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06/06/2024 | FRANCE | N°23/07231

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 06 juin 2024, 23/07231


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 39H



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUIN 2024



N° RG 23/07231 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WEQD



AFFAIRE :



S.A.S. IT'S MY CHAMPION





C/

[F] [H]

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 18 Octobre 2023 par le Président du TC de VERSAILLES

N° RG : 2023R00074



Expéditions exécutoires

Expé

ditions

Copies

délivrées le : 06.06.2024

à :



Me Tatiana RICHAUD, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Sophie LEGOND, avocat au barreau de VERSAILLES,





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUIN 2024

N° RG 23/07231 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WEQD

AFFAIRE :

S.A.S. IT'S MY CHAMPION

C/

[F] [H]

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 18 Octobre 2023 par le Président du TC de VERSAILLES

N° RG : 2023R00074

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 06.06.2024

à :

Me Tatiana RICHAUD, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Sophie LEGOND, avocat au barreau de VERSAILLES,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. IT'S MY CHAMPION

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Tatiana RICHAUD de la SELARL SELARL INTER BARREAU CABINET SGTR, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 307, substituée par Me Alexis GRAIL

APPELANTE

****************

Monsieur [F] [H]

né le 27 Octobre 1987 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

S.A.R.L. EXEEST PARIS

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 750 46 9 5 46

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentant : Me Sophie LEGOND de la SCP LEGOND & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 7

Ayant pour avocat plaidant Me Sandra ROBERT du barreau de Paris

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Avril 2024, Madame Marina IGELMAN, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

M. [F] [H] a été engagé le 6 janvier 2020 comme responsable commercial par la SAS It's My Champion ' Ekestrian (la société Ekestrian), qui a pour activité la vente aux enchères d'embryons de chevaux de sport via une plateforme internet nommée Ekestrian.

Le 21 janvier 2022, il a été licencié.

M. [H] s'est lancé dans la vente de gré à gré d'embryons de chevaux de sport à travers la SARL Exeest Paris, sous la marque Genesis Horse Breeding.

La société Ekestrian a considéré que M. [H] et la société Exeest Paris exerçaient une concurrence déloyale. Par ordonnance du 11 octobre 2022, elle a obtenu la désignation d'un commissaire de justice afin de procéder à les mesures de constats et de saisies à l'adresse du site de Genesis Horse Breeding figurant sur internet, à laquelle le commissaire de justice désigné a constaté l'impossibilité matérielle de procéder à sa mission, s'agissant d'une parcelle composée de champs, dépourvue d'alimentation électrique visible.

Par ordonnance du 7 février 2023, la société Ekestrian a obtenu l'autorisation de réaliser des mesures de constat et de saisie de données commerciales au domicile de M. [H] et au salon équestre de [Localité 7] à la date du 18 février 2023.

La SCP Noriance, commissaire de justice instrumentaire, s'est présentée à l'adresse du domicile de M. [H] le 15 février 2023 mais en l'absence de l'intéressé et de support informatique appartenant à la société Exeest, n'a pu exécuter l'ordonnance, laquelle a néanmoins été notifiée à une personne présente sur place.

M. [H] ne s'est pas présenté au salon équestre de [Localité 7] le 18 février suivant, de sorte que l'ordonnance n'a pas davantage pu y être exécutée.

Par acte de commissaire de justice délivré le 23 mars 2023, M. [H] et la société Exeest Paris ont fait assigner en référé la société Ekestrian aux fins d'obtenir principalement la rétractation de l'ordonnance du 7 février 2023 rendue sur requête.

Par ordonnance contradictoire rendue le 18 octobre 2023, le juge de la rétractation du tribunal de commerce de Versailles a :

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- rétracté l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Versailles le 7 février 2023 sur requête présentée le 20 janvier 2023 par la société Ekestrian,

- déclaré irrecevable la demande reconventionnelle formée par la société Ekestrian,

- condamné la société Ekestrian à payer la somme de 3 000 euros à M. [H] et la société Exeest Paris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Ekestrian aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 57,65 euros.

Par déclaration reçue au greffe le 20 octobre 2023, la société Ekestrian a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 18 avril 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Ekestrian demande à la cour, au visa des articles 145, 493, 497 et 700 du code de procédure civile, de :

'- recevoir la société Ekestrian en son appel, ses écritures, moyens et prétentions et l'y déclarer bien fondée

- infirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Versailles du 18 octobre 2023 en toutes ses dispositions, en ce qu'elle a :

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

- rétracté l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Versailles le 7 février 2023 sur requête présentée le 20 janvier 2023 par la sas Ekestrian ;

- déclaré irrecevable la demande reconventionnelle formée par la sas Itsmychamion ;

- condamné la sas Ekestrian à payer la somme de 3 000 euros à M. [F] [H] et la sarl Exeest Paris SARL au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la sas Ekestrian aux dépens dont les frais de greffe.

et statuant à nouveau,

- déclarer irrecevable l'action de M. [F] [H] et de la société Exeest Paris SARL pour défaut d'intérêt à agir ;

- débouter M. [F] [H] et la société Exeest Paris SARL de leur demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 7 février 2023;

- confirmer l'ordonnance rendue sur requête le 7 février 2023 en toutes ses dispositions ;

- condamner in solidum M. [F] [H] et la société Exeest Paris SARL au paiement de la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel ;

- condamner in solidum M. [F] [H] et la société Exeest Paris SARL.'

Dans leurs dernières conclusions déposées le 29 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [H] et la société Exeest Paris demandent à la cour, au visa des articles 145, 497, 31 et 700 du code de procédure civile, de :

'- confirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Versailles en date du 18 octobre 2023 dans toutes ses dispositions ;

par conséquent,

- débouter la société Ekestrian de la totalité de ces demandes ;

- condamner la société Ekestrian à payer à M. [F] [H] et la société Exeest la somme de 8 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Ekestrian aux entiers dépens.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'intérêt à agir de M. [H] et la société Exeest :

A la fin de ses conclusions, la société Ekestrian soulève l'absence d'intérêt à agir de M. [H] et la société Exeest en rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 7 février 2023 compte tenu du fait que cette ordonnance n'ayant pu être exécutée, elle ne fait pas grief.

Les intimés rétorquent qu'ils ont évidemment intérêt à agir dans la mesure où l'ordonnance dont ils sollicitent la rétractation a été rendue à leur encontre et que son exécution partielle est sans incidence sur l'intérêt à agir de la personne contre laquelle elle a été rendue.

Sur ce,

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'alinéa 2 de l'article 496 du même code indique quant à lui que s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

M. [H] et la société Exeest Paris, en tant que personnes concernées, non seulement comme celles devant supporter la mesure, mais aussi comme celles visées par l'éventuelle action au fond, ont bien un intérêt à solliciter la rétraction de l'ordonnance rendue sur requête dans ces conditions.

Par ailleurs, la cour n'étant tenue d'apprécier les mérites de la requête qu'au regard des seules conditions de l'article 145 du code de procédure civile, sont sans incidence sur cette appréciation les résultats de l'exécution des mesures sollicitées par la requérante.

Le moyen tiré de l'absence d'intérêt à agir du fait de l'échec de la mise en 'uvre des mesures sera donc rejeté.

Sur la rétractation :

La société Ekestrian sollicite l'infirmation de l'ordonnance du 18 octobre 2023 et le débouté de M. [H] et la société Exeest de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 7 février 2023.

Elle relate tout d'abord les circonstances de sa création en 2011 et de son développement, du lancement à la fin 2016 de la vente en ligne d'embryons et de 'foals' (poulains de moins d'1 an), de sa croissance l'ayant fait passer du statut de start-up à celui de scale-up (entreprise en croissance continue de plus de 2 chiffres), et de la création de son réseau unique de propriétaires de juments et de chevaux de sport d'exception, de toutes nationalités, parmi des millions de propriétaires dans le monde du cheval.

Elle expose ensuite comment, dans le cadre de la publication de son offre de recrutement d'un responsable commercial, M. [H] a manifesté une très grande motivation, de sorte que bien que ne disposant d'aucune expérience professionnelle dans le domaine équestre, il a été embauché le 6 janvier 2020, signant un contrat l'obligeant à la confidentialité.

Elle fait état des difficultés rencontrées, M. [H] ayant annoncé à 2 reprises vouloir repartir travailler dans le secteur de la vente alimentaire et ayant fait en sorte de ne se servir que des ses outils (ordinateur et téléphone) personnels, ayant conduit à son licenciement qui suite à une contestation, donnera lieu à la signature d'un protocole transactionnel aux termes duquel il s'engageait notamment à ne conserver aucune copie.

Or indique-t-elle, à peine cet engagement pris, M. [H] s'est attaché à déployer une activité directement concurrente à la sienne, de vente en ligne d'embryons équins, en s'adressant exactement aux partenaires qu'elle avait choisis, particulièrement confidentiels.

Elle soutient que M. [H] a ciblé parmi les meilleurs chevaux de son portefeuille, 80 % des juments présentées appartenant à ses 20 meilleurs partenaires.

Elle explique s'être constitué un portefeuille d'un millier de chevaux en 10 ans tandis que Genesis Horse Breeding a présenté à la vente en 3 mois ses 20 meilleurs chevaux.

Elle soutient que l'une des caractéristiques de ce marché d'embryons de chevaux de sport très élitiste est d'être confidentiel et quasiment inaccessible au grand public.

Ainsi, elle soutient que la faculté pour M. [H], via Genesis, de disposer d'un catalogue présentant des chevaux qui sont les meilleurs d'Ekestrian et les meilleurs vendeurs, dès le lancement de sa nouvelle activité, alors qu'il n'avait auparavant que travaillé dans la restauration, caractérise l'utilisation de ses informations confidentielles, leur appropriation et leur conservation, ce qui lui est interdit, alors qu'en outre il présente les embryons à la vente en contrepartie d'une commission inférieure de moitié à la sienne.

Elle entend donc démontrer qu'elle dispose d'un motif légitime pour obtenir les mesures d'instruction sollicitées en ce que caractériser une jument d'exception puis trouver l'identité et les coordonnées de son propriétaire/éleveur est compliqué et long ; que les sites internet visés par M. [H] en recensent plus d'un million (notamment les sites Horsetelex et Hippomundo) ; qu'il lui est impossible d'identifier rapidement, via ces sites ou d'autres, les mêmes juments d'exception ainsi que les coordonnées de leur propriétaire qu'elle a choisies au fil des années.

Elle rappelle que M. [H] ne disposait d'aucun contact avant son arrivée en son sein et ajoute que les éléments qu'il a lui-même communiqués ont révélé qu'il s'était organisé pour capter ses informations afin de développer la même activité ; qu'ainsi, bien que disposant d'un téléphone professionnel, il a favorisé l'utilisation de son téléphone personnel ; qu'il a versé aux débats une carte de visite, individuelle, mentionnant son numéro de téléphone personnel.

Elle considère que la création et l'usage de cette carte et de son téléphone personnel, à son insu, lui a permis de conserver les coordonnées de tous ses partenaires, outre que certains acheteurs se sont retrouvés avec comme seul numéro le sien.

Elle cite une conversation whatsapp versée par M. [H] en première instance, démontrant qu'il parlait déjà en août 2021 de ses projets de société concurrente.

Elle reproche au premier juge d'avoir considéré à tort qu'elle ne rapportait pas la preuve d'une concurrence déloyale, ce qui n'est pas exigé au stade des mesures d'instruction ; d'avoir retenu que M. [H] n'était tenu par aucune clause de non-concurrence et les clients d'aucune exclusivité, soit des éléments inopérants en la matière.

La société Ekestrian répond ensuite aux conclusions adverses en indiquant que c'est bien M. [H] qui a répondu spontanément à son offre d'emploi et que son départ correspond bien à l'origine à son licenciement ; qu'il profère des allégations sans preuve.

M. [H] et la société Exeest, sollicitant la confirmation de l'ordonnance ayant ordonné la rétractation, exposent une toute autre version des faits.

Ainsi, les intimés relatent que M. [H] est une personnalité connue depuis de nombreuses années dans le milieu équestre (cavalier amateur qui a développé un réseau, création en 2015 de la société civile d'exploitation SCEA Elevage de la Mare Barbaut spécialisée dans l'élevage de chevaux, son cheval, Aldo du Manoir est devenu le meilleur cheval de sauts d'obstacles en Espagne et a remporté la 6ème place à la coupe des nations de Barcelone en 2022).

Ils indiquent que M. [H] travaillait dans le secteur commercial lorsqu'il a été approché par la société Ekestrian en 2020, qu'il a grandement contribué à développer, malgré ses conditions matérielles de travail des plus précaires (il devait travailler avec son ordinateur portable et son téléphone portable personnels).

Ils expliquent que M. [H] s'est retrouvé dans une situation de surmenage, subissant du harcèlement de la part de Mme [Z] [G] qui le sollicitait sans cesse, et a été placé en arrêt maladie, de sorte que les parties ont mis fin à son contrat de travail.

Ils exposent que M. [H] a alors modifié l'objet social de sa SARL Exeest Paris pour se consacrer à la vente de gré à gré d'embryons équins, développant cette activité sous le nom commercial Genesis Horse Breeding et insistent sur le concept très différent de cette activité, qui n'est pas basée sur la vente aux enchères, rappelant qu'aucune société ne détient d'exclusivité sur les embryons.

Ils concluent à l'absence de motif légitime démontré par l'appelante faisant valoir que :

- les informations concernant les juments et leurs propriétaires sont connues des personnes évoluant dans ce secteur et accessibles à tous sur internet ;

- le prétendu « carnet d'adresses » de la société Ekestrian constitue en réalité une base de données qui se trouve sur les sites spécialisés comme hippomundo.com ou horsetelex.com ;

- le marché de la vente d'embryons de chevaux s'est particulièrement développé depuis une dizaine d'années, une soixantaine d'entreprises pratiquant cette activité en Europe ;

- les éleveurs eux-mêmes rendent accessibles leurs coordonnées,

de sorte que la société Ekestrian ne peut sérieusement prétendre que les données qu'elle a extraites du site de la société Genesis Horse Breeding étaient des informations confidentielles lui appartenant ;

- M. [H] est entrée en relation d'affaires avec certains éleveurs grâce au réseau qu'il avait lui-même développé, alors qu'il possédait sa propre société d'élevage et a des contacts importants dans ce milieu ; certains partenaires l'ont contacté directement sans qu'il n'effectue aucune pression ;

- M. [H] a des relations personnelles avec des propriétaires indépendamment de son passage chez la société Ekestrian ;

- la société Ekestrian ne rapporte pas la preuve d'une diminution de son activité, le nombre de ventes qu'elle a réalisées ayant cru de 160 % entre 2021 et 2022 ;

- d'autres sites de vente aux enchères présentent les mêmes embryons que le site de la société Ekestrian ;

- l'appelante ne démontre pas qu'il aurait utilisé des procédés déloyaux ;

- le montant de ses commissions inférieur à celles de la société Ekestrian n'a rien d'illégal, outre que cela s'explique par le fait que cette dernière pratique la vente aux enchères.

Les intimés font valoir que M. [H] continue même d'avoir un discours vendeur auprès de nouveaux prospects et de favoriser la société Ekestrian.

Les intimés concluent ensuite à l'absence d'intérêt à agir de la société Ekestrian du fait que M. [H] n'était lié par aucune clause de non-concurrence, la société Ekestrian n'ayant pas voulu le rémunérer pour cela lors de sa sortie de la société.

Ils versent des factures d'eau et d'électricité pour démontrer que la société Exeest a bien son siège social à [Localité 4] et y dispose de toutes les installations nécessaires pour exercer son activité.

Sur ce,

Selon l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.

Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

Sur la motivation de la dérogation au principe de la contradiction

En application des articles 493 et 495 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête rendue non contradictoirement doit être motivée de façon précise, le cas échéant par l'adoption des motifs de la requête, s'agissant des circonstances qui exigent que la mesure d'instruction sollicitée ne soit pas prise contradictoirement.

Le juge saisi d'une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant, au besoin d'office, sur la motivation de la requête ou de l'ordonnance justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.

Aux termes de l'ordonnance sur requête du 7 février 2023, le juge, après avoir relevé que les mesures sollicitées visaient à préserver les fichiers, correspondances et documents qui figureraient dans les locaux de la société Exeest et l'ordinateur professionnel de M. [H], qui démontreraient l'implication de celui-ci dans la captation de données de la société Ekestrian et leur utilisation pour démarcher ses partenaires, caractérise la nécessité qu'il soit dérogé au principe du contradictoire afin de permettre un effet de surprise dès lors que si le dirigeant de la société Exeest, dont il relève que le comportement déloyal est manifeste par la présentation sur son site internet des mêmes chevaux et partenaires que ceux de la société Ekestrian, lui permettant de proposer des offres moins chères, était avisé à l'avance de ces mesures, il pourrait en annuler les effets.

Par ces motifs, l'ordonnance sur requête contient une justification valable qu'il soit procédé de façon non contradictoire.

Sur l'existence d'un motif légitime

Il est constant que l'auteur de la demande à une mesure d'instruction in futurum à l'origine non contradictoire n'a pas à rapporter la preuve, ni même un commencement de preuve, du grief invoqué, mais qu'il doit toutefois démontrer l'existence d'éléments précis constituants des indices de violation possible d'une règle de droit permettant d'établir la vraisemblance des faits dont la preuve pourrait s'avérer nécessaire dans le cadre d'un éventuel procès au fond.

En application des dispositions de l'article 1240 du code civil, l'absence de clause de non- concurrence ne fait pas obstacle à une éventuelle action en responsabilité exercée par l' ancien employeur contre son ancien salarié qui se livrerait, postérieurement à la rupture du contrat de travail, à des actes de concurrence déloyale à son encontre.

Par ailleurs, l'appropriation, la conservation et l'utilisation d'informations confidentielles, qui seraient orchestrées puis mises en 'uvre par l'ancien salarié afin de développer une activité identique, sont susceptibles de caractériser des actes de concurrence déloyale.

Or, il n'est pas contesté par M. [H] que dès le lancement de sa nouvelle activité sous l'enseigne Genesis Horse Breeding, il a proposé à la vente, sans que le fait qu'elle se fasse de gré à gré ne la distingue fondamentalement d'une vente aux enchères, 10 embryons de juments sur 12, figurant parmi les meilleures offres de la société Ekestrian.

Il s'agit-là d'un indice rendant plausibles les agissements de concurrence déloyale allégués, sans qu'il n'appartienne à la cour à ce stade de trancher le débat quant à l'originalité et la confidentialité des données en cause.

Il en est de même du fait que M. [H] aurait appréhendé durant sa période de salariat au sein de la société Ekestrian, puis conservé et utilisé le carnet d'adresses de son ancien employeur, et il appartiendra au juge du fond, désormais saisi, d'apprécier si ce « carnet d'adresses » comporte des spécificités propres à l'appelante.

Ces seuls éléments suffisant à caractériser l'existence d'un motif légitime à l'obtention d'une mesure d'instruction sur requête, l'ordonnance querellée sera infirmée, n'étant pas critiquée quant à la nature des mesures ordonnées.

Sur les demandes accessoires :

La société Ekestrian étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, M. [H] et la société Exeest Paris ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Ils devront supporter in solidum les dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande en revanche de débouter toutes les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Rejette le moyen tiré de l'absence d'intérêt à agir en rétractation,

Infirme l'ordonnance du 18 octobre 2023 en ses dispositions critiquées,

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance rendue sur requête le 7 février 2023,

Dit que M. [F] [H] et la société Exeest Paris supporteront in solidum les dépens de première instance et d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/07231
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;23.07231 ?
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