COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 78K
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 JUIN 2024
N° RG 23/07911 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WGTQ
AFFAIRE :
S.A.S. QUARKUS
C/
S.A.S. STYLE & DESIGN GROUP
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 15 Novembre 2023 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° RG : 2023R00196
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 27.06.2024
à :
Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Marc VILLEFAYOT, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. QUARKUS
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 23431
Ayant pour avocat plaidant Me Daniel ROTA, du barreau des Hauts de Seine
APPELANTE
****************
S.A.S. STYLE & DESIGN GROUP
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 528 78 2 9 23
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Marc VILLEFAYOT de la SCP HADENGUE et Associés, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 - N° du dossier P2301184
Ayant pour avocat plaidnat Me Benjamin BAYI, du barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Mai 2024, Madame Marina IGELMAN, conseillère ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas VASSEUR, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Style & Design Group (la société Style & Design) a été créée en 2010 et exploite une activité d'ingénierie et d'études techniques pour création de nouveaux produits. Elle est spécialisée dans la conception et la fabrication de pièces sur mesure en série pour le compte notamment du secteur du transport.
La SAS Quarkus, start-up créée en 2020, est un constructeur automobile français, qui a pour ambition de commercialiser une voiture de course de type « supercar » hybride.
La société Style & Design et la société Quarkus ont développé des relations commerciales, la première disposant des compétences et métiers nécessaires pour la réalisation du projet de la seconde.
Ainsi, le 12 juillet 2021, la société Quarkus acceptait une proposition technique et commerciale établie par la société Style & Design concernant le prototype de véhicule 1, lequel sera présenté en novembre 2021 à l'Automobile Club de France.
Les parties allaient ensuite poursuivre leurs relations commerciales dans la cadre de la réalisation du prototype de véhicule 2, dont les contours font l'objet du présent litige.
Le 13 mars 2023, la société Style & Design a émis une facture correspondant selon elle aux prestations réalisées par ses soins au titre du développement du prototype 2 d'un montant de 359 992,44 euros HT (431 990,93 euros TTC), qu'elle a adressée le jour même à la société Quarkus, avec une échéance fixée au 12 mai 2023.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 mai 2023, la société Style & Design a mis en demeure la société Quarkus de lui régler cette facture.
La société Style & Design a obtenu, par ordonnance du 22 juin 2023 du tribunal de commerce de Versailles, l'autorisation de faire pratiquer une saisie conservatoire de meubles entre les mains de la société Quarkus en garantie de paiement pour un montant de 431 990, 93 euros.
La saisie-conservatoire a été pratiquée le 27 juillet 2023 dans les locaux de la société Quarkus.
Par acte de commissaire de justice délivré le 11 août 2023, la société Style & Design a fait assigner au fond la société Quarkus aux fins d'obtenir un titre exécutoire et la condamnation de cette dernière au paiement des sommes dues au titre de l'ensemble des créances de la société.
Par acte de commissaire de justice délivré le 31 août 2023, la société Quarkus a fait assigner en référé la société Style & Design Group aux fins d'obtenir principalement la rétractation de l'ordonnance du 22 juin 2023 et la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 27 juillet 2023 sur les biens meubles et effets appartenant à la société Quarkus et dénoncée par cette dernière le même jour, ainsi que sa condamnation au paiement de la somme de 96 800 euros en réparation du préjudice subi.
Par ordonnance contradictoire rendue le 15 novembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a :
- débouté la société Quarkus de toutes ses demandes,
- condamné la société Quarkus à payer à la société Style & Design Group la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Quarkus aux entiers dépens de l'instance dont les frais de greffe qui s'élèvent à la somme de 40,66 euros.
Par déclaration reçue au greffe le 23 novembre 2023, la société Quarkus a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans ses dernières conclusions déposées le 19 avril 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Quarkus demande à la cour, au visa des articles L.511-1, L.512-2 et R. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, de :
'- infirmer l'ordonnance du 15 novembre 2023 (RG n° 2023R00196) en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau,
in limine litis,
- rejeter l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la société Style & Design,
au fond,
- juger que la créance revendiquée par la société Style & Design Group ne paraît pas fondée en son principe ;
- juger que la société Style & Design Group ne rapporte pas la preuve de circonstance susceptible de menacer le recouvrement de la créance revendiquée ;
- juger que la saisie-conservatoire des meubles appartenant à la société Quarkus pratiquée et dénoncée le 27 juillet 2023 lui a causé un préjudice de 96 800 euros ;
en conséquence,
- rétracter l'ordonnance du 22 juin 2023 (RG n°202300232) ayant autorisé la société Style & Design Group à pratiquer des saisies conservatoires sur les biens meubles et effets appartenant à la société Quarkus ;
- ordonner, au frais de la société Style & Design Group, la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 27 juillet 2023 sur les biens meubles et effets appartenant à la société Quarkus et dénoncée à cette dernière le même jour ;
- condamner la société Style & Design Group à régler à la société Quarkus la somme de 96 800 euros en réparation du préjudice subi ;
en tout état de cause :
- rejeter toutes prétentions adverses ;
- condamner la société Style & Design Group à régler à la société Quarkus la somme de 20 000
Dans ses dernières conclusions déposées le 4 avril 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Style & Design Group demande à la cour, au visa des articles 73, 74, 75 du code de procédure civile, L. 512-2 alinéa 2, R.512-3
L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, de :
'in limine litis,
- se déclarer incompétente au profit du juge de l'exécution siégeant au tribunal judiciaire de Versailles s'agissant de la demande de réparation du préjudice allégué à raison de l'exécution prétendument dommageable de la saisie conservatoire de meubles pratiquée au siège social de la société Quarkus,
à titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 15 novembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Versailles (RG n° 2023R00196),
à titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où par extraordinaire, la cour d'appel de Versailles infirmerait l'ordonnance du 15 novembre 2023, rétracterait l'ordonnance sur requête du 22 juin 2023, ordonnerait la mainlevée de la saisie conservatoire de meubles et se reconnaîtrait compétente pour connaître de la demande indemnitaire formulée par la société Quarkus
- débouter la société Quarkus de sa demande de sa demande de condamnation de la société Style & Design Group à lui payer la somme de 96 800 euros en réparation des préjudices allégués,
en toute hypothèse,
- débouter plus généralement la société Quarkus de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la société Quarkus à payer à la société Style & Design Group la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance d'appel.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête et de mainlevée de la saisie conservatoire :
La société Quarkus relate qu'elle a conclu avec la société Style & Design un contrat de prestations de service classique dans le cadre de la réalisation du prototype de véhicule 1, à la différence du partenariat dont elles sont convenues à l'occasion de la réalisation du prototype de véhicule 2 pour lequel la société Style & Design devait apporter ses ressources humaines et ses moyens pour l'assister dans le design extérieur et intérieur du véhicule, en contrepartie de quoi elle apportait à l'intimée un transfert et une montée en compétences pour lui permettre d'obtenir une qualification, ainsi que la communication sur le son projet, comme cela résulte du courriel qu'elle a adressé le 3 février 2022.
Elle fait valoir qu'aucune contrepartie financière n'était donc prévue puisque la société Style & Design s'était engagée à prendre à sa charge ses prestations (et les faire éventuellement financer en partie par différents mécanismes comme le Crédit Recherche Impôt), en se référant aux mails des 20 et 26 décembre 2021, et précise s'être acquittée de ses engagements.
Elle explique que les premières tensions entre les parties sont survenues en août 2022, lorsque la société Style & Design s'est mise à surévaluer ses prestations et à cesser de les exécuter, et qu'en faisant volte-face, l'intimée lui a réclamé l'émission d'un bon de commande, demande à laquelle elle n'a pas déféré en l'absence d'accord.
Elle fait valoir que nonobstant ses engagements, la société Style & Design n'a pas procédé au dépôt de son dossier en vue d'obtenir un financement par le biais du CIR pour l'exercice 2022, ce pourquoi elle lui a adressé la facture d'un montant de 359 992,44 euros.
Elle sollicite l'infirmation de l'ordonnance dont appel entendant démontrer que la créance revendiquée n'est pas fondée en son principe et que la société Style & Design ne rapporte pas la preuve de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
En premier lieu, elle entend démontrer l'absence de contrepartie financière au profit de la société Style & Design alors qu'elle a de son côté exécuté les engagements résultant du partenariat.
Elle insiste sur le fait que si un contrat de prestation de services a été formalisé pour le prototype de véhicule 1, aux termes de deux propositions techniques et commerciales, seul un partenariat a été prévu pour le prototype de véhicule 2, dont les termes sont précisés dans un courriel de son dirigeant du 3 février 2022.
Elle indique que l'intimée s'était engagée à prendre à sa charge ses prestations et espérait par ailleurs les faire financer en partie par le mécanisme de CIR, à hauteur de 100 000 sur l'exercice 2021 et 250 000 euros sur l'exercice 2022 ; que dans ce cadre, la société Style & Design lui a imposé M. [B] et que les relations se sont compliquées lors du chiffrage détaillé des prestations de la société Style & Design pour obtenir le crédit d'impôt ; que pour des raisons incompréhensibles, la société Style & Design n'a finalement pas procédé au dépôt de ce dossier pour l'exercice 2022 et a tenté d'obtenir le financement contractuel à la place, en émettant une facture frauduleuse ; qu'elle a ensuite imaginé lui imputer un comportement déloyal avec le recrutement de M. [G], qui avait démissionné et était dans une recherche active d'emploi auprès de plusieurs structures.
Elle conteste avoir jamais donné son accord sur le règlement de la facture litigieuse, et relève qu'un tel accord ne saurait résulter d'une note de frais et d'une photographie d'un dîner.
Pour preuve que la société Style & Design était parfaitement consciente que sa facture n'était pas fondée, l'appelante fait observer que postérieurement à son émission l'intimée l'a sollicitée pour l'élaboration de son dossier CIR. Elle précise que l'attestation de M. [B] ne suffit pas à contrer le fait que le président de la société Style & Design est en copie du mail et qu'aux termes de son propre courriel du 14 avril 2023, il ressort qu'elle n'a pas apporté de réponse au mail de M. [B] suite à l'annulation sans fondement de leur partenariat.
Elle fait observer que la juridiction des référés a d'ailleurs confirmé sa thèse dans la mesure où elle a entériné qu'elle « apporte des éléments sérieux de contestation sur la validité de la créance revendiquée par la société Style & Design », mais n'en a pas tiré les conséquences, alors que la jurisprudence retient qu'une contestation sérieuse doit entraîner la rétractation de l'autorisation de procéder à la saisie-conservatoire.
En deuxième lieu, l'appelante soutient que la société Style & Design, à qui incombe la charge de la preuve, ne démontre pas de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa prétendue créance.
Elle rappelle que le refus de payer ne saurait caractériser une menace sur le recouvrement ; qu'elle a réglé l'ensemble des factures précédemment dues pour un total de 207 000 euros ; qu'elle présente une situation financière satisfaisante et un actif assez important en comparaison de la créance revendiquée ; qu'elle a réussi une 1ère levée de fonds en 2022 et en prévoit une 2ème en 2024 pour 5 millions d'euros ; qu'elle a déjà vendu 10 voitures de préséries à hauteur de 125 000 euros HT chacune.
Elle indique qu'elle dispose de près de 410 000 euros de fonds propres et a réalisé un chiffre d'affaires de 1 350 000 euros en 2022 et de 1 300 000 euros en 2023.
S'agissant du « rapport complet officiel du 22 janvier 2024 », elle fait valoir qu'elle a depuis reconstitué sa trésorerie ; qu'au 21 juillet 2023, la notation retenue était de 8, soit un risque « modéré », ce qui ne saurait caractériser une menace sur le recouvrement.
Dans son rappel des faits et de la procédure, la société Style & Design, intimée, relate quant à elle que suite au partenariat conclu pour le prototype 1 avec facturation de ses prestations à la société Quarkus, elle a accepté dans un premier temps d'avancer sur la mise au point du prototype 2 et d'engager des frais, notamment de R&D (recherche et développement) et de jours/hommes sans disposer d'un bon de commande, dans un esprit de confiance avec son partenaire, mais que du fait de l'importance des frais engagés sur le développement de ce prototype 2, dépassant 300 000 euros, elle a mis en demeure l'appelante de régulariser la situation en émettant un bon de commande par courriel du 7 octobre 2022.
Elle fait valoir qu'après une rencontre entre les dirigeants respectifs des sociétés, la facturation à hauteur de 359 992,44 euros pour laquelle elle a ensuite émis une facture, a été convenue, mais non payée, justifiant la mesure de saisie-conservatoire.
Elle entend ainsi démontrer le bien fondé de la saisie autorisée par l'ordonnance du 22 juin 2023 et demande la confirmation de l'ordonnance du 15 novembre 2023 en ce qu'elle a rejeté les demandes de rétractation de l'ordonnance sur requête et de mainlevée de la saisie-conservatoire.
Sur la première condition tenant à l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe, elle insiste sur le fait que seul le caractère vraisemblable d'un principe de créance doit être vérifié, sans qu'il soit exigé que la créance soit certaine, ni même non sérieusement contestable, ces éléments devant être appréciés par le tribunal qu'elle a par ailleurs saisi au fond.
Elle considère que le premier juge a fait une juste application de ces règles en retenant que « même si la SAS Quartus apporte des éléments sérieux de contestation sur la validité de la créance revendiquée par la SAS Style & Design Group, seule l'instance engagée au fond le 11 août 2023 pourra en déterminer la réalité ».
Elle relève que l'appelante tente de donner du crédit à sa posture en communiquant de nombreux échanges intervenus au cours de l'année 2022 concernant la mise en 'uvre du développement du prototype 2, sur lesquels elle n'entend pas revenir en détail puisque postérieurement à ceux-ci, les parties ont décidé début 2023 de modifier leur accord et de prévoir un paiement direct des coûts des développements réalisés par elle, nouvel accord qui a justement conduit à l'émission de la facture désormais contestée.
Elle indique que les parties étaient convenues dans un premier temps que les coûts de ses prestations seraient financés via le crédit impôt recherche (le CIR), et que les coûts dépassant l'enveloppe de 250 000 euros devaient être pris en charge par le biais d'une subvention accordée par le Comité d'orientation pour la recherche automobile et mobilité (le CORAM).
Elle prétend que le dirigeant de la société Quarkus s'est ensuite rétracté oralement, ce pourquoi elle l'a mise en demeure de régulariser un bon de commande le 7 octobre 2022.
Elle conteste que les tensions apparues entre elles fin 2022 soient dues à un suivi erratique de la part d'un de ses anciens salariés, M. [C] [S].
En toute hypothèse, l'intimée fait valoir que les échanges dont argue l'appelante sont tous antérieurs au nouvel accord qui a prévalu entre les parties à compter du 9 mars 2023.
Elle précise avoir bien déposé une demande de CIR 2021 le 23 mai 2022 et que si elle ne l'a pas fait au titre de l'année 2022, c'est que ces demandes doivent être déposées en mai de l'année suivante, alors qu'en avril 2023, elle avait rompu le partenariat avec la société Quarkus.
Elle indique que c'est à la suite d'un rendez-vous sous forme de dîner organisé le 9 mars 2023 que l'accord est intervenu et qu'elle a émis la facture litigieuse, transmise au dirigeant de la société Quarkus lequel n'a émis aucune protestation à cette occasion.
Pour preuve de l'existence de ce rendez-vous, elle indique qu'elle communique une note de frais et une photographie prise le soir même.
Elle expose que c'est par pure posture, après qu'elle a découvert le débauchage par la société Quarkus de son chef designer et qu'elle a en conséquence dénoncé le partenariat par courrier du 21 avril 2023, que le dirigeant de la société Quarkus a prétendu par un courriel du 25 avril suivant qu'aucune somme ne lui serait due.
S'agissant de la prétendue élaboration par ses soins d'un dossier CIR postérieurement à l'emission de la facture, elle précise démontrer en versant une attestation que c'est M. [B], consultant externe, qui en a pris l'initiative, dans l'ignorance de la rupture du leur partenariat.
Sur la condition de la saisie tenant à l'existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance, elle met en avant le fait que :
- la société Quarkus ne justifie pas de sa prétendue situation financière suffisante, alors que la saisie de ses avoirs bancaires ne représente qu'un montant de 253 384,82 euros, inférieur à sa créance,
- selon les déclarations de l'appelante elle-même, ladite saisie aurait abouti à « l'immobilisation de l'ensemble de [sa] trésorerie »,
- l'attestation de l'expert-comptable de la société Quarkus ne mentionne pas la date à laquelle la situation nette est arrêtée, alors que selon ce même document, le chiffre est communiqué « sans tenir compte du résultat déficitaire depuis le 1er janvier 2023, outre que cette attestation ne dit rien de la situation actuelle de l'appelante,
- la nouvelle attestation par laquelle elle entend démontrer le solde suffisant de son compte bancaire est parcellaire, tandis que la position de trésorerie à un moment ne permet pas de s'assurer de la santé financière d'une entreprise et alors qu'elle n'est corroborée par aucun relevé bancaire,
- la société Quarkus ne communique pas son bilan 2022 ni celui de 2023,
- la déloyauté dont l'appelante a fait preuve en débauchant M. [E] [G] n'est pas de nature à rassurer sur ses capacités,
- elle n'a pas payé la facture litigieuse, tandis que celles précédemment acquittées étaient de montants bien inférieurs,
- le « rapport complet officiel & solvabilité » établi le 22 janvier 2024 par le site internet societe.com fait apparaître un score de solvabilité 7 D,
- la société Quarkus présente aux Etats-Unis sa P3, ce qui constitue un pari osé et inquiétant.
Sur ce,
L'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose dans son premier alinéa que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ».
L'article L. 512-1 du même code précise quant à lui que le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L. 511-1 ne sont pas réunies.
L'article R. 512-1 de ce code prévoit que :
« Si les conditions prévues aux articles R. 511-1 à R. 511-8 ne sont pas réunies, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure à tout moment, les parties entendues ou appelées, même dans les cas où l'article L. 511-2 permet que cette mesure soit prise sans son autorisation.
Il incombe au créancier de prouver que les conditions requises sont réunies. »
Le créancier, sur qui repose la charge de la preuve, doit ainsi justifier, d'une part, d'une créance paraissant fondée en son principe, d'autre part, de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Par ailleurs, il est de principe que pour apprécier si les conditions légales sont réunies, le juge doit se placer au jour où il statue et tenir compte des faits postérieurs à l'ordonnance ayant autorisé la mesure conservatoire (voir notamment 2e Civ., 24 septembre 2015, pourvoi n° 14-19.601 ; 2e Civ., 28 juin 2006, pourvoi n° 04-18.598 ; 2e Civ., 12 janvier 1994, pourvoi n° 92-14.605).
Concernant la première condition, il ressort d'une jurisprudence constante que le requérant n'a pas à justifier d'un principe certain de créance mais seulement d'une créance paraissant fondée en son principe, soit d'une apparence de créance.
Au cas d'espèce, la société Style & Design soutient qu'elle détiendrait un principe de créance à l'égard de la société Quarkus, qui reposerait sur la facture d'un montant de 359 992,44 euros HT qu'elle a émise et adressée le 13 mars 2023, en vertu de l'exécution de prestations réalisées dans le cadre d'un contrat conclu au cours de l'année 2022, dont les termes auraient été modifiés d'un commun accord des parties au début de l'année 2023.
Selon le 1er alinéa de l'article 1113 du code civil, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager.
L'article 1172 du même code précise que les contrats sont par principe consensuels.
En matière commerciale, il découle de l'article L. 110-3 du code de commerce que la preuve peut se faire par tous moyens.
La rencontre des volontés et la formation du contrat concernant le prototype du véhicule 2 s'évincent :
- du courriel du 20 décembre 2021 adressé par M. [M] [L] de la société Quarkus à M. [Z] [R] de la société Style & Design, dans lequel il détaille les modalités possibles du partenariat, en en résumant ainsi le principe : « Quarkus transfert (sic) des compétences/technologies gratuitement à SD pour un faire un fournisseur privilégié (financement CIR pour SD). En contrepartie SD accompagne gratuitement Quarkus pour la réalisation du P2. »,
- du courriel du 26 décembre 2021 adressé par M. [R] à M. [L], dans lequel il indique : « Tu as raison concernant l'intérêt et la motivation pour développer P2 puis la fabrication des pièces série et monter un Quarkus Exclusive. C'est pour cela qu'on te fait « cadeau » de 350 keuros de prestations qu'on va essayer de compenser par du CIR, avec le risque fiscal associé en cas de contrôle et le fait que cela dégrade notre compte de résultat puisque les charges seront dans l'EBIT et le CIR en bas en face de l'IS. Il me semble que c'est une belle valorisation et un beau coup de pouce à ton projet ! J'ai bien le sentiment de nous inscrire en partenaire actif ! (') Aller au-delà ne serait absolument pas raisonnable, compte tenu de notre économie et de la situation qui reste très fragile. Dis-moi si on converge ou pas ' si oui on signe un MOU et on monte vite une réunion avec notre expert CIR pour confirmer l'éligibilité des sujets. »,
- du courriel de M. [L] adressé à la société Style & Design le 3 février 2022, dans lequel il présente dans un tableau un récapitulatif du partenariat entre les 2 sociétés, aux termes duquel il apparaît que la société Style & Design serait financée par le crédit impôt recherche, et qui indique en introduction : « Suite à notre point chez Quarkus, nous sommes donc alignés sur le mode de partenariat sd/Quarkus. Il reste à le formaliser et à le manager. »,
- le courriel de M. [R] de la société Style & Design en date du 16 octobre 2022, mentionnant le dépôt d'un dossier Coram, en précisant « ce qui dépasse les 250 keuros seront couverts par le Coram et toi, répartition à définir » qui donnera lieu à un courriel d'accord de M. [L] en date du 26 octobre suivant.
S'il est manifeste que le partenariat ainsi élaboré ne sera finalement pas formalisé par écrit, il n'en demeure pas moins que les courriels ci-dessus énumérés, caractérisant la rencontre de volonté des parties et la formation d'un contrat entre elles, ont été suivis de multiples échanges sur l'élaboration des dossiers CIR pour les années 2021 et 2022 (mails de M. [B] chargé de la constitution des dossiers CIR du 17 janvier 2022, 13 et 18 mars 2022, 10 avril 2022, 6 mai 2022, 18 juillet 2022 ainsi que notamment courriel de M. [C] [S] du 30 mars 2022 de la société Style & Design qui s'intitule « point technologies CIR Quarkus »), démontrant la concrétisation du partenariat ainsi conçu.
La société Style & Design n'en disconvient d'ailleurs pas dans ses écritures dans lesquelles elle indique en page 16 : « Style & Design n'entend pas revenir sur le détail de ces échanges antérieurs relatifs au schéma initialement retenu, pour la simple raison que, postérieurement à ceux-ci, ce que Quarkus sait parfaitement, les parties ont décidé début 2023 de modifier leur accord et de prévoir un paiement direct par Quarkus des coûts des développements réalisés par Style & Design, nouvel accord qui a justement conduit à l'émission de la facture désormais contestée par Quarkus. »
Il est donc acquis qu'un contrat a été conclu entre les parties au cours de l'année 2022, aux termes duquel le financement des prestations de la société Style & Design devait se faire, au moins pour une somme de 250 000 euros, par l'obtention de crédits impôt recherche, d'un financement par le Coram et éventuellement en cas de dépassement de ce plafond, par une participation financière de la société Quarkus, mais non par un paiement direct de la part de la société Quarkus de l'intégralité des prestations de la société Style & Design.
Il découle ainsi de l'accord des parties que la société Style & Design ne démontre pas le caractère vraisemblable d'un principe de créance à hauteur de la somme de 359 992,44 euros figurant dans la facture du 13 mars 2023.
Si le principe de la force obligatoire des contrats posé à l'article 1103 du code civil n'exclut pas qu'ils puissent être modifiés, l'article 1193 du même code précise qu'ils ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties.
Or force est de constater que la société Style & Design, à qui incombe la charge de la preuve, n'apporte aucun élément de nature à démontrer que l'accord conclu aurait fait l'objet d'une modification résultant du consentement mutuel des parties.
Le fait que la société Quarkus n'ait pas réagi à la réception de la facture du 13 mars 2023, ou encore l'allégation d'un dîner en date du 9 mars précédent au cours duquel l'accord sur la modification du contrat serait intervenu, sans autre démonstration de la survenance de cet accord sur la facturation intégrale à la société Quarkus des prestations de la société Style & Design au titre du prototype 2, sont en effet des éléments dépourvus de toute force probante de l'existence d'une modification du contrat.
Dans ces conditions, il doit être retenu que la société Style & Design ne rapporte pas la preuve qu'elle détiendrait sur la société Quarkus une créance paraissant fondée en son principe.
Par voie d'infirmation, sans nécessité d'examiner si la 2e condition justifiant la saisie est remplie, il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance du 15 novembre 2023, de rétracter l'ordonnance du 22 juin 2023 et d'ordonner aux frais de la société Style & Design la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 27 juillet 2023 sur les biens meubles et effets appartenant à la société Quarkus.
A titre surabondant, il sera relevé qu'aucun élément de la situation financière de la société Quarkus ne permet de caractériser au jour où la cour statue une menace sur l'éventuelle créance de la société Style & Design.
Sur la demande indemnitaire de la société Quarkus :
Sur l'exception d'incompétence :
La société Style & Design, intimée, demande à la cour de se déclarer incompétente pour connaître de la demande de réparation fondée sur l'exécution prétendument dommageable de la mesure conservatoire, au profit du juge de l'exécution du lieu d'exécution de la mesure, à savoir le juge de l'exécution siégeant au tribunal judiciaire de Versailles.
Elle soutient qu'il résulte de la combinaison des articles R. 512-2 et R. 512-3 du code des procédures civiles d'exécution que seul le juge de l'exécution peut connaître des demandes de réparations des éventuelles conséquences dommageables d'une saisie-conservatoire qui donnerait lieu à une mainlevée, ce qui est confortée par la lecture de l'article L. 213-6 du code des procédures civiles d'exécution.
La société Quarkus appelante conteste cette analyse qu'elle considère « inédite » des textes visés et relève qu'elle ne repose sur aucune jurisprudence.
Sur ce,
Le 2e alinéa de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution édictant que lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire, il donne clairement au juge ayant prononcé la mainlevée le pouvoir et la compétence pour statuer sur la demande de réparation dans la même décision.
L'exception d'incompétence sera rejetée.
Sur le fond des demandes :
La société Quarkus sollicite l'infirmation de l'ordonnance qui a rejeté ses demandes indemnitaires, soutenant que :
- la saisie de ses meubles a immobilisé plusieurs pièces essentielles à la présentation du prototype en novembre 2023 représentant une perte de chance sur la marge espérée qui ne saurait être inférieure à la somme de 66 800 euros ;
- l'intervention du commissaire de justice lui a causé un préjudice moral à hauteur de 20 000 euros en raison de l'atteinte à la confiance de ses équipes ;
- les saisies entravent ses demandes de subventions auprès du Fonds départemental de revitalisation des Yvelines, les dossiers imposant l'absence de procédure en cours pour être éligible à une dotation de 15 000 euros, d'où il résulte une perte de chance évaluée à 10 000 euros.
La société Style & Design s'oppose à ces demandes, exposant que la saisie-conservatoire des meubles n'empêche pas la personne saisie de les utiliser ; que la société Quarkus ne communique aucun élément à l'appui de son prétendu préjudice moral, pas davantage qu'à l'appui de son allégation d'une perte de chance d'obtenir une subvention du Fonds départemental de revitalisation des Yvelines, qui n'a en outre aucun lien de causalité avec la saisie-conservatoire.
Sur ce,
Il est constant qu'il n'est pas exigé, pour l'application de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution aux termes duquel « lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire », la constatation d'une faute, seule l'existence d'un préjudice résultant de la saisie conservatoire devant être démontrée. Le préjudice doit être né de la saisie opérée.
Sur l'allégation d'une perte de chance de réaliser une marge sur la vente du prototype 3, la société Quarkus ne rapporte pas la preuve de ce que le fait que celui-ci ait été présenté en novembre 2023 « non finalisé » serait la conséquence de la saisie-conservatoire opérée par la société Style & Design, se contentant d'invoquer une impossibilité de déplacer les pièces et de procéder aux assemblages, sans corroborer ces dires par des éléments concrets.
De même, l'appelante ne démontre pas que le non dépôt d'un dossier de candidature auprès du Fonds de revitalisation des Yvelines serait lié de manière certaine au présent litige.
Les demandes de la société Quarkus au titre des préjudices de perte de chance seront en conséquence rejetées.
En revanche le principe de l'existence d'un préjudice moral, du fait de l'intervention d'un commissaire de justice au sein de la société afin de procéder à la saisie des meubles, n'est pas contestable et il convient de condamner la société Style & Design à lui verser à titre de réparation la somme de 5 000 euros.
Sur les demandes accessoires :
La société Quarkus étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société Style & Design ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Quarkus la charge des frais irrépétibles. L'intimée sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance du 15 novembre 2023,
Rétracte l'ordonnance du 22 juin 2023,
Ordonne la mainlevée aux frais de la société Style & Design de la saisie-conservatoire pratiquée le 27 juillet 2023 sur les biens meubles et effets appartenant à la société Quarkus,
Rejette l'exception d'incompétence concernant la demande indemnitaire,
Condamne la société Style & Design à verser à la société Quarkus la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Rejette le surplus des demandes,
Dit que la société Style & Design supportera les dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société Style & Design à verser à la société Quarkus la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président