COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56B
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 JUIN 2024
N° RG 23/00310 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VUBR
AFFAIRE :
[M] [P]
...
C/
S.A.S. HYACINTHE- CHARLES MOZET & DESCENDANTS-HCM&D
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2022 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° RG : 2021F00992
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Oriane DONTOT
Me Leslie LANDRIEU
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [M] [P]
née le 11 Février 1974 à [Localité 6]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 4]
S.A.R.L. LM LA VIE
RCS Nanterre n° 839 850 070
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentées par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Clémence LEMETAIS D'ORMESSON de la SCP UGGC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de Paris
APPELANTES
****************
S.A.S. HYACINTHE-CHARLES MOZET & DESCENDANTS - HCM&D
RCS Nanterre n° 809 801 954
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Leslie LANDRIEU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 152 et Me Myriam OBADIA substituant à l'audience Me Paul-Marie GAURY, Plaidant, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Mai 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
La société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants (« la société HCMD ») a pour activité la fourniture de conseils stratégiques, marketing, le management de transition et le conseil en fusion-acquisition. Elle a pour associés Mme [M] [P] et M. [N] [R] et a eu pour président Mme [P], puis M. [R] à compter d'avril 2016.
Mme [P] et M. [R] se sont mariés en 2009 et ont engagé une procédure de divorce, le 28 novembre 2018 et le 16 janvier 2019 ; Mme [P] a fait appel du jugement de divorce prononcé le 15 février 2024.
La société LM La Vie (« société LMLV ») est une société de conseil en stratégie et organisation des entreprises, communication et marketing constituée en mai 2018 par Mme [P] dont elle est la gérante et l'associée unique.
Les 31 décembre 2018, 29 octobre 2020 et 31 décembre 2020, la société LMLV a émis trois factures d'un montant respectif de 17.316 euros, de 42.150 euros et de 310 euros, au titre de prestations réalisées pour la société Women in Africa entre février et mars 2017, que la société HCMD a contesté devoir régler.
Après avoir vainement mis en demeure, les 1er et 10 décembre 2020, la société HCMD d'avoir à payer les deux premières factures, la société LMLV l'a assignée par acte du 28 avril 2021 devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Mme [P] a par ailleurs assigné la société HCMD par acte du 25 octobre 2021.
Le tribunal a ordonné la jonction des instances. En dernier lieu, la société LMLV et, subsidiairement Mme [P], si l'action de la société LMLV n'était pas recevable, ont demandé la condamnation de la société HCMD au paiement des sommes principales de 59.767 euros au titre des factures impayées et de 5.000 euros au titre de la résistance abusive.
Par jugement du 23 novembre 2022, le tribunal a débouté les demanderesses de leurs demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et les a condamnées in solidum aux dépens.
Par déclaration du 13 janvier 2023, la société LMLV et Mme [P] ont fait appel de ce jugement et, par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 août 2023, elles demandent à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de condamner la société HCMD à verser à Mme [P] la somme de 59.767 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la réception de chaque facture, au titre de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir au titre du contrat d'entreprise entre février et octobre 2017, subsidiairement au titre de l'indemnité qu'elle est en droit de recevoir, en tout état de cause de condamner la société HCMD à verser à Mme [P] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de la résistance abusive de la société HCMD et à leur verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner HCMD aux dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 30 octobre 2023, la société HCMD demande à la cour :
- de déclarer irrecevables les demandes formées pour la première fois en cause d'appel par Mme [P] et la société LMLV au titre d'une prétendue rémunération et/ou indemnité d'enrichissement injustifié ;
- de déclarer l'appel de la société LMLV irrecevable en ce qu'elle ne forme aucune demande recevable à son encontre ;
- de déclarer l'appel sans objet ;
- de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, de déclarer Mme [P] et la société LMLV irrecevables en leurs demandes et actions sur le principe de l'estoppel, de les déclarer prescrites et irrecevables en leurs demandes et actions, de les débouter de leurs demandes ;
- en tout état de cause, de condamner in solidum Mme [P] et la société LMLV à lui payer la somme de 5.000 euros pour appel abusif et celle de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 mars 2024.
SUR CE,
Mme [P] expose qu'elle a réalisé des prestations pour la société Women in Africa entre février et octobre 2017. Devant le tribunal, elle soutenait que la société HCMD avait servi de support pour la facturation de ces prestations à la société cliente, à charge pour la société LMLV de les lui refacturer tandis que devant la cour elle invoque l'existence d'un contrat d'entreprise conclu entre elle et la société HCMD et, à défaut de reconnaissance d'un tel contrat, l'enrichissement injustifié de la société HCMD.
La société HCMD conteste ces prétentions et soulève au préalable diverses fins de non-recevoir.
Sur l'irrecevabilité de l'appel de la société LMLV :
La société HCMD soutient que la société LMLV ne formant plus de demande à son encontre n'est pas recevable en son appel qui est, en outre, sans objet.
Toutefois c'est à juste titre que la société LMLV, partie demanderesse en première instance, fait observer qu'elle forme bien une demande à l'encontre de la société HCMD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En outre la déclaration d'appel comporte bien la critique des chefs du jugement statuant sur les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Cette demande formée en appel fait suite au rejet par le tribunal de sa demande fondée sur ces dispositions. La société HCMD ne caractérise pas de cause justifiant l'irrecevabilité de l'appel de la société LMLV.
L'appel de la société LMLV sera donc déclaré recevable, la cour observant en outre qu'il n'est pas dépourvu d'objet.
Sur la fin de non-recevoir des demandes tirée de l'article 564 du code de procédure civile :
La société HCMD soutient que les demandes en paiement au titre de la rémunération de Mme [P] et d'une indemnité fondée sur l'enrichissement sans cause sont nouvelles en cause d'appel dès lors que Mme [P] et la société LMLV avaient formé devant le tribunal des demandes en paiement au titre des seules factures impayées et que ces demandes formées en appel ne sont pas de même nature, ne tendent pas aux mêmes fins ni ne constituent l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formées en première instance.
Mme [P] réplique que ses demandes ne sont pas nouvelles en ce qu'elles portent, comme devant le tribunal, sur le paiement d'une même somme de 59.767 euros et qu'elle se borne à invoquer de nouveaux fondements juridiques.
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. L'article 565 du code de procédure civile prévoit toutefois que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Tant devant le tribunal que devant la cour Mme [P] demande le paiement par la société HCMD de la somme de 59.767 euros. Ses demandes tendent ainsi à la même fin. En invoquant en appel, à titre principal, une rémunération fondée sur un contrat d'entreprise et, subsidiairement, un enrichissement injustifié alors qu'en première instance, elle se fondait sur des factures impayées, Mme [P] ne forme pas en appel de nouvelles prétentions mais se borne à modifier le fondement juridique de sa demande à l'appui de moyens de droit nouveaux.
Il s'ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par la société HCMD doit être rejetée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action et des demandes :
La société HCMD soutient, sur le fondement de l'article 2224 du code civil, que les demandes de Mme [P] sont prescrites en ce qu'elles ont été formées par conclusions d'appel du 12 avril 2023 alors qu'elles auraient dû l'être au plus tard en octobre 2022, que l'action introduite en paiement de factures n'a pas interrompu le délai de prescription et qu'au demeurant une telle interruption serait non avenue, cette action en paiement ayant été définitivement rejetée. Elle ajoute que la suspension de la prescription entre époux ne trouve pas à s'appliquer dès lors que l'action de Mme [P] l'oppose non à M. [R] mais à la société HCMD.
Mme [P] soutient, sur le fondement de l'article 2241 du code civil, que sa demande formée devant le tribunal a interrompu le délai de prescription bien que ses demandes formées en appel aient des fondements juridiques différents dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins. Elle ajoute que son action a été engagée alors qu'elle et M. [R] étaient encore dans les liens du mariage et observe que l'article 2236 du code civil prévoit la suspension de la prescription entre époux.
L'article 2241 du code civil dispose que la demande en justice interrompt le délai de prescription. L'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice s'étend aux demandes ayant le même objet.
Ainsi, dès lors que les demandes principale et subsidiaire formées en appel par Mme [P] par voie de conclusions du 12 avril 2023 ont le même objet que celle présentée devant le tribunal en ce que toutes trois tendent au seul paiement par la société HCMD d'une somme de 59.767 euros au profit de Mme [P], la première demande formée par assignation du 25 octobre 2021 a interrompu le délai de prescription des deux demandes formées en appel le 12 avril 2023, délai ayant commencé à courir, selon la société HCMD et sans contestation de Mme [P], en octobre 2017. Cette action en paiement n'ayant pas été définitivement rejetée en raison du présent appel, la société HCMD ne peut utilement se prévaloir du caractère non avenu de l'interruption de la prescription prévu par l'article 2243 du code civil.
L'irrecevabilité des demandes de Mme [P] doit donc être écartée et ce, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'application de l'article 2236 du code civil.
Sur la demande principale en paiement fondée sur un contrat de prestation de services :
Mme [P] soutient que la relation ayant existé entre elle et la société HCMD doit être qualifiée de contrat de prestation de services, que les liens du mariage et sa qualité d'associée de la société HCMD dirigée par son époux ont constitué une impossibilité morale d'établir un écrit. Elle fait valoir qu'elle a réalisé des prestations d'ordre essentiellement intellectuel pour la société Women in Africa, seule et sans lien de subordination vis-à-vis de la société HCMD mais pour le compte de celle-ci qui a perçu le prix qu'elle avait facturé, qu'il avait été convenu entre elle et M. [R], en sa qualité de président de la société HCMD, qu'elle se verrait rétrocéder les sommes facturées au titre de ces prestations, qu'après sa décision de se séparer de M. [R], elle a réalisé ses prestations pour les sociétés Women in Africa et Vineuse conseil via la société LVLM, que conformément à un accord trouvé avec M. [R], elle a créé la société LVLM et émis les factures litigieuses aux fins de reversement des rémunérations qu'elle avait perçues via la société HCMD. En réplique, elle fait valoir que l'article L. 225-38 du code de commerce ne s'applique pas aux SAS et qu'en toute hypothèse son non-respect n'est pas sanctionné par la nullité de la convention.
La société HCMD soulève l'irrecevabilité de la demande en paiement fondée sur l'existence d'un contrat entre elle et Mme [P] tirée de l'estoppel. Elle soutient que le changement de position de Mme [P] caractérise un estoppel, Mme [P] ayant reconnu devant le tribunal l'inexistence d'un tel contrat en se prévalant de factures émises par la société LMLV mais invoquant devant la cour un tel contrat.
Sur le fond, elle soutient que Mme [P] ne démontre ni offre ni contrat avec elle, qu'aucun accord de volonté n'est caractérisé, qu'elle ne saurait payer une quelconque somme au titre de prestations qu'elle n'a pas préalablement acceptées, qu'à supposer établi un accord, il serait nul car pris en violation de l'article L. 227-10 du code de commerce sur les conventions réglementées, que par ailleurs Mme [P] ne démontre aucune prestation de surcroît pour rémunération à son seul bénéfice, qu'en outre aucune rétrocession de facturation n'a été consentie mais que Mme [P] et sa société ont conclu un protocole d'accord avec les sociétés Women in Africa et Vineuse, que la demande en paiement d'une rémunération n'est pas justifiée dans la mesure où elle porte sur l'intégralité des sommes facturées sans tenir compte des charges qu'elle aurait nécessairement payées et que des factures non certifiées ne peuvent à elles seules fonder une telle demande.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel :
Un manquement au principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui implique qu'au cours du débat judiciaire une partie se contredit et modifie, sur la base de ses contradictions, ses prétentions. Doivent ainsi être caractérisés une contradiction entre les positions adoptées successivement et un avantage effectif retiré de ce changement de position.
Tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet Mme [P] a saisi le tribunal d'une demande en paiement de la somme de 59.767 euros à son profit, dans le cas où le tribunal devait considérer la société LMLV irrecevable, en invoquant une refacturation par la société LMLV des prestations de conseil qu'elle avait réalisées personnellement. Mme [P] fonde son appel sur cette même dernière allégation selon laquelle elle a personnellement exécuté des prestations au profit des sociétés Women in Africa et Vineuse conseil. Ni le fait que la société LMLV a elle-même revendiqué être créancière de la société HCMD, prétention qu'elle ne soutient plus en appel, ni la modification des fondements juridiques sur lesquels s'appuie Mme [P] au soutien de sa propre demande en paiement ne caractérisent un changement de position de Mme [P] au cours du débat judiciaire entamé devant le tribunal et poursuivi devant la cour.
La fin de non-recevoir soulevée par la société HCMD est donc écartée.
Sur le fond :
Mme [P] réclame la somme totale de 59.767 euros à titre de rémunération des prestations qu'elle a réalisées entre février et octobre 2017, ce montant correspondant selon elle à la rémunération que la société HCMD a elle-même perçue de la société Women in Africa. Il appartient à Mme [P], qui se prévaut de l'existence d'un contrat de prestations de services entre elle et la société HCMD, d'en rapporter la preuve.
C'est à tort que Mme [P] invoque une impossibilité morale de se procurer un écrit en raison du lien marital qui l'unissait à M. [R], président de la société HCMD, dès lors que le litige ne l'oppose pas personnellement à M. [R] mais à la société HCMD dont elle était en outre, pendant la période considérée, actionnaire minoritaire et dont elle avait été un temps elle-même la dirigeante. La cour observe au surplus qu'entre février et octobre 2017 le lien conjugal n'était pas remis en cause, qu'aucune mésentente entre les époux et seuls associés de la société HCMD n'affectait alors leurs relations personnelles ou professionnelles et que Mme [P] soutient elle-même qu'elle avait exécuté ses missions en toute indépendance et sans lien de subordination de sorte que les conditions étaient réunies pour que la société HCMD conclut par écrit un contrat de prestations de services comme cela est l'usage dans le domaine d'activité considéré.
En outre, aucune des pièces produites aux débats ne caractérise un lien contractuel, de février à octobre 2017, entre Mme [P] et la société HCMD concernant des prestations réalisées au profit de la société Women in Africa. Si Mme [P] fait état de courriels entre la représentante de la société Women in Africa et elle, dont certains évoquent l'avancée de la mission confiée à Mme [P] et la rémunération convenue, la société HCMD n'apparaît dans aucun de ces messages, à quelque titre que ce soit, ce qui au demeurant établit l'indépendance et l'absence de subordination à la société HCMD avec lesquelles Mme [P] a mené sa mission. Mme [P] ne produit pas d'autres pièces relatives à une relation contractuelle entre elle et la société HCMD préalable ou concomitante à l'exécution de la mission qu'elle invoque. Elle s'appuie sur un courriel de M. [R] du 30 mars 2018, ayant pour objet « Facturation HCM&D », dans lequel il indique : « A la suite de ton point avec [O], tu m'indiqueras comment tu veux dépenser le solde de tes factures à Women in Africa ' tu m'as parlé de créer ta propre boîte. Dis-moi si tu veux que je te verse le solde en salaire via une société de portage ou si tu veux que je te refacture (') On en parle dès que tu es prête ». Si ce message tend à préparer un versement à Mme [P], il n'établit pas l'existence d'un contrat conclu, même de manière informelle, entre la société HCMD et Mme [P] par laquelle la première aurait confié à la seconde la réalisation de prestations au profit de la société Women in Africa justifiant ce versement.
Il s'ensuit que Mme [P] échoue à démontrer l'existence d'un contrat la liant à la société HCMD et justifiant sa demande en paiement.
Sur la demande fondée sur l'enrichissement injustifié :
Mme [P] soutient que la société HCMD s'est enrichie en ayant encaissé le prix des prestations qu'elle-même avait réalisées, qu'elle-même s'est appauvrie en réalisant des prestations sans être rémunérées, qu'une relation de cause à effet existe entre cet enrichissement, injustifié, et cet appauvrissement, que ses autres demandes, devant le tribunal ou la cour, ne la privent pas de son droit d'exercer une action sur ce fondement.
La société HCMD soutient que Mme [P] ne dispose pas de l'action fondée sur l'enrichissement injustifié dès lors que sa demande est subsidiaire aux actions qu'elle a exercées préalablement en paiement de factures puis de rémunération, que la perception d'un paiement au titre d'une facture n'est pas anormale pour une société et qu'elle ne constitue pas un enrichissement, que Mme [P] ne démontre pas s'être appauvrie.
Sur l'absence de caractère subsidiaire de l'action :
L'article 1303-3 nouveau du code civil, applicable en l'espèce, dispose que l'appauvri n'a pas d'action sur ce fondement lorsqu'une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription.
En l'absence de démonstration de l'existence d'un contrat entre Mme [P] et la société HCMD, l'action en exécution d'un contrat n'est pas ouverte à Mme [P] de sorte qu'elle peut invoquer l'action fondée sur l'enrichissement injustifié pour obtenir ce qu'elle estime lui être dû.
Sur le fond :
Aux termes de l'article 1303 nouveau du code civil, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.
La société HCMD ne conteste pas avoir perçu une somme totale de 59.767 euros.
L'absence de relations contractuelles entre Mme [P] et la société HCMD a été précédemment constatée.
Alors que Mme [P] justifie par les courriels échangés entre elle et la représentante de la société Women in Africa et entre elle et de potentiels contributeurs, de février à octobre 2017, que la dirigeante de la société Women in Africa lui a confié, à compter du 1er mars 2017, une mission d'organisation d'une conférence à [Localité 5] et de création d'un club international et qu'elle s'est acquittée de cette mission ' notamment en récoltant des fonds auprès de grandes entreprises, en proposant des offres commerciales, en coordonnant les prestataires de la conférence ' aucune des pièces produites au débat ne fait en revanche état d'une relation contractuelle entre la société Women in Africa et la société HCMD ni de frais engagés par la société HCMD en vue de l'exécution de la mission. Il s'ensuit que les sommes encaissées par la société HCMD l'ont été sans contrepartie ni débours de sa part et que l'enrichissement injustifié de la société HCMD est ainsi établi.
De son côté, comme il vient d'être dit, Mme [P] s'est vue confier une mission par la société Women in Africa qu'elle a personnellement menée à bien. Dans un courriel du 27 mars 2017, adressée à la dirigeante de la société Women in Africa, Mme [P] rappelle les honoraires convenus de 3.500 euros HT par mois outre un variable. Il n'est pas démontré qu'elle aurait perçu une quelconque somme de quiconque au titre de son travail. Ainsi la société HCMD se prévaut d'un accord transactionnel du 7 novembre 2018 au terme duquel Mme [P] reçoit 100.000 euros HT au titre d'une rémunération non payée par la société Women in Africa mais cet acte n'est revêtu d'aucune signature et il ne précise pas sur quelles prestations le paiement est dû. La qualité d'actionnaire minoritaire de la société HCMD de Mme [P] ne justifie pas l'absence de rémunération personnelle.
En ne percevant pas ce qui aurait dû lui être payé, Mme [P] s'est appauvrie.
Cet enrichissement de la société HCMD et cet appauvrissement de Mme [P] sont parfaitement corrélés, la première ayant perçu de manière injustifiée ce qui était dû à la seconde, et sont de même valeur, soit 59.767 euros.
Il résulte de tout ce qui précède que la demande en paiement à hauteur de 59.767 euros est fondée de sorte que le jugement sera infirmé et la société HCMD condamnée au paiement de cette somme.
Mme [P] ne justifie pas de la date de réception de chaque facture par la société HCMD, date qu'elle fixe comme point de départ des intérêts moratoires. La cour fixera cette date au jour de l'assignation, le 25 octobre 2021, l'érosion monétaire ne devant pas conduire à amoindrir l'indemnité due par la société HCMD.
Sur la demande de Mme [P] pour résistance abusive :
Mme [P] soutient que la société HCMD refuse de faire droit à ses demandes en paiement uniquement en raison du divorce.
La société HCMD soutient que la demande de Mme [P] est irrecevable faute de fondement juridique et que sa propre défense est légitime.
Outre que cette fin de non-recevoir n'est pas reprise dans le dispositif des dernières conclusions de la société HCMD, une absence d'indication de fondement juridique de la demande n'est pas sanctionnée par une fin de non-recevoir.
Alors qu'elle savait n'avoir aucune relation contractuelle avec Mme [P] et la société Women in Africa justifiant des paiements reçus, la société HCMD a conservé une somme totale de 59.767 euros depuis fin 2017 et, malgré le courriel de M. [R] du 30 mars 2018 annonçant le versement des paiements reçus au titre de « Women in Africa », la société HCMD a, de mauvaise foi, persisté dans un refus de reverser les paiements à Mme [P]. Ce faisant, elle a commis une faute dont le préjudice subi par Mme [P] est distinct de celui né du retard pris dans le reversement des sommes encaissées par la société HCMD.
A ce titre la société HCMD sera condamnée à payer 1.500 euros de dommages et intérêts.
Sur la demande de la société HCMD pour appel abusif :
L'issue du litige en appel commande de rejeter cette demande.
Sur les demandes accessoires :
Partie perdante, la société HCMD sera condamnée aux dépens de première instance, le jugement étant infirmé, et aux dépens d'appel. De ce fait, elle ne peut prétendre à une indemnité procédurale. Elle sera en revanche condamnée à payer à Mme [P] deux sommes de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel. La société LMLV, qui n'a pas formé de demande en appel autre que l'infirmation du chef du jugement statuant sur les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande d'indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement,
Déclare recevable l'appel de la société LM La Vie ;
Rejette les fins de non-recevoir soulevées par la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants fondées sur l'article 564 du code de procédure civile, la prescription et le principe de l'estoppel ;
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société LM La Vie de toutes ses demandes ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants à payer à Mme [M] [P] la somme de 59.767 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2021 ;
Condamne la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants à payer à Mme [M] [P] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Condamne la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants à payer à Mme [M] [P] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;
Déboute les sociétés LM La Vie et Hyacinthe-Charles Mozet et descendants de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants aux dépens de première instance ;
Y ajoutant,
Déboute la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;
Condamne la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants à payer à Mme [M] [P] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
Déboute les sociétés LM La Vie et Hyacinthe-Charles Mozet et descendants de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Hyacinthe-Charles Mozet et descendants aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente,