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13/06/2024 | FRANCE | N°21/03379

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 13 juin 2024, 21/03379


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 13 JUIN 2024



N° RG 21/03379

N° Portalis DBV3-V-B7F-U2WU



AFFAIRE :



[G] [E]



C/



S.A.R.L. MC BOULOGNE Représentée par la SELARL FIDES, prise en la personne de Me [Z] [P], mandataire ad hoc

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'homm

es Formation paritaire de BOULOGNE-

BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : 19/01153



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Xavier GERBAUD



Me Catherine LAUSSUCQ



Me Sophie CORMARY





le :





RÉP...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 13 JUIN 2024

N° RG 21/03379

N° Portalis DBV3-V-B7F-U2WU

AFFAIRE :

[G] [E]

C/

S.A.R.L. MC BOULOGNE Représentée par la SELARL FIDES, prise en la personne de Me [Z] [P], mandataire ad hoc

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE-

BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : 19/01153

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Xavier GERBAUD

Me Catherine LAUSSUCQ

Me Sophie CORMARY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [G] [E]

née le 12 Novembre 1965 à [Localité 9] (Portugal)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Xavier GERBAUD, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1890

APPELANTE

****************

S.A.R.L. MC BOULOGNE, Représentée par la SELARL FIDES, prise en la personne de Me Bernard CORRE, mandataire ad hoc

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Catherine LAUSSUCQ, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0223

UNEDIC DELEGATION AGS CGEA ILE DE FRANCE OUEST

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE et Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseillère,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée, Mme [G] [E] a été engagée en qualité de vendeuse puis son contrat a été repris par la société MC Boulogne à compter du 1er février 2012 avec reprise d'ancienneté au 4 janvier 1986.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des détaillants en chaussures.

Par courrier du 31 janvier 2019, Mme [E] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, qui s'est tenu le 7 février 2019, puis le contrat de travail a été rompu le 28 février 2019 à la suite de son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.

Par requête reçue au greffe du 20 août 2019, Mme [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de la société MC Boulogne au paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 27 août 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société MC Boulogne et désigné la SELARL Fides prise en la personne de Me [Z] [P] en qualité de mandataire liquidateur.

Par jugement du 20 octobre 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes a :

- débouté Mme [E] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la SARL MC Boulogne de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par déclaration de greffe du 15 novembre 2021, Mme [E] a interjeté appel de cette décision.

Par jugement du 9 mars 2022, la clôture de la procédure de liquidation judiciaire a été prononcée pour insuffisance d'actifs.

Aux termes d'une ordonnance du 16 octobre 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné la SELARL Fides en la personne de Me [Z] [P], en qualité de mandataire ad hoc de la société MC Boulogne.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 18 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [E] demande à la cour de :

- prendre acte de l'intervention volontaire de la SELARL Fides en la personne de Me [Z] [P] en qualité de mandataire ad hoc représentant la SARL MC Boulogne,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes, 'rappelées en page 2 des présentes',

statuant à nouveau,

- dire que son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, fixer au passif de la société MC Boulogne les sommes de :

* 48 508,80 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 4 850,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 485,08 euros à titre de congés payés y afférents,

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat,

* 2 425,44 euros à titre de dommages et intérêts pour absence d'entretien professionnel,

* 862,68 euros à titre de rappel d'indemnité de congés payés sur la prime d'ancienneté,

* 611,26 euros au titre des commissions sur la période comprise entre le 1er octobre 2017, et le 26 février 2019, outre 61,12 euros au titre des congés payés afférents,

* 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* les entiers dépens,

* les intérêts de droit, lesquels seront capitalisés,

- dire l'arrêt à intervenir opposable à l'AGS.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 15 mars 2024, la société MC Boulogne représentée par la SELARL Fides prise en la personne de Me Bernard Corre, mandataire ad hoc, demande à la cour de :

- confirmer le jugement,

- en conséquence, débouter Mme [E] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions 'contraires aux présentes',

- condamner Mme [E] à verser à la SELARL Fides la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [E] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 18 mars 2024, l'UNEDIC, délégation AGS CGEA Ile de France Ouest demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter Mme [E] de ses demandes,

- en tout état de cause, mettre hors de cause l'AGS s'agissant des frais irrépétibles de la procédure,

- juger que la demande qui tend à assortir les intérêts au taux légal ne saurait prospérer postérieurement à l'ouverture de la procédure collective en vertu des dispositions de l'article L.622-28 du code du commerce,

- juger que le CGEA, en sa qualité de représentant de l'AGS, ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-6, L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15, L.3253-19 à 21 et L.3253-17 du code du travail, selon les plafonds légaux.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le bien-fondé du licenciement pour motif économique

La salariée soutient que le licenciement pour motif économique est dénué de cause réelle et sérieuse compte tenu de l'absence de mention de difficultés économiques au sein de la lettre de licenciement, et faute de justification de la réalité de la cause économique en l'absence de preuve, d'une part, de la fermeture et de la cession du droit au bail du magasin au sein duquel elle exerçait son activité, d'autre part, de faits objectifs indépendants de la volonté de l'employeur auquel elle reproche une faute de gestion à l'origine de la brutale dégradation de la situation de la société et du non-respect du plan d'apurement consenti par la Direction générale des finances publiques du 19 décembre 2018. Elle ajoute que le groupe a procédé à des recrutements en juin 2017 et qu'il cherchait encore à recruter en novembre 2019.

Le mandataire ad hoc, aux explications duquel se rapporte le Cgea, fait valoir, d'une part, que le motif économique tel qu'il ressort de la lettre d'information sur le contrat de sécurisation professionnelle du 7 février 2019 n'a fait l'objet d'aucune demande de précision de la part de la salariée qui n'est dès lors pas fondée en sa critique du libellé de cette lettre, d'autre part, que les documents comptables relatifs à l'exercice 2018 de la société et des filiales produits aux débats démontrent la réalité et le sérieux de la cause économique du licenciement qui a entraîné la fermeture et la cession du droit au bail commercial du magasin où la salariée exerçait son travail. Il ajoute que le non-respect du plan d'apurement consenti par la Direction générale des finances publiques est lié à une perte de chiffre d'affaires consécutive au mouvement des 'gilets jaunes. Il se prévaut du caractère inopérant, eu égard à la réalité de la cause économique du licenciement intervenu en février 2019, de faits relatifs à des recrutements remontant à l'année 2017, comme du caractère non probant de la photographie d'une porte de magasin dont argue la salariée.

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail,

Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.'

En premier lieu, il résulte de l'article L. 1233-16 du code du travail, que la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur, ainsi de la raison économique et de sa conséquence précise sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié.

Toutefois, il résulte de l'article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et R. 1233-2-2 du même code, que lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, le document par lequel l'employeur informe celui-ci du motif économique de la rupture envisagée, peut être précisé par l'employeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans le délai de quinze jours suivant l'adhésion de ce dernier au dispositif, et qu'à défaut pour le salarié d'avoir formé une telle demande, l'irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

En l'espèce, la lettre 'd'information sur le CSP' en date du 7 février 2019 remise à la salariée en main propre énonce que le motif économique de la rupture envisagée est le suivant :

' Nous rencontrons des difficultés financières dans l'entreprise et notamment dans le magasin de [Localité 7], raison pour laquelle nous avons envisagé la fermeture définitive de celui-ci. Cette restructuration de l'entreprise nous conduit donc à la suppression d'emplois.

En effet, il est essentiel pour notre entreprise de contenir nos pertes compte tenu également des perspectives d'avenir économiques fortement négatives, et ceux afin de préserver notre activité et les emplois qu'elle génère.'

Faute de justifier d'une demande de précision du motif économique dans les conditions précitées, la salariée ne peut se prévaloir d'une insuffisance de motivation de la lettre du 7 février 2019.

Il ressort des pièces et des débats que la réalité et le sérieux du motif économique invoqué à l'appui du licenciement de la salariée, qui s'inscrit dans le cadre d'un licenciement collectif, doit s'apprécier au niveau de l'ensemble des entreprises du groupe MO&CO établies sur le territoire national.

Les pièces comptables produites par le mandataire ad hoc sont constituées de copies de documents en grande partie illisibles, ainsi peu exploitables, et si celui-ci indique que pour se convaincre de la réalité du motif économique, il convient de se reporter aux bilans et comptes de résultat des sociétés filiales du groupe, et s'il invoque les mauvais résultats de ces sociétés et la résolution en mars 2019 d'un plan d'apurement du 19 décembre 2018 relatif à des dettes du groupe MO&CO en matière de cotisations dues à l'Urssaf, il ne justifie par aucun élément objectif et de manière suffisamment précise de la réalité de difficultés économiques au niveau de l'ensemble des entreprises du groupe MO&CO établies sur le territoire national, caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un des indicateurs économiques énumérés au 1° de l'article L. 1233-3 précité, étant précisé que cette évolution doit s'apprécier en comparant le niveau de l'indicateur retenu au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période, soit par tout autre élément de nature à les caractériser.

Il en résulte que la cause économique du licenciement n'est pas établie.

Sur l'obligation de reclassement, aux termes de l'article L. 1233-4, alinéa 1, du code du travail, dans sa rédaction modifiée par l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Le périmètre à prendre en considération pour l'exécution de l'obligation de reclassement se comprend de l'ensemble des entreprises du groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, peu important qu'elles appartiennent ou non à un même secteur d'activité. La preuve du respect de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, cette preuve pouvant résulter de l'absence de poste disponible, à l'époque du licenciement, dans l'entreprise, ou s'il y a lieu dans le groupe auquel elle appartient.

En l'espèce, le mandataire ad hoc ne justifie d'aucune recherche de reclassement. Il n'établit pas, faute notamment de production de tout registre unique du personnel, l'absence de poste disponible, à l'époque du licenciement, dans l'entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient.

Il n'est donc pas justifié de l'impossibilité de reclassement de la salariée.

Il résulte de tout ce qui précède que le licenciement de la salariée est sans cause réelle et sérieuse, ce qu'il conviendra de dire par voie d'infirmation du jugement entrepris.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'allégation de l'employeur et du Cgea selon laquelle l'entreprise employait habituellement moins de onze salariés au moment de la rupture du contrat de travail, n'est étayée par aucun élément suffisamment fiable.

En conséquence, en application des dispositions alors en vigueur de l'article L. 1235-3 du code du travail, la salariée, qui comptait une ancienneté de 33 années complètes à la date de son licenciement, peut prétendre, en réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi, à une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre le montant minimal de 3 mois de salaire brut et le montant maximal de 20 mois de salaire brut.

Eu égard aux éléments de la cause et notamment à l'âge de la salariée, 53 ans, au moment de la rupture, du montant de la rémunération qui lui était versée, des perspectives d'évolution de carrière qui étaient les siennes, de l'absence d'élément sur sa situation postérieure à la rupture, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel, et moral qu'elle a subi du fait de la perte injustifiée de son emploi, la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cette créance sera fixée au passif de la société MC Boulogne et le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Il résulte des articles L. 1234-5, L. 1233-67, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et L. 1233-69 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, qu'en l'absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n'a pas de cause et l'employeur est alors tenu à l'obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées à ce titre en vertu dudit contrat.

Le licenciement de la salariée étant jugé sans cause réelle et sérieuse, le contrat de sécurisation professionnelle n'a pas de cause et celle-ci est bien fondée à prétendre à la fixation au passif de la société MC Boulogne d'une créance correspondant tant à l'indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 4 850,88 euros brut qu'aux congés payés afférents d'un montant de 485,08 euros brut, sans déduction de sommes que le mandataire ad hoc ne justifie pas, ni même n'allègue, avoir été versées à ce titre par l'employeur ou son représentant.

Sur l'obligation de sécurité

La salariée sollicite des dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenue, au motif que la manutention quotidienne de colis dans le cadre de ses missions a fragilisé son état de santé quand elle était âgée d'une cinquantaine d'année avec l'apparition d'une hernie discale en août 2015, alors qu'elle portait des charges lourdes que les prescription de la médecine du travail sont venues limiter à moins de cinq kilogrammes. Elle indique que 'cette réalité' a été ignorée par l'employeur nonobstant ses arrêts de travail et les fiches d'aptitude de la médecine du travail.

Le mandataire ad hoc fait valoir que les arrêts maladie du 23 août au 15 novembre 2015 sont la conséquence d'une chute le 19 août 2015 lorsque la salariée était en congés, et que l'employeur a respecté le mi-temps thérapeutique sans port de charges supérieures à cinq kilogrammes prescrit par le médecin du travail, la salariée n'ayant formulé aucune plainte à ce sujet et ne justifiant d'aucun préjudice à ce titre.

D'abord, il échet d'indiquer qu'aux termes de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2, aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit. Si la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive de la juridiction de sécurité sociale l'indemnisation des dommages nés d'une maladie professionnelle, qu'ils soient ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Ainsi, sous couvert d'une action en responsabilité contre l'employeur pour manquement à l'obligation de sécurité, la salariée ne peut demander en réalité la réparation d'un préjudice né de 'l'accident originel' qu'elle invoque.

Ensuite, il résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Il ressort des éléments soumis à l'appréciation de la cour que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de la salariée qui antérieurement aux préconisations de la médecine du travail n'a fait état d'aucune fragilité, ne pouvant se déduire uniquement du fait qu'elle avait une cinquantaine d'années, exigeant de l'employeur qu'il prenne toute mesure nécessaire et spécifique en rapport avec de la manutention de colis par une vendeuse exerçant son emploi au sein d'un magasin spécialisé dans le commerce de détail de la chaussure, alors qu'aucun élément ne met en évidence un quelconque lien entre les conditions de travail de la salariée et une hernie discale radiographiée au service des urgences de [Localité 8] en août 2015, et si cette pathologie a engendré par la suite une opération chirurgicale en septembre 2015 et des arrêts de travail pour maladie ordinaire initialement jusqu'au 15 novembre 2015, puis des préconisations successives strictes dans le cadre d'avis d'aptitude en termes de port de charges lourdes, il est justifié de la mise en place d'un mi-temps thérapeutique aménageant les conditions de travail de la salariée dans le cadre d'un avenant au contrat de travail conclu entre les parties dès le 17 novembre 2015, sans qu'aucun lien ne puisse être établi entre les conditions de travail de la salariée et l'évolution ultérieure de sa pathologie qui au demeurant a été plutôt favorable au vu des éléments médicaux versés.

En tout état de cause, la salariée ne justifie d'aucun préjudice à ce titre.

Il y a donc lieu, par voie de confirmation du jugement entrepris, de débouter la salariée de sa demande de fixation de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité.

Sur la demande de dommages-intérêts pour absence d'entretien professionnel

Selon les articles L. 6321-1 et l'article L. 6315-1 du code du travail, dans leurs versions applicables au litige, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

S'il n'est pas justifié en l'espèce de la tenue d'un quelconque entretien professionnel dans le respect des périodicités légales, comme objecté à raison par le mandataire ad hoc, la salariée ne démontre aucun préjudice à ce titre, de sorte qu'il y a lieu de la débouter de sa demande de fixation d'une créance de dommages-intérêts pour absence d'entretien professionnel.

Sur le rappel de rémunération variable

La salariée sollicite un reliquat de primes sur objectifs contractuels calculé au vu du chiffre d'affaires de ventes qu'elle a réalisé du 1er octobre 2017, date à compter de laquelle la structure et le calcul de sa rémunération variable ont été unilatéralement modifiés par l'employeur, au 26 février 2019.

Le mandataire ad hoc réplique que si un nouveau système de rémunération variable a été mis en place à compter d'octobre 2017, l'ensemble du personnel des boutiques en a été informé et y était favorable nonobstant l'absence de signature d'avenants. Il précise, ainsi que l'AGS, que la salariée a perçu dans ce cadre un somme supérieure à ce à quoi elle aurait pu prétendre en appliquant l'ancien système.

S'il résulte de l'article 1134, devenu 1103, du code civil, et de l'article L. 1221-1 du code du travail, que lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice, il s'en déduit que le paiement de la partie variable de la rémunération qui constitue un élément du contrat de travail ne peut être modifié sans l'accord du salarié.

Le contrat de travail de la salariée prévoit le versement d'une rémunération variable dont la modification unilatérale par l'employeur a consisté à en modifier la structure et le calcul en passant d'une prime égale à 0,25% brute du montant des ventes personnellement réalisées, 0,50% brute pour les ventes personnellement effectuées au-delà de l'objectif fixé, à un ensemble de primes calculées sur des périodicités variables au cours de l'année, mensuelle ou trimestrielle, et exprimées en montants nets à objectifs respectifs atteints par magasin.

Si le mandataire ad hoc, qui reconnaît que le nouveau système de rémunération variable n'a pas été contractualisé, allègue que la salariée en a accepté le principe et a été remplie de ses droits à ce titre en ce qu'elle ne pouvait prétendre à une somme supérieure à ce qu'elle a perçu si le système initial avait été appliqué, il n'en justifie pas.

Ainsi, au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il convient d'allouer à la salariée la somme de 418,29 euros brut à titre de rappel de rémunération variable, outre 41,83 euros brut de congés payés afférents. Ces montants seront fixés au passif de la société MC Boulogne et le jugement sera infirmé sur ces chefs.

Sur le reliquat d'indemnité de congés payés

La salariée sollicite la fixation d'une créance de reliquat d'indemnité de congés payés en ce que l'employeur n'a pas inclus la prime d'ancienneté dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés à proportion du 1/10e.

Le mandataire ad hoc soutient pour sa part que l'employeur a appliqué la méthode du maintien de salaire en calculant le « salaire théorique » que la salariée aurait perçu si elle avait continué à travailler durant les périodes considérées.

Il résulte de l'article L. 3141-22 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, que l'indemnité de congés payés ne peut être inférieure au montant de la rémunération qui aurait été perçue pendant la période de congés si le salarié avait continué à travailler ; la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de congés payés est la rémunération totale du salarié, incluant les primes et indemnités versées en complément du salaire si elles sont versées en contrepartie ou à l'occasion du travail, ce qui inclut les primes d'ancienneté.

S'il est objecté que la salariée a été remplie de ses droits à ce titre en appliquant la méthode du maintien de salaire, ce paiement ne résulte que de l'affirmation du mandataire ad hoc qui ne justifie pas du règlement de la part d'indemnité de congés payés afférente à la prime d'ancienneté pour la période objet de la demande, soit du 16 avril 2016 au 28 avril 2019.

Il convient donc de fixer au passif de la société MC Boulogne la créance de reliquat d'indemnité de congés payés à hauteur de 862,68 euros brut. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les intérêts

Les intérêts légaux courent, sur les créances de nature salariale, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, et, sur les créances indemnitaires, à compter du prononcé du présent arrêt.

Il y a lieu à capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

En application des dispositions combinées des articles L. 622-28 et L. 641-3 du code de commerce, le jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 août 2020, qui a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société MC Boulogne, a arrêté le cours des intérêts légaux.

Sur la garantie de l'AGS

Le présent arrêt sera opposable à l'UNEDIC délégation AGS CGEA d'Ile de France Ouest dans la limite des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants et D 3253-5 du code du travail.

En application de l'article L. 3253-15 du code du travail, le mandataire judiciaire ayant cessé ses fonctions, le greffier du tribunal de commerce de Paris adressera un relevé complémentaire à l'AGS qui versera le montant de la créance entre ses mains, à charge pour lui de reverser les sommes à la salariée.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la SELARL FIDES, prise en la personne de Me [Z] [P], ès qualité de mandataire ad hoc de la société MC Boulogne, partie principalement succombante. Ils seront pris en frais privilégiés de procédure collective.

En équité, la somme de 2 500 euros sera allouée à la salariée au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel par application de l'article 700 du code de procédure civile. Cette somme n'est pas garantie par l'AGS.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il statue sur les demandes de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité et pour absence d'entretien professionnel ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique de Mme [G] [E] ;

Fixe la créance de Mme [G] [E] au passif de la liquidation judiciaire de la société MC Boulogne comme suit :

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 850,88 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 485,08 euros brut de congés payés afférents,

- 418,29 euros brut de rappel de rémunération variable,

- 41,83 euros brut de congés payés afférents,

- 862,68 euros brut de rappel d'indemnité de congés payés,

- 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les intérêts légaux courent, sur les créances de nature salariale, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, et, sur les créances indemnitaires, à compter du prononcé du présent arrêt ;

Dit qu'il y a lieu à capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Dit que le jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 août 2020, qui a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société MC Boulogne, a arrêté le cours des intérêts légaux ;

Dit le présent arrêt opposable à L'UNEDIC délégation AGS CGEA d'Ile de France Ouest dans la limite des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants et D 3253-5 du code du travail ;

Dit que cette garantie ne s'applique pas pour la créance d'indemnité de procédure ;

Dit que le greffier du tribunal de commerce de Paris adressera un relevé complémentaire à l'AGS qui versera le montant de la créance entre ses mains, à charge pour lui de reverser les sommes à la salariée ;

Déboute les parties pour le surplus ;

Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la SELARL FIDES, prise en la personne de Me [Z] [P], ès qualité de mandataire ad hoc de la société MC Boulogne, et dit que ces dépens seront pris en frais privilégiés de procédure collective.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 21/03379
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;21.03379 ?
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