nous précisant que vous nous adresserez un courrier en recommandé à l'issue de l'entretien.

Nous vous avons rappelé être dans l'attente de votre arrêt de travail concernant la prolongation pour la période du 6 au 10 août. Nous vous avons donc adressé une mise en demeure en date du 26 août afin de vous demander de justifier votre arrêt dans les meilleurs délais, ce que vous n'avez toujours pas fait à ce jour.

Le 27 août, nous vous avons adressé un compte rendu de notre entretien qui rappelait notamment que vous deviez faire preuve de bonne volonté et respecter la législation en vigueur en vous soumettant aux visites médicales.

Nous avons une nouvelle fois adressé une convocation à une visite médicale programmée le 7 septembre 2020 annexée à notre courrier du 27 août, visite à laquelle, bien évidemment, vous ne vous êtes pas rendu. Vous nous avez simplement adressé par mail le 28 août à 11h46, un arrêt établi le jour même, couvrant la période du 25 août 2020 (jour de l'entretien) jusqu'au 23 septembre.

Le'28 août 2020, à 18h39, vous avez adressé un SMS à Mme [O], gestionnaire RH, pour lui préciser qu'après avoir bien réfléchi, vous souhaitiez démissionner tout en demandant les coordonnées du chef d'agence dans les termes suivants': «'je souhaite si possible de m'envoyer le numéro à [B] je lui parler et ensuite démissionné je veux que ça se termine bien'[sic]».

Vous avez ensuite envoyé un SMS à M.'[P] le jour même à 19h23 dans les termes suivants': «'Voilà il s'est passé plusieurs choses ces derniers temps je voudrais que l'aventure se termine bien j'ai toujours eu beaucoup de respect pour votre entreprise et je n'ai pas envie de partir fâcher c'est pour cela que je voulais te proposer ma démission. Juste avant je voulais m'entretenir avec toi'[sic]».

Lors d'un échange téléphonique avec M. [P], et malgré ce que vous avez pu affirmer par SMS, vous lui avez réclamé une rupture conventionnelle de votre contrat de travail, ce qu'il a refusé.

Le 12 octobre, sans nouvelles de votre part, nous vous avons adressé une nouvelle mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception pour justifier votre absence du 6 au 10 août et celle à compter du 23 septembre à laquelle vous n'avez toujours pas répondu.

Sans adresser le moindre justificatif, vous avez pris contact avec le chef d'agence afin qu'il vous reçoive lors d'un entretien physique, ce qu'il a, bien entendu, accepté. A l'issue de l'entretien du 30'octobre 2020, contre toute attente vous avez affirmé finalement vouloir reprendre votre poste de travail, précisant que vous alliez vous-même prendre contact avec le docteur [V] dès le'lundi'suivant pour réaliser la visite médicale. Une nouvelle fois vous n'avez honoré aucun engagement.

Malgré tous nos efforts pour vous mettre en mesure d'effectuer votre prestation de travail, pour échanger avec vous et répondre à vos demandes totalement paradoxales d'un jour à l'autre, vous n'avez cessé de mettre la société en difficulté. Vous ne pouvez raisonnablement reprocher à la société l'absence de prestation de travail alors qu'en refusant de vous rendre aux visites médicales pourtant obligatoires, vous avez totalement empêché la société de vous affecter sur un chantier.

Conformément à l'article 2 du règlement intérieur, «'chaque salarié est tenu de se présenter aux visites médicales et examens complémentaires prévus par la réglementation en vigueur en matière de médecine du travail. Il doit également se soumettre aux examens prévus en cas de surveillance médicale particulière.'» Il précise également, dans son article 12, que le salarié doit prévenir la société de toute absence et qu'elle doit être justifiée « dans un délai de 48 heures ». Non seulement, vous ne prenez pas la peine de prévenir la société mais, par surcroît, il est nécessaire de vous réclamer les justificatifs, sans forcément les obtenir.

Vous avez ainsi fait obstacle, de façon réitérée, à l'examen de la médecine agréée SNCF, ne permettant donc pas de statuer sur votre aptitude médicale à occuper votre fonction. Un tel comportement est complètement irrespectueux à l'égard de la société et des services de santé. Ainsi, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave, privatif de préavis et d'indemnités de licenciement. Votre contrat de travail prendra fin à compter de la date d'envoi du présent courrier.

(')

[I] [T],

responsable des ressources humaines'».

M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en contestation de son licenciement par requête reçue au greffe le'10 mars 2021.

Suite à l'ordonnance de dessaisissement du premier président de la cour d'appel de Versailles du 21'avril 2021, le conseil de prud'hommes de Chartres a été saisi par requête reçue au greffe le 6'mai 2021.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 10'février 2022'la section industrie du conseil de prud'hommes de Chartres a':

- reçu M. [L] en ses demandes,

- reçu la société ETF en ses demandes,

au fond,

- dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [L] est fondé,

- débouté en conséquence M. [L] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [L] à verser à la société ETF les sommes suivantes :

. 1 367,59 euros au titre du remboursement d'avance sur indemnités journalières,

. 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [L] avait présenté les demandes suivantes':

à titre principal,

- dire et juger son licenciement intervenu tant en raison de son état de santé qu'en représailles, nul,

- condamner en conséquence la société ETF à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

subsidiairement, si le conseil ne devait pas retenir la nullité de son licenciement,

- dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- écarter le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafond violant les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable,

- condamner en conséquence la société ETF à lui payer la somme de 20'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

plus subsidiairement, si le conseil ne devait pas écarter le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail comme étant contraire aux dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, des articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et du droit au procès équitable,

- condamner la société ETF à lui payer les sommes suivantes :

. 6'250 euros au titre de l'indemnité due en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, subsidiairement, la somme de 4 386,02 euros,

. 13'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier, professionnel et moral subi par la perte de son emploi et des conditions pour le moins brutales et particulièrement vexatoires entourant la rupture du contrat de travail,

en tout état de cause,

- condamner la société ETF à lui payer les sommes suivantes :

. 13 515,33 euros net à titre de rappel de salaire couvrant la période du 8'juin 2020'au 4'décembre 2020, sauf à déduire le montant des indemnités journalières qui lui ont été versées par la caisse primaire d'assurance maladie au cours de cette période,

. 1 351,55 euros net au titre des congés payés incidents,

. 10'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier, professionnel et moral qu'il a subi du fait des graves manquements de l'employeur à ses obligations de fourniture de travail et de paiement des salaires pour exécution déloyale du contrat de travail,

. 3'125 euros net à titre d'indemnité compensatrice de préavis, subsidiairement la somme brute de 2 193,01 euros,

. 312,50 euros net au titre des congés payés incidents, subsidiairement la somme brute de 219,30 euros,

. 980,84 euros à titre d'indemnité de licenciement, subsidiairement la somme de 688,31 euros,

. 2 197,96 euros à titre de solde d'indemnité compensatrice de congés payés,

. 2'500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes au jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la notification du jugement,

- dire que le conseil se réservera le droit de liquider les astreintes,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement sur l'intégralité des condamnations en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

- condamner la société ETF aux entiers dépens, lesquels comprendront l'intégralité des frais de signification et d'exécution qu'il pourrait avoir à engager,

- dire que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,

- débouter la société ETF de ses demandes, fins et conclusions.

La société ETF avait quant à elle demandé au conseil de':

- constater que M. [L] a, à plusieurs reprises, refusé de se présenter à une visite médicale et n'a pas justifié de ses absences dans les délais impartis,

- juger que le licenciement pour faute grave de M. [L] est justifié,

- constater que M. [L] ne peut prétendre à un complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

- constater que M. [L] ne peut prétendre à un rappel de salaire pour la période du 8 juin au 4'décembre 2020,

- constater qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail,

- constater que M. [L] est débiteur de la somme de 1 367,59 euros à son égard,

en conséquence,

- débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions tant au titre de l'exécution que de la rupture de son contrat de travail,

- la recevoir en ses propres demandes et condamner M. [L] à lui verser la somme de 1 367,59 euros à titre d'avance sur indemnités journalières et la somme de 2'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [L] aux entiers dépens.

La procédure d'appel

M. [L] a interjeté appel du jugement par déclaration du 14 mars 2022 enregistrée sous le numéro de procédure 22/00831.

Par ordonnance rendue le 31 janvier 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries le 29 février 2024.

Une ordonnance de médiation a été rendue le 14 décembre 2022, à laquelle les parties n'ont pas entendu donnée suite.

Le conseil du salarié a procédé au dépôt de son dossier de plaidoiries sans se présenter à l'audience.

Prétentions de M. [L], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 9 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [L] demande à la cour d'appel de':

- le dire et juger bien fondé en son appel,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé fondé son licenciement pour faute grave,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande principale tendant à voir dire et juger son licenciement, intervenu tant en raison de son état de santé qu'en représailles, nul, ainsi que de ses demandes subsidiaires tendant à voir dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et à voir écarter le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul et, subsidiairement, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaire couvrant la période du 8'juin 2020'au 4'décembre 2020, de congés payés incidents, de dommages-intérêts en réparation du préjudice, financier, professionnel et moral, qu'il a subi du fait des graves manquements de l'employeur à ses obligations de fourniture de travail et de paiement des salaires et pour exécution déloyale du contrat de travail, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents au préavis, d'indemnité de licenciement, de solde d'indemnité compensatrice de congés payés, d'article 700 du'code de procédure civile, de remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi, et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, de liquidation d'astreinte, de dépens, d'intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et de capitalisation des intérêts,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande, infiniment subsidiaire, de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier et moral subi par la perte de son emploi et par les circonstances particulièrement brutales et vexatoires ayant entouré la perte de son emploi,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société ETF la somme de 1'367,59 euros au titre du remboursement d'avance sur indemnités journalières, ainsi que la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du'code de procédure civile'et en ce qu'il l'a condamné aux entiers dépens,

et, statuant à nouveau,

à titre principal,

- dire et juger son licenciement, intervenu tant en raison de son état de santé qu'en représailles, nul,

- en conséquence, condamner la société ETF à lui payer la somme de 20'000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

subsidiairement, si la cour ne devait pas retenir la nullité de son licenciement,

- dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- écarter le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT,

- condamner en conséquence la société ETF à lui payer la somme de 20'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

plus subsidiairement, si la cour ne devait pas écarter le montant maximal d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail comme étant contraire aux dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, des articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT,

- condamner la société ETF à lui payer les sommes suivantes':

. 4 386,02 euros au titre de l'indemnité due en application de l'article L. 1235-3 du code du travail,

. 13'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier, professionnel et moral subi par la perte de son emploi et des conditions pour le moins brutales et particulièrement vexatoires entourant la rupture du contrat de travail,

en tout état de cause,

- condamner la société ETF à lui payer les sommes suivantes :

. 7'780 euros à titre de rappel de salaire couvrant la période du 8'juin 2020'au 4'décembre 2020, sauf à déduire la somme nette de 516,78 euros qui lui a été versée par la'caisse primaire d'assurance maladie (CPAM)'à titre d'indemnités journalières au cours de cette période,

. 778 euros au titre des congés payés incidents,

. 10'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice, financier, professionnel et moral, qu'il a subi du fait des graves manquements de l'employeur à ses obligations de fourniture de travail et de paiement des salaires et pour exécution déloyale du contrat de travail,

. 2'193,01 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 219,30 euros au titre des congés payés incidents,

. 688,31 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 2 197,96 euros à titre de solde d'indemnité compensatrice de congés payés,

. 4'000 euros en application de l'article 700 du'code de procédure civile,

- ordonner la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la signification de l'arrêt,

- dire que la cour se réservera le pouvoir de liquider les astreintes,

- condamner la société ETF aux entiers dépens, lesquels comprendront, outre le droit de plaidoirie, l'intégralité des frais de signification et d'exécution de l'arrêt qu'il pourrait avoir à engager,

- dire que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

Prétentions de la société ETF, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 8 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens, la société ETF demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que'M. [L]'a, à plusieurs reprises, refusé de se présenter à une visite médicale et n'a pas justifié de ses absences dans les délais impartis,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement pour faute grave de'M. [L]'est justifié,

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que'M. [L]'ne pouvait prétendre à un complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que'M. [L]'ne pouvait prétendre à un rappel de salaire pour la période du 8 juin au 4'décembre 2020,

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la société ETF n'a pas manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que'M. [L]'est débiteur de la somme de 1'367,59'euros à son égard,

en conséquence,

- débouter'M. [L]'de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions tant au titre de l'exécution que de la rupture de son contrat de travail,

- la recevoir en ses propres demandes et condamner'M. [L]'à lui verser la somme de 1'367,59'euros à titre d'avance sur indemnités journalières et la somme de 4'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner'M. [L]'aux entiers dépens.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la société ETF sollicite dans le corps de ses conclusions la radiation de l'affaire dans la mesure où M. [L] n'a pas exécuté la décision de première instance. Outre que cette demande ne relève pas de la compétence de la cour, il sera observé qu'elle n'est pas formulée dans le dispositif des conclusions de l'intimée, en violation des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, de sorte qu'il n'y a pas lieu de l'examiner.

Sur le licenciement

A l'appui de la contestation de son licenciement, M. [L] invoque deux moyens de nullité, tenant au fait que son licenciement aurait été décidé en raison de son état de santé et en représailles d'une action en justice, et soutient que celui-ci serait dépourvu de cause réelle et sérieuse.

A l'instar du salarié, compte tenu de la présentation retenue dans ses écritures, il convient d'examiner d'abord le bien-fondé du licenciement avant les deux nullités.

Sur la faute grave

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité d'un licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement tels qu'ils ont été énoncés précédemment, lesquels fixent les limites du litige, il est reproché à M. [L] deux griefs':

- avoir refusé de se présenter à différents examens médicaux et d'habilitation,

- ne pas avoir justifié de ses absences dans les délais impartis.

S'agissant du refus de se présenter à différents examens médicaux et d'habilitation

M. [L] oppose la règle non bis in idem.

L'article L. 1331-1 du code du travail dispose': «'Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.'»

Le salarié invoque une lettre du 27 août 2020, aux termes de laquelle la société ETF lui a fait grief d'avoir dit à plusieurs reprises qu'il refuserait de se rendre aux visites médicales dispensées par les médecins de la SNCF et de ne pas s'être présenté aux visites médicales des 24 juillet et 3 août 2020 qui avaient été programmées et de ne pas avoir averti préalablement à ces visites qu'il avait été placé en arrêt de travail. Il ajoute que la société ETF l'a menacé d'une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'à son licenciement s'il «'refusait une nouvelle fois de se soumettre à cette visite médicale'» (pièce 30 du salarié).

Il soutient que cette lettre, par laquelle l'employeur énonce un certain nombre de griefs à son encontre, qui seront repris dans la lettre de licenciement et le menace d'une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, doit être qualifiée de sanction disciplinaire, dès lors qu'il ne fait aucun doute, selon lui, qu'elle était de nature à affecter sa présence dans l'entreprise.

La société ETF oppose que la lettre du 27 août 2020 n'était pas une sanction disciplinaire mais uniquement «'le compte-rendu de l'entretien du 25 août 2020'» qui s'est tenu à l'initiative de M. [L] et qu'en tout état de cause, rien ne lui interdisait de se prévaloir des faits visés dans cette lettre dès lors que M. [L] avait commis des manquements de même nature postérieurement à sa notification.

La lecture de la lettre du 27 août 2020 montre qu'il s'agit bien du compte-rendu d'un entretien qui a eu lieu le 25 août 2020 pour faire «'un point sur (vos) visites médicales en rappelant le contexte'».

Il est indiqué en fin de lettre':

«'Nous vous avons également rappelé que vous deviez faire preuve de bonne volonté et respecter la législation en vigueur à savoir vous soumettre aux visites médicales nécessaires dans le cadre de votre fonction.

Nous vous avons enfin informé que nous vous convoquerons une fois de plus à une nouvelle visite, indispensable pour statuer sur votre aptitude physique au titre de l'habilitation de personnel à des tâches essentielles de sécurité.

A ce titre, vous trouverez en pièce jointe la convocation programmée pour le 7 septembre prochain.

Par la présente, nous vous rappelons que cette convocation est à considérer comme impérative et que vous devez vous y présenter muni de l'original de votre pièce d'identité.

Dans l'hypothèse où vous refuseriez une nouvelle fois de vous y soumettre, nous serions contraints d'engager à votre égard une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'à votre licenciement.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.

[I] [T]

responsable ressources humaines.'»

Au regard des termes utilisés, il sera retenu que le courrier constitue avant tout un compte-rendu d'un entretien qui s'est tenu entre le salarié et le responsable des ressources humaines pour tenter de clarifier la situation, avec un rappel chronologique des difficultés rencontrées et des explications données sur l'importance de l'habilitation.

L'employeur reproche à M. [L] de ne pas s'être rendu aux visites médicales programmées, mais il l'invite à se ressaisir et organise une nouvelle visite en le mettant en garde sur les conséquences d'une nouvelle défaillance de sa part. Mais dans la mesure où elle menace également le salarié d'engager une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, elle apparaît susceptible d'affecter, même si ce n'est pas immédiatement, la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Elle doit en conséquence être considérée comme constitutive d'une sanction disciplinaire.

Pour autant, il est constant que l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à se prévaloir de griefs antérieurs déjà sanctionnés.

Or, postérieurement à ce courrier du 27 août 2020, M. [L] a réitéré son comportement en refusant de se rendre à la visite programmée le 7 septembre 2020 et à celle évoquée à l'issue de l'entretien du 30 octobre 2020.

Même si ce moyen n'est clairement pas invoqué au titre du deuxième grief, le même raisonnement doit en tout état de cause être retenu pour écarter l'application de la règle «'non bis in idem'».

M. [L] oppose également la prescription des griefs.

L'article L. 1332-4 du code du travail dispose': «'Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'»

M. [L] affirme que son refus de se rendre aux visites médicales organisées les 24 juillet et 3 août 2020 ne pourrait pas être utilement évoqué à l'appui de son licenciement au motif que ces griefs seraient prescrits le 5 novembre 2020 au moment de l'engagement de la procédure disciplinaire.

Or, il est constant que le délai de prescription ne fait pas obstacle à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois lorsque le comportement fautif du salarié s'est poursuivi dans ce délai.

Comme le fait valoir l'employeur, loin de priver de légitimité le licenciement intervenu, la persistance du comportement fautif, en dépit des mises en garde, renforce sa gravité.

La société ETF rappelle, sans qu'il n'y ait de débat sur ce point, que M. [L] ne s'est pas présenté aux visites médicales programmées les 24 juillet 2020, 3 août 2020 et 7 septembre 2020, cette dernière visite ayant été programmée dans le délai de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire.

La prescription n'est donc pas encourue.

Le même raisonnement doit conduire à exclure toute prescription s'agissant du deuxième grief.

Au fond, la société ETF reproche à M. [L] d'avoir refusé de se rendre aux visites médicales.

A l'appui de son grief, l'employeur explique les exigences particulières d'habilitation.

La société ETF indique que la SNCF lui a notifié qu'à compter du 1er janvier 2021, les collaborateurs des entreprises intervenant sur ses caténaires devaient satisfaire aux exigences spécifiques fixée par un décret d'octobre 2006 et par un arrêté de mai 2015, portant sur «'les tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire autre que la conduite des trains'», qu'ainsi, M. [L], comme l'ensemble de ses collègues, a été amené, au cours de la seconde partie de l'année 2020, à se soumettre aux examens médicaux prévus par ces textes.

Elle indique encore que les salariés concernés doivent justifier des «'conditions d'aptitude physique et psychologique'», que ces précautions particulières visent à s'assurer que les collaborateurs qui interviennent sur le réseau ferré ne sont sujet à aucune pathologie « susceptible de causer une perte soudaine de conscience, une baisse d'attention ou de concentration, une incapacité soudaine, une perte d'équilibre ou de coordination ou une limitation significative de mobilité », que les modalités d'examen des aptitudes physique et psychologique sont fixées par l'arrêté du 7 mai 2015 qui exige, notamment que l'examen soit réalisé par un médecin agréé, dont la liste est publiée au Bulletin officiel du ministère de l'écologie (article 16 quinquies) impliquant un examen de médecine générale, un électrocardiogramme au repos, des examens des fonctions sensorielles (vision, audition, perception des couleurs) et tout examen complémentaire jugé nécessaire par le médecin agréé, que les exigences en matière de « vision et d'aptitude ophtalmologique » fixées par l'arrêté sont précises et détaillées et imposent un examen réalisé par un ophtalmologue et que la délivrance d'un certificat d'aptitude est donc conditionnée à la présentation au médecin agréé des conclusions d'examens réalisés par un ophtalmologue.

C'est donc à tort que M. [L] conteste la qualité du médecin chargé de lui octroyer habilitation car seuls des médecins agréés par le ministère de l'écologie, compte tenu de leurs compétences dans le domaine ferroviaire, peuvent la délivrer et cette habilitation spécifique ne relève pas de la compétence du médecin du travail. A ce titre, l'employeur précise que le docteur [V] n'est pas un médecin de la SNCF, comme l'appelle le salarié, mais un médecin libéral indépendant qui dispose d'un agrément ferroviaire.

C'est également à tort que M. [L] trouve incompréhensible qu'au regard de la batterie d'analyses réalisées, le docteur [V] refuse de délivrer l'habilitation au motif que l'examen ophtalmologique aurait été manquant, puisque l'examen ophtalmologique est un élément exigé par l'arrêté pour délivrer l'habilitation.

Par ailleurs, M. [L] n'a formé aucun recours contre la décision du médecin alors qu'il pouvait le faire dans le délai de deux mois de sa délivrance devant la « commission ferroviaire d'aptitudes » en vertu des articles 10 du décret n°2010-708 du 29 juin 2010 et 8 du décret n°2017-527 du 12 avril 2017.

La société ETF justifie de refus récurrents de la part de M. [L] de se soumettre aux visites médicales en vue d'obtenir l'habilitation exigée.

Elle rappelle la chronologie suivante':

M [L] a été convoqué à une visite médicale auprès d'un médecin « agréé ferroviaire'», le docteur [V], le 8 juin 2020 (pièce 21 du salarié).

A l'issue de cet examen et après analyse des résultats de ses examens ophtalmologiques, M. [L] a été déclaré inapte.

Après cet examen et à la demande de M. [L], qui déclarait avoir réglé son problème de vue, (pièce 10 de l'employeur), une nouvelle visite était organisée le 2 juillet 2020 avec le docteur [V].

Or, ce dernier a cependant refusé de se prononcer sur l'aptitude de M. [L] avec la mention': «'Pas de conclusion, doit repasser en ophtalmologie'» (pièce 25 du salarié).

La société ETF allègue qu'en réalité, la personne qui avait passé les examens ophtalmologiques sur le créneau horaire réservé pour M. [L] n'avait pas présenté ses papiers d'identité en originaux alors pourtant que la convocation l'exigeait et qu'il s'était présenté avec ses papiers originaux à la première visite.

Interrogé par l'entreprise sur le suivi du dossier, le docteur [V] a répondu par courriel du 5 juillet 2020 en ces termes': «'Bonjour, Pour M. [L], pas de conclusions sur son aptitude, doit être revu en opht [sic], cette consultation d'opht ne sera pas facturée. Doit venir avec sa carte d'identité récente et/ou passeport récent. Photocopies ne seront pas acceptées. A vous de choisir la date. Cdlt, dr JC S'» (pièce 8 de l'employeur).

M. [L] ne s'est toutefois pas présenté à l'examen ophtalmologique sollicité, ni ne s'est rendu aux visites programmées les 24 juillet, 3 août et 7 septembre 2020.

Ce faisant, M. [L] a mis en échec de son propre fait l'organisation de l'obtention de l'habilitation pourtant nécessaire à son exercice professionnel.

S'agissant de l'absence de justification des absences dans les délais impartis

La société ETF reproche de nombreux manquements à M. [L] à ce sujet.

- des justifications tardives de ses absences':

. ce n'est que le 20 août qu'il a justifié de son absence du 24 juillet au 5 août,

. ce n'est que le 28 août qu'il a justifié de son absence à partir du 25 août,

. il a sollicité, le samedi 8 août, 12 jours de congés à compter du 11 août, en dépit des règles de pose en vigueur dans l'entreprise, et n'a régularisé sa demande, selon la procédure idoine, que le 17 août, c'est-à-dire 5 jours après son départ effectif (pièces 19 et 20 de l'employeur),

- des justifications avec des arrêts de travail irréguliers puisque délivrés postérieurement à leur date de début':

. un arrêt de travail délivré le 28 juillet 2020 pour un arrêt ayant commencé la veille (pièce 68 du salarié),

. un arrêt de travail délivré le 28 août 2020 pour un arrêt ayant commencé trois jours avant (pièce 69 du salarié),

- des absences sans motif :

. du 6 au 10 août,

. du 24 septembre jusqu'à la rupture de son contrat de travail, le dernier arrêt de travail dont il se prévaut s'achevant le 23 septembre (sa pièce 69).

En outre, M. [L] n'a pas déféré aux mises en demeure de son employeur des 26 août et 12 octobre, de justifier de ses absences (pièces 3 et 4 de l'employeur).

Au regard des pièces versées aux débats, ces manquements sont matériellement établis.

En définitive, ces faits imputables au salarié constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, en ce qu'ils démontrent l'absence de prise en compte par le salarié des contraintes organisationnelles pesant sur l'entreprise et en ce qu'ils sont récurrents, aboutissant à un blocage total de la situation.

Sur les nullités

M. [L] soutient que son licenciement n'est pas seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse, qu'il est avant tout nul puisque le code du travail proscrit fermement toute sanction qui interviendrait en raison de l'état de santé du salarié conformément aux dispositions de l'article L. 1132-4 du code du travail, tout comme il proscrit toute sanction qui interviendrait en raison de représailles.

Il soutient qu'en l'espèce, il est parfaitement établi par les pièces du dossier que son licenciement est lié à son état de santé, puisque le fait générateur du licenciement est le certificat d'inaptitude physique au titre de l'habilitation du personnel à des tâches essentielles de sécurité autre que la conduite des trains du 8 juin 2020 et que la procédure de licenciement a été diligentée comme par hasard immédiatement après la réception, par la société ETF, de sa lettre de mise en demeure du 3 novembre 2020.

La société ETF rétorque qu'elle peine à comprendre comment l'employeur aurait pu agir en représailles d'une action judiciaire inexistante à la date de la décision.

Elle considère que M. [L] ne peut prétendre que la décision de rompre son contrat de travail aurait été arrêtée du fait de son état de santé, puisqu'il a été démontré qu'en réalité, son licenciement est parfaitement justifié par ses multiples refus de se présenter à un examen médical obligatoire, étant rappelé que celui-ci n'a été licencié ni en raison des résultats de ses examens médicaux, ni des conclusions du docteur [V] en date du 8 juin 2020 qu'il n'a d'ailleurs pas contestées mais de ses refus réitérés de justifier, dans les délais impartis, ses différentes absences.

L'article L. 1132-4 du code du travail, invoqué par le salarié, dispose': «'Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre ou du II de l'article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est nul.'»

Concernant l'état de santé

L'article L. 1132-1 du code du travail dispose': «'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.'»

Les explications lacunaires de M. [L] ne permettent pas de retenir que celui-ci invoque à proprement parler une discrimination en raison de son état de santé, étant rappelé comme l'a fait l'employeur que le salarié n'a été licencié ni en raison des résultats de ses examens médicaux, ni des conclusions du médecin agrée.

En tout état de cause, il ne présente, à l'appui de sa demande, aucun élément qui laisserait supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'état de son état de santé, de sorte qu'il y a lieu d'écarter cette prétention.

Concernant les représailles

L'article L. 1134-4 du code du travail dispose': «'Est nul et de nul effet le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce salarié ou en sa faveur, sur le fondement des dispositions du chapitre II, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur en raison de cette action en justice. Dans ce cas, la réintégration est de droit et le salarié est regardé comme n'ayant jamais cessé d'occuper son emploi.

Lorsque le salarié refuse de poursuivre l'exécution du contrat de travail, les dispositions de l'article L. 1235-3-1 sont applicables.'»

Le seul fait que la procédure de licenciement a été engagée quelques temps après la réception du courriel dans lequel M. [L] a émis des griefs à l'encontre de son employeur ne fait pas présumer que le licenciement procède d'une atteinte à la liberté d'agir en justice et le salarié n'allègue aucune autre circonstance précise à l'appui de sa prétention de nature à conclure à la nullité du licenciement.

Les nullités étant écartées et le licenciement pour faute grave dit bien fondé, il y a lieu de débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes contraires, par confirmation du jugement entrepris.

M. [L] sollicite l'allocation d'une somme de 13 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier, professionnel et moral subi par la perte de son emploi et des conditions pour le moins brutales et particulièrement vexatoires entourant la rupture du contrat de travail.

L'indemnisation du préjudice invoqué consécutif à la perte de son emploi est nécessairement écartée, du fait du rejet de la contestation de son licenciement.

Concernant les conditions brutales et vexatoires qui auraient accompagné la rupture de son contrat de travail, M. [L] n'étaye pas sa demande et ne produit aucune pièce utile de nature à établir une faute de l'employeur à ce sujet ou un préjudice spécifique.

Il sera en conséquence débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

M. [L] reproche à son employeur de ne pas lui avoir fourni de travail et de ne pas l'avoir affecté temporairement sur des tâches annexes pendant la période allant du 8 juin 2020 au 4 décembre 2020.

Il formule une demande de rappel de salaires outre les congés payés afférents et une demande de dommages-intérêts.

La société ETF s'oppose à ces demandes, faisant valoir que le salarié ne peut prétendre à un rappel de salaire durant les périodes au cours desquelles il bénéficiait soit d'un arrêt de travail, soit de congés payés, et il était normalement rémunéré et, pour le reste, elle oppose que M.'[L] ne s'est pas tenu à la disposition de son employeur.

La société ETF justifie qu'entre le 4 juin et le 4 décembre 2020, M. [L] a bénéficié':

- d'une rémunération normale :

. du 8 au 22 juin 2020,

. du 1er au 20 juillet 2020,

- d'arrêts de travail :

. du 23 au 26 juin 2020,

. du 21 juillet au 11 août 2020,

. du 25 août au 23 septembre 2020,

- de congés payés :

. du 12 au 24 août 2020.

Il est rappelé que le salarié qui bénéficie d'un arrêt de travail ne peut prétendre au versement de son salaire puisqu'il n'est pas en mesure de travailler. Par ailleurs, M. [L] ne peut réclamer un rappel de salaires pour les périodes au titre desquelles il a été normalement rémunéré, ni pendant les périodes de vacances au titre desquelles il a bénéficié de ses congés payés.

En définitive, M. [L] n'a pas bénéficié d'une rémunération du 27 juillet au 10 août puis à compter du 25 août 2020 jusqu'à son licenciement.

La société ETF soutient avec pertinence que M. [L] ne s'est pas tenu à la disposition de l'entreprise puisque celui-ci indique lui-même dans son curriculum vitae qu'il travaille chez Colas depuis septembre 2020 (pièce 23 de l'employeur), le 28 août 2020, il a proposé de démissionner tout en sollicitant un entretien, tentant manifestement de négocier son départ, et auparavant, il n'a pas répondu aux sollicitations de son supérieur hiérarchique qui cherchait à savoir s'il était en arrêt ou s'il était disponible pour une mission (pièces 12 et 13 de l'employeur).

Dans ces conditions, M. [L] sera débouté de sa demande de rappel de salaires, par confirmation du jugement entrepris.

Il sera également débouté de sa demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, motif pris que l'entreprise ne lui a pas fourni de travail sur cette période.

En effet, M. [L] a bénéficié de plusieurs arrêts de travail sur les périodes pendant lesquelles il ne pouvait pas travailler et il n'était manifestement pas à la disposition de son employeur puisqu'il ne justifiait pas de ses absences et a retrouvé un emploi en septembre 2020, alors que son contrat de travail avec ETF n'était pas encore rompu.

M. [L] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts par confirmation du jugement entrepris.

Sur le rappel d'indemnité de congés payés

M. [L] sollicite un solde d'indemnité de congés payés à hauteur de 2 197,96 euros au motif que son salaire de référence aurait été minoré, du fait la non-prise en compte des indemnités de petits et de grands déplacements qu'il a perçues durant sa période d'activité tandis que la société ETF s'oppose à la demande.

Il est constant que les indemnités de petits et de grands déplacements, qui correspondent à des remboursements forfaitaires de frais, n'ont pas à être intégrées dans l'assiette de calcul des congés payés (Cass. soc. 11 janvier 2017, 15-23.341).

Par ailleurs, l'employeur justifie que M. [L] a bénéficié de 11 jours de congés payés durant le mois d'août 2020 et de 6 jours réglés par la caisse des congés payés, selon attestation de la caisse nationale des entrepreneurs de travaux publics du 10 novembre 2021 (pièce 14 de l'employeur), de sorte qu'il a été rempli de ses droits.

M. [L] sera débouté de cette demande par confirmation du jugement entrepris.

Sur le remboursement d'avance sur indemnités journalières

La société ETF explique que M. [L] n'a pas adressé ses arrêts de travail à la CPAM de sorte qu'elle n'a pu obtenir le remboursement des sommes versées à titre d'avance sur les indemnités journalières, que la CPAM l'a ainsi informée que M. [L] ne lui avait pas transmis de justificatifs d'arrêt pour la période du 27 juillet au 5 août et pour la période du 25 août au 23 septembre (pièce 21 de l'employeur), que la CPAM a donc logiquement refusé de lui rembourser les avances sur indemnités journalières qu'elle avait versées au demandeur sur cette période, qu'en conséquence, à son départ de l'entreprise, M. [L] était débiteur de la somme de 1 367,59 euros à son égard, comme le démontre son solde de tout compte (pièce 39 du salarié).

M. [L] conteste cette demande. Il fait valoir que la société ETF n'avait pas transmis à la CPAM les attestations de salaire afin de lui permettre de percevoir les indemnités journalières. Il ne justifie toutefois pas de cette allégation, l'échange qu'il produit avec la CPAM à ce sujet faisant état, non pas d'une attestation de salaire manquante, mais de l'absence de réception et d'enregistrement d'une prolongation d'arrêt de travail pour la période du 25 juillet au 5 août 2020 (pièce 76 du salarié).

Au vu des justificatifs produits, la demande apparaît bien fondée, il y sera en conséquence fait droit, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [L] au paiement des dépens et à verser à la société ETF une somme de 50 euros au titre des frais irrépétibles.

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, M. [L], qui succombe en son recours, supportera les dépens tels qu'ils sont définis par l'article 695 du même code.

M. [L] sera en outre condamné à payer à la société ETF une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 500'euros et sera débouté de sa propre demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Chartres le 10 février 2022,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [H] [L] au paiement des dépens d'appel,

CONDAMNE M. [H] [L] à payer à la SAS ETF une somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [H] [L] de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-2
Numéro d'arrêt : 22/00831
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.00831 ?
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