COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Chambre civile 1-1
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63C
DU 11 JUIN 2024
N° RG 23/03233
N° Portalis DBV3-V-B7H-V3QV
AFFAIRE :
S.A. MMA IARD
C/
S.A.R.L. SOBYZ
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 31 Mars 2023 par le Juge de la mise en état de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG :
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-la SCP COURTAIGNE AVOCATS,
-la SELARL INTER- BARREAUX FEDARC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. MMA IARD
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social,venant aux droits de la compagnie COVEA RISKS
N° SIRET : 440 048 882
et
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, venant aux droits de la compagnie COVEA RISKS.
N° SIRET : 775 652 126
domicilées toutes deux [Adresse 1]
[Localité 2]
représentées par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 023098
Me Christophe LAVERNE de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat - barreau de PARIS
APPELANTES
****************
S.A.R.L. SOBYZ
agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social
N° SIRET : 529 834 491
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Katy CISSE de la SELARL INTER-BARREAUX FEDARC, avocat postulant - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 10 - N° du dossier 20212294
Me Axelle ADJANOHOU substituant Me Cédric FISCHER de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0147
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
**************************
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [N] est gérante de plusieurs sociétés spécialisées dans l'aménagement d'intérieur, dont la société Sobyz. Elle a confié à M. [D] et son cabinet d'expertise comptable, la société MRJP des missions de présentation des différentes sociétés dont elle est gérante, dont la société Sobyz pour les années 2015 à 2017.
Le 9 mai 2017, l'administration fiscale a adressé à la société Sobyz une proposition de rectification pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 à hauteur de la somme en principal de 146 055 euros au titre de l'insuffisance de TVA collectée au 31 décembre 2015 et de 58 662 euros au titre des pénalités pour manquement délibéré de déclaration.
Par actes d'huissier de justice du 28 avril 2021, la société Sobyz et Mme [N] ont fait assigner M. [D], la société MRJP et les MMA IARD en qualité d'assureur de la société MRJP, aux fins d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis du fait des manquements contractuels imputés à la société MRJP et à M. [D].
Par ordonnance d'incident rendue le 31 mars 2023, le juge de la mise en état de Pontoise a :
-Rejeté la demande de nullité des assignations ;
-Déclaré irrecevable l'action de la société Sobyz à l'encontre de la société MRJP et de M. [Z] [D] en raison de l'absence de recours à la procédure de conciliation préalable obligatoire ;
-Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et déclarée recevable l'action de la société Sobyz à l'encontre des MMA IARD et IARD Assurances Mutuelles ;
-Dit n'y avoir lieu en l'état à statuer sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;
-Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 22 juin 2023 pour conclusions des défendeurs et à défaut, clôture et fixation.
Les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles ont interjeté appel de cette ordonnance le 15 mai 2023 à l'encontre de la société Sobyz.
Par dernières conclusions notifiées le 28 février 2024, elles demandent à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance rendue le 31 mars 2023 par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Pontoise (RG n° 21/02377) en ce qu'elle a :
- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et déclare recevable l'action de la société Sobyz à leur encontre ;
- Dit n'y avoir lieu en l'état à statuer sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;
- Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 22 juin 2023 pour conclusions des défendeurs et à défaut, clôture et fixation,
Statuant à nouveau :
- Déclarer irrecevable la société Sobyz en ses demandes dirigées à leur encontre,
- Condamner la société Sobyz à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Sobyz aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 8 décembre 2023, la société Sobyz demande à la cour de :
- Confirmer en toutes ces dispositions l'ordonnance rendue le 31 mars 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Pontoise ;
- Débouter les MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles de l'ensemble de leurs demandes,
- En conséquence, rejeter les demandes formées par les MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles au titre de la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en jeu d'une clause compromissoire,
- Rejeter les demandes formées par les MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles au titre de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Sobyz,
Statuant à nouveau,
- Condamner in solidum les MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'incident.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l'appel
L'ordonnance du juge de la mise en état n'est pas critiquée en ce qu'elle a :
- Rejeté la demande de nullité des assignations ;
-Déclaré irrecevable l'action de la société Sobyz à l'encontre de la société MRJP et de M. [Z] [D] en raison de l'absence de recours à la procédure de conciliation préalable obligatoire.
Ces dispositions sont dès lors devenues irrévocables.
Sur la fin de non recevoir tirée de prescription
Pour rejeter la fin de non recevoir tirée de la prescription, le juge de la mise en état, après avoir constaté que les parties avaient valablement et contractuellement prévu un délai de 2 ans pour engager la responsabilité de la société MRJP, a estimé que ce délai n'avait pas pu commencer à courir avant le 19 novembre 2019, date du dernier avis de l'administration fiscale emportant rejet définitif des contestations de la société Sobyz. Il a en effet jugé que si le délai de prescription peut être aménagé par les parties, il n'en n'est pas de même du point de départ de ce délai qui reste, en application de l'article 2224 du code civil, la date à laquelle la victime a eu, ou aurait dû avoir, connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit.
Moyens des parties
Les sociétés MMA poursuivent l'infirmation de l'ordonnance en faisant valoir que le délai de prescription abrégé prévu par les parties prévoit qu'il commence à courir ' à compter des événements ' qui ont causé un préjudice à l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'événement dommageable est constitué par les déclarations de TVA de l'exercice 2015 et que la dernière ayant eu lieu le 19 janvier 2016, la prescription était acquise au 20 janvier 2018. Elle soutient que la référence à l'article 2224 du code civil est indifférente, cet article n'étant pas applicable en l'espèce.
La société Sobyz poursuit la confirmation de l'ordonnance en faisant valoir que la prescription court, en matière de recours contentieux fiscal, à compter du jour où le rejet du recours par le juge est définitif ou du jour où le refus du recours gracieux est connu.
Appréciation de la cour
En application de l'article 2254 du code civil, ' La durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans '.
La régularité de l'aménagement conventionnel du délai de prescription stipulé dans la lettre de mission confiée à la société MRJP n'est pas discutée par les parties.
La clause est ainsi rédigée (souligné par la cour) ' La responsabilité civile du professionnel de l'expertise comptable ne peut être mise en jeu que sur une période contractuellement définie de deux ans à compter des événements ayant causé un préjudice à l'entreprise '.
Cette disposition déroge donc non seulement au délai légal de prescription, mais également au point de départ de ce délai fixé par l'article 2224 du même code en application duquel ' Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer '.
En l'espèce, selon le point de départ que l'on retient, la date de l'événement préjudiciable qui est la dernière déclaration de TVA réalisée en janvier 2016, ou la date à laquelle la société Sobyz a été informée du rejet de son recours gracieux à l'encontre de la rectification fiscale soit le 4 décembre 2020, l'action engagée par assignation du 28 avril 2021 est ou non prescrite.
La cour retiendra que si l'article 2254 du code civil prévoit expressément que ' La durée de la prescription ' peut être aménagée, l'article 2224 ne prévoit pas la possibilité d'aménager le point de départ la prescription.
Pour autant, cet article ne l'interdit pas non plus et rien ne permet d'affirmer que la règle qu'il édicte soit d'ordre public et qu'il ne puisse pas y être dérogé.
Le droit des contrats reste soumis au principe de la liberté contractuelle et ce qui n'est pas interdit par l'ordre public ou les bonnes moeurs est autorisé.
Ainsi, en application de l'article 1102 du code civil, ' Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.
La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public '.
Par ailleurs, la lettre de mission est un contrat conclu entre deux professionnels auxquels les règles protectrices du droit de la consommation ne sont pas applicables.
De plus, la clause litigieuse, pour rigoureuse qu'elle soit, ne souffre d'aucune ambiguïté.
Enfin, l'administration fiscale a adressé une proposition de rectification à la société Sobyz le 9 mai 2017, soit avant l'écoulement du délai de deux ans invoqué par les sociétés MMA.
Il y a donc lieu de retenir que le délai de prescription a commencé à courir à compter de l'événement préjudiciable, soit en l'espèce le 19 janvier 2016.
Dans ces conditions, la cour infirmera l'ordonnance entreprise et dira que la société Sobyz est également prescrite en son action à l'encontre des sociétés MMA.
Sur les dispositions accessoires
Le sens du présent arrêt commande d'infirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société Sobyz, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'incident de première instance et de la procédure d'appel de cet incident qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il n' y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel,
INFIRME l'ordonnance entreprise,
DIT que la société Sobyz est prescrite en son action à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA Assurances Mutuelles,
CONDAMNE la société Sobyz aux dépens de l'incident de première instance et d'appel,
DIT n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Sixtine DU CREST, conseiller pour la présidente empêchée et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,