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27/06/2024 | FRANCE | N°22/01070

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-2, 27 juin 2024, 22/01070


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 83E



Chambre sociale 4-2



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 27 JUIN 2024



N° RG 22/01070 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VDLG



AFFAIRE :



[S] [Y]



FÉDÉRATION NATIONALE DES MINES ET DE L'ÉNERGIE



SYNDICAT CGT ET UFICT



C/



S.A. RTE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation parit

aire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : 19/01095















Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Jérôme BORZAKIAN



Me Oriane DONTOT







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SEPT...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 83E

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 27 JUIN 2024

N° RG 22/01070 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VDLG

AFFAIRE :

[S] [Y]

FÉDÉRATION NATIONALE DES MINES ET DE L'ÉNERGIE

SYNDICAT CGT ET UFICT

C/

S.A. RTE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : 19/01095

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jérôme BORZAKIAN

Me Oriane DONTOT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, devant initialement être rendu le 20 juin 2024 et prorogé au 27 juin 2024, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [S] [Y]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentant : Me Jérôme BORZAKIAN de la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0242

FÉDÉRATION NATIONALE DES MINES ET DE L'ÉNERGIE

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Jérôme BORZAKIAN de la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0242

Syndicat CGT ET UFICT

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Jérôme BORZAKIAN de la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0242

APPELANTS

****************

S.A. RTE

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Tamar KATZ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0236

INTIMEE

***************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN,

Greffier lors de la mise à disposition : Madame Dorothée MARCINEK

Rappel des faits constants

La SA RTE, dont le siège social est situé à [Localité 8] dans les Hauts-de-Seine, a pour activité de s'assurer de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité du réseau public français de transport d'électricité. Elle emploie environ 8 400 salariés dont 4 500 à la maintenance et applique la convention collective des industries gazières et électriques.

M. [S] [Y], né le 11 février 1966, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée du 22 octobre 1985.

Au dernier état des relations contractuelles, M. [Y] occupait le poste «'technicien contremaître groupement de postes'» au sein de l'entité Massif Central Ouest. Outre une rémunération fixe, M. [Y] percevait une prime d'astreinte dite «'d'action immédiate'».

M. [Y] consacre 100 % de son temps de travail à l'exercice de ses différents mandats syndicaux et électifs.'

Il a signé à ce titre depuis 2009 plusieurs conventions tripartites conclues entre l'employeur, le salarié et l'organisation syndicale, appelée «'convention de gestion pour l'exercice des mandats représentatifs et/ou syndicaux ».

Alléguant ne plus avoir perçu de prime d'astreinte depuis la signature de la convention, l'employeur lui ayant versé une indemnité à titre de compensation, considérant être de ce fait victime d'une discrimination en raison de ses activités syndicales, M.'[Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en rappel de prime, par requête reçue au greffe le 15 avril 2019.

Trois organisations syndicales, à savoir le syndicat Énergie Savoie, le syndicat CGT et CGT/UFICT des Personnels Ouvriers-Maîtrises-Ingénieurs-Cadres des Industries Électriques de RTE Sud-Ouest, Fonctions Centrales et Retraités Veufs et Veuves des IEG et la Fédération Nationale des Mines et de l'Énergie (FNME), sont intervenues volontairement à la procédure.

Deux autres salariés, à savoir MM. [I] et [D], ont également saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre de la même demande.

La décision contestée

Devant le conseil de prud'hommes, M. [Y], ainsi que les trois syndicats, ont présenté les demandes suivantes':

à titre principal,

- constater qu'il a été victime d'un traitement différencié et d'une atteinte incontestable à l'exercice de ses mandats syndicaux et électifs, en conséquence que ce dernier a subi une entrave à l'exercice de ses fonctions syndicales en raison de la cessation du versement de sa rémunération conventionnelle,

- condamner en conséquence la société RTE à lui verser, en réparation du préjudice direct ainsi subi la somme de 16 337,64 euros,

- condamner la société RTE à verser au titre du préjudice moral subi du fait de l'absence de versement de rémunération pendant plusieurs années la somme de 5 000 euros,

- constater que la FNME et le syndicat CGT Énergie Savoie, habilités à représenter leurs intérêts propres et les intérêts collectifs de la profession ont subi un préjudice en raison de la discrimination réalisée à l'encontre de l'un de leurs mandants,

- condamner en conséquence la société RTE à verser à la FNME et au syndicat CGT Énergie Savoie à chacun au titre de la réparation de son préjudice la somme de 5 000 euros,

- ordonner le versement des intérêts au taux légal sur les salaires et sommes afférentes sollicités sur le fondement des dispositions de l'article 1231-6 du code civil à compter de la saisine de la juridiction de céans et pour les dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1231-7 du code civil à compter du jugement à intervenir,

- condamner la société RTE à lui verser la somme de 2 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile et condamner la même à verser la somme de 1 500 euros, sur le même fondement, au bénéfice du syndicat CGT Énergie Savoie, au syndicat CGT et CGT UFICT et de la FNME,

- condamner la société RTE aux éventuels dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- assortir la décision à intervenir de l'exécution provisoire au visa des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile.

La société RTE avait quant à elle conclu au débouté du salarié ainsi que du syndicat CGT Énergie Savoie, du syndicat CGT et CGT UFICT et de la FNME, et avait sollicité la condamnation du salarié à lui verser une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation des syndicats à lui verser une somme de 1'500'euros sur le même fondement.

L'audience de conciliation a eu lieu le 18 novembre 2019.

L'audience de jugement a eu lieu le 15 décembre 2021.

Par jugement contradictoire rendu le 14 mars 2022, la section industrie du conseil de prud'hommes de Nanterre a':''

- débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la FNME-CGT FNME, le syndicat Énergie Savoie, les syndicats CGT et CGT/UFICT (sic) de l'ensemble de leurs demandes,

- débouté les parties de leurs demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné M. [Y] aux entiers dépens.

La procédure d'appel

M. [Y], ainsi que le syndicat CGT et CGT UFICT et la FNME, ont interjeté appel du jugement par déclaration du 31 mars 2022 enregistrée sous le numéro de procédure 22/01070.

Par ordonnance rendue le 28 février 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries le 28 mars 2024, dans le cadre d'une audience rapporteur.

Les parties ont été amenées à faire des observations dans le cadre d'une note en délibéré, la cour ayant relevé que le syndicat Énergie Savoie, pourtant partie à l'instance devant le conseil de prud'hommes, n'avait pas relevé appel du jugement aux côtés du salarié et des autres syndicats, qu'elle n'avait certes pas présenté de demandes mais qu'elle avait fait l'objet de demandes de la part de la société intimée.

Me Borzakian, pour le compte des appelants, a confirmé que le syndicat Énergie Savoie n'avait pas interjeté appel et a demandé qu'il soit tiré toutes conséquences de cette situation tandis que Me Dontot, pour le compte de la société RTE, a conclu à l'irrecevabilité d'éventuelles demandes présentées par ce dernier.

Prétentions de M. [Y] ainsi que du syndicat CGT et CGT UFICT et de la FNME, appelants

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 14 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [Y] ainsi que le syndicat CGT et CGT UFICT et la FNME, demandent à la cour d'appel de':

réformant le jugement et statuant à nouveau,

à titre principal,

- juger que M. [Y] a été victime d'un traitement différencié et d'une atteinte incontestable à l'exercice de ses mandats syndicaux et électifs,

- juger en conséquence que ce dernier a subi une entrave à l'exercice de ses fonctions syndicales en raison de la cessation du versement de sa rémunération conventionnelle,

- condamner en conséquence la société RTE à lui verser la somme de 16'337,64'euros en réparation du préjudice direct ainsi subi pour la perte d'astreinte,

- condamner la société RTE à lui verser la somme de 4 155,06 euros à titre de rappel de prime IZH et à titre de dommages-intérêts,

- constater que la FNME et le syndicat CGT et CGT UFICT, habilités à représenter leurs intérêts propres et les intérêts collectifs de la profession ont subi un préjudice en raison de la discrimination réalisée à l'encontre de l'un de leurs mandants.

- condamner en conséquence la société RTE à verser à la FNME et au syndicat CGT et CGT UFICT la somme de 5 000 euros chacun au titre de la réparation de leur préjudice,

- ordonner le versement des intérêts au taux légal sur les salaires et sommes afférentes sollicités sur le fondement des dispositions de l'article 1231-6 du code civil à compter de la saisine de la juridiction de première instance et pour les dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1231-7 du code civil à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société RTE à verser à M. [Y] la somme de 2 500 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamner la même à verser la somme de 1 500 euros chacun, sur le même fondement, au bénéfice du syndicat CGT et CGT UFICT et de la FNME,

- condamner la société RTE aux éventuels dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Prétentions de la société RTE, intimée

Il est précisé que la société RTE a présenté des conclusions communes dans les dossiers des trois salariés.

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 21 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société RTE demande à la cour d'appel de :

à titre principal,

- infirmer les jugements entrepris en ce qu'ils ont considéré comme recevable l'action de MM.'[Y], [I] et [D],

- infirmer les jugements entrepris en ce qu'ils ont considéré comme recevables la FNME-CGT, le syndicat Énergie Savoie et le syndicat CGT et CGT/UFICT des Personnels Ouvriers-Employés-Maîtrises-Ingénieurs-Cadres des Industries Électriques de RTE Sud-Ouest, Fonctions Centrales et Retraités Veufs et Veuves des IEG, et, statuant à nouveau,

- dire et juger MM.'[Y], [I] et [D] irrecevables en leurs actions en raison de la prescription,

- dire et juger irrecevables, la FME-CGT, le Syndicat Energie Savoie et le syndicat CGT et CGT/UFICT des Personnels Ouvriers-Employés-Maîtrises-Ingénieurs-Cadres des Industries Électriques de RTE Sud-Ouest, Fonctions Centrales et Retraités Veufs et Veuves des IEG pour défaut d'intérêt légitime,

à titre subsidiaire,

- confirmer les jugements entrepris en ce qu'ils ont débouté MM.'[Y], [I] et [D] de l'ensemble leurs demandes,

- les débouter de l'ensemble de leurs demandes, plus amples ou contraires,

en tout état de cause,

- condamner MM.'[Y], [I] et [D] à lui verser la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la FNME-CGT, le syndicat Énergie Savoie et le syndicat CGT et CGT/UFICT des Personnels Ouvriers-Employés-Maîtrises-Ingénieurs-Cadres des Industries Électriques de RTE Sud-Ouest, Fonctions Centrales et Retraités Veufs et Veuves des IEG, chacun, à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le maintien de la prime d'astreinte

M. [Y] sollicite le maintien du paiement de sa prime d'astreinte, faisant valoir qu'il s'agit d'un complément de salaire inhérent aux fonctions qu'il exerçait et dont il ne pouvait être privé du fait de sa décharge à 100%.

Aux termes de ses développements, M. [Y] fonde sa demande, sans équivoque possible, sur la discrimination syndicale, même si dans le dispositif de ses conclusions, il fait aussi état d'un traitement différencié et d'une atteinte à l'exercice de ses mandats.

La société RTE oppose en premier lieu la prescription de l'action en reconnaissance d'une discrimination.

S'agissant de la prescription

La société RTE prétend que la révélation de la discrimination remonte à la date de signature de la convention de gestion.

M. [Y] prétend, quant à lui, que ce n'est qu'au moment où il a effectivement perdu le droit à compensation, qu'il a valablement pu saisir la juridiction, que ce n'est donc qu'à cette date que la prescription a commencé à courir.

L'article L. 1134-5 du code du travail dispose': «'L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel.

Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.'»

Il est de jurisprudence constante que, lorsque la discrimination s'est poursuivie, c'est à la date où celle-ci ou ses effets ont cessé que débute le délai de prescription.

Or en l'espèce, il n'est remis en cause par aucune des parties que M. [Y] ne perçoit plus de prime d'astreinte de façon continue depuis 2017, de sorte que la prescription n'a jamais commencé à courir à son encontre avant qu'il n'introduise sa demande en justice le 15 avril 2019.

La prescription n'étant pas acquise, la demande de M. [Y] est recevable.

Le conseil de prud'hommes n'ayant pas statué sur ce point, il sera ajouté au jugement dont appel.

Sur le fond

M. [Y] soutient au fond que le défaut de paiement de la prime d'astreinte constitue une discrimination en raison de ses activités syndicales.

L'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose': «'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif local, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français'».

L'article L. 2141-5, alinéa 1er, du même code dispose': «'Il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.'»

L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [Y] soutient que le non-paiement des primes d'astreinte laisse présumer l'existence d'une discrimination dès lors qu'en principe, l'utilisation des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte de salaire, qu'il ne peut être privé du fait de l'exercice de ses mandats du paiement d'une indemnité forfaitaire compensant une sujétion particulière de son emploi qui constitue un complément de salaire, que seules sont exclues les sommes correspondant au remboursement de frais professionnels qu'il n'a effectivement pas exposés du fait de sa décharge à 100%.

Ainsi, M. [Y] présente un élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu duquel il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La société RTE ne conteste pas que la prime d'astreinte constitue un complément de rémunération mais oppose à ce sujet l'existence d'un accord conclu au sein de l'entreprise régissant la situation des salariés consacrant 100% de leur temps de travail à l'exercice de leurs mandats, prévoyant une compensation financière à l'arrêt du paiement des primes d'astreinte.

La société RTE a en effet conclu, le 4 décembre 2009, un accord intitulé « accord relatif au parcours des salariés de RTE consacrant 50% ou 100% de leur temps de travail à l'exercice de mandats représentatifs et/ou syndical » avec l'ensemble des organisations syndicales (pièce 7 du salarié).

Elle précise que cet accord n'est plus en vigueur depuis la signature, le 18 juin 2019, d'un nouvel accord sur le parcours des salariés exerçant des mandats représentatifs et/ou syndicaux entré en vigueur le 2 juillet 2019 (pièce 8 de l'employeur).

Selon ses propres énonciations, l'accord de 2009 visait à instaurer les conditions permettant de reconnaître, d'intégrer et de valoriser le parcours représentatif et/ou syndical dans le cadre d'un projet professionnel motivant pour le salarié et utile pour l'entreprise et à garantir l'équité de traitement en matière d'évolution de leur rémunération et de déroulement de carrière entre les salariés titulaires de mandats et l'ensemble des salariés de l'entreprise.

Il prévoyait':

- un dispositif d'accompagnement d'entrée dans le dispositif (formalisation de la demande écrite de détachement, entretien d'entrée dans le dispositif de détachement et de prise de mandat et signature d'une convention de gestion, articles 2.1, 2.2 et 2.3),

- des conditions d'exercice du mandat (article 2.5),

- un dispositif relatif au maintien de la rémunération renvoyant à l'application des «'dispositifs en vigueur dans l'entreprise », applicable à tout salarié, au cas où les sujétions de service seraient devenues incompatibles avec l'exercice des mandats (article 2.4),

- des conditions d'évolution de carrière et de la rémunération (article 3),

- un dispositif d'accompagnement lors du retour à temps plein professionnel à l'issue du ou des mandats (article 4 : bilan de fin de mandat, accompagnement à la reprise de l'activité professionnelle, processus de proposition d'affectation professionnelle).

L'article 2.4, alinéa 1er, intitulé « maintien de la rémunération » énonce :

« la rémunération principale du bénéficiaire est maintenue à la prise de mandat (NR, échelon). Les éléments de rémunération compensant une sujétion de service d'astreinte, service continu') sont maintenus dès lors que la sujétion perdure. Les emplois soumis à des sujétions de service, devenues incompatibles avec l'exercice des mandats, donnent lieu au rachat de l'indemnisation de la sujétion à la date de prise de mandat selon les dispositifs en vigueur dans l'entreprise. (') ».

Aux termes de ces dispositions conventionnelles, il était prévu le maintien de la rémunération principale du salarié détaché ainsi que celui des éléments de rémunération compensant une sujétion de service « dès lors que la sujétion perdure », en revanche, dès lors que la sujétion de service est devenue « incompatible » avec l'exercice des mandats, plus précisément, lorsque le salarié assume un mandat de détaché syndical à 100%, il était prévu que le salarié concerné bénéficie d'une compensation de la perte des indemnités liées à la fonction conformément aux « dispositifs en vigueur dans l'entreprise ».

La note DP-159 du 6 février 2003 prévoit au titre de la «'compensation des pertes de primes et indemnités'» «'le versement à l'agent, en une fois, au moment de la mutation, d'un capital forfaitaire. Ce capital est égal, en cas de mobilité naturelle, au montant des primes et indemnités afférentes à douze mois d'exercice normal de la fonction. Son montant est doublé en cas de mobilité encouragée, multiplié par quatre en cas de mobilité prioritaire.'» (pièce 4 de l'employeur).

Les parties ne discutent pas la légalité de l'accord, ni celle de la note DP-159, cette contestation relevant, en tout état de cause, de la compétence de la juridiction administrative.

Il n'est pas non plus discuté la spécificité de la qualité des «'détachés syndicaux à 100%'» qui consacrent tout leur temps de travail à leur organisation syndicale et à sa représentation au sein de l'entreprise en dehors de toute activité professionnelle, leur rattachement à l'emploi d'origine n'ayant pour but que de préciser l'entité en charge de sa gestion administrative.

Dès lors que M. [Y] n'était plus exposé aux sujétions de service et que le paiement des astreintes était compensé en vertu d'un dispositif conventionnel, l'employeur prouve que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En définitive, ainsi que le démontre la société RTE, l'application aux détachés syndicaux à 100 % de la règle de rachat des astreintes, prévue par la note DP-159, telle qu'elle s'applique à tout salarié qui n'est plus exposé aux contraintes des sujétions d'astreinte, répond à une exigence professionnelle, objective et déterminante, de sorte qu'aucune discrimination ne peut être retenue à ce titre.

Pour les mêmes raisons, il n'y a ni traitement différencié, ni atteinte à l'exercice des mandats syndicaux et électifs du salarié, ni entrave à l'exercice des fonctions syndicales en raison de la cessation du versement des primes d'astreinte.

Le jugement sera confirmé de ce chef, ainsi que le débouté subséquent des demandes indemnitaires du salarié.

Sur l'action des syndicats

Le syndicat CGT et CGT/UFICT des Personnels Ouvriers-Maîtrises-Ingénieurs-Cadres des Industries Électriques de RTE Sud-Ouest, Fonctions Centrales et Retraités Veufs et Veuves des IEG et la Fédération Nationale des Mines et de l'Énergie (FNME), qui sont intervenus volontairement à la procédure, sollicitent chacun l'allocation d'une somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice propre.

La société RTE conteste d'abord la recevabilité de l'action des syndicats.

Elle fait valoir qu'ils ont tous les deux signé l'accord querellé, que le principe d'unicité syndicale s'oppose à ce qu'un syndicat affilié à la même confédération conteste la légalité de cet accord ainsi que son exécution. Elle invoque aussi la règle de l'estoppel selon laquelle «'nul ne peut se contredire au détriment d'autrui'».

Elle ne fait cependant pas la démonstration qui lui incombe, que les syndicats concernés seraient signataires de l'accord de 2009, ni qu'ils appartiennent à une même confédération.

Ajoutant au jugement qui n'a pas statué sur cette demande, l'action des syndicats sera en conséquence déclarée recevable.

La société RTE conteste ensuite le bien-fondé de leurs demandes.

L'article L. 2132-3 du code du travail dispose': «'Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice.

Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.'»

En l'absence toutefois en l'espèce de la démonstration d'une atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession, la discrimination alléguée n'ayant pas été retenue, les syndicats seront déboutés de leurs demandes respectives, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [Y] aux dépens de première instance et débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

M. [Y], qui succombe en son recours, supportera les dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

M. [Y] sera en outre condamné à payer à la société RTE une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1'000'euros.

Les autres demandes présentées sur ce même fondement seront toutes rejetées.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 14 mars 2022,

Y ajoutant,

DIT recevable comme non prescrite l'action en discrimination syndicale exercée par M.'[S] [Y],

DIT recevable l'action du syndicat CGT et CGT/UFICT des Personnels Ouvriers-Maîtrises-Ingénieurs-Cadres des Industries Électriques de RTE Sud-Ouest, Fonctions Centrales et Retraités Veufs et Veuves des IEG et de la Fédération Nationale des Mines et de l'Énergie,

CONDAMNE M. [S] [Y] au paiement des dépens d'appel,

CONDAMNE M. [S] [Y] à payer à la SA RTE une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SA RTE du surplus de ses demandes à ce titre,

DÉBOUTE M. [S] [Y], ainsi que le syndicat CGT et CGT/UFICT des Personnels Ouvriers-Maîtrises-Ingénieurs-Cadres des Industries Électriques de RTE Sud-Ouest, Fonctions Centrales et Retraités Veufs et Veuves des IEG et la Fédération Nationale des Mines et de l'Énergie, de leurs demandes présentées sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-2
Numéro d'arrêt : 22/01070
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.01070 ?
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