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24/06/2024 | FRANCE | N°22/00295

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-3, 24 juin 2024, 22/00295


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 24 JUIN 2024



N° RG 22/00295 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-U7H2



AFFAIRE :



S.A.R.L. AQUARIUM LIBERTY'S



C/



[P], [R] [T]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : F 1

9/01128



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Cyril BOURAYNE de la SELARL BOURAYNE & PREISSL



Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 JUIN 2024

N° RG 22/00295 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-U7H2

AFFAIRE :

S.A.R.L. AQUARIUM LIBERTY'S

C/

[P], [R] [T]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : F 19/01128

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Cyril BOURAYNE de la SELARL BOURAYNE & PREISSL

Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT QUATRE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.R.L. AQUARIUM LIBERTY'S

N° SIRET : 410 628 291

Centre Commercial [Adresse 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Cyril BOURAYNE de la SELARL BOURAYNE & PREISSL, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P050 substitué à l'audience par Me Farida AGHARBI, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Monsieur [P], [R] [T]

né le 03 Décembre 1965 à [Localité 7] ([Localité 7])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629

Représentant : Me Fanny CORTOT, Plaidant, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Président,

Mme Florence SCHARRE, Conseiller,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI en présence de Monsieur [G], greffier stagiaire,

FAITS ET PROCÉDURE

La société à responsabilité limitée Aquarium Liberty's, dont le nom commercial est " Abri sous Roche ", a été immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 410 628 291. Elle exploite un magasin situé à [Localité 6] spécialisé dans le commerce de poissons d'ornement et d'aquariums.

M. [P] [T] a été engagé par la société Aquarium Liberty's par contrat à durée indéterminée à compter du 3 juin 2014 en qualité de vendeur, niveau III échelon 1 coefficient 130, pour un temps de travail de 39 heures hebdomadaires.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [P] [T] percevait une rémunération brute mensuelle de 1 862,81 euros.

Le contrat de travail était soumis aux dispositions de la convention collective nationale des fleuristes, de la vente et des services des animaux familiers.

M. [P] [T], reconnu travailleur handicapé depuis le 1er décembre 2015, a été placé en arrêt maladie du 14 septembre au 14 octobre 2017, puis à compter du 22 novembre 2017 et jusqu'à fin février 2023. Le 1er avril 2020, il a été placé en invalidité niveau 2 par le médecin conseil de l'assurance maladie.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 janvier 2023, M. [P] [T] a démissionné de son poste.

Par requête introductive en date du 26 avril 2019, M. [P] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence d'application du régime conventionnel de prévoyance, outre diverses sommes.

Par jugement du 10 janvier 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- Condamné la Sarl Aquarium Liberty's à verser à M. [P] [T], les sommes suivantes :

* 14 262,93 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence d'application du régime conventionnel de prévoyance et des garanties en découlant ;

* 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté M. [P] [T] pour le surplus de ses demandes ;

- Reçu la demande de la Sarl Aquarium Liberty's, au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de M. [P] [T], mais n'y a fait pas droit ;

- Condamné la Sarl Aquarium Liberty's aux entiers dépens de l'instance, y compris les frais éventuels d'exécution de la présente décision.

Par déclaration au greffe du 31 janvier 2022, la société Aquarium Liberty's a interjeté appel de ce jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 mars 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 5 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Aquarium Liberty's demande à la cour de :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de prud'hommes de Nanterre du 10 janvier 2022 ;

Statuant de nouveau,

À titre principal,

- Débouter M. [P] [T] de l'ensemble de ses demandes ;

À titre subsidiaire,

- Limiter toutes condamnations à la somme de 3 731,12 euros ;

- Condamner M. [P] [T] à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 28 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [P] [T] demande à la cour de :

- Débouter la Société Aquarium Liberty's de l'ensemble de ses demandes ;

- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Nanterre en date du 10 janvier 2022 en ce qu'il a :

* Jugé que la Société Aquarium Liberty's est totalement fautive à son égard dans la gestion de sa protection maladie ;

* Condamné la Société Aquarium Liberty's à lui payer :

o 14 262,93 euros nets correspondant au montant des garanties que ce dernier aurait dû percevoir jusqu'au mois de septembre 2021 ;

o 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Fait droit à son appel incident au regard :

* du montant des dommages et intérêts qui doivent être réactualisés et dès lors portés à la somme de 19 680,60 euros nets ;

* des demandes dont il a été débouté à savoir :

o Les dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article L 1 222-1 du code du travail ;

o La condamnation de la Société Aquarium Liberty's à lui payer le complément d'indemnité dû à compter du jour la clôture à intervenir dans les termes de l'accord conventionnel du 13 mai 2016, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir

o Que l'ensemble des condamnations susvisées porte intérêt au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes, avec capitalisation des intérêts (anatocisme) en vertu des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- En conséquence, réformant le jugement précité sur ces points,

M. [P] [T] sollicite :

- La condamnation de la Société Aquarium Liberty's à lui payer les sommes de :

*19 680,60 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence d'application du régime conventionnel de prévoyance et des garanties en découlant ;

* 5 588,43 euros (3 mois de salaire) nets sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail ;

* 2 000 euros en cause d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamnation de la Société Aquarium Liberty's à lui payer le complément d'indemnité dû à compter du jour de la clôture à intervenir dans les termes de l'accord conventionnel du 13 mai 2016, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir ;

- Que l'ensemble des condamnations susvisées porte intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, avec capitalisation des intérêts (anatocisme) en vertu des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- la condamnation de la Société Aquarium Liberty's aux entiers dépens comprenant les éventuels frais d'exécution.

MOTIFS

1 - Sur le défaut de souscription à un régime de prévoyance

Aux termes des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de la sécurité sociale, la prévoyance regroupe l'ensemble des garanties collectives dont bénéficient les salariés, les anciens salariés et leurs ayants droit en complément des prestations servies par la Sécurité sociale en couverture des risques liés à l'atteinte à l'intégrité physique (maladie, accident), la maternité, l'incapacité de travail, l'invalidité et le décès.

La convention collective applicable prévoit en son article 8.1, pour les salariés en arrêt de travail et présentant une ancienneté supérieure à 2 ans et inférieure à 5 ans, une obligation pour l'employeur de maintenir le salaire du salarié, sous déduction des indemnités journalières servies par la sécurité sociale à hauteur de 90% du salaire pendant 30 jours, puis de 66% pour les 30 jours suivants.

L'accord du 13 mai 2016, étendu par l'arrêté du 3 mai 2017, est relatif au régime de prévoyance conclu dans la branche, s'applique à toutes entreprises entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale des fleuristes, de la vente et des services des animaux familiers du 21 janvier 1997.

Il a pris effet au premier jour du trimestre civil qui a suivi la date de publication de l'arrêté d'extension au journal officiel, soit au 1er juillet 2017.

Il est par ailleurs constant que l'article 9 du contrat de travail du salarié dispose que " La caisse de retraite à laquelle sera affilié le Salarié est le CIRCIC. Le Salarié bénéficiera du Régime de Retraite et de Prévoyance en vigueur au sein de la Société Aquarium Liberty's pour les salariés de sa catégorie professionnelle. Ce régime pourra être modifié conformément à la législation en vigueur par la Société Aquarium Liberty's, sans que le Salarié puisse prétendre au maintien du régime existant ".

M. [P] [T] a perçu de son employeur en mai 2018, et dans le cadre du maintien de salaire de ses 60 premiers jours de maladie (soit jusqu'au 1er janvier 2018), la somme de 1 102,47 euros. Il tient son employeur responsable de ne pas avoir bénéficié des indemnités de prévoyance qui lui étaient dues par la société de prévoyance désignée, la société Klésia.

C'est dans ce contexte qu'il saisissait et obtenait du conseil de prud'hommes la somme de 14 262,93 euros correspondant au montant des garanties que ce dernier aurait dû percevoir jusqu'au mois de septembre 2021.

La société Aquarium Liberty's, appelante, sollicite l'infirmation du jugement entrepris et conclut à l'absence de responsabilité la concernant dans le non-paiement des indemnités de prévoyance à son salarié. Elle oppose à M. [T] l'absence de lien de causalité entre la faute invoquée par celui-ci et le préjudice qui en résulterait. Elle ajoute que par son absence de collaboration avec la société Klésia, le salarié a en outre contribué à la réalisation du préjudice qu'il invoque.

L'employeur invoque ensuite sa bonne foi et reconnaît avoir commis une faute en s'abstenant de souscrire avant le 1er juin 2017 un contrat de prévoyance avec la société Klésia et précise toutefois que le contrat de prévoyance discuté avait été conclu rétroactivement et à effet au 1er novembre 2018

La société Aquarium Liberty's estime que, si son salarié avait pris ses congés payés avant le 1er novembre 2017, sa situation aurait alors été ab initio régularisée. L'employeur estime par ailleurs qu'aucune pièce ne démontre que l'arrêt maladie du 24 novembre 2017 ait entraîné l'invalidité du 1er avril 2020.

La société Aquarium Liberty's indique ensuite que la période de suspension du contrat de travail a donc pris fin du fait de la reprise effective de travail par le salarié entre le 9 et le 11 janvier 2019 et ce peu important que le salarié ait continué à être en arrêt de travail. Elle en déduit que le nouvel arrêt de travail régularisé le 23 janvier 2019, est ainsi intervenu à une date où le salarié était donc couvert par la société de prévoyance.

L'employeur oppose ensuite l'inopposabilité de l'inaptitude de son salarié au regard des constats opérés par la médecine du travail et des médecins contrôleurs les 8 janvier 2019 et 16 novembre 2019. Il en déduit que le salarié, n'ayant pas repris son poste de travail à l'issue le 16 novembre 2019, ne peut donc se voir opposer les décisions ultérieures de la médecine du travail et de la Cramif qui contredisent les conclusions des deux médecins conseils. L'employeur relève que le salarié n'a pas formé un recours pour contester les périodes d'absence de versement des indemnités complémentaires.

Quant au complément d'indemnité au titre de la garantie invalidité, l'employeur considère que celui-ci n'est pas dû en raison du préjudice futur du salarié qui en l'espèce n'est pas établi.

Dans son appel incident, M. [P] [T] demande la confirmation du jugement dans son principe de condamnation mais requiert l'infirmation du quantum en sollicitant la somme actualisée de 19 680,60 euros en réparation de son préjudice découlant de la situation financière délicate dans laquelle il s'est retrouvé.

Il oppose à son employeur qu'il aurait dû percevoir outre la garantie d'incapacité de travail, la garantie invalidité, soit la somme mensuelle brute de 1 303,96 euros correspondant à 70% de 1 862,81 euros alors qu'il n'a perçu jusqu'en mars 2020 qu'une somme oscillant entre 918,60 euros et 949,22 euros.

Quant à la pension d'invalidité, il indique avoir reçu sur cette même période, et jusqu'à présent, une somme oscillant entre 1 049,76 euros et 1 139,03 euros.

Il fait observer que ses arrêts de travail ont fait l'objet de prolongation les 23 janvier 2019 et 22 novembre 2019, par conséquent postérieurement aux visites de contrôle. Il estime que le fait qu'il n'ait pas diligenté de recours pour contester les périodes d'absence de versement de ses indemnités complémentaires est sans incidence.

M. [P] [T] réplique que la société s'est préoccupée de mettre en place le régime conventionnel de prévoyance 18 mois après la date requise uniquement en raison de son insistance pour y procéder alors qu'il se trouvait en arrêt maladie depuis plus d'une année.

Il fait remarquer que les SMS échangés le 18 octobre 2018 avec son employeur, lui confirmant son adhésion à compter du 1er novembre 2018, permettent d'établir que ce n'est pas la contre-visite future du 8 janvier 2019 qui est à l'origine de son affiliation audit régime de prévoyance, contrairement aux dires de la société mais bien sa demande formulée depuis des semaines.

En tout état de cause, il fait valoir que c'est l'adhésion tardive de la société au contrat de prévoyance, postérieure au début de son arrêt de travail ayant conduit à sa mise en invalidité, également postérieure à son obligation en la matière, qui est à l'origine de l'absence d'application des garanties conventionnelles. Par suite, il estime que la responsabilité de la société est pleinement engagée.

Sur ce,

En l'espèce, il est établi que par l'extension le 3 mai 2017 de l'accord du 13 mai 2016, la société Aquarium Liberty's était dans l'obligation de faire bénéficier ses salariés, des garanties conventionnelles de prévoyance à compter du 1er juillet 2017, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas.

Il est démontré, par les pièces médicales versées au dossier, que M. [P] [T] a été placé en arrêt de travail continu à compter du 22 novembre 2017, soit antérieurement à la prise d'effet du régime de telle sorte qu'il n'a pas pu bénéficier des garanties conventionnelles d'incapacité de travail et d'invalidité auxquelles il pouvait prétendre.

Par la suite, l'affiliation querellée auprès de la société de prévoyance Klésia n'a pas été, comme cela est affirmé par l'employeur, rétroactive au 1er novembre 2018 mais bien effective à compter de cette date. Sur ce point, il est d'ailleurs fait observer que la société Aquarium Liberty's ne verse d'ailleurs pas le contrat concerné.

Dès lors, le lien de causalité entre le dommage exposé par le salarié et le retard de son employeur à mettre en place le régime de prévoyance au regard de l'arrêt de travail survenu, est établi et corroboré par l'organisme de prévoyance dans son courriel du 22 avril 2020 " l'arrêt maladie ayant entraîné l'invalidité est survenu avant la prise d'effet de la garantie de votre contrat de prévoyance Klésia, soit le 01/11/2018 ", courriel qui démontre par ailleurs la demande du salarié dans ce sens et qui met en échec l'éventuelle absence de collaboration du salarié.

Il est également inopérant de considérer, au vu des nombreuses pièces médicales versées au dossier, que l'état de santé du salarié aurait pu être compatible avec une reprise de son travail pour interrompre l'arrêt maladie.

En ce sens, l'affirmation de l'employeur visant à discréditer les arrêts maladie du salarié compte tenu du fait qu'il conduisait une moto de grosse cylindrée durant son arrêt de travail est particulièrement inopérante dans la mesure où d'une part, il s'agit de son moyen de transport pour lequel il est dûment habilité et d'autre part, les pièces médicales produites, ne laissent pas de place au doute sur leur nécessité.

Concernant les contre-visites médicales, l'article L. 1226-1 du code du travail prévoit que l'absence justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou d'accident doit être constatée par certificat médical et par une contre-visite organisée par l'employeur s'il y a lieu.

La société Aquarium Liberty's a dans ce cadre initié deux contre-visites qui ont eu lieu les 8 janvier et 16 novembre 2019. Cependant, l'employeur ne peut tirer argument de celles-ci pour en déduire que le salarié aurait perdu tout droit à indemnité complémentaire, en sus des indemnités versées par la sécurité sociale, dans la mesure où son droit à indemnisation complémentaire est rétabli à la date de renouvellement de ses arrêts.

Par ailleurs, hormis pour la période où le salarié s'était cru dans l'obligation de reprendre le travail à la suite de la contre-visite médicale, l'assurance maladie a maintenu le versement des indemnités journalières, les arrêts prescrits ayant été jugés parfaitement justifiés par la caisse primaire d'assurance maladie, tel que l'atteste les attestations de paiement produites.

En tout état de cause, en cas de désaccord avec le médecin du travail sur la qualification de la visite l'employeur avait la possibilité de saisir le conseil de prud'hommes selon la procédure prévue aux articles L. 4624-7 et suivants du code du travail, ce qu'il n'a pas fait de sorte que cette qualification revêt un caractère définitif.

En l'espèce, les arrêts maladie produits pour ces deux dates établissent que M. [P] [T] devait se trouver à son domicile entre 9h et 11h et entre 14h et 16h.

Le salarié perdrait effectivement le bénéfice des indemnités complémentaires si, absent de son domicile, il n'a pu se soumettre à la contre-visite et n'a pas été en mesure, à la demande de son employeur, de justifier des motifs de son absence.

Il appartient cependant à l'employeur qui a pris l'initiative du contrôle, d'établir qu'il n'a pu faire procéder à la contre-visite en raison de la carence ou de l'opposition du salarié. Si le salarié souhaite contester les résultats de ses contre-visites, il lui appartenait de solliciter une autre contre-visite ou de demander une expertise judiciaire en saisissant le juge des référés aux fins de désignation d'un médecin-expert.

Le seul objet de la contre-visite est en effet, de contrôler si le droit aux indemnités complémentaires de maladie est ouvert au salarié, la portée du contrôle médical patronal ne saurait aller au-delà du fondement qui lui sert de cause.

Concernant la contre-visite du 8 janvier 2019 : Le médecin contrôleur a conclu à un arrêt de travail non justifié à la date du contrôle et le salarié n'a pas contesté le résultat de cette contre-visite ni sollicité d'expertise judiciaire. L'avis du médecin-contrôleur n'étant valable qu'à la date où il est émis et ne pouvant disposer pour l'avenir, M. [P] [T] perd le bénéfice de ses indemnités complémentaires au titre de l'incapacité de travail du 8 janvier au 23 janvier 2019, date du renouvellement de son arrêt maladie.

Quant à la contre-visite du 16 novembre 2019 : Nonobstant l'attestation de Mme [T], dont il n'y a pas lieu de remettre en question sa valeur probante eu égard au compte rendu des urgences de l'après-midi, il n'en demeure pas moins que le salarié ne s'est pas présenté au médecin contrôleur à l'occasion de la contre-visite du 16 novembre 2019, ce que la société justifie par la production du rapport du médecin contrôleur que le salarié n'a pas contesté.

Ainsi, le salarié perd le bénéfice des indemnités complémentaires conventionnelles d'incapacité de travail du 16 au 21 novembre 2019, le renouvellement de l'arrêt maladie ayant été effectué le 22 novembre 2019.

Concernant enfin la visite médicale de reprise ou de pré-reprise intervenue le 17 janvier 2019 : Pendant la suspension de son contrat de travail pour maladie, le salarié est dispensé de son obligation de fournir sa prestation de travail et n'est pas tenu, durant cette période, de poursuivre une collaboration avec l'employeur. Il y a lieu de rappeler qu'en application de l'article R. 4624-31 du code du travail, dans sa version résultant du décret n°2016-1908 du 278 décembre 2016 applicable à la relation de travail, le salarié doit bénéficier obligatoirement d'une visite de reprise par le médecin du travail après une absence pour maladie non professionnelle d'au moins 30 jours. Par ailleurs, le médecin contrôleur n'a pas la possibilité de mettre fin à la période de sus-pension du contrat de travail provoquée par la maladie, laquelle ne peut prendre fin, dans l'hypothèse des absences nécessitant obligatoirement une visite de reprise en application de l'article précité, par l'accomplissement de cette visite.

Dès lors,

La cour déduit de ce qui précède que la société Aquarium Liberty's a contracté à effet du 1er novembre 2018, soit 16 mois après l'obligation conventionnelle fixée au 1er juillet 2017, un régime de prévoyance, dont son salarié M. [P] [T] aurait dû bénéficier. Les moyens soulevés par l'employeur au soutien des contre-visites sont inopérants pour faire échec à la réparation du préjudice sollicité au regard de la situation médicale avérée et non contestable du salarié.

2 - Sur l'évaluation du préjudice financier du salarié

Sur la base des arrêts maladie, des bulletins de salaire, des relevés d'indemnités journalières de la sécurité sociale et des relevés de paiement de pension d'invalidité versés aux débats par le salarié, ce dernier produit un tableau détaillé en pages 12 à 14 de ses conclusions faisant apparaître le solde mensuel, mois par mois, dû par son employeur au titre des garanties incapacité et invalidité non perçues.

Le montant total du complément de salaire sollicité est de 19 680,60 euros.

Lors de la contre-visite médicale du 8 janvier 2019, l'arrêt maladie du salarié courait du 27 décembre 2018 jusqu'au 31 janvier 2019, arrêt maladie renouvelé le 23 janvier 2019. Le salarié n'a, à juste titre, pas comptabilisé sur cet état, la période du 9 janvier jusqu'au renouvellement de son arrêt maladie.

Lors de la seconde contre-visite médicale du 16 novembre 2019, l'arrêt maladie avait renouvelé le 28 octobre 2019, courait jusqu'au 25 novembre 2019. S'il apparaît clairement sur le compte rendu des urgences de l'après-midi du 16 novembre 2019 l'état pathologique du salarié, il n'en demeure pas moins que le médecin contrôleur n'a pu à un horaire où le salarié devait se trouver à son domicile, procéder au contrôle pour lequel il était mandaté et que le salarié n'a pas sollicité une autre contre-visite ni contesté le constat du médecin contrôleur.

Il convient de déduire de la somme sollicitée par le salarié, le complément de garantie incapacité sur la période du 16 novembre au 21 novembre, le médecin traitant ayant prolongé l'arrêt maladie à compter du 22 novembre 2019, soit 68,66 euros [(354,74€ /31)] X 6.

En conséquence de ce qui précède, sur la base des éléments portés à l'appréciation de la cour et sans qu'il y ait de raison à limiter le préjudice à la période de janvier 2018 à octobre, la cour apprécie souverainement l'étendu du préjudice du salarié et évalue la perte des indemnités complémentaires incapacité et invalidité non perçues à la somme de 19 611,94 euros.

Le jugement déféré sera confirmé de chef mais infirmé dans son montant et la société Aquarium Liberty's condamnée à payer à M. [P] [T], la somme de 19 611,94 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence d'application du régime conventionnel de prévoyance et des garanties en découlant.

3 - Sur l'exécution de bonne foi du contrat de travail

Selon l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

La société Aquarium Liberty's conclut à l'absence d'exécution de mauvaise foi du contrat de travail et sollicite le débouté de la demande faite à ce titre et à hauteur de 5 588,43 euros. La société réplique qu'il s'agissait d'un dysfonctionnement indépendant de sa volonté et justifie par un courriel de l'assureur en date du 27 octobre 2022, que les contrats santé ont été rétablis à effet rétroactif de sorte qu'il était possible pour le salarié de demander le remboursement de soins antérieurs par l'envoi des décomptes de la sécurité sociale ou de factures acquittées.

Dans son appel incident, le salarié demande la réformation de la décision critiquée de ce chef et sollicite la condamnation de son employeur à lui payer la somme de 5 588,43 euros correspondant à 3 mois de salaire en affirmant que la suspension du contrat du fait de la maladie n'affecte pas l'obligation de loyauté pesant tant sur le salarié que sur l'employeur, que son employeur par son abstention pendant des mois à contracter une garantie de prévoyance, a engendré une perte substantielle et durable de revenus pour le salarié qui assume seul ses charges ainsi que celles de sa mère.

Il ajoute que la société persiste à ne pas remplir ses obligations et évoque une résiliation depuis le mois de novembre 2021 de la complémentaire santé prise auprès de Generali par la société alors que la somme de 25,54 euros, correspondant à sa quote-part de frais d'adhésion, reste prélevée mensuellement sur son bulletin de salaire.

La cour observe que même si des manquements ou erreurs de la part de la société peuvent être relevées, elles ne suffisent pas à caractériser la mauvaise foi de l'employeur et faute pour le salarié d'apporter la preuve de la mauvaise foi de son employeur et d'un préjudice distinct de la perte de revenus complémentaires des garanties conventionnelles de prévoyance, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

4 - Sur les intérêts et leur capitalisation

Les condamnations au paiement de créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes alors que les condamnations au paiement de créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt.

Il y a lieu aussi d'autoriser la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Le jugement critiqué sera infirmé de ce chef.

5 - Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La société Aquarium Liberty's qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient, en application de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner la société Aquarium Liberty's à payer à M. [P] [T] la somme de 2 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel en sus de la somme de 1 000 euros qui lui a été allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 10 janvier 2022 ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Aquarium Liberty's à payer à M. [P] [T] la somme de 19 611,94 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence d'application du régime conventionnel de prévoyance et des garanties en découlant ;

Dit que les condamnations au paiement de créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt.

Autorise la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Déboute la société Aquarium Liberty's de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Aquarium Liberty's à payer à M. [P] [T] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Aquarium Liberty's aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-3
Numéro d'arrêt : 22/00295
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;22.00295 ?
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