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27/06/2024 | FRANCE | N°22/01088

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-2, 27 juin 2024, 22/01088


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80D



Chambre sociale 4-2



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 27 JUIN 2024



N° RG 22/01088

N° Portalis DBV3-V-B7G-VDOW



AFFAIRE :



[O] [K]



C/



S.A. AMERICAN EXPRESS CARTE FRANCE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Février 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : F 19/01358











Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Hugo DICKHARDT



M. [D] [M]

(Défenseur syndical)





le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80D

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 27 JUIN 2024

N° RG 22/01088

N° Portalis DBV3-V-B7G-VDOW

AFFAIRE :

[O] [K]

C/

S.A. AMERICAN EXPRESS CARTE FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Février 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : F 19/01358

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Hugo DICKHARDT

M. [D] [M]

(Défenseur syndical)

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [O] [K]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : M. [D] [M] (Défenseur syndical)

APPELANT

****************

S.A. AMERICAN EXPRESS CARTE FRANCE

Bâtiment 'Voyager'

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Hugo DICKHARDT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Valeria DE LUCIA, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

Greffier lors de la mise à disposition : Madame Dorothée MARCINEK

EXPOSE DU LITIGE

La société American Express Carte France, dont le siège social est situé [Adresse 2], [Adresse 3], à [Localité 5], dans le département des Hauts de Seine, est spécialisée dans le secteur d'activité de l'émission, la commercialisation et le service de cartes de paiement. Elle emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des sociétés financières du 22 novembre 1968.

M. [O] [K], né le 15 octobre 1974, a été engagé par la société American Express Carte France selon contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en qualité d'employé conseiller clientèle, pour la période du 16 janvier au 29 février 2008, prolongée jusqu'au 26 septembre 2008.

Il a été engagé par la même société par contrat à durée indéterminé en date du et à effet au 1er août 2008, à temps partiel puis à temps plein à compter du 1er mai 2013.

Par courrier portant la date du 5 mars 2017, la société American Express Carte France a convoqué M. [K] à un entretien en vue d'une sanction disciplinaire qui s'est déroulé le 12 mai 2017.

Par courrier en date du 30 mai 2017, la société American Express Carte France a notifié à M. [K] une mise à pied disciplinaire d'une durée de 3 jours dans les termes suivants :

« Monsieur,

Nous vous avons reçu le 12 mai 2017 pour l'entretien préalable à la sanction que nous envisagions de prendre à votre encontre. Malgré les explications que vous nous avez fournies, nous avons décidé de vous infliger une mise à pied de trois jours pour les motifs suivants :

Votre responsable hiérarchique, [S] [I], vous sensibilise très régulièrement sur les règles à adopter dans un centre d'appels, dans le but d'offrir un service d'exception à notre clientèle, et vous rappelle notamment la nécessité d'offrir un service de qualité à notre clientèle. Ces règles vous ont été notamment rappelées par courriel, en date du 27 décembre 2016.

Nous avons découvert, suite à l'analyse de différents reportings, que vous utilisiez des touches ou des fonctions du téléphone dans le but soit de repasser dans la file d'attente soit de modifier votre durée de traitement des appels appelé CHT. Vous avez contourné l'un des critères sur lesquels repose le calcul de votre prime appelée « incentive ». En effet, le calcul de cet incentive repose, entre autres, pour 30%, sur la durée des appels traités.

Ces faits ont été portés à notre connaissance le 11 avril 2017.

Ainsi, vous vous mettez en « log in », puis en « log out » entre 5 et 10 secondes ce qui fait que dans le système vous repassez dans la file d'attente des conseillers pour les appels de nos clients. A titre d'exemple, ces actions ont été effectuées aux moments suivants :

Le 1er mars à 17 heures 23 ; 17 heures 37 ; 17 heures 42 ; 17 heures 59 ; 20 heures 44 ; 22 heures 01 ; 22 heures 07 ; 22 heures 16.

Le 3 mars à 14 heures 24 ; 14 heures 27 ; 14 heures 58 ; 16 heures 01 ; 16 heures 39 ; 18 heures 57 ; 19 heures 36 ; 20 heures 26 ; 21 heures 08 ; 21 heures 17 ; 21 heures 50 ; 22 heures 07 ; 22 heures 09.

Le 4 mars à 13 heures 35 ; 14 heures 54 ; 15 heures 52 ; 17 heures 35 ; 17 heures 51.

Le 5 mars à 9 heures 24 ; 9 heures 35 ; 10 heures 28 ; 11 heures 04 ; 12 heures 09 ; 12 heures 25 ; 14 heures 21 ; 14 heures 55 ; 15 heures 48 ; 16 heures 00 ; 16 heures 18 ; 16 heures 53 ; 17 heures 18 ; 19 heures 24.

Le 9 mars à 19 heures 06, 19 heures 55, 21 heures 27, 22 heures 39.

Le 10 mars à 13 heures 21 ; 13 heures 30 ; 14 heures 34 ; 14 heures 58 ; 15 heures 21 ; 15 heures 30 ; 16 heures 25 ; 17 heures 54, 18 heures 34 ; 20 heures 06 ; 21 heures 23 ; 22 heures 40.

Le 23 mars à 14 heures 08 ; 14 heures 25 ; 15 heures 33 ; 15 heures 51 ; 19 heures 27.

Le 26 mars à 8 heures 21 ; 10 heures 25, 10 heures 35 ; 10 heures 42 ; 10 heures 56 ; 14 heures 08 ; 14 heures 55 ; 15 heures 56.

Le 29 mars à 21 heures 39 ; 23 heures 04.

Le 31 mars à 19 heures 00.

Le 02 avril à 9 heures 47 ; 11 heures 52 ; 12 heures 22 ; 12 heures 58 ; 15 heures 47 ; 17 heures 17.

Le 04 avril à 17 heures 08, 22 heures 14 :22 heures 30 ; 22 heures 37.

En outre, vous avez contourné l'un des critères sur lesquels repose le calcul de votre prime appelée « incentive ». En effet, le calcul de cet incentive repose, entre autres, pour 30%, sur la durée des appels traités. Or vous utilisez des fonctions téléphoniques inappropriées pour le traitement de vos appels.

Le 3 mars à 15 heures 24 vous ne pouviez pas prendre d'appel pendant 10 minutes.

La même technique a été utilisée le même jour à 14 heures 58, 15 heures 21, 16 heures 01, 16 heures 25, 17 heures 45, 18 heures 42, 20 heures 26, 21 heures 08, 21 heures 50, 22 heures 00 et à 22 heures 07.

Le 4 mars 2017, on retrouve le même procédé aux heures suivantes : 17 heures 27, 17 heures 50 et à 21 heures 14.

Le 5 mars 2017, on retrouve le même procédé aux heures suivantes : 9 heures 31, 11 heures 04, 13 heures 33, 16 heures 18 et à 19 heures 47.

Le 26 mars 2017, on retrouve le même procédé aux heures suivantes : 8 heures 21 et à 12 heures 51.

Le 29 mars 2017, on retrouve le même procédé aux heures suivantes : 14 heures 04, 20 heures 22, 21 heures 38, 22 heures 56 et à 23 heures 04.

Le 2 avril 2017, on retrouve le même procédé aux heures suivantes : 11 heures 52, 12 heures 04, 12 heures 49, 15 heures 04 et à 17 heures 03.

Par ces actes, vous modifiez donc artificiellement les résultats liés à votre prime appelée « incentive » en augmentant votre performance sur le critère, dans le but d'accroître la part de votre rémunération variable.

Cette conduite est inadmissible.

De plus, lorsque les clients patientent longtemps, ils sont irrités d'avoir patienté aussi longuement. Vos collègues obtiennent alors de mauvais retours clients, ce qui contribue à diminuer leurs incentives par votre faute.

Par ailleurs, cela détériore l'image de marque d'American Express Carte France.

Un tel comportement a comme conséquence de désorganiser gravement le Service Clientèle auquel vous appartenez, ce qui est tout à fait inacceptable. Vos agissements faussent notamment la planification puisque les plannings des conseillers clientèles sont réalisés, entre autres, sur la base de la durée des appels traités et du temps d'attente des clients.

Nous ne pouvons tolérer de tels agissements, et c'est pourquoi nous avons décidé de vous notifier, par la présente, une mise à pied disciplinaire de trois jours. Nous vous demandons de ne pas vous présenter à l'entreprise du 4 juin 2017 au 6 juin 2017 inclus. Vous ne serez pas rémunéré pendant cette période de mise à pied. Le salaire correspondant sera retenu sur votre prochaine paie.

Nous vous précisons que cette sanction a un caractère disciplinaire et qu'elle sera classée dans votre dossier.

Nous espérons vivement que cette sanction vous fera prendre conscience de l'impérieuse nécessité de ne pas réitérer ce type de pratique. A défaut, nous devons vous informer que nous pourrions être amenés à prendre, à votre encontre, une sanction disciplinaire plus lourde, pouvant aller jusqu'au licenciement. ».

M. [K] est toujours en poste au sein de la société American Express Carte France.

Par requête reçue au greffe le 28 mai 2019, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de condamnation de son employeur au versement des sommes à caractère indemnitaire et/ou salarial suivantes :

- paiement des trois jours de mise à pied : 1 490 euros,

- indemnité de congés payés afférents : 149 euros,

- indemnité de restauration (3 tickets restaurant 8,90 euros par ticket) : 26,70 euros,

-dommages-intérêts en raison de l'absence de visite obligatoire suite à l'accident du travail : 2 000 euros,

- dommages-intérêts pour préjudice moral : 2 000 euros,

- dommages-intérêts pour le préjudice financier : 1 500 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,

- intérêts légaux de droit,

- exécution provisoire sur le tout (article 515 du code de procédure civile),

- dépens à la charge de la défenderesse,

- débouter la société en cause des éventuelles demandes reconventionnelles.

La société American Express Carte France avait, quant à elle, demandé que M. [K] soit débouté de ses demandes et sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 25 février 2022, la section commerce du conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- confirmé la sanction disciplinaire du 30 mai 2017,

- débouté M. [K] des demandes en paiement des 3 jours de mise à pied, des congés payés afférents, de l'indemnité de restauration (3 tickets restaurant) et des dommages et intérêts pour le préjudice financier,

- condamné la société American Express France Carte [sic] à verser à titre d'absence de visite médicale et du préjudice moral à M. [K] la somme de 400 euros,

- condamné la société American Express France Carte à (payer à) M. [K] la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société American Express Carte France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les parties à parts égales aux dépens.

M. [K] a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 4 avril 2022.

Par conclusions remises au greffe le 16 février 2024, M. [K] demande à la cour de :

- infirmer les chefs de jugement ci-après énoncés en ce qu'il a été décidé de :

. confirmer la sanction disciplinaire du 30 mai 2017,

. débouter M. [K] des demandes de :

paiement des 3 jours de mise à pied,

des congés payés afférents,

de l'indemnité de restauration : 3 tickets restaurants,

des dommages et intérêts pour le préjudice financier,

- confirmer le chef de jugement en ce qu'il a condamné la société American Express Carte France à payer à M. [K] la somme de 400 euros au titre de l'absence de visite médicale et du préjudice moral,

En conséquence,

- annuler de la sanction disciplinaire de 3 jours de mise à pied,

- condamner la société American Express Carte France à verser à M. [K] les sommes suivantes :

' le paiement des 3 jours de mise à pied, du dimanche 4 juin 2017 (10 heures payées à 200 %), lundi 5 juin 2017 (jour férié 10 heures payées à 200 %) et du mardi 6 juin 2017 (8 heures dont 2 heures payées à 200% horaires de nuit) en brut : 1 490 euros,

' indemnité de congés payés afférents, en brut : 149 euros,

' indemnité de restauration (3 tickets restaurants) : 26,70 euros,

Réparation des différents préjudices subis :

- dommages et intérêts pour le préjudice financier : 1 500 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,

- confirmer le chef de jugement en ce qu'il a condamné la société American Express Carte France à payer à M. [K] la somme de 400 euros au titre de l'absence de visite médicale et du préjudice moral,

- exécution provisoire de droit (article 515 du code de procédure civile),

- les intérêts à compter du jour du dépôt de cette requête et capitalisation des intérêts,

- les dépens à la charge de mon employeur [sic],

-débouter la société American Express Carte France de toutes éventuelles demandes reconventionnelles.

Par conclusions adressées par voie électronique le 18 août 2022, la société American Express Carte France demande à la cour de :

1. sur la sanction disciplinaire :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a jugé la sanction bien fondée,

en conséquence,

- débouter M. [K] de ses demandes afférentes,

2. Sur la visite médicale,

à titre principal [sic],

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a condamné la société American Express Carte France à verser à M. [K] la somme de 400 euros à titre de dommages et intérêts,

en conséquence, statuant et jugeant à nouveau,

- débouter M. [K] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse [sic],

3. sur l'article 700 du code de procédure civile

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a condamné la société American Express Carte France à verser à M. [K] 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [K] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [K] à verser à la société American Express Carte France la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [K] aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 6 mars 2024, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 5 avril 2024.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la sanction disciplinaire

L'article L. 1333-1 du code du travail dispose en matière de procédure disciplinaire que "En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié."

L'article L. 1333-2 du même code dispose que "Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise."

Sur la prescription

M. [K] soutient que les faits objet de la sanction disciplinaire sont prescrits car la convocation à l'entretien préalable date du 5 mars 2017, plus de deux mois avant l'entretien du 12 mai 2017, ce qui signifie que la société avait préparé une convocation avant même d'avoir eu connaissance des faits reprochés au salarié.

La société répond que les faits ne sont pas prescrits dès lors qu'elle a eu connaissance du comportement fautif du salarié par courriel du 11 avril 2017 et qu'elle l'a convoqué à un entretien préalable moins d'un mois après, le 9 mai 2017.

L'article L. 1332-4 du code du travail dispose que 'Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'

Le délai de deux mois s'apprécie à la date de convocation à l'entretien préalable.

En l'espèce, si la convocation à l'entretien préalable porte la date du 5 mars 2017, elle a été postée le 9 mai 2017 et reçue par le salarié le 10 mai pour un entretien prévu le 12 mai (pièces 8 et 11 du salarié), destiné à évoquer des faits que l'employeur indique avoir été portés à sa connaissance le 11 avril 2017 et qui se seraient déroulés du 1er mars au 4 avril 2017.

La date du 5 mars 2017 est de toute évidence une erreur matérielle puisque l'employeur ne pouvait anticiper des faits qui ne s'étaient pas encore produits. Il ne peut donc être retenu que les faits objet de la sanction disciplinaire sont prescrits.

Sur le délai de convocation à l'entretien préalable

M. [K] soutient que le délai de deux jours entre la convocation et l'entretien préalable n'a pas été suffisant pour lui permettre de préparer sa défense et recourir à l'assistance à laquelle il pouvait prétendre.

La société répond que M. [K] a pu être assisté lors de l'entretien préalable qu'il a pu préparer, de sorte qu'il n'existe aucune irrégularité de nature à justifier l'annulation de la sanction.

L'article L. 1332-2 du code du travail prévoit que lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié à un entretien au cours duquel ce dernier peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.

Si les dispositions légales ne prévoient aucun délai minimal entre la convocation et l'entretien, le salarié doit être averti suffisamment à l'avance non seulement du moment, mais aussi de l'objet de l'entretien pour pouvoir y réfléchir et recourir éventuellement à l'assistance d'un membre du personnel.

En l'espèce, M. [K] a reçu le 10 mai 2017 la convocation postée le 9 mai 2017 à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire fixé au 12 mai à 15 heures.

Il ressort des notes prises lors de l'entretien préalable que M. [K] y était assisté par M. [E] [G], membre du comité d'établissement de la société (pièce 9 du salarié).

Ainsi, M. [K] a été en mesure dans le délai imparti de se préparer à l'entretien et de s'y faire assister, de sorte que la procédure n'est pas irrégulière.

Sur le bien fondé de la sanction

M. [K] conteste la sanction disciplinaire en exposant qu'il est très impliqué dans la bonne marche de l'entreprise, est considéré comme un très bon salarié et n'avait jamais fait l'objet d'aucune mesure disciplinaire ; qu'il connaissait depuis plusieurs années des problèmes techniques spécifiques récurrents liés à son profil informatique, qui étaient connus de ses responsables hiérarchiques ; qu'il était victime de micro-coupures ayant pour origine des dysfonctionnements techniques, dont 99,99 % sont de l'ordre de 2 à 4 secondes et ne sont pas visées dans la lettre de sanction ; que les 'log in' et 'log out' de 5 à 10 secondes qui lui sont reprochés représentent 0,01 % de l'ensemble des 'log in' et 'log out' soit 8 sur les 467 micro-coupures figurant dans la pièce 9 bis adverse. Il indique que la société a finalement changé son logiciel de traitement des appels car les micro-coupures ne cessaient pas.

La société relate qu'au mois de janvier 2017, M. [I], responsable hiérarchique de M. [K], a noté des incohérences sur le statut des appels téléphoniques de ce dernier ; que pensant qu'il s'agissait d'un défaut de la ligne téléphonique, il a diligenté le service technique aux fins d'identification et de réparation du problème mais qu'il a été averti que les incohérences étaient dues, non pas à un problème technique, mais à une intervention humaine, celle de M. [K] ; qu'il a alors alerté la société par courriel du 11 avril 2017 dans lequel il exposait les différentes techniques employées par M. [K] pour ne pas se rendre disponible pour les appels et les rediriger vers d'autres conseillers clientèle, tout en faussant ses statistiques liées à la prime de performance :

- des 'log in' et 'log out' manuels de 5 à 10 secondes lui permettant de revenir en queue de la file d'attente pour la prise d'appels, ce qui était de nature à limiter son nombre d'appel,

- l'utilisation inappropriée des touches et fonctions de son téléphone qui le rendait indisponible pour les appels clients pendant 10 minutes.

Elle indique que M. [K] procédait à ces gestes depuis août 2016, à une fréquence d'environ 15 manipulations par journée de travail, alors qu'il a connaissance des règles de bonne conduite et de bonne pratique en vigueur dans l'entreprise ; qu'il n'a pas rapporté de problème informatique depuis 2016 et, qu'au lieu d'ouvrir un nouveau ticket ou d'avertir son manager, il a préféré modifier manuellement son profil en violant les consignes de la société.

Aux termes de son contrat de travail, M. [K] s'engage à se conformer aux dispositions du règlement intérieur et aux recommandations de la direction.

Par courriel du 27 décembre 2016, M. [S] [I] a rappelé aux membres de son équipe, dont M. [K], les règles de fonctionnement, au nombre desquelles :

- la nécessité d'être 'logué' et disponible téléphoniquement 5-6 minutes après leur arrivée '(pas de Aux ni Pas libre)',

- 'pour les pauses toilettes, confort, appuyer sur log out ... pas de pas libre, ni de dispo, ni de haut-parleur pour entendre que l'appel arrive',

- 'n'oubliez pas que votre mission numéro 1 est de répondre aux appels de nos clients et non pas d'essayer d'éviter les appels',

- 'le log off (hormis pour vos pauses) se demandent à Gpro et ou au TL [team leader] présent. Envoyez votre log out ensuite pour qu'il soit validé',

- 'lorsque vous n'avez pas d'appel depuis longtemps, éviter de toucher votre pas libre, pour repartir dans la file d'appel' (pièce 7 de la société).

Par courriel du 11 avril 2017, M. [I] a avisé sa hiérarchie des pratiques de M. [K] dans les termes suivants :

'Je souhaite vous informer des mauvaises pratiques téléphoniques d'un de mes collaborateurs, [O] [K].

Depuis plusieurs mois, je suis intrigué par les résultats de [O], non seulement au niveau VOCM mais également sur ces CCM METRICS.

J'ai donc pris l'initiative de regarder de plus près les traçages de son ID téléphonique.

J'ai remarqué que [O] fait et ce de manière intelligente et pour ne pas éveiller trop de soupçons ce qu'on appelle le push back d'appels. En fait il s'arrange pour avoir le nombre d'appels nécessaire pour être éligible au P4P [système de prime basé sur la satisfaction globale et le temps de traitement] et dans la mesure du possible il va tout faire pour essayer de repousser au maximum les appels en jouant avec les différentes touches de son téléphone.

Pour cela il utilise deux techniques :

- le log in log out de - 5 secondes ou 10 secondes

Permettant à [O] dans les moments calmes de repartir en queue de la file d'attente des appels. La durée de 5 ou 10 secondes est importante car notre visu Avaya a un refresh de 5 secondes soit de 20 secondes... donc si nous ne sommes pas continuellement dessus, nous ne pouvons pas voir la supercherie. Le log in log out ne peut se faire que manuellement. En constatant son nombre impressionnant de connexion, déconnexion par jour de présence j'ai pensé en premier à un incident technique sur les deux postes téléphoniques utilisés par le collaborateur. Mais après avoir ouvert les tickets nécessaires auprès des techniciens Avaya (...) il s'avère que il n'y a absolument pas de problèmes techniques sur la ligne téléphonique du collaborateur / ID Avaya 3318251, que les téléphones sont programmés pour une connexion déconnexion manuelle et que le log in log out ne peut être que manuel. (...)

- utilisation inappropriée des touches ou bien des fonctions du téléphone - voici un exemple :

le 3 mars à 15h24 (14.24 sur le rapport cause heure UK) quel est l'intérêt de faire un log off de 5 secondes, puis se mettre en Aux0 (logué dans les systèmes mais non disponible pour les appels) pour 187 secondes, puis refaire un log off de 8 secondes, pour se remettre en aux pendant 24 secondes puis un nouveau log off de + 1 minute pour faire à la fin un aux 0 de 497 secondes. J'y vois deux intérêts :

- le premier : ne pas prendre d'appel pendant 10 mns,

- le deuxième : agir sur son CHT [durée de traitement des appels] pour ne pas être impacté sur son P4P.'

La société produit le relevé des log on / log off des deux postes téléphoniques utilisés par M. [K] entre le 21 août 2016 et le 6 avril 2017 sur lequel sont retrouvées les anomalies décrites ainsi que des coupures de moins de 5 secondes dénoncées par le salarié (pièce n°9 bis).

Elle produit également la réponse de la société Avaya du 1er février 2017 qui indique que les login et logout sont le résultat d'une manipulation humaine des touches du téléphone (pièce 8).

La pratique de log in / log out volontaires par M. [K], contraire aux règles de l'entreprise, est ainsi établie et elle permettait au salarié de repousser les appels des clients tout en obtenant un nombre suffisant d'appels pour être éligible à la prime basée sur la satisfaction globale et le temps de traitement.

M. [K] a reconnu cette pratique, qu'il explique toutefois par les problèmes informatiques persistants qu'il rencontrait, dont il lui appartient de rapporter la preuve.

Lors de l'entretien du 12 mai 2017, M. [K] a expliqué qu'il rencontrait des problèmes récurrents avec son écran, ce qui ne lui permettait pas de répondre aux clients et le conduisait forcément à se déloguer. M. [I] a reconnu que M. [K] lui avait parlé de ce problème et qu'il avait été décidé d'un commun accord qu'il garderait ses accès malgré ses bugs informatiques afin qu'il ne perde pas l'accès à ses e-mails, indiquant par ailleurs que les résultats de M. [K] sont excellents (pièce 9 du salarié). M. [K] a indiqué 'je tiens à dire que je n'ai jamais voulu mal faire, si j'avais su qu'il s'agissait d'une 'mauvaise pratique'je ne l'aurais jamais fait. En 9 ans, j'ai toujours respecté les règles et les valeurs de l'entreprise'.

Par courrier du 4 juillet 2017 M. [K] a contesté sa mise à pied en précisant que lorsqu'il est en prise d'appels, il arrive que son écran se bloque entre 2 et 10 minutes et que lorsque cela ne se débloque pas, il doit redémarrer son ordinateur ou contacter les services techniques ; que lorsque son écran est bloqué, il reste en position 'pas libre' sans justification, ce qui occasionne des appels du service planning, fausse ses résultats, impacte sa prime et son évaluation annuelle ; que pour pallier cette difficulté, il se déconnecte du téléphone et se reconnecte tout de suite en position 'login' (Aux0), position intermédiaire qui lui permet d'être connecté mais ne le rend pas disponible pour prendre les appels. Il a indiqué que 'mon responsable qui fait de temps en temps de la double écoute avec moi sait depuis des années que je procède ainsi du fait de mes problèmes techniques particuliers et récurrents.' (pièce 11 du salarié).

Il ressort du courriel produit par le salarié en pièce 17 qu'il rencontrait des problèmes d'ordinateur depuis la création de ses accès et que le 15 avril 2016, une intervention a été faite pour trouver une solution en supprimant totalement son profil comme s'il quittait la société et en lui créant de nouveaux accès comme pour un nouvel arrivant.

Aucune pièce objective ne démontre que les problèmes informatiques de M. [K], qui pourraient expliquer son comportement, ont persisté après cette intervention.

La cour confirmera en conséquence la décision de première instance qui a confirmé la sanction disciplinaire du 30 mai 2017 et qui a débouté M. [K] de ses demandes en paiement des trois jours de mise à pied, des congés payés afférents, de l'indemnité de restauration correspondant à 3 tickets restaurant et de dommages et intérêts au titre du préjudice financier, lesquels consistent d'ailleurs à réclamer une seconde fois le paiement des trois jours de mise à pied, ainsi que des demandes relatives aux intérêts moratoires.

Sur l'absence de visite médicale et le préjudice moral

M. [K] fait valoir que son employeur n'a pas organisé de visite médicale de reprise à l'issue de son arrêt de travail pour accident du travail survenu le 22 juin 2018, qui a duré plus de trois mois du 22 juin au 25 septembre 2018, ce qui constitue un manquement à son obligation de sécurité lui causant nécessairement un préjudice. Il demande confirmation de la décision de première instance qui lui a alloué une indemnisation de 400 euros au titre de l'absence de visite médicale et du préjudice moral.

La société répond que le salarié a été en arrêt jusqu'au 20 juillet 2018 soit pendant 28 jours, puis en congés payés et de nouveau en arrêt de travail à compter du 13 août 2018, aucun justificatif d'un arrêt de travail pour la période du 20 juillet au 13 août n'étant produit ; qu'elle s'est conformée à ses obligations et que le salarié a bénéficié d'un suivi médical régulier ; que M. [K] ne justifie pas de son préjudice.

L'article R. 4624-31 du code du travail prévoit que le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail notamment après une absence d'au moins 30 jours pour cause d'accident du travail ou de maladie, au plus tard dans les 8 jours de la reprise effective du travail.

L'employeur doit en assurer l'effectivité.

En cas de non-respect par l'employeur de ses obligations relatives à la visite médicale de reprise, le salarié doit, pour être indemnisé, démontrer l'existence d'un préjudice.

M. [K] a chuté sur son lieu de travail le 22 juin 2018 et la CPAM a reconnu le caractère professionnel de cet accident.

Il a été placé en arrêt de maladie au titre de cet accident du 23 juin au 20 juillet 2018 soit durant 28 jours, puis a pris des congés payés du 21 juillet au 12 août 2018 avant d'être de nouveau placé en arrêt de maladie pour accident du travail du 13 août au 25 septembre 2018 soit durant 44 jours.

Si le premier arrêt de maladie pour accident du travail a duré moins de 30 jours, il n'en va pas de même du second arrêt et la société American Express Carte France ne justifie pas que M. [K] a bénéficié d'un examen de reprise dans les suites de son retour au travail fin septembre 2018.

En conséquence, la société n'a pas respecté son obligation de visite médicale.

Cependant, M. [K] n'explicite pas le préjudice qui en est découlé pour lui et n'en justifie pas, de sorte qu'il doit être débouté de sa demande indemnitaire, par infirmation de la décision entreprise.

Sur les demandes accessoires

La condamnation prononcée en première instance à l'encontre de l'employeur étant infirmée, sera également infirmée la condamnation de ce dernier à verser à M. [K] une indemnité de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation des parties à parts égales aux dépens.

La décision sera confirmée en ce qu'elle a débouté l'employeur de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de M. [K] qui sera condamné à verser à la société American Express Carte France une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa demande du même chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 25 février 2022 excepté en ce qu'il a :

- condamné la société American Express Carte France à verser à titre d'absence de visite médicale et du préjudice moral à M. [K] la somme de 400 euros,

- condamné la société American Express Carte France à payer à M. [K] la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les parties à parts égales aux dépens,

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute M. [O] [K] de sa demande de dommages et intérêts formée au titre de l'absence de visite médicale et du préjudice moral,

Condamne M. [O] [K] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne M. [O] [K] à payer à la société American Express Carte France une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [O] [K] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-2
Numéro d'arrêt : 22/01088
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.01088 ?
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