COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 38G
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 JUIN 2024
N° RG 23/07938 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WGV7
AFFAIRE :
[R] [P]
C/
S.A. LA BANQUE POSTALE
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 18 Août 2023 par le Président du TJ de NANTERRE
N° RG : 22/02993
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 27.06.2024
à :
Me Ghislaine MAZZEI-BEAUGRAND, avocat au barreau de VERSAILLES (688)
Me Isabelle TOUSSAINT, avocat au barreau de VERSAILLES (249)
Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT, avocat au barreau de VERSAILLES (629)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [R] [P]
représenté par Madame [X] [P].
né le [Date naissance 1] 1929 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentant : Me Ghislaine MAZZEI-BEAUGRAND, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 688 - N° du dossier E0003C33
Ayant pour avocat plaidant Me Olivier BEAUGRAND, du barreau de Paris
APPELANT
****************
S.A. LA BANQUE POSTALE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
N° SIRET : 421 100 645
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Isabelle TOUSSAINT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 249
Ayant pour avocat plaidant Me Sandrine DOREL, du barreau de Paris
S.A.S.U. SECRET GARDEN
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
N° SIRET : 819 258 666
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 - N° du dossier 20230616
Ayant pour avocat plaidant Me Audrey CHELLY SZULMAN, du barreau de Paris
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Juin 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Le 6 juin 2022, M. [R] [P] a émis un chèque d'un montant de 14 500 euros tiré sur le compte qu'il détient auprès de la société BNP Paribas en paiement d'un lingotin de 250 g d'or acquis auprès de la S.A.S.U. Secret Garden.
Le 28 juillet 2022, la banque de cette dernière l'a informé que le chèque ne pouvait être encaissé faute de provision suffisante. Le 18 août 2022, elle l'informait qu'il ne pouvait être encaissé en raison d'une opposition pour perte.
Le 29 juillet 2022, M. [P] a émis un second chèque d'un montant identique, tiré sur un compte détenu auprès de la s.a. La Banque Postale. Le 23 août 2022, la banque de la société Secret Garden l'informait que ce chèque ne pouvait être encaissé en raison d'une opposition pour vol.
Par acte des 1er et 7 décembre 2022, la société Secret Garden a fait assigner en référé M. [P] et la société La Banque Postale aux fins d'obtenir principalement :
- la mainlevée de l'opposition au paiement du chèque du 29 juillet 2022,
- la condamnation de M. [P] au paiement de la somme de 14 500 euros à titre de provision à valoir sur le paiement des sommes dues, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- la condamnation de M. [P] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance contradictoire rendue le 18 août 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- mis à la charge de M. [P] la somme de 14 500 euros à payer à la société Secret Garden à titre de provision à valoir sur le paiement du lingotin acquis en juin 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2022,
- débouté la société Secret Garden du surplus de ses demandes,
- débouté M. [P] de sa demande d'injonction,
- débouté la société la banque postale de sa demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- mis à la charge de M. [P] les entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 24 novembre 2023, M. [P] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- débouté la société Secret Garden du surplus de ses demandes,
- débouté la société la banque postale de sa demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 27 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [P] demande à la cour, au visa des articles 564 du code de procédure civile, 414-1, 494-1 et suivants, 464, 901, 1101 et 1128 du code civil, de :
'- déclarer M. [R] [P] recevable et bien fondé en son appel et ses demandes,
- débouter la société Secret Garden de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- débouter la société Banque Postale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer ou réformer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre en date du 18 août 2023 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau :
- juger qu'il existe des contestations sérieuses s'opposant aux demandes formées par la société Secret Garden ;
- en conséquence juger n'y avoir lieu à référé
- condamner la société Secret Garden à payer à M. [R] [P] une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Secret Garden aux dépens.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 2 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Banque Postale demande à la cour, au visa de l'article L. 131-35 du code monétaire et financier, de :
'- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande d'injonction,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de mainlevée de l'opposition du chèque litigieux ne pouvant plus donner lieu à encaissement pour avoir été émis il y a plus d'un an et 8 jours,
- condamner M. [R] [P] ou toute partie qui succombera à payer à La Banque Postale la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les
dépens.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 2 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Secret Garden demande à la cour, au visa des articles L. 131-35 du code monétaire et financier, 1101, 1102, 1103, 1104, 1147, 1194, 1342, 1343-2 du code civil, 699 et 700 du code de procédure civile, de :
'- confirmer l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre
en conséquence :
- déclarer M. [P] irrecevable en sa demande d'infirmation de l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre,
- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [P] à payer à la société Secret Garden, à titre de provision, la somme de 14 500 euros avec intérêt au taux légal à compter du 7 décembre 2022,
- ordonner la mainlevée de l'opposition au chèque n°2559002 en date du 29 juillet 2022 d'un montant de 14 500 euros opposable à la Banque Postale.
y ajoutant,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner M. [P] à payer à la société Secret Garden la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner M. [P] aux entiers dépens de la présente instance.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
sur la recevabilité des demandes de M. [P]
M. [P] indique que par jugement du 17 août 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Courbevoie a habilité Mme [X] [P], sa fille unique, à le représenter d'une manière générale.
Il fait valoir que cette mise en place d'une habilitation familiale doit être considérée comme postérieure à l'ordonnance attaquée datée du 18 août 2023, puisque l'audience devant le premier juge a eu lieu le 4 juillet 2023 et soutient qu'il s'agit de circonstances rendant recevables ses demandes formées devant la cour, soulignant que Mme [P] n'était pas partie dans la procédure de première instance.
La société Secret Garden invoque l'irrecevabilité des demandes de M. [P] au motif que les circonstances (plainte contre l'auxiliaire de vie, documents médicaux, dépôt de la demande d'habilitation) qu'il invoque sont en réalité toute antérieures à l'ordonnance attaquée
Elle souligne qu'à l'audience du 4 juillet 2023, M. [P], qui était représenté par un avocat, ne contestait pas être l'auteur du chèque mais réfutait toute opposition.
Sur ce,
En application de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Cependant, l'article 566 du code de procédure civile prévoit que les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.
En l'espèce, le jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Courbevoie habilitant Mme [P] pour représenter d'une manière générale son père pour l'ensemble des actes relatifs à ses biens datant du 17 août 2023, alors que l'audience devant le juge des référés avait eu lieu le 4 juillet précédent, c'est à juste titre que l'appelant fait valoir que cet élément constitue un fait nouveau justifiant la recevabilité de ses demandes nouvelles en appel, étant souligné que Mme [P] n'était pas partie en première instance.
sur la demande de provision
M. [P] affirme que Mme [K], son ancienne auxiliaire de vie lui a 'soutiré' plusieurs chèques, dont l'un émis le 6 juin 2022 d'un montant de 14 500 euros, qu'elle a remis à la société Secret Garden en paiement d'un lingotin d'or.
Arguant de l'existence d'une contestation sérieuse, l'appelant soutient que cette vente, conclue en fraude de ses droits puisque ses facultés physiques et mentales étaient altérées, encourt la nullité, précisant que la société Secret Garden est un tiers complice qui ne pouvait ignorer son absence de consentement.
Il indique que, dès qu'elle aura obtenu l'autorisation du juge des tutelles en ce sens, Mme [P] intentera l'action en nullité de cette vente.
La société Secret Garden affirme que, dès lors que le motif déclaré de l'opposition au chèque a été sciemment mensonger, l'opposition se trouve dépourvue de fondement et sa mainlevée doit être ordonnée.
Elle sollicite la condamnation provisionnelle de M. [P] à lui verser la somme de 14 500 euros correspondant au montant du chèque, faisant valoir en premier lieu qu'il existe un risque que le chèque faisant l'objet de l'opposition se trouve sans provision, en deuxième lieu que son obligation n'est pas sérieusement contestable puisque M. [P] a reconnu voir émis les deux chèques en paiement du lingotin et être redevable de son prix, en troisième lieu que l'appelant ne faisait l'objet d'aucune mesure de protection au jour de la vente et en quatrième lieu que la durée de validité du chèque est expirée et qu'elle ne pourra donc plus l'encaisser.
L'intimée fait valoir que la plainte déposée par Mme [P] à l'encontre de l'auxiliaire de vie lui est inopposable, qu'elle n'a aucun lien avec Mme [K] et que le seul fait que la vente ait été conclue dans les deux ans précédant le placement sous habilitation familiale ne peut suffire à faire naître une contestation sérieuse. Elle souligne qu'à supposer même qu'une action en nullité du contrat soit introduite, elle impliquerait la restitution du lingotin, ce qui n'est pas proposé.
La Banque Postale, précisant que M. [P] ne formule aucune demande à son encontre, sollicite en tant que de besoin la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté M. [P] de sa demande d'injonction.
Elle rappelle qu'en sa qualité de banquier tiré, elle n'a pas à vérifier la réalité du motif légal invoqué par le client à l'appui de son opposition à paiement d'un chèque dès lors que l'opposition est fondée sur un motif légal, et souligne qu'en tout état de cause, le chèque litigieux aurait fait l'objet d'un rejet pour insuffisance de provision.
Elle fait valoir que la mainlevée de l'opposition ne peut plus être ordonnée dès lors que le chèque a été émis depuis plus d'un an et 8 jours.
Sur ce,
L'article L. 131-35 du code monétaire et financier dispose que : « Il n'est admis d'opposition au paiement par chèque qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse du chèque, de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires du porteur. Le tireur doit immédiatement confirmer son opposition par écrit, quel que soit le support de cet écrit (...)
Si, malgré cette défense, le tireur fait une opposition pour d'autres causes, le juge des référés, même dans le cas où une instance au principal est engagée, doit, sur la demande du porteur, ordonner la mainlevée de l'opposition ».
Il ressort des pièces produites par la société Secret Garden que :
- elle a établi le 8 juillet 2022 une facture de vente d'un lingotin d'or de 250 grammes au profit de M. [P], cette facture comportant la signature de M. [P] sous la mention manuscrite 'bon pour règlement' et l'indication que le paiement avait été réalisé par chèque ;
- un chèque de 14 500 euros daté du 6 juin 2022 lui a été remis, qui lui a été retourné avec la mention 'Défaut / insuffisance de provision' ; ce chèque a de nouveau été présenté au paiement le 2 août et il est revenu à la société Secret Garden avec la mention 'opposition pour perte' ,
- un nouveau chèque du même montant lui a été remis, daté du 29 juillet 2022, qui lui est revenu avec le motif 'opposition pour vol'.
Il appartient à la cour statuant en appel du juge des référés de vérifier la véracité du motif d'opposition, la procédure concernant le second chèque.
Outre que M. [P] avait indiqué devant le premier juge par l'intermédiaire de son avocat, qu'il contestait être l'auteur de l'opposition sans contester la licéité du paiement, il n'allègue devant la cour aucun vol du chèque litigieux. La plainte déposée par Mme [P] fait d'ailleurs état d'éventuelles manoeuvres frauduleuses de la femme de ménage (ou compagne) de M. [P] mais n'évoque pas de faits de vol.
Si l'encaissement du chèque est discuté car la cause du paiement qu'il opère est contestée, l'existence d'un vol est en conséquence exclue.
Faute d'apporter la preuve de la véracité du motif d'opposition, sa mainlevée est justifiée. Cette demande n'est cependant plus formée à hauteur d'appel, le chèque litigieux ne pouvant plus donner lieu à encaissement compte tenu de sa date d'émission.
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
En application de ce texte, le montant de la provision qui peut être allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Au regard des éléments susmentionnés, la société Secret Garden peut prétendre, de façon incontestable, au paiement de la somme de 14 500 euros correspondant à la provision du chèque, indépendamment de l'action qui pourrait être engagée par Mme [P] à l'encontre de la société Secret Garden pour nullité de la vente.
L'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a condamné M. [P] à verser cette somme à titre provisionnel à la société Secret Garden.
Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, M. [P] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens d'appel.
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance attaquée ;
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
Condamne M. [R] [P] aux dépens d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Thomas VASSEUR, président, et par Madame Élisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président