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17/06/2024 | FRANCE | N°21/01768

France | France, Cour d'appel de Versailles, Ch civ. 1-4 construction, 17 juin 2024, 21/01768


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 54G



Ch civ. 1-4 construction



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 JUIN 2024



N° RG 21/01768 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UMG2



AFFAIRE :



S.A. COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS



C/



[K], [C] [L],

Madame [T] [J] épouse [L]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Novembre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre

: 07

N° Section :

N° RG : 18/10921



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Franck LAFON,



Me Philippe CHATEAUNEUF



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX SEPT JU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54G

Ch civ. 1-4 construction

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 JUIN 2024

N° RG 21/01768 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UMG2

AFFAIRE :

S.A. COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS

C/

[K], [C] [L],

Madame [T] [J] épouse [L]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Novembre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 07

N° Section :

N° RG : 18/10921

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON,

Me Philippe CHATEAUNEUF

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et Me Erwan LAZENNEC de l'ASSOCIATION CLL Avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0257

APPELANTE

****************

Monsieur [K] [C] [L]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3] (MARTINIQUE)

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 et Me Diane LEBLOND, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0357

Madame [T] [J] épouse [L]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3] (MARTINIQUE)

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 et Me Diane LEBLOND, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0357

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Fabienne TROUILLER, Présidente chargée du rapport et Madame Séverine ROMI, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Fabienne TROUILLER, Présidente,

Madame Séverine ROMI, Conseillère,

Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseillère,

Greffière, lors des débats : Madame Jeannette BELROSE,

FAITS ET PROCÉDURE

La société de construction-vente [Adresse 3] a engagé, début 2008, un programme de ventes en l'état futur d'achèvement portant sur un ensemble immobilier de 15 villas à [Localité 2] en Martinique (97).

Dans le cadre de cette opération, le vendeur a souscrit auprès de la compagnie européenne de garanties et cautions (ci-après " société CEGC ") une garantie d'achèvement par un acte du 4 mars 2008.

Par acte authentique du 19 août 2008, M. [K] [L] et Mme [T] [J] épouse [L] ont acquis une villa individuelle mitoyenne, constituant le lot n°6 et deux emplacements de stationnement dans cet ensemble immobilier en copropriété, dénommé Résidence [Adresse 3], pour un prix de 220 000 euros TTC.

Ce programme immobilier était éligible au dispositif de défiscalisation institué par la loi dite Girardin et codifiée à l'article 199 undecies A du code général des impôts.

La livraison du bien était initialement prévue au plus tard le 31 décembre 2008.

Les travaux n'étant pas terminés à cette date, M. et Mme [L] ont sollicité, par courrier du 23 avril 2010, la mise en 'uvre de la garantie d'achèvement des travaux.

Par un courrier du 14 septembre 2010, la société CEGC leur a confirmé la mise en jeu de cette garantie, par l'intermédiaire de sa filiale, la société SCESRA, bénéficiaire d'un mandat de gestion administrative, technique et financière des sinistres.

Le 3 septembre 2010, la société CEGC a ainsi délivré un ordre de mission de maîtrise d''uvre à l'entreprise Habitat conseil BTP, représentée par M. [R] [F], laquelle a attesté, le 5 octobre 2010, de la reprise du chantier.

Par un courrier du 10 novembre 2010, plusieurs acquéreurs de lots dans cet ensemble immobilier se sont plaints auprès de la société CEGC que les travaux n'avançaient pas.

Par un courrier du 28 décembre 2010, ils ont été informés de la fermeture définitive, à compter du 31 décembre 2010, des bureaux de la société SCESRA Martinique, chargés de la gestion de leur litige, désormais suivi par la société CEGC.

Ces propriétaires ont par courriels des 5 mai et 11 décembre 2011 de nouveau alerté la société CEGC sur le retard pris par le chantier et ont, par courriel du 2 janvier 2012, sollicité de M. [F] l'organisation d'une réunion, à l'issue de laquelle ce dernier a confirmé la fin des travaux pour le mois de mars 2012.

Désormais constitués en une association de 'Défense des intérêts des copropriétaires de la résidence [Adresse 3]', les acquéreurs ont, au mois de mai 2012, demandé à la société CEGC de venir elle-même constater l'abandon du chantier, ce qu'elle a fait au mois de juin 2012.

Aucune avancée n'étant constatée, malgré des relances en ce sens des copropriétaires, ces derniers ont fait établir un constat d'huissier en date des 1er juin et 11 septembre 2012 afin de faire constater l'état d'avancement des travaux.

Ils ont également à cette fin missionné M. [D], expert en bâtiment, qui a établi, en septembre 2012, une note de synthèse dont il ressort que les villas n°4 à 6 et 10 à 14 pouvaient être achevées dans un délai moyen de deux mois à condition que les moyens humains et matériels soient mis en 'uvre.

Le conseil de l'association des copropriétaires a alors, par courrier du 4 octobre 2012, mis en demeure la société CEGC de prendre, dans les plus brefs délais, toutes mesures utiles en vue de la reprise imminente des travaux et de leur achèvement, impliquant un redémarrage du chantier dans les 8 jours de la réception du courrier.

Par un courriel du 5 octobre 2012, l'association lui a proposé l'intervention d'un nouveau conducteur de travaux, M. [X] [N], en remplacement de la société Habitat conseil BTP et par courriel du 9 octobre 2012, M. [H], contacté par l'association, a indiqué à la société CEGC être intéressé par la reprise du chantier.

À la suite des réclamations des copropriétaires, en l'absence de toute avancée du dossier, la société CEGC leur a indiqué, par courrier du 27 décembre 2012, avoir pris contact avec M. [F], qui lui a confirmé la reprise des travaux, et être dans l'attente de la transmission par M. [H] du chiffrage des travaux restant à réaliser et du calendrier prévisionnel.

Par un courrier du 15 février 2013, la société CEGC a informé la société Habitat conseil BTP qu'elle confiait à M. [H] une mission de contrôle des travaux exécutés et restant à exécuter, laquelle ne remettait cependant pas en cause la mission de coordination qui lui avait été confiée.

Elle a ainsi établi le 15 février 2013 un ordre de mission de maîtrise d''uvre à l'attention de M. [H], d'un montant de 600 euros HT. Au vu de la rémunération proposée compte tenu de l'étendue de la mission confiée, M. [H] a refusé cette proposition le 18 mars 2013.

Après de nouvelles visites du chantier, suite à la rédaction de son document de synthèse, en septembre et novembre 2012, puis en février et avril 2013, M. [D] a établi un rapport aboutissant aux mêmes conclusions que celles formulées dans sa note de synthèse.

Par un courrier du 13 avril 2013, l'association des copropriétaires a informé le ministre des Outre-mer des difficultés rencontrées.

Des copropriétaires, dont les époux [L], ont saisi, par acte du 6 juin 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris afin qu'à titre principal, soit allouée à M. [H] la somme de 16 600,50 euros, pour qu'il soit désigné administrateur des travaux et accomplisse sa mission de pilotage et de coordination des travaux et que la société CEGC soit condamnée à titre provisionnel au paiement de cette même somme au profit de M. [H]. A titre subsidiaire, ils ont sollicité la désignation d'un administrateur judiciaire afin de percevoir les sommes versées par la société CEGC et veiller à leur correcte utilisation jusqu'à l'achèvement des travaux.

La société CEGC ayant établi, le 12 novembre 2013, un nouvel ordre de mission de maîtrise d''uvre à l'attention de la société Bati conseils, en remplacement de la société Habitat conseil BTP, les copropriétaires se sont désistés de leur instance lors de l'audience du 9 décembre 2013, désistement constaté par ordonnance du 13 janvier 2014.

Les travaux se sont achevés le 30 décembre 2014 selon déclaration faite à cette date auprès de la mairie de [Localité 2] par la société Bati conseils.

Le bien des époux [L] leur a finalement été livré le 30 juin 2015.

Par un courrier recommandé du 23 octobre 2018, le conseil de M. et Mme [L] a sollicité de la société CEGC réparation du préjudice subi, à hauteur de 34 200 euros au titre des frais de logement exposés durant la période de retard, 3 939 euros au titre de la perte de chance lié à la défiscalisation, 25 000 euros au titre du préjudice moral subi et 10 000 euros au titre des frais de justice.

La société CEGC n'ayant pas donné suite à cette demande, M. et Mme [L] l'ont, par acte d'huissier du 24 octobre 2018, fait assigner en indemnisation devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

Par un jugement contradictoire du 3 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- déclaré recevables l'action et les demandes indemnitaires de M. et Mme [L],

- condamné la société CEGC à payer à M. et Mme [L] :

- 34 200 euros au titre des frais de logement, avec intérêts légaux,

- 15 000 euros au titre de leur préjudice moral, avec intérêts légaux,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- débouté M. et Mme [L] de leur demande de dommages et intérêts au titre de la défiscalisation,

- condamné la société CEGC aux dépens de l'instance et à payer à M. et Mme [L] la somme de 3 500 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles,

- débouté la société CEGC de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le tribunal a retenu que le désistement d'instance n'avait pas emporté renonciation à l'action, puisque les demandes différaient. Il a également estimé que les demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier subi par les époux [L] et lié au retard de livraison n'étaient pas prescrites, ce préjudice étant continu et évolutif.

Le tribunal a ensuite retenu, au regard de la chronologie des faits, que le délai d'achèvement avait été manifestement déraisonnable et que la société CEGC était fautive de ne pas avoir agi en temps utile malgré sa connaissance des retards et malfaçons.

Il a relevé que la société CEGC n'avait pas pris les mesures nécessaires pour remplacer la société Habitat conseil défaillante dans sa mission de conducteur de travaux, alors que le chantier était affecté de nombreuses malfaçons, qu'elle avait attendu plus de trois ans avant de la remplacer, sans prendre de mesures auprès des maîtres d''uvre successivement désignés pour les sensibiliser sur l'important retard pris par le chantier, que la société CEGC avait fait le choix de se substituer au maître d'ouvrage pour terminer les travaux, devenant ainsi responsable du bon déroulement du chantier et qu'elle avait donc engagé sa responsabilité civile non en qualité de garant d'achèvement mais en tant que mandataire du maître de l'ouvrage.

Le tribunal a enfin retenu que la société CEGC devait indemniser le préjudice les époux [L] sur les loyers payés ainsi qu'au titre de leur préjudice moral, ces derniers ayant effectué de multiples démarches dont une procédure judiciaire afin de pouvoir prendre possession de leur bien qui avait vocation à constituer leur résidence principale. Toutefois, les époux [L] ont été déboutés de leur demande concernant la perte de bénéfice fiscaux, considérés comme différés et non perdus.

Par déclaration du 16 mars 2021, la société CEGC a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions n°3, remises au greffe le 5 septembre 2022, la société CEGC demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a déclaré recevables les demandes indemnitaires de M. et Mme [L], l'a condamnée à leur payer la somme de 34 200 euros au titre des frais de relogement, l'a condamnée à leur payer la somme de 15 000 euros au titre de préjudice moral et l'a enfin condamnée aux entiers dépens,

- déclarer prescrites et partant irrecevables les demandes de M. et Mme [L] au titre des frais de relogement et de la perte de chance de bénéficier d'un crédit d'impôt,

- déclarer en tout état de cause infondées l'ensemble des demandes de M. et Mme [L],

- les débouter, en conséquence, de l'ensemble de leurs demandes,

- à tout le moins, limiter toute condamnation au titre des frais de logement exposés à la somme maximale de 14 400 euros,

- condamner M. et Mme [L] à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- les déclarer mal fondés en leur appel incident,

- rejeter la demande de reformation du jugement en ce qu'il a limité à 15 000 euros le montant des dommages-intérêts dus par la société CEGC au titre du préjudice moral,

- débouter en conséquence M. et Mme [L] de leurs demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. et Mme [L] de leur demande de dommages-intérêts au titre de la perte de l'avantage fiscal,

- les débouter en conséquence de toutes leurs demandes plus amples à ce titre,

- les débouter de leur demande au titre des frais irrépétibles d'appel et au titre des dépens d'appel.

Aux termes de ses conclusions n°2, remises au greffe le 19 juillet 2022, les époux [L] forment appel incident et demandent à la cour de :

- déclarer la société CEGC mal fondée en son appel, et l'en débouter intégralement,

- débouter la société CEGC de toutes ses demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il les a déclarés recevables en leur action, recevables en leurs demandes indemnitaires, jugé que la responsabilité délictuelle de la société CEGC est engagée, condamné la société CEGC à leur verser la somme de 34 200 euros au titre des frais de logement exposés, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes des intérêts, condamné la société CEGC à leur verser la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles et au paiement des dépens de première instance, ordonné l'exécution provisoire, débouté la société CEGC de sa demande d'article 700 du code de procédure civile,

- reformer le jugement en ce qu'il a limité à 15 000 euros le montant des dommages-intérêts dus par la société CEGC au titre du préjudice moral,

- condamner la société CEGC à leur verser la somme 25 000 euros au titre du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 3 novembre 2020 sur 15 000 euros et à compter de l'arrêt à intervenir pour le surplus,

- réformer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages-intérêts formulés au titre de la perte de l'avantage fiscal,

- condamner la société CEGC à leur verser la somme de 3 939 euros au titre de la défiscalisation, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société CEGC à leur verser la somme de 5 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- condamner la société CEGC au paiement des dépens de la présente instance d'appel et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Me Chateauneuf pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision,

- débouter la société CEGC de sa demande formulée au titre des frais irrépétibles de justice exposés en appel.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2022, l'affaire a été initialement fixée à l'audience de plaidoirie du 9 janvier, reportée au 5 juin 2023 puis a été renvoyée à l'audience du 22 avril 2024 en raison de l'indisponibilité du président. Elle a été mise en délibéré au 17 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes indemnitaires au titre des frais de relogement et de perte de chance de bénéficier d'un crédit d'impôt

L'appelante conteste le raisonnement des premiers juges pour déterminer le point de départ de la prescription quinquennale applicable en l'espèce.

Elle fait valoir, au visa non contesté de l'article 2224 du code civil, que les intimés avaient connaissance du retard de livraison plus de cinq ans avant leur assignation, soit dès le 31 décembre 2008 ou dès 2010, date à laquelle ils ont constaté la défaillance du constructeur-vendeur.

Elle estime que les demandes se rapportant à un préjudice antérieur au 24 octobre 2013 sont prescrites et que les intimés ne peuvent se prévaloir d'une aggravation du dommage, en l'occurrence des loyers payés.

De la même façon, elle soutient qu'ils ont eu connaissance de l'impossibilité de bénéficier de la défiscalisation dès le 30 décembre 2008.

Les intimés rappellent qu'ils n'ont pas engagé la responsabilité de la CEGC pour le retard imputable au vendeur et soulignent qu'ils forment des demandes de dommages-intérêts pour préjudice subi et non pour le paiement d'une créance contractuelle à échéances successives.

Ils font valoir que le dommage subi consiste à n'avoir pu prendre livraison de leur villa que le 30 juin 2015, point de départ du délai de prescription et à n'avoir pu emménager que le 1er août 2015, ce qui leur a imposé de se loger pendant la durée du retard imputable à la société CEGC.

Réponse de la cour

En application de l'article 2224 du code civil, la prescription quinquennale court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. L'action en responsabilité court par conséquent à compter de la manifestation du dommage. Tant que le titulaire du droit n'a pas connaissance de la survenance du dommage, le délai de prescription ne court pas.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, les intimés ne réclament pas une dette à échéance successive mais des dommage-intérêts en réparation d'un préjudice financier.

L'action en responsabilité délictuelle implique la démonstration d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité.

Dans ces conditions, le point de départ de la prescription ne court qu'à compter de la date à laquelle le dommage s'est manifesté au titulaire du droit.

En l'espèce, la manifestation du dommage a consisté à n'avoir pu prendre livraison que le 30 juin 2015 et à n'avoir pu emménager que le 1er août 2015. La livraison de la maison a mis un terme à leur préjudice de règlement des loyers durant une période où ils auraient déjà dû prendre possession de leur bien. C'est bien à cette date que l'ampleur du préjudice est connue.

En assignant en indemnisation la société CECG par acte du 24 octobre 2018, ils ont agi dans le délai légal.

Concernant la demande au titre de la perte de chance de bénéficier d'un crédit d'impôt, le dommage s'est manifesté lorsque les époux [L] ont constaté cette perte à la réception de leur avis d'imposition 2015 sur les revenus 2014, et non au 30 décembre 2008 comme le soutient sans fondement l'appelante.

Partant, le jugement est confirmé en ce qu'il a déclaré ces demandes indemnitaires recevables et non prescrites.

Sur la responsabilité de la société CEGC

En application des articles L.261-11, L.261-10-1 et R.261-17 du code de la construction et de l'habitation, le vendeur doit souscrire une garantie financière de l'achèvement de l'immeuble dont l'objet est de garantir l'acquéreur d'un immeuble à construire en cas de défaillance financière du vendeur.

Il est admis que le rôle du garant se limite à devoir mettre à disposition du vendeur ou de l'acquéreur les fonds nécessaires à l'achèvement. Il en résulte que la garantie d'achèvement ne couvre pas les retards de livraison.

Néanmoins, la limitation des obligations du garant a pour corollaire la limitation de ses droits et prérogatives. Ainsi, le garant ne peut pas s'immiscer dans les opérations de construction, il n'a pas à se substituer au vendeur maître d'ouvrage, même en cas de carence de celui-ci.

En l'espèce, les intimés n'invoquent pas, à titre principal, de manquement dans l'obligation de financement du garant mais font valoir que la société CEGC s'est volontairement substituée au vendeur dans la maîtrise d'ouvrage, qu'elle a signé plusieurs contrats avec des maîtres d''uvre et des entreprises pour la réalisation des travaux. Ils estiment que c'est en qualité de maître d'ouvrage qu'elle a engagé sa responsabilité et qu'à ce titre, la société CEGC s'est exposée à devoir leur verser des dommages-intérêts pour les retards apportés à la construction.

Pour s'opposer à cette mise en cause, l'appelante fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute, tant au titre du financement des travaux nécessaires à l'achèvement que des diligences accomplies en sa qualité de mandataire du maître d'ouvrage et qu'elle a pris toute disposition pour permettre aux intimés d'entrer dans les lieux dans un délai à tout le moins raisonnable. Elle souligne l'inaction et la passivité des acquéreurs à qui il incombait de désigner un administrateur ad hoc se substituant au vendeur défaillant.

Elle ajoute que ce sont les malfaçons apparues antérieurement à son intervention qui ont généré le retard, qu'une expertise judiciaire a dû être ordonnée concernant trois villas, qu'elle a duré plus de deux ans, que les travaux ont avancé à un rythme normal durant cette période, qu'elle a dû faire de nombreux travaux de reprise, qu'elle a entrepris toutes les actions pour assurer la reprise effective et efficace du chantier et qu'elle a avancé 1 200 000 euros TTC pour cette opération immobilière, soit plus du tiers du coût global du programme.

Selon elle, l'importance des désordres, la logistique des travaux et la refonte globale de la gestion du chantier ont engendré un allongement inextricable des délais d'achèvement des différents lots générant des conséquences financières pour elle. Elle estime que le projet était initialement sous-estimé dans sa complexité et qu'il a logiquement évolué dans sa durée, ce qui ne lui est pas imputable.

Elle liste des travaux effectués entre 2010 et 2012 (mur de soutènement, gouttière, descentes en aluminium sur les 12 villas, charpente, couverture, terrassement, drains, buses, escaliers, garde-corps, traitement anti-termites) et soutient avoir dû financer des travaux complémentaires non prévus au projet initial. Elle ajoute qu'en 2014 elle a fait réaliser des travaux sur les gouttières, l'éclairage extérieur, l'installation électrique, les plinthes et le câblage souterrain.

Comme l'a relevé à juste titre le tribunal sans être contesté, la société CEGC a, conformément à l'article 6 du contrat de garantie d'achèvement, fait le choix de se substituer au vendeur pour achever le chantier.

Il ressort de l'examen des pièces produites, que les premiers juges ont fidèlement repris la chronologie des faits qui n'est pas contestée par les parties.

La société CEGC reprend strictement la même défense que celle présentée en première instance et n'invoque aucune diligence non prise en compte par le tribunal.

Le seul grief qu'elle émet à l'encontre des motifs du jugement, c'est de lui avoir reproché d'avoir attendu plus de trois ans avant de remplacer la société Habitat conseil.

Pour autant, les pièces attestent de ce délai puisque l'ordre de mission particulièrement succinct accordé à cette société le 3 septembre 2010 en tant que coordinateur, dont l'exécution n'est confortée par aucun justificatif ni compte-rendu ni aucun planning, ne sera suivi d'un nouvel ordre de mission donné à la société Bati conseil que le 12 novembre 2013 pour un montant de 43 000 euros HT, validé le 7 mars 2014 seulement, confirmant l'absence significative d'avancement du chantier, voire son abandon, durant ces trois années.

À cet égard, les factures produites, confrontées aux expertises amiable et judiciaires et constats d'huissier, ne suffisent pas à démontrer sa diligence, entre 2010 et 2013 pour la reprise en main du chantier. De même, l'attestation de M. [F] du 5 octobre 2010 ne rapporte pas plus cette preuve. Aucune pièce ne vient contredire ce quasi-abandon du chantier.

Les courriers qui lui ont été adressés par les acquéreurs n'ont pas suffi à la convaincre d'une action efficace pour permettre l'achèvement. Elle ne justifie au demeurant d'aucun courrier de relance ou de mise en demeure adressé au coordinateur.

Dans ces conditions, les reproches faits à la société GECG, basée à plusieurs milliers de kilomètres, de ne pas avoir désigné d'architecte, de ne pas avoir établi un diagnostic du chantier en amont ni d'étude préalable, d'avoir désigné et maintenu un coordinateur incompétent pendant plus de trois ans en exécution d'un ordre de mission dénué de contenu, de n'avoir fixé aucun planning d'intervention, de ne pas s'être donné les moyens de contrôler son conducteur de chantier et l'avancement des travaux, d'avoir validé une facture ne correspondant pas à l'ordre de mission du 12 novembre 2013 et de ne pas avoir veillé au bon déroulement du chantier alors qu'elle s'est substitué au maître d'ouvrage défaillant sont avérés par les pièces produites.

Ces manquements sont à l'origine de retards supplémentaires, d'un manque de coordination et d'une désorganisation du chantier dont la complexité alléguée n'est pas démontrée. L'expertise judiciaire effectuée à la demande de la société CEGC concernait trois villas individuelles (n°1 à 3) présentant des désordres de toiture, sans lien avec celle des intimés. Elle ne peut suffire à justifier le retard dans l'achèvement de la villa des intimés.

Les experts évaluaient entre six mois et un an l'achèvement du chantier qui a duré finalement cinq années. Les lieux se sont considérablement dégradés pendant ce laps de temps nécessitant des travaux ou des interventions qui n'auraient pas été nécessaires si l'achèvement avait été engagé dès 2010 par la société CECG.

Les intimés rappellent sans être contestés que le programme de construction était avancé à plus de 90 % lorsque la garantie d'achèvement a été mise en 'uvre. Ils justifient avoir initié de nombreuses diligences pour débloquer la situation et les reproches de passivités allégués par l'appelante sont particulièrement infondés.

Au final, si le paiement des travaux nécessaires à l'achèvement a été effectué, au demeurant sans contrôle effectif, ces paiements ne dispensaient pas le garant institué en maître d'ouvrage dès le 3 septembre 2010, de permettre l'achèvement dans un délai raisonnable. Les travaux qu'il a initiés concernaient soit des travaux à réaliser ou à achever soit des mesures curatives pour remédier aux conséquences de l'abandon de chantier et non des travaux de reprises liés à des malfaçons.

Ainsi, c'est par des motifs pertinents et précisément exposés, que la cour reprend à son compte, que le tribunal a retenu que la responsabilité délictuelle de la société CECG était engagée.

Partant, le jugement est confirmé sur ce point.

Sur la demande d'indemnisation au titre des loyers

Pour octroyer une somme de 34 200 euros aux époux [L] en réparation du préjudice subi d'avoir dû régler un loyer du 1er novembre 2010 au 31 juillet 2015, soit durant 57 mois, le tribunal a relevé qu'ils n'avaient pu emménager que le 1er août 2015, après le raccordement de leur villa à l'eau et à l'électricité.

À l'appui de son appel, la société CECG fait valoir que la notion d'achèvement ne se confond pas avec celle de livraison, qui est la mise à disposition de l'ouvrage au maître d'ouvrage et que le garant n'est pas chargé du parachèvement de l'ouvrage. Elle estime que sa garantie a pris fin au 30 décembre 2014, date de réception de l'ouvrage et qu'elle n'a commis aucun manquement dans l'aide qu'elle a apportée au suivi du chantier après cette date et pendant sept mois. Subsidiairement, elle estime ne pas devoir indemniser à compter du 1er novembre 2010 au regard de l'état réel d'avancement du chantier à cette date et réclame une limitation de l'indemnisation à une période de 24 mois.

Il doit être rappelé que la responsabilité civile de la société CECG est engagée principalement en sa qualité de maître d'ouvrage qu'elle a endossée à compter du 3 septembre 2010 et ce jusqu'à la livraison de la villa, qui doit s'entendre dans la prise de possession des lieux par l'acquéreur, soit le 1er août 2015.

Dans ces conditions, alors que le délai d'achèvement était évalué pour le lot n°6 à deux mois, c'est à juste titre que le tribunal a retenu la date du 1er novembre 2010 comme point de départ du préjudice causé par les manquements imputables à l'appelante.

Partant le jugement est confirmé sur ce point.

Sur l'indemnisation au titre de la perte de chance de bénéficier d'une défiscalisation

À l'appui de leur appel incident, les intimés réclament une somme de 3 939 euros au titre de la défiscalisation et font valoir qu'ils devaient bénéficier du dispositif fiscal Girardin à compter du 1er janvier 2009. Ils estiment que la société CEGC devant leur livrer leur bien à compter du 1er novembre 2010, il aurait dû bénéficier du dispositif dès l'année 2011 et durant les neuf années suivantes alors qu'ils n'en ont bénéficié qu'à compter de 2015 à une période où ils n'étaient pas imposables. Elle ajoute qu'il n'y a aucune chance qu'ils soient imposables jusqu'en 2024 et que leur préjudice est donc certain. Ils relèvent qu'en 2011, 2012 et 2013, ils en auraient eu besoin.

Selon eux, le tribunal aurait dû retenir que le décalage de la période de réduction d'impôt a eu pour conséquence de les priver de la possibilité d'en bénéficier.

Il n'est pas contesté que ce dispositif est prévu pour les dix ans suivant l'année d'achèvement du bien immobilier.

Comme l'a relevé à juste titre le tribunal, le retard de livraison ne les empêche pas de bénéficier de cet avantage fiscal qui n'est que décalé dans le temps. La circonstance que les époux [L] n'aient pas été imposables après l'achèvement de leur bien est une circonstance indépendante de cette mesure fiscale et non imputable à la société CEGC. En outre, accéder à leur demande reviendrait à leur accorder un avantage fiscal sur une période plus longue que celle prévue par la loi.

Partant, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur l'indemnisation au titre du préjudice moral

À l'appui de son appel, la société CEGC soutient que le préjudice moral résulte uniquement d'une souffrance psychologique particulière nécessitant un traitement thérapeutique, qu'en présence d'un retard de livraison, il n'y a pas d'atteinte aux sentiments d'affection ou d'honneur et que le préjudice des intimés se confond avec le trouble de jouissance.

Les intimés forment également un appel incident sur le quantum de l'indemnisation obtenue et réclament une somme de 25 000 euros. Ils invoquent un état de grande détresse psychologique durant cinq ans, de multiples démarches, l'impossibilité de mener à bien leurs projets pendant cinq ans, la nécessité de louer un logement et le fait d'avoir dû supporter une situation financière obstruée.

Le tribunal a retenu, sans être contesté, les nombreuses démarches entreprises par les intimés qui ont également dû initier en 2013 une procédure judiciaire afin de pouvoir prendre possession de leur bien destiné à constituer leur résidence principale.

À elle seule, l'attente durant cinq années d'une résidence principale génère un préjudice moral évident, distinct du préjudice de jouissance, et aggravé par l'absence de réponse aux diverses relances, l'inertie fautive du principal interlocuteur et la dégradation de leur bien due à l'abandon du chantier. Néanmoins, ce préjudice ne doit pas être confondu avec le préjudice de jouissance déjà indemnisé.

Au regard des pièces produites, l'indemnisation sera limitée à la somme de 5 000 euros.

Le jugement est partiellement infirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Compagnie européenne de garanties et cautions, qui succombe principalement, doit donc être condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.

Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société Compagnie européenne de garanties et cautions à payer aux époux [L] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel. Elle est elle-même déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement uniquement en ce qu'il a condamné la société Compagnie européenne de garanties et cautions à payer à M. [K] [L] et Mme [T] [J] épouse [L] la somme de 15 000 euros au titre de leur préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

Statuant de nouveau dans cette limite,

Condamne la société Compagnie européenne de garanties et cautions à payer à M. [K] [L] et Mme [T] [J] épouse [L] la somme de 5 000 euros au titre de leur préjudice moral, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2020 ;

Le confirme pour le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne la société Compagnie européenne de garanties et cautions à payer à M. [K] [L] et Mme [T] [J] épouse [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Compagnie européenne de garanties et cautions aux entiers dépens d'appel, et ce avec recouvrement au profit de Me Philippe Chateauneuf avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Fabienne TROUILLER, Présidente et par Madame Jeannette BELROSE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Ch civ. 1-4 construction
Numéro d'arrêt : 21/01768
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;21.01768 ?
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