La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/06/2024 | FRANCE | N°23/07493

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 20 juin 2024, 23/07493


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 39H



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 20 JUIN 2024



N° RG 23/07493 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WFL7



AFFAIRE :



S.A.S. ALTHEA







C/

[E] [N]

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 11 Octobre 2023 par le Président du TJ de [Localité 11]

N° RG : 22/02431



Expéditions exécutoires

Expé

ditions

Copies

délivrées le : 20.06.2024

à :



Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Rony DEFFORGE, avocat au barreau de VAL D'OISE,





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La c...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 JUIN 2024

N° RG 23/07493 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WFL7

AFFAIRE :

S.A.S. ALTHEA

C/

[E] [N]

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 11 Octobre 2023 par le Président du TJ de [Localité 11]

N° RG : 22/02431

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 20.06.2024

à :

Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Rony DEFFORGE, avocat au barreau de VAL D'OISE,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. ALTHEA

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés

en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2372366

APPELANTE

****************

Madame [E] [N]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Monsieur [R] [A]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Monsieur [Y] [C]

[Adresse 1]

[Localité 10]

S.A.S. ACT-ON STRATEGY

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentant : Me Rony DEFFORGE de la SELARL CR ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 241

Ayant pour avocat plaidant Me Aude BARATTE, du barreau de Paris

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mai 2024, Monsieur Thomas VASSEUR, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,

Madame Marina IGELMAN, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

La S.A.S. Althea est un cabinet de conseil français spécialisé dans l'accompagnement des fonctions transverses de l'entreprise, de la définition de leur stratégie jusqu'à sa déclinaison opérationnelle.

M. [Y] [C] était à la fois l'un des actionnaires minoritaires d'Althea et son salarié, devenu notamment directeur général à compter du 1er janvier 2015.

Il a conclu le 26 novembre 2018 une rupture conventionnelle avec un protocole transactionnel.

En février 2019, M. [C] est devenu le directeur général de 'Qixi', dénomination commerciale de la société Act-On Strategy, créée le 1er février 2019, qui a un objet concurrent à celui de la société Althea dans le domaine du conseil en ressources humaines.

M. [R] [A] a été embauché le 8 avril 2015 par la société Althea où il travaillait en tant que 'Key Account Manager' et gérait les comptes clients stratégiques. Le 4 janvier 2019, M. [A] présentait sa démission et quittait la société le 8 mars 2019, pour rejoindre la société Act-On Strategy en qualité d'associé.

Mme [E] [N], embauchée par la société Althea le 7 juin 2010 en qualité de 'Manager', est devenue directrice du développement de l'entreprise le 1er juillet 2015. Le 28 mars 2019, elle quittait la société Althea et devenait associée de la société Act-On Strategy.

Faisant valoir que sept autres salariés l'avaient également quittée pour rejoindre la société Act-On Strategy et qu'elle craignait des actes de débauchages commis par M. [C], la société Althea a sollicité et obtenu le 6 décembre 2019 l'organisation de mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

M. [C] et les sociétés Act-On Strategy et Hokam ont saisi le juge des référés d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête, qui a été rejetée par ordonnance du 22 janvier 2021, confirmée par la cour d'appel de céans le 30 septembre 2021. Les documents saisis ont en conséquence été transmis à la société Althea.

La société Althea, exposant disposer d'indices d'actes de concurrence déloyale commis par M. [A] et Mme [N] alors qu'ils étaient encore ses salariés, a sollicité de nouvelles mesures d'investigation à leur encontre ainsi qu'à l'encontre de la société Act-On Strategy.

Par deux ordonnances du 3 août 2022, il a été fait droit à cette demande.

Les mesures ont été exécutées le 8 septembre 2022 et les commissaires de justice mandatés ont dressé des procès-verbaux de constat et saisi divers documents en exécution des ordonnances, séquestrés au sein de l'étude du commissaire de justice instrumentaire

Par acte du 6 octobre 2022, M. [A], M. [C] et la société Act-On Strategy ont fait assigner en référé la société Althea aux fins d'obtenir principalement la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 3 août 2022, et en conséquence, l'annulation de tous les actes réalisés sur la base de l'ordonnance et la destruction des documents saisis, et subsidiairement des opérations de tri.

Par ordonnance contradictoire rendue le 11 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- rétracté les deux ordonnances sur requête rendues le 3 août 2022,

- annulé les procès-verbaux de constat de commissaire de justice du 8 septembre 2022 et les opérations de visite du même jour au siège social de la société Act-On Strategy et aux domiciles de Mme [N] et M. [A],

- ordonné que soient restitué à la société Act-On Strategy et à Mme [N] et M. [A], l'ensemble des pièces appréhendées lors des opérations de constat du 8 septembre 2022,

- condamné la société Althea aux dépens,

- condamné la société Althea à payer à la société Act-On Strategy et à Mme [N] et M. [A] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande.

Par déclaration reçue au greffe le 2 novembre 2023, la société Althea a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 décembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Althea demande à la cour, au visa des articles 145, 493, 496, 497, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

'- déclarer recevable et bien fondée la société Althea en son appel et y faisant droit ;

à titre principal :

- annuler l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Nanterre le 11 octobre 2023 ;

statuant à nouveau :

- déclarer irrecevable la demande de rétractation formée par M. [C], Mme [N], M. [A] et Act-On Strategy devant le juge des référés ;

- confirmer les ordonnances rendues le 3 août 2022 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre ;

à titre subsidiaire :

- infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Nanterre le 11 octobre 2023 ;

statuant à nouveau :

- déclarer irrecevable la demande de rétractation formée par M. [C], Mme [N], M. [A] et Act-On Strategy devant le juge des référés ;

- confirmer les ordonnances rendues le 3 août 2022 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre ;

à titre très subsidiaire :

- infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Nanterre le 11 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau, -

- confirmer les ordonnances rendues le 3 août 2022 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre ;

en tout état de cause :

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de M. [A], Mme [N], M. [C] et la société Act-On Strategy :

- condamner M. [A], Mme [N], M. [C] et la société Act-On Strategy à verser chacun à la société Althea la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement M. [A], Mme [N], M. [C] et la société Act-On Strategy aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de la selarl Lexavoue Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'

Dans leurs dernières conclusions déposées le 18 janvier 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, Mme [N], M. [A], M. [C] et la société Act-On Strategy demandent à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, de :

'- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

y ajoutant,

- condamner Althea au versement au profit de Mme [N], M. [A], M. [C] et la société Act-On Strategy de la somme de 16 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile,

- condamner Althea aux entiers dépens,

à titre subsidiaire,

- dans l'hypothèse où la rétractation ne serait pas prononcée, prononcer la réouverture des débats pour que les parties formulent leurs observations sur la main-levée des séquestres et les opérations de tri.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

sur la recevabilité de la demande de rétractation

Affirmant que seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance peut être saisi d'une demande de rétractation de celle-ci, la société Althea en déduit qu'en l'espèce la demande des intimés était irrecevable comme ayant été formée devant le juge des référés, qui a rendu une ordonnance de référé.

Mme [N], M. [A], M. [C] et la société Act-On Strategy rétorquent que, si le juge des requêtes seul peut être saisi d'une demande de rétractation, celui-ci statue alors en exerçant les pouvoirs du juge des référés, la procédure étant en l'espèce parfaitement régulière.

sur ce,

Selon l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile, « S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance ».

L'article 497 du même code précise que : « Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire ».

L'instance en rétractation d'une ordonnance rendue sur requête a une nature particulière, elle n'est en effet pas une voie de recours et a pour unique objet de rétablir le contradictoire.

Le juge des requêtes, saisi d'une demande de rétractation ne peut statuer qu'en référé, en exerçant les pouvoirs que lui confère exclusivement l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile.

Ainsi, la forme de la saisine du juge de la rétractation est indifférente, dès lors que c'est bien le juge des requêtes qui a été saisi.

Les pouvoirs du juge de la rétractation sont limités à ceux du juge des requêtes puisque sa saisine a pour objet limité de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées.

sur la rétractation

La société Althea affirme avoir suffisamment justifié dans sa requête que les mesures sollicitées ne soient pas soumises à la contradiction, se fondant sur le comportement déloyal des intimés, le caractère volatil et altérable des éléments de preuve recherchés et la gravité du comportement reproché à M. [A] et Mme [N].

Elle rappelle avoir communiqué au juge des requêtes des courriels établissant des échanges entre M. [C], Mme [N] et M. [A] alors que ces deux derniers étaient encore ses salariés, ceux-ci se concertant pour organiser un détournement de ses clients et transférer des documents confidentiels, un effet de surprise étant en conséquence indispensable à la réussite de la saisie.

L'appelante souligne que les courriels, documents et correspondances figurant sur des supports informatiques sont par nature extrêmement volatiles et précise avoir détaillé les éléments propres au cas d'espèce, sans s'appuyer sur des considérations générales.

Arguant de l'existence d'un motif légitime, la société Althea affirme qu'elle a intérêt à compléter et conserver la preuve d'actes de concurrence déloyale commis par Mme [N] et M. [A] à son endroit.

Elle indique que les documents saisis lors des mesures réalisées chez M. [C] lui ont permis de constater que M. [A] comme Mme [N] transmettaient à la société Act-On Strategy des informations strictement confidentielles et organisaient le débauchage de ses salariés et le détournement de sa clientèle, précisant que, si la clause de non-concurrence du contrat de travail de M. [A] avait été levée, celui-ci n'en était pas pour autant autorisé à agir de manière déloyale à son encontre.

L'appelante affirme que les mesures ordonnées étaient proportionnées et suffisamment circonscrites dès lors que :

- la saisie était effectuée par combinaison de 3 séries de mots-clés et le nombre des documents saisis est d'ailleurs très limité,

- la période de temps correspond aux agissements litigieux dont elle a connaissance,

- le juge des requêtes a ajouté la mention selon laquelle les recherches seraient circonscrites aux éléments 'se rapportant aux faits décrits dans la requête'.

Concluant à la confirmation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle a ordonné la rétractation sur ce motif, Mme [N], M. [A], M. [C] et la société Act-On Strategy soutiennent que la dérogation au principe du contradictoire n'est pas justifiée en l'espèce, les motifs avancés par la société Althea étant généraux et non fondés.

Ils exposent avoir toujours été loyaux à l'encontre de la société Althea et rappellent la chronologie de leurs départs respectifs, parfaitement connus de l'appelante.

Les intimés affirment que la justification tenant au caractère volatile des documents stockés sur des supports informatiques est insuffisante et font valoir que, faute de tout élément de preuve attestant du caractère répréhensible des agissements de Mme [N] et M. [A], le risque d'une sanction qu'ils encourraient n'est pas établi, soulignant que l'action au fond engagée par la société Althea n'est fondée que sur la violation par M. [C] de la clause de non débauchage qui l'aurait lié.

Mme [N], M. [A], M. [C] et la société Act-On Strategy exposent que la société Althea ne justifie d'aucun motif légitime à l'encontre de M. [A] dès lors que :

- une précédente saisie a déjà été mise en oeuvre concernant les éventuelles informations confidentielles transmises à M. [C],

- aucune pièce n'atteste de sa participation à des hypothétiques débauchage de salariés ou détournement de clientèle (étant précisé que la société Althea ne justifie pas selon eux de ses liens d'affaire avec les clients dont elle invoque le détournement),

- M. [A] n'était tenu par aucune clause de non concurrence ou clause de non-sollicitation de clientèle

- il n'est pas interdit à un opérateur économique de solliciter les clients d'un concurrent, tant que des méthodes déloyales ne sont pas utilisées ou qu'aucune clause contractuelle n'est violée.

De même concernant Mme [N], les intimés font valoir que :

- il n'est pas contesté que des salariés de la société Althea ont rejoint le groupe Act-On, dans un contexte de revente de l'appelante ayant entraîné un départ massif de salariés vers différentes entreprises,

- une mesure d'instruction a déjà eu lieu concernant l'éventuel débauchage de salariés commis par M. [C], Mme [N] n'était tenue à aucune clause de non-débauchage et les rares courriels versés aux débats n'émanent pas de Mme [N],

- aucun indice de détournement de clientèle n'était produit par la société Althea, étant rappelé

qu'un accord de partenariat avait été conclu le 1er avril 2019 entre la société Althea et le groupe Act-On, aux termes duquel Althea lui confiait une prestation de sous-traitance auprès du client Louis Vuitton, Mme [N] ayant obtenu par la suite que la clause de non-concurrence lui interdisant de travailler avec ce client soit supprimée.

Mme [N], M. [A], M. [C] et la société Act-On Strategy affirment enfin que les mesures mises en oeuvre ne sont pas légalement admissibles, les mots-clés utilisés permettant à la requérante d'obtenir tous les échanges entre les intimés et certains clients dont il n'est pas démontré à leurs dires qu'ils auraient été en relation avec la société Althea, outre de très nombreux échanges entre les salariés de la société Act-On Strategy.

Ils soulignent que la mention manuscrite 'se rapportant aux faits décrits dans la requête' ajoutée par le juge des requêtes non seulement démontre que la mission proposée n'était pas suffisamment circonscrite mais surtout confie une mission d'analyse juridique au commissaire de justice instrumentaire.

Sur ce,

Selon l'article 145 du code de procédure civile : 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.

Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

La régularité de la saisine du juge des requêtes étant une condition préalable à l'examen de la recevabilité et du bien fondé de la mesure probatoire sollicitée, il convient d'abord de s'assurer que la requête ou l'ordonnance y faisant droit a justifié de manière circonstanciée qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, avant de statuer, le cas échéant, sur l'existence du motif légitime et le contenu de la mesure sollicitée.

Sur le non-recours à une procédure contradictoire

Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Les mesures d'instruction prévues à l'article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

Le juge saisi d'une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant, au besoin d'office, sur sa motivation ou celle de l'ordonnance. Il est nécessaire que soient exposés de manière explicite les motifs justifiant le non-recours à une procédure contradictoire. Cette motivation doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.

L'ordonnance vise la requête et les pièces qui y sont jointes, ce qui vaut adoption implicite des motifs figurant dans la requête.

Il y est également souligné qu'en matière de concurrence déloyale, le renvoi au contexte des faits dénoncés et à la déloyauté du comportement adopté par le requis suffit à justifier le risque de dissimulation des preuves recherchées invoqué.

Après avoir exposé les agissements reprochés à Mme [N] pour le compte de la société Act-on Strategy, la société requérante Althea justifie son choix procédural dans les pages 19 à 21 de sa requête, faisant valoir 3 arguments :

- le comportement déloyal de Mme [N] en indiquant que 'l'opération de saisie ordonnée à l'encontre de M. [C] a démontré que Mme [N], alors même qu'elle était encore salariée d'Althea disposait déjà d'une adresse électronique au format 'Qixi by Act-On'. Bette adresse mail était notamment utilisée par Mme [N] avec ses futurs associés pour évoquer les besoins de certains clients stratégiques de la requérante, dans l'intention que bette clientèle puisse être détournée au profit de son nouvel employer.',

- la 'nature extrêmement volatile et altérable des éléments recherchés',

- l''intérêt majeur' de Mme [N] à 'dissimuler ses manquements compte tenu du risque de sanction auquel elle ferait face si la matérialité de ses manoeuvres était établie',

et soulignant en dernier lieu l'effet de surprise comme condition d'efficacité de la mesure sollicitée.

Ces mêmes arguments sont repris pour M. [A].

Dans ces conditions, il sera retenu que l'ordonnance est motivée par renvoi à la nature des faits allégués de concurrence déloyale et à l'attitude de Mme [N] et M. [A] expressément dénoncés dans la requête, justifiant le recours à cette procédure non contradictoire, de sorte que la société requérante a donc suffisamment caractérisé les circonstances nécessitant de déroger au principe de la contradiction par rapport à un contexte précis et suffisamment décrit.

Sur le motif légitime

Il résulte de l'article 145 que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer le bien-fondé de l'action en vue de laquelle elle est sollicitée ou l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu'il doit toutefois justifier de la véracité des éléments rendant crédibles les griefs allégués et plausible le procès en germe.

Outre son caractère légitime, la mesure d'instruction visant à améliorer la situation probatoire du requérant, son utilité pour la recherche ou la conservation des preuves doit également être établie, étant souligné que sont sans incidence sur l'appréciation des mérites de la requête, les résultats de l'exécution des mesures sollicitées. En conséquence le motif légitime ne peut résulter de la saisie litigieuse et les développements de la partie requérante qui tenteraient de le caractériser de la sorte seront écartés.

Il sera également rappelé qu'il appartient à la partie requérante de justifier de ce que sa requête était fondée, et non aux demandeurs à la rétractation de rapporter la preuve qu'elle ne l'est pas.

En l'espèce, il est constant que Mme [N] et M. [A] travaillent désormais pour le compte de la société Act-on Strategy, concurrente de la société requérante Althea.

La société Althea verse par ailleurs aux débats des éléments permettant d'établir que, alors que M. [A] était salarié de la société Althea et avant qu'il rejoigne la société Act-On:

- le 7 février 2019, M. [V] lui adressait un projet de présentation 'Qixi',

- le 12 février 2019, M. [A] écrivait un courriel à M. [C] lui indiquant notamment 'Althea a fait ce benchmark (plutôt satisfaisant) pour lui permettre d'avoir une vraie vision des tendances et des outils du marché concernant le talent management (recrutement, gestion des carrières, mobilités, formation, digital, learning). Tu trouveras le benchmark en PJ et 3 slides confidentielles sur les enjeux de la DRH en 2018-2020.',

- le 13 février 2019, M. [A] a adressé un courriel à M. [C] lui exposant 'ci-joint comme prévu la dernière propale faite pour MGEN. Dis-moi comment je peux t'aider.', un document intitulé 'Tendances et outils du domaine Talent Management' réalisé par Althea étant joint au courrier,

- le 14 février 2019, M. [A] adressait à M. [C] une présentation de la société Act-on intitulée d''Aide au choix Solution talent management' à destination de la MGEN.

Par ailleurs, après son départ de la société Althea, M. [A] écrivait à M. [C] le 21 mai 2019, 'je cherche de mon coté via la base Hello talent qu'on a récupérée'. Il envoyait le 21 mai 2019 à M. [C] un fichier à destination de la société Accor sur lequel figure le logo d'Althea sur toutes les pages.

Concernant Mme [N], il est démontré qu'alors qu'elle était salariée de la société Althea  et avant qu'elle rejoigne la société Act-On :

- elle recevait le 5 février 2019 un courriel de M. [C] relatif à la mise en oeuvre du projet LVMH pour la société Act-On, prévoyant notamment le 'remplacement de ressources Althea',

- elle était destinataire le 7 février 2019 d'un courriel de M. [V] comportant un projet de présentation 'Qixi',

- M. [C] lui transférait le 27 février 2019 un courriel émanant d'une salariée du groupe LVMH.

Même si les société Althea et Act-On Strategy ont conclu le 1er avril 2019 un contrat d'assistance technique désignant Mme [N] comme responsable de l'équipe prestataire et comme lieu d'intervention la société Louis Vuitton, cette circonstance n'est cependant pas de nature à expliquer les contacts entre Mme [N] et la société Act-On dès le mois de février 2019.

La société Althea verse aux débats un rapport de la société Mazars qui atteste qu'elle avait des relations commerciales engendrant un chiffre d'affaires important notamment avec les société LVMH et MGEN avant les départs de M. [C], Mme [N] et M. [A].

Ces éléments de preuve ainsi réunis par la société Althea suffisent à caractériser un faisceau d'indices rendant plausibles les griefs de concurrence de déloyale et de détournement de clientèle.

Cependant, il convient de dire que la société Althea qui a déjà obtenu, par le biais d'une précédente procédure concernant M. [Y] [C], la saisie de documents rappelés plus haut permettant d'ores et déjà d'apprécier la commission par Mme [N] et M. [A] d'actes de concurrence déloyale, ne justifie pas de l'utilité de procéder à de nouvelles investigations par voie de requête.

Au surplus, alors que les mesures légalement admissibles au sens de l'article 145 susvisé sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile et ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur, le commissaire de justice a été autorisé en l'espèce, aux termes des ordonnances du 3 août 2022, à saisir :

'au siège de la société Act-On Strategy, situé [Adresse 2]), où M. [R] [A] [Mme [E] [N] dans la seconde ordonnance] exerce en tant qu'associé, ainsi qu'en tout lieu situé dans le ressort de sa compétence territoriale, afin de rechercher, consulter, compulser, copier, et photocopier l'ensemble des courriels, documents et correspondances figurant notamment dans tout support informatique présent sur place ou hébergé à distance et notamment dans sa messagerie professionnelle utilisée au sein d'Act-On Strategy 'et se rapportant aux faits décrits dans la requête' (ajouté manuscritement par le juge des requêtes) échangés, créés, modifiés ou supprimés entre le 1er février 2019 et le 30 septembre 2019 et comportant (notamment en objet, en corps de document, en signature, en adresse mail, en expéditeur ou en destinataire) au moins un des mots clés présents dans chacune des trois listes suivantes, en minuscule ou en majuscule :

- Althea, Althea, Act-On, Act On, Qixi,

- De manière indépendante ou composée pour chacun des prénoms et noms ci-après (e.g '[T]' ou '[L]' ou '[T] [L]') : [H], AccorHotels, Accor, MGEN, LVMH, LV, Louis Vuitton, Livre blanc paye, [T] [L], [S] [D],

- De manière indépendante ou composée pour chacun des prénoms et noms ci-après (e.g '[Y]' ou '[C]' ou '[Y] [C]') : [R] [A], [E] [N], [Y] [C], [U] [Z], [F] [K], [G] [X], [O] [M], [B] [V], [I] [W], [P] [J].'

C'est à juste titre que les intimés font valoir que ces mots clés ne constituent qu'un filtre apparent dès lors que tous les courriels envoyés par ou à des salariés de la société Act-On Strategy comportant une adresse '@qixibyacton' sont susceptibles d'être saisis, de même que peuvent être concernés les éléments relatifs à des personnes portant les prénoms usuels '[F]','[Y]', '[E]', '[U]' '[O]' ou '[G]', qui n'auraient pourtant aucun lien avec le litige.

Dès lors, seule la deuxième série de mots clés apparaît en réalité circonscrire le périmètre de la saisie à l'objet du litige et, s'agissant du nom des clients supposés de la société Act-On Strategy, les mesures proposées, qui portent une atteinte sérieuse au secret des affaires de la société Act-On Strategy, apparaissent donc disproportionnées à l'objectif poursuivi puisque des éléments sans lien avec la procédure envisagée mais relatifs aux clients d'une société concurrente sont concernés, ce qui justifie la rétractation des ordonnances litigieuses.

Le fait que le juge des requêtes ait ajouté à la mission du commissaire de justice la mention manuscrite 'et se rapportant aux faits décrits dans la requête' démontre d'ailleurs que la mission proposée était trop largement rédigée. Mais cette formulation comprend en elle-même une difficulté puisqu'elle revient à laisser à l'officier ministériel une mission qui contrevient à l'article 249 al 2 du code de procédure civile selon lequel : 'Le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.', dès lors qu'au cas d'espèce, la mesure ordonnée implique nécessairement que le commissaire de justice fasse une analyse du contenu des éléments saisis pour ne retenir que ceux qui pourraient 'se rapporter aux faits décrits dans la requête', ce qui nécessite donc une appréciation au fond des pièces sélectionnées.

En conséquence, l'ordonnance déférée sera confirmée.

Sur les demandes accessoires

L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Althea ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser aux intimés la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à leur verser une somme globale de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance attaquée ;

Y ajoutant,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Althea à verser à Mme [E] [N], M. [R] [A], M. [Y] [C] et la société Act-On Strategy la somme globale de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Althea aux dépens d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/07493
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.07493 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award