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13/06/2024 | FRANCE | N°22/00640

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 13 juin 2024, 22/00640


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 13 JUIN 2024



N° RG 22/00640

N° Portalis DBV3-V-B7G-VA7Q



AFFAIRE :



[V] [X] épouse [F] [C]



C/



S.A.R.L. CS EXPERTISE COMPTABLE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

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N° RG : F20/00077



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Julie GOURION-RICHARD



la ASSOCIATION VEIL JOURDE







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TREIZE JUIN DEUX MILLE VING...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 13 JUIN 2024

N° RG 22/00640

N° Portalis DBV3-V-B7G-VA7Q

AFFAIRE :

[V] [X] épouse [F] [C]

C/

S.A.R.L. CS EXPERTISE COMPTABLE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Section : AD

N° RG : F20/00077

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Julie GOURION-RICHARD

la ASSOCIATION VEIL JOURDE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [V] [X] épouse [F] [C]

née le 17 Juillet 1953 à [Localité 4] (ALGERIE)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 3]

Représentant : Me Julie GOURION-RICHARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51

Représentant : Me Ismaïl KONE, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES

APPELANTE

****************

S.A.R.L. CS EXPERTISE COMPTABLE

[Adresse 1]

[Adresse 3]/ FRANCE

Représentant : Me Pauline LARROQUE DARAN de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T06

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseillère,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,

EXPOSE DU LITIGE.

Par contrat de travail à durée indéterminée, Mme [V] [X] épouse [F] [C] a été engagée à temps plein par la société CS expertise comptable à compter du 15 janvier 2004 en qualité d'aide-comptable.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes.

Par courrier du 5 mai 2020, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail avec l'exécution d'un préavis jusqu'au 5 juillet 2020.

Par requête reçue au greffe le 10 juin 2020, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Mantes la Jolie afin d'obtenir la condamnation de la société CS expertise comptable au paiement de diverses sommes notamment au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 17 janvier 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes a :

- fixé à 2 485,20 euros brut le salaire de référence de Mme [X] épouse [F] [C] conformément à l'article R.1234-4 du code du travail,

- débouté Mme [F] [C] de toutes ses demandes,

- débouté la société CS expertise comptable en ses demandes reconventionnelles,

- dit que Mme [F] [C] supportera les entiers dépens qui comprendront les éventuels frais d'exécution.

Par déclaration au greffe du 1er mars 2022, la salariée a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 18 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [X] épouse [F] [C] demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a :

*fixé à 2 485,20 euros brut le salaire de référence de Mme [F] [C], conformément à l'article R.1234-4 du code du travail,

*l'a déboutée de toutes ses demandes,

statuant à nouveau,

- requalifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société CS expertise comptable à lui verser les sommes suivantes :

* 15 506 euros bruts à titre de rappel de salaires,

* 1 550,60 euros bruts à titre de congés payés sur rappel de salaire,

* 20 718,60 euros bruts à titre de rappel de salaire (heures supplémentaires),

* 2 071,86 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 18 251,46 euros nets à titre de dommages et intérêts en application des dispositions de l'article L. 8223-1 du code du travail,

* 400,84 euros bruts à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis,

* 40,84 euros bruts à titre de complément au titre de congés payés sur préavis,

* 11 581,03 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 30 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

* 7 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

* 2 500 euros nets en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts légaux à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation,

- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,

- débouter la société CS expertise comptable de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société CS expertise comptable aux entiers dépens et dire qu'ils pourront être recouvrés directement par Me Gourion-richard, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 30 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société CS expertise comptable demande à la cour de :

- à titre principal, constater l'absence de tout manquement grave de la société CS expertise comptable empêchant la poursuite du contrat de travail de Mme [F] [C],

en conséquence,

- confirmer la décision en ce qu'elle a débouté Mme [F] [C] de l'ensemble de ses demandes,

statuant à nouveau,

- réformer la décision en ce qu'elle a rejeté sa demande reconventionnelle au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [F] [C] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- débouter Mme [F] [C] de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- fixer le montant de l'indemnité de licenciement à hauteur de 86 741,32 euros,

- dire que le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne saurait être supérieur à trois mois de salaire, soit 5 574,42 euros bruts,

- débouter Mme [F] [C] de ses autres demandes,

en tout état de cause,

- condamner Mme [F] [C] au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [F] [C] aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la classification professionnelle

La salariée sollicite un rappel de salaire par application de la classification qu'elle revendique de comptable confirmée et du coefficient 280 compte tenu de son expérience professionnelle et de la nature et de l'étendue des tâches accomplies allant jusqu'à l'établissement du bilan.

L'employeur réplique que la salariée ne justifie pas, notamment par des attestations non probantes et fausses, pouvoir bénéficier de la classification qu'elle sollicite, faute de rapporter la preuve des exigences conventionnelles en termes de diplôme, de formation, de missions réellement exercées, alors qu'elle effectuait les tâches d'une aide-comptable relevant du coefficient 180, 'Employé confirmé'. Il indique que la salariée a perçu une rémunération annuelle brute supérieure aux minima conventionnels.

Sauf dans l'hypothèse où l'employeur confère contractuellement une qualification professionnelle supérieure aux fonctions exercées, la classification se détermine par les fonctions principales réellement exercées par le salarié.

En cas de contestation sur la catégorie professionnelle dont relève le salarié, il appartient au juge de rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par ce dernier et la qualification qu'il requiert.

La charge de la preuve pèse sur le salarié qui revendique une classification autre que celle qui lui a été attribuée.

La salariée ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'exécution de fonctions lui permettant de revendiquer l'application du coefficient 280 dans le cadre d'un repositionnement conventionnel alors qu'outre l'absence d'élément sur l'existence d'une formation initiale ou d'un niveau de diplôme conformes à ceux exigés, elle ne prouve pas qu'au-delà de la réalisation de travaux d'exécution effectués dans des conditions de fiabilité et de rapidité satisfaisantes correspondant à l'emploi d'employé confirmé, auquel se rattache le coefficient 180, elle accomplissait des tâches complexes et de responsabilités impliquant des travaux d'analyse et de résolution de situations complexes, faisant appel à des connaissances pratiques et théoriques approfondies, la rédaction de notes de synthèse et rapports, ce qui ne saurait se déduire des pièces 3, 9 et 17 ne présentant pas de fiabilité suffisante et ne faisant pas ressortir l'exercice effectif de tâches comptables correspondant à ces normes conventionnelles, ou des pièces 10 à 10-13 qui, d'une part, ne sont pas conformes aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, aucun document officiel d'identité comportant la signature de l'auteur de l' 'Attestation de témoin' n'y étant annexé, et des mentions étant manquantes quant à des prénom, date et lieu de naissance, demeure et profession de l'auteur, lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles, d'autre part, ne sont corroborées par aucun élément objectif et fiable alors qu'elles sont rédigées de manière dactylographiée dans les termes identiques et généraux qui suivent : ' Je certifie que pour le traitement de mon dossier comptable je n'ai à faire qu'à Mme [F] [C] [V], tout au long de l'année jusque l'établissement de mon bilan et la remise de celui-ci par Mr [E]. Mme [F] [C] est ma seule interlocutrice, c'est elle qui traite ma comptabilité, me conseiller et m'oriente sur la gestion de ma société ; je n'ai aucun contact avec l'expert comptable Me [Y].', de troisième part, sont largement remises en cause dans leur fiabilité et leur sincérité par un procès-verbal d'huissier dressé le 19 novembre 2020 duquel il s'évince que la plupart de leurs auteurs contestent les avoir remplies.

Il en résulte que la classification revendiquée par la salariée n'est pas établie et que celle-ci doit être déboutée de sa demande de rappel de salaire afférente. Le jugement est donc confirmé de ces chefs.

Sur les heures supplémentaires

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires en cette matière. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

La salariée invoque l'accomplissement de 1024 heures supplémentaires sur les trois dernières années en s'appuyant sur l'attestation de M. [L] [E], co-associé de la société CS expertise comptable, selon lequel ' Mme [F] [C] [V] a effectué mille quarante quatre heures supplémentaires (1044h sup de travaux comptables) durant les années suivantes : en 2017-2018-2019 et 2020 sans compter les heures supplémentaires effectuées avant juillet 2017", ainsi que sur des tableaux mentionnant jour par jour sur la période de septembre 2017 jusqu'à la rupture du contrat de travail, des dépassements d'horaires, essentiellement après 18 heures, outre des horaires qu'elle estime avoir effectués le samedi.

Ainsi, la salariée présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre.

L'employeur fait valoir le caractère général de l'attestation produite par la salariée et justifie du fait que son auteur est en litige avec la société et son co-associé. Il critique le contenu des tableaux versés qui ne sont étayés par aucun élément objectif. Il produit des bulletins de paie couvrant la période de juillet 2019 à juillet 2020.

Après analyse des éléments fournis de part et d'autre, il y a lieu de retenir l'existence d'heures supplémentaires accomplies par la salariée, et, concernant leur importance, eu égard aux décomptes produits, il convient de condamner l'employeur au paiement de la somme de

15 609,54 euros brut au titre d'heures supplémentaires sur la période considérée, outre

1 560,95 euros brut de congés payés afférents. Le jugement est donc infirmé de ces chefs.

Sur les retards en matière de paie d'avril 2020 et de mai 2020

Il ne résulte pas des éléments soumis à l'appréciation de la cour que l'employeur a respecté son obligation prévue à l'article L. 3243-2 du code du travail, de devoir remettre lors du paiement du salaire qui s'effectuait chaque mois le premier jour du mois suivant, les bulletins de paie relatifs aux mois d'avril 2020 et de mai 2020.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 de ce code, dans sa rédaction en vigueur du 1er mai 2008 au 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. En vertu de ce même article L. 1154-1, dans sa rédaction résultant de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable aux faits commis à compter de son entrée en vigueur le 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui du harcèlement moral qu'elle allègue avoir subi, la salariée invoque les éléments de fait suivants :

- le 25 mai 2020, une demande de restitution de matériel professionnel dont elle ne disposait pas en dehors des locaux professionnels ;

- par courrier du 5 juin 2020, des accusations de vol de dossiers et des menaces à ce sujet à l'origine d'une déclaration de main courante du 11 juillet 2020 ;

- le 25 juin 2020, la venue dans les locaux de l'entreprise où elle exerçait ses fonctions, du gérant accompagné d'un huissier de justice afin de récupérer des dossiers, en sa présence ;

- la remise du solde de tout compte et des accusations de vol de matériel informatique et de dossiers en présence du même huissier de justice le 9 juillet 2020 ;

- sa mise à l'écart, l'absence de toute instruction et de mise à disposition de tout dossier après qu'elle ait sollicité la revalorisation de son salaire et le paiement d'heures supplémentaires ;

- l'absence de toute information sur le transfert des locaux de l'entreprise le 10 avril 2020.

La salariée n'objective pas l'absence d'information sur le transfert de locaux de l'entreprise, les faits du 9 juillet 2020 faute de toute signature et de fiabilité du document versé en pièce n°32, et l'usage des mesures des rétorsion alléguées en raison de ses demandes financières.

En revanche, il s'avère que son mail du 26 mai 2020 fait suite à un courrier du 25 mai 2020 aux termes duquel l'employeur évoque la restitution du matériel professionnel comme des dossiers dont elle avait la charge. Pareillement, le courrier du 5 juin 2020 dont le libellé en objet est : 'Courriel relatif à la disparition des dossiers dont vous êtes en charge', invite bien la salariée à restituer à l'employeur ' dans les plus brefs délais' des dossiers appartenant à la société et dont elle avait la charge, motifs pris du constat de leur disparition et qu'elle ne peut 'en aucun cas les emporter avec [elle] dans le cadre de la prise d'acte de la rupture de [son] contrat de travail', sauf à devoir les récupérer 'par toutes les voies de recours légales'. De même, le 25 juin 2020, le gérant de la société accompagné d'un huissier de justice se sont bien présentés dans les locaux quand la salariée s'y trouvait afin de constater la présence ou non de dossiers de clients et de matériel informatique. Enfin, la salariée se prévaut d'un certificat établi par un médecin généraliste qui indique que sa patiente se plaint de céphalées et d'insomnie et qu'il a constaté ' une femme anxieuse avec troubles de l'humeur et tristesse', ainsi que d'une ordonnance prescrivant la prise d'anxiolytiques et de sédatifs. Ces éléments de fait, pris en leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur démontre que le contenu de son courrier du 25 mai 2020 est exempt de toute suspiscion ou de menace au sujet de la restitution de matériel et de dossiers puisqu'il se borne à y indiquer à la salariée qu'avant l'issue du préavis qu'elle a souhaité effectuer : 'nous organiserons un point sur les dossiers dont vous êtes en charge ainsi que sur les modalités de restitution du matériel professionnel'.

Toutefois, il ne justifie par aucun élément objectif ni la teneur de son courrier du 5 juin 2020 aux termes duquel il met personnellement en cause la salariée quant à la disparition de dossiers dont elle avait la charge et lui demande prestement de les restituer ni plus généralement les accusations personnelles et réitérées à ce sujet alors que le procès-verbal dressé par l'huissier de justice le 25 juin 2020 que l'employeur indique lui-même avoir été mandaté en raison d'un contentieux entre associés et d'une collusion entre son associé et la salariée par crainte d'une mise à exécution d'un plan relatif à une fraude aux allocations sociales et à du travail dissimulé, a seulement mis en évidence, concernant la salariée, l'existence du matériel informatique laissé à sa disposition pour l'exécution de ses missions, et le fait que dans l'arborescence de son ordinateur, connecté directement au serveur, figuraient des fichiers de dossiers avec les observations de la salariée sur leur traitement ou non.

Le harcèlement moral est donc caractérisé.

Sur l'absence de visite médicale depuis l'embauche

L'employeur tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité. Le non-respect des règles relatives aux visites médicales qui concourent à la protection de la santé et de la sécurité des salariés constitue un manquement à son obligation de sécurité.

Ne méconnaît pas son obligation, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En l'espèce, cette preuve n'est pas rapportée par l'employeur qui ne justifie pas à suffisance avoir permis à la salariée de bénéficier de la visite d'embauche et des visites médicales périodiques prévues aux articles R. 4624-10 et R. 4624-16 du code du travail, dans leurs versions successivement en vigueur, cette preuve ne pouvant se déduire d'un courriel adressé à l'employeur le 15 décembre 2020 par le secrétariat du docteur [T] qui l'informe de ce que 'la dernière visite médicale' de la salariée a eu lieu le 11 mars 2013.

Sur le bien-fondé de la prise d'acte et ses conséquences financières

- Si le grief tiré de l'absence de remise de toute attestation d'emploi est imprécis notamment quant à l'obligation concernée et son fondement et ne peut dès lors être retenu, il demeure que le non-paiement d'heures supplémentaires de manière régulière et pour un volume relativement conséquent, de septembre 2017 jusqu'à la date de la prise d'acte,comme l'absence de délivrance de bulletins de paie dans le respect des conditions légales en avril et mai 202 et le non-respect de l'obligation de sécurité en matière de visites médicales périodiques, constituent des manquements suffisamment récents et graves justifiant la prise d'acte, laquelle doit donc produire les effets d'un licencement sans cause réelle et sérieuse, étant observé que le non-paiement des heures supplémentaires est d'une gravité telle qu'il est de nature à justifier à lui seul la prise d'acte. Le jugement est donc infirmé de ce chef

- Au vu des éléments, dont les éléments de calcul, soumis à l'appréciation de la cour, la salariée est fondée à prétendre en application des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail, au versement d'une indemnité légale de licenciement d'un montant de 11 581,03 euros en tenant compte du salaire de référence qu'elle retient, soit 2 485,20 euros brut, lequel est inférieur au salaire de référence calculé en tenant compte des heures supplémentaires retenues par la cour.

- La demande formulée au titre d'une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents est sans fondement dès lors qu'elle n'est revendiquée qu'au titre d'une reclassification conventionnelle à laquelle la cour ne fait pas droit comme il a été dit ci-dessus. Le jugement est dès lors confirmé sur ces points.

- En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, l'entreprise employant habituellement moins de onze salariés, la salariée, qui comptait une ancienneté de 16 années complètes à la date de la rupture, peut prétendre, en réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi, à une indemnité à la charge de l'employeur dans les limites du barème correspondant.

Eu égard aux éléments de la cause et notamment à l'âge de la salariée, 66 ans, au moment de la rupture, du montant de la rémunération qui lui était versée, des perspectives d'évolution de carrière qui étaient les siennes, de l'absence d'élément sur sa situation postérieure à la rupture, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel, et moral qu'elle a subi du fait de la perte injustifiée de son emploi, la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est donc infirmé sur ce chef.

Sur le travail dissimulé

En application des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail, la salariée ne démontre pas que son employeur a volontairement mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à la réalité. Ainsi, la salariée sera déboutée, par voie de confirmation du jugement, de sa demande en paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 8223-1 du même code.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral

Les agissements répétés de harcèlement moral ont causé à la salariée un préjudice que la cour fixe à la somme de 3 000 euros.

Il convient de condamner l'employeur à payer cette somme à la salariée à titre de dommages-intérêts.

La salariée sera déboutée du surplus de sa demande à ce titre faute de preuve d'un préjudice distinct ou plus ample.

Le jugement est donc infirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts

La responsabilité pécuniaire du salarié à l'égard de l'employeur ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde, laquelle suppose l'intention de nuire à l'entreprise.

L'employeur ne caractérise pas l'intention de la salariée de nuire à l'entreprise faute de démonstration des manoeuvres déloyales qu'il lui impute, notamment au titre d'une captation de clientèle à son détriment.

En tout état de cause, il ne justifie d'aucun préjudice à ce titre.

Le jugement est ainsi confirmé sur ce chef.

Sur les intérêts

Les intérêts légaux courent, sur les créances de nature salariale et assimilée, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, et, sur les créances indemnitaires, à compter du prononcé du présent arrêt.

Il y a lieu à capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'employeur. S'agissant des dépens d'appel, il y a lieu à application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Julie Gourion-Richard.

En équité, la somme de 2 500 euros sera allouée à la salariée au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande formulée par l'employeur sur ce même fondement sera en voie de rejet.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il statue sur la reclassification conventionnelle, l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, le travail dissimulé et la demande reconventionnelle en dommages-intérêts ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société CS expertise comptable à payer à Mme [V] [X] épouse [F] [C] la somme de 15 609,54 euros brut au titre d'heures supplémentaires et la somme de

1 560,95 euros brut au titre des congés payés afférents ;

Dit que la prise d'acte de Mme [V] [X] épouse [F] [C] par courrier du 5 mai 2020 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société CS expertise comptable à payer à Mme [V] [X] épouse [F] [C] les sommes suivantes :

- 15 000 euros au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 11 581,03 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 3 000 euros au titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les intérêts légaux courent, sur les créances de nature salariale et assimilée, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, et, sur les créances indemnitaires, à compter du prononcé du présent arrêt ;

Dit qu'il y a lieu à capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Déboute les parties pour le surplus ;

Condamne la société CS expertise comptable aux dépens de première instance et d'appel et dit que pour les dépens d'appel il y a lieu à application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Julie Gourion-Richard.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Monsieur LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 22/00640
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;22.00640 ?
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