La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/06/2024 | FRANCE | N°22/00311

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-3, 24 juin 2024, 22/00311


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 24 JUIN 2024



N° RG 22/00311 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-U7KM



AFFAIRE :



S.A. SCHINDLER



C/



[Y] [O]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES

N° Section : E

N° RG : 19/00180

>
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Denis PELLETIER



Me Jean-Michel DUDEFFANT







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE VINGT QUATRE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 JUIN 2024

N° RG 22/00311 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-U7KM

AFFAIRE :

S.A. SCHINDLER

C/

[Y] [O]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES

N° Section : E

N° RG : 19/00180

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Denis PELLETIER

Me Jean-Michel DUDEFFANT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT QUATRE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. SCHINDLER

N° SIRET : 383 711 678

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Denis PELLETIER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R006

APPELANTE

****************

Monsieur [Y] [O]

né le 13 Octobre 1966 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Jean-Michel DUDEFFANT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0549

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Président,

Mme Florence SCHARRE, Conseiller,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI en présence de Monsieur BENDIB, greffier stagiaire,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [Y] [O] a été engagé, par contrat de travail, à durée indéterminée et à temps plein, à compter du 18 octobre 2004, par la société Schindler pour exercer les fonctions de responsable travaux-maintenance auprès de l'agence Paris-Ile de France située à [Localité 8] (92).

Par avenant du 8 décembre 2016, M. [Y] [O] a été promu directeur d'agence dans un premier temps à [Localité 10] (92), puis à compter du 2 janvier 2017 auprès d'une filiale du groupe, la société AIF Schindler, sur le site de [Localité 9] (93).

La société Schindler a pour activité principale l'installation, la maintenance, réparation et rénovation d'ascenseurs et d'escaliers mécaniques.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [Y] [O] occupait un poste de cadre (classification cadre 2- coefficient 130) et percevait un salaire moyen brut mensuel de 6 261.85 euros.

Le 15 janvier 2019, M. [Y] [O] a été convoqué, par lettre recommandée avec accusé de réception, en vue d'un entretien préalable à une éventuelle sanction, initialement fixé le 25 janvier 2019 et qui, à la demande du salarié, a été reporté au 4 février 2019.

Le 23 janvier 2019, la société Schindler a notifié à son salarié, par lettre recommandée avec accusé de réception, sa mise à pied à titre conservatoire à compter de cette date.

Dans ce contexte, et le 25 janvier 2019, M. [Y] [O] a été convoqué par la société Schindler par lettre recommandée avec accusé de réception, en vue d'un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 février 2019.

A la suite de l'entretien préalable qui s'est tenu le 4 février 2019, et par lettre recommandée du 7 février 2019, la société Schindler a notifié à M. [Y] [O] son licenciement pour faute grave en ces termes :

" La société a récemment constaté l'existence d'agissements graves rendant impossible le maintien du contrat de travail au sein de notre structure.

Nous vous avons convoqué le 25 janvier 2019 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, à la suite de plusieurs manquements fautifs portés à la connaissance de la société au cours des dernières semaines.

Le 20 novembre 2018, vous avez déclenché une violente altercation avec un salarié, exerçant les fonctions de technicien. Vous lui avez demandé de poser un ferme porte à l'agence AIF alors que cette mission ne faisait pas partie de ses fonctions.

Face à son refus justifié, vous vous êtes emporté et avez adopté une attitude particulièrement agressive à son égard. Vous avez d'ailleurs ultérieurement reconnu votre emportement auprès de Monsieur [B], Directeur d'Agence Régionale Grand Paris Nord.

Cette attitude est intolérable, d'autant plus provenant d'un directeur d'agence.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous avons à déplorer des problèmes de comportement puisque certains de nos clients se sont plaints de votre attitude et refusent de vous avoir comme interlocuteur privilégié.

Par ailleurs, Monsieur [B] a informé les différents responsables de sites d'une visite du CHSCT qui devait se tenir le 12 décembre 2018. Vous avez été destinataire de ce mail et étiez en charge de vous assurer du bon déroulement de cette visite.

Cela n'a manifestement pas été le cas : le magasin n'était pas rangé, l'accès aux toilettes était encombré, deux palans étaient cassés depuis 2014, un harnais était non contrôlé et une armoire EPI était fermée avec une clé perdue. Il s'agit d'autant de manquements à vos obligations : les magasins se doivent d'être rangés et le matériel doit impérativement être conforme et en état d'utilisation.

En tant que directeur d'agence, il est de votre ressort et de votre responsabilité de veiller au respect de ces règles. En laissant le magasin encombré et du matériel de sécurité défectueux, vous manquez gravement à votre obligation de sécurité envers l'ensemble des salariés.

La société ne pouvait tolérer de telles négligences mettant en cause la sécurité de ses salariés et c'est dans ce contexte, par lettre recommandée avec accusé réception du 15 janvier 2019, que vous avez été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, qui devait se tenir le 25 janvier 2019.

Le 21 janvier 2019, vous avez affiché cette lettre de convocation sur la porte de votre bureau, au vu et au su de tous ce qui révèle, vous en conviendrez, une attitude particulièrement provocatrice.

Mais vous êtes allé encore plus loin dans la provocation : le lendemain, vous avez accroché sur votre convocation à entretien (donc sur votre porte) une batte de baseball sur laquelle était inscrit " ceci n'est pas un sex-toy ! ". Vous avez d'ailleurs proclamé devant toute l'agence " pour les entretiens, ça peut me servir ".

Ce comportement provocateur et surtout menaçant est inacceptable. Votre attitude démontre un non-respect total de la hiérarchie, que nous ne pouvons tolérer. Vos agissements sont également en parfaite contradiction avec les valeurs de la société et l'image que nous souhaitons communiquer auprès de nos salariés et de notre clientèle.

Ce comportement est d'autant plus grave que vous exercez les fonctions de directeur d'agence. En tant que tel, vous représentez la société et devez en représenter les valeurs. Vos fonctions appellent un devoir d'exemplarité auprès de vos équipes. Nos collaborateurs ont été particulièrement consternés de cette mise en scène qui a troublé le bon fonctionnement des équipes.

Face à cette situation, la société a été contrainte de prononcer une mise à pied conservatoire à votre encontre le 23 janvier 2019.

Vous avez sollicité le report de l'entretien devant se tenir le 25 janvier 2019 afin de pouvoir être assisté. Les derniers événements nous ayant contraints à envisager une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, vous avez été convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement, qui s'est tenu le 4 février 20149.

Les explications que nous avez fournies lors de votre entretien n'ont pas permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

Par la présente, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave. ".

Par requête introductive en date du 18 mars 2019, M. [Y] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles afin de contester son licenciement et solliciter le paiement des salaires concernant la période de sa mise à pied, ainsi que de diverses demandes indemnitaires découlant de sa contestation.

Par jugement du 12 janvier 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Versailles a :

- dit que sur la forme, l'action est recevable ;

- pris acte du désistement du syndicat CGT Schindler en son intervention volontaire ;

- dit que la référence du salaire brut mensuel moyen pour le contrat de M. [O] est de 6 261,85 euros ;

- dit que la lettre de licenciement du 7 février 2019 ne repose pas sur une faute grave et que le licenciement est sans cause et sérieuse ;

- condamné la SA Schindler au paiement de 75 142 ,20 euros à titre d'indemnité pour licenciement pour faute grave prononcé injustement, sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la SA Schindler au paiement de salaire de mise à pied pour la période du 23 janvier au 9 février 2019 soit 2 761,27 euros et celle de 276,12 euros au titre des congés payés afférents ;

- condamné la SA Schindler au paiement de 18 785,55 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 878,55 euros au titre des congés payés y afférents ;

- condamné la SA Schindler au paiement de 36 005,63 euros au titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- condamné la SA Schindler à la remise du certificat de travail conforme ainsi que l'attestation pôle emploi et bulletin paie rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard qui sera limité à 90 jours à compter du 15ème jour de la notification du présent jugement ;

- dit que le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte ;

- condamné la SA Schindler à payer à M. [Y] [O] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile ;

- rejeté en tant que besoin tout autre demande ;

- condamné la SA Schindler aux éventuels dépens.

La société Schindler a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel au greffe du 1er janvier 2022.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 mars 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 25 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Schindler demande à la cour de :

- recevoir la société Schindler en son appel et l'y déclarer bien fondée ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* dit le licenciement sans cause et sérieuse ;

* condamné la société Schindler au paiement de :

° 75 142,20 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 2 761,27 euros à titre de salaire de mise à pied pour la période du 23 janvier au 9 février 2019 ;

° 276,12 euros au titre des congés payés afférents ;

° 18 785,55 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

° 1 878,55 euros au titre des congés payés afférents ;

° 36 005,63 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

° 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;

* condamné la société Schindler à la remise d'un certificat de travail conforme, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un bulletin paie rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard limité à 90 jours à compter du 15ème jour de la notification du jugement ;

Et statuant à nouveau :

- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes ;

- le condamner aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 11 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [O] demande à la cour de :

- dire et juger la société Schindler mal fondée en son appel ;

- la débouter de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions. ;

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Versailles le 12 janvier 2022 en ce qu'il a :

* jugé que le licenciement notifié à M. [Y] [O], par lettre en date du 7 février 2019, est sans cause réelle et sérieuse ;

* condamné la société Schindler SA à verser à M. [Y] [O] les sommes suivantes :

° 75 142,20 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 2 761,27 euros à titre de salaire de mise à pied pour la période du 23 janvier au 9 février 2019 et celle de 276,12 euros au titre des congés payés afférents ;

° 18 785,55 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 878,55 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 36 005,63 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* condamné la société Schindler à remettre à M. [Y] [O] un certificat de travail conforme ainsi qu'une attestation pôle emploi et un bulletin de paie rectifié sous astreinte de 50 euros par jour de retard qui sera limité à 90 jours à compter du 15ème jour de la notification du jugement ;

* condamné la société Schindler à verser à M. [Y] [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Schindler SA à verser à M. [Y] [O] la somme supplémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner enfin la société Schindler aux entiers dépens.

MOTIFS

1. Sur le licenciement pour faute grave

Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, ainsi, l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La société Schindler reproche à M. [Y] [O] d'avoir :

- Agressé un technicien de maintenance ;

- [Localité 6] un comportement qui ne permettait plus à un client de maintenir sa relation commerciale avec lui ;

- Manqué à son obligation de sécurité envers les salariés lors de la visite du CHSCT ;

- Défié l'autorité de son employeur en adoptant une attitude provocatrice.

Au cas présent, le salarié conteste l'ensemble des griefs qui lui sont faits, tant ceux qui sont évoqués dans un premier temps que ceux qui ont été ajoutés ensuite une fois la lettre de convocation à entretien préalable reçue.

M. [Y] [O] fait valoir que pendant les 14 années, durant lesquelles il a été employé par la société Schindler, aucun reproche ne lui a jamais été fait, ni quant à la qualité de son travail, ni quant à son comportement ainsi qu'en attestent ses entretiens d'évaluations annuelles.

Il ajoute avoir été très surpris d'apprendre fin décembre que des faits, qui se seraient produits à l'égard d'un technicien, et qu'il conteste, pourraient conduire à compromettre son avenir dans l'entreprise.

Le salarié soulève un moyen relatif à la recevabilité de l'attestation versée aux débats par la partie adverse et concernant le témoignage du directeur de l'agence régionale Grand Nord Paris, M. [C] [B], datée du 13 décembre 2019 (pièce 14). Il précise qu'il s'agit de la personne qui a mené intégralement sa procédure de licenciement et demande à la cour d'écarter cette pièce.

L'attestation litigieuse, régulièrement communiquée, ne peut être écartée des débats au seul motif qu'elle émane du supérieur hiérarchique du salarié. Il appartient au juge saisi de ce moyen d'en apprécier la valeur probante. En l'espèce, l'attestation de M. [C] [B] contient notamment la relation des faits auquel son auteur a assisté et décrit l'état dans lequel M. [L] [T] était à la suite de l'altercation avec M. [Y] [O].

Elle ne mentionne ainsi aucun élément qui serait susceptible d'en compromettre l'objectivité dès lors qu'elle ne comporte aucun indice de nature à mettre en doute son authenticité. Il n'y a donc pas lieu de l'écarter.

- Concernant le grief relatif à l'agression d'un technicien de maintenance qui s'est déroulée le 20 novembre 2019

M. [Y] [O] conteste ce grief, et l'agression qui a suivie, et considère que sa demande à l'égard de M. [T], qui consistait à poser un bloc-porte, était légitime.

La société Schindler verse aux débats l'attestation de M. [L] [T] qui indique clairement que suite à ce refus (parfaitement justifié, puisque cette mission n'entrait pas dans sa fiche de poste -ce que le directeur de l'agence régionale a confirmé) M. [Y] [O] a tenu, en présence de M. [M], des propos insultants et a eu un comportement très agressif à l'égard de M. [L] [T].

Le témoin, M. [S] [M] évoque une confrontation violente qui s'est déroulée devant de nombreux témoins, précise que son action a consisté à séparer les protagonistes afin que la situation ne dégénère pas davantage et ajoute avoir été surpris par le comportement de M. [Y] [O] qui est alors revenu à la charge.

La cour observe d'une part que l'intimé ne verse aucune attestation de personnes présentes sur le site pour corroborer l'affirmation selon laquelle M. [L] [T] aurait tenu à l'égard de M. [Y] [O] des propos sur un ton parfaitement qui aurait été déplacé et attester de la dénaturation délibérée des faits qu'il reproche à son employeur.

D'autre part, M. [Y] [O] ne peut davantage certifier avoir dénoncé, par écrit et auprès de son supérieur hiérarchique, le comportement qu'il reproche à M. [T]. En ce sens, le seul mail de M. [C] [B] du 20 novembre 2018 à 10h33, qui est d'ailleurs produit tant par l'appelant que par l'intimé, ne contient pas cette contestation et ne mentionne que la réponse du supérieur hiérarchique du salarié et se termine par " on peut le recevoir ensemble pour s'expliquer sur son comportement sauf si tu estimes que tu t'es trop emporté' ".

En outre, l'imprécision sur les lieux où se sont déroulés les faits, le quai ou le parking, ne saurait suffire comme M. [Y] [O] l'affirme, à remettre en doute l'authenticité des attestations du témoin et de M. [T].

Enfin, le témoignage versé aux débats par M. [Y] [O] d'un ancien technicien de maintenance avec lequel il avait pu travailler de 2008 à 2015, ou encore la production des entretiens de performance des années 2016 à 2018 ne sauraient être considérée comme suffisante pour étayer la contestation qu'il élève quant au déroulement des faits survenus le 20 novembre 2019.

La cour considère donc que l'altercation violente ainsi reprochée, qui est évoquée de manière circonstanciée dans le cadre de la lettre de licenciement, est corroborée par les deux attestations versées aux débats et émanant du technicien concerné (M. [L] [T]) et d'un témoin (M. [S] [M]).

Ces attestations sont rédigées dans des termes distincts par chaque partie et relatent de façon concordante la scène au cours de laquelle M. [Y] [O] a un comportement inacceptable à l'égard du technicien de maintenance M. [L] [T].

Suite à cette agression, M. [L] [T] a été arrêté dès le lendemain, et ainsi du 21 novembre 2018 au 14 janvier 2019, ainsi qu'en atteste M. [C] [Z] [B] qui indique avoir reçu celui-ci le jour des faits et a constaté que M. [L] [T] était dans un état de choc émotionnel très intense et en pleurs.

Par la suite, c'est effectivement le lendemain de la fin de l'arrêt de travail de M. [T] que la société Schindler a adressé, par courrier du 15 janvier 2019, à M. [Y] [O] sa convocation à un entretien préalable dans le cadre d'une sanction disciplinaire.

Il doit en être déduit que M . [Y] [O], à l'occasion de cette altercation avec un technicien de maintenance, s'est donc emporté et a adopté une attitude particulièrement agressive à l'égard d'un salarié de l'agence dont il était le directeur.

Ce grief est donc établi.

- Concernant le grief consistant à avoir défié l'autorité de son employeur en adoptant une attitude provocatrice

L'employeur reproche à son salarié d'avoir adopté une attitude particulièrement provocatrice en affichant sur la porte de son bureau, et donc selon lui à la vue de tous, la lettre de convocation qu'il avait reçue. Il lui reproche également d'avoir apposé le lendemain une batte de base-ball sur laquelle était inscrite " ceci n'est pas un sex-toy ! " et proclamé devant toute l'agence " ça tombe bien, ça va bientôt me servir ".

La société Schindler verse aux débats une photographie, non datée, sur laquelle on distingue nettement la lettre de convocation à l'entretien préalable et où est accrochée une batte de baseball, d'une longueur de 30 centimètres environ.

Le salarié conteste cette version des faits, et s'il reconnaît avoir affiché cette lettre et la batte de base-ball, il ajoute que cela l'a été à l'intérieur même de son bureau et derrière son fauteuil.

M. [Y] [O] produit aux débats sa pièce 15, constituée d'une photographie prise à l'intérieur de son bureau, non datée, sur laquelle on distingue nettement la lettre de convocation à l'entretien préalable et la même batte de baseball que celle décrite précédemment ainsi que le mobilier de bureau.

Il ajoute que les baies vitrées des bureaux de l'agence AIF Schindler comportent toutes une vitrophanie, sur une hauteur de deux mètres, qui occulte totalement la vue depuis l'extérieur. Il précise que son bureau est fermé à clefs et que personne ne peut y rentrer en son absence. Il mentionne avoir quitté son bureau le soir de cet affichage vers 18h pour se rendre le lendemain au séminaire de [Localité 5] avec son équipe.

La cour observe qu'aucun détail de la photographie produite par la société Schindler ne permet de s'assurer que la photographie versée aux débats par l'employeur est bien prise depuis le couloir permettant d'accéder au bureau de M. [O] et que cette lettre et la batte de base-ball avaient été accrochées sur la porte du bureau.

En outre, il y a lieu de noter que dans son attestation, M. [C] [B] (pièce 14) mentionne que la lettre et la batte de base-ball n'étaient pas accrochées sur la porte du bureau de M. [O] mais " le 21 janvier 21019, j'ai pu constater que monsieur [O] avait affiché derrière son bureau, à hauteur d'homme, son courrier de convocation, à la vue de tous, par transparence à travers les baies vitrées de soin bureau ".

Aucune des parties n'établit que les vitres des bureaux sont recouvertes de vitrophanie.

L'article L.1121-1 du code du travail dispose que "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ".

L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que " Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. [..] L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. ".

La Cour européenne des droits de l'homme a appliqué ces dispositions en droit du travail. Après avoir rappelé que la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, elle a indiqué que cette liberté est soumise à des exceptions qui doivent s'interpréter strictement ; la nécessité de ces exceptions doit être justifiée par un besoin social impérieux.

Depuis l'arrêt Clavaud, du 28 avril 1988 (n 87-41.804, Bull. n 257), une jurisprudence constante reconnaît que le salarié dispose, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, d'une liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Soc. 22 juin 2004, 02-42.446, Bull .175, Soc 3 juillet 2012 Bull 202).

L'article L 2281-3 du code du travail ajoutant " Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.".

En l'espèce, les actes reprochés à M. [Y] [O] ne se rattachent pas au droit collectif d'expression, portant sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation du travail, mais bien à la seule liberté d'expression de chaque salarié, droit exercé individuellement au sein ou en dehors de l'entreprise, protégé par l'article L 1121-1 du code du travail (Soc., 14 décembre 1999, pourvoi n 97-41.995).

La question est donc de savoir si le fait pour le salarié (qui en l'espèce exerçait le poste de directeur d'agence) d'exposer ce texte et cet objet à l'intérieur de son bureau constitue ou non un abus de cette liberté individuelle d'expression.

La restriction qui peut être apportée à cette liberté doit être justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionné au but recherché.

L'employeur considère que ce droit de critique relèverait ici de l'intention de nuire.

La cour de cassation retient tantôt une conception individualiste de l'abus (en recherchant l'intention de celui qui abuse de son droit) tantôt une conception plus finaliste, sanctionnant le détournement de la finalité du droit parce que l'abus est une notion à réalités multiples.

La jurisprudence admet que ce droit fondamental dégénère en abus dans les cas de malice, mauvaise foi ou erreur équipollente au dol.

En revanche, la chambre sociale, au fil d'une jurisprudence abondante, a précisé que la liberté d'expression du salarié, dans et hors de l'entreprise, trouve sa limite dans la caractérisation d'un abus, constitué par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

En l'espèce, la cour considère que le fait pour un salarié, qui au cas d'espèce exerce la fonction de directeur d'une agence commerciale, d'afficher dans son bureau la convocation à un entretien préalable qu'il venait de recevoir, et sur laquelle il a accroché la batte de base-ball que ses collègues lui avait offerte à l'occasion du Noël de l'entreprise, et où était inscrit en gros caractères " ceci n'est pas un sex-toy " doit être considéré comme relevant d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression dès lors que cette expression est injurieuse, diffamatoire et excessive à l'égard de son employeur.

En outre, il y a lieu d'ajouter que les cadres supérieurs ont une obligation de loyauté et de réserve à l'égard de leur direction qui en l'espèce n'a pas été respectée.

Dès lors, ce grief est établi.

Il doit être déduit de ce qui précède que tant l'altercation avec un agent de maintenance, que le défi à l'autorité de l'employeur qui s'est manifesté par l'affichage dans le bureau du salarié de la lettre de convocation à l'entretien préalable sur laquelle il avait accroché une batte de base-ball portant la mention " ceci n'est pas un sex-toy " caractérisent des manquements graves du salarié à ses obligations contractuelles, qui empêchent la poursuite du contrat de travail, ce d'autant que celui-ci exerçait une fonction d'encadrement.

Dès lors, le licenciement pour faute grave de M. [Y] [O] est donc justifié.

2. Sur les conséquences du licenciement pour faute grave

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement pour faute grave ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau il conviendra de dire que le licenciement de M. [Y] [O] était bien justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il convient donc de débouter M. [Y] [O] de ses demandes d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de rappel de salaires pour la période de sa mise à pied et des congés payés y afférents, mais également d'indemnité conventionnelle de licenciement et de remise des documents sociaux modifiés.

Enfin, eu égard à la solution apportée au litige, il y a lieu de débouter l'intimé de sa demande qu'il a formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE M. [Y] [O] aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-3
Numéro d'arrêt : 22/00311
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;22.00311 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award