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06/06/2024 | FRANCE | N°23/07027

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 06 juin 2024, 23/07027


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 82E



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUIN 2024



N° RG 23/07027 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WECJ



AFFAIRE :



S.A. LA POSTE





C/

Comité d'établissement CHSCT [Localité 7]-[Localité 8]

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 30 Juin 2022 par le Président du TJ de Nanterre

N° RG : 21/02946



ExpÃ

©ditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 06.06.2024

à :



Me Stéphanie TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES,



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUIN 2024

N° RG 23/07027 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WECJ

AFFAIRE :

S.A. LA POSTE

C/

Comité d'établissement CHSCT [Localité 7]-[Localité 8]

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 30 Juin 2022 par le Président du TJ de Nanterre

N° RG : 21/02946

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 06.06.2024

à :

Me Stéphanie TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. LA POSTE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619

Ayant pour avocat plaidant Me Sophie REY, du barreau de Paris

APPELANTE

****************

CHSCT [Localité 7]-[Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 7]

SYNDICAT SUD ACTIVITES POSTALES HAUTS DE SEINE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643

Ayant pour avocat plaidant Me Julien RODRIGUE, du barreau de Paris

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Avril 2024, Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

Consécutivement au changement de statut de la société La Poste le 1er mars 2010 d'établissement public industriel et commercial en société anonyme de droit privé, la société La Poste a été tenue de mettre en place au sein de ses établissements des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de droit privé.

Le CHSCT de la plate-forme de préparation et de distribution du courrier (PPDC) de [Localité 7] [Localité 8] a voté une expertise pour projet important lors d'une réunion tenue le 20 octobre 2021, concernant la sécabilité.

Par acte d'huissier de justice délivré le 16 novembre 2021, le CHSCT de la PPDC de [Localité 7] [Localité 8] et le Syndicat sud activités postales Hauts de Seine ont fait assigner en référé d'heure à heure la société La Poste aux fins d'obtenir principalement d'interdire à la société La Poste d'imposer aux agents du site de [Localité 7] [Adresse 6] la distribution de la partie sécable de leur tournée en dehors des jours habituels.

Par ordonnance contradictoire rendue le 30 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- interdit à la société La Poste d'imposer aux agents du site de [Localité 7] [Adresse 6] la distribution de la partie sécable de leur tournée en dehors des jours habituels, les lundis et mardis, dans l'attente de la restitution de l'expertise votée le 20 octobre 2021 et la consultation régulière du CHSCT de [Localité 7] [Localité 8], de l'éva1uation du temps, de la charge de travail et des risques psychosociaux induite par l'extension de la sécabilité au-delà des lundis et mardis et de ses modalités d'application, sous astreinte de 10 000 euros par infraction et jour de retard à compter de la signification de la décision,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société La Poste à payer au CHSCT de la PPDC de [Localité 7] [Localité 8] la somme de 7 200 euros TTC au titre de ses frais judiciaires,

- condamné la société La Poste aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 18 juillet 2022, la société La Poste a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Par arrêt contradictoire rendu le 30 mars 2023, la 14ème chambre civile de la cour d'appel de Versailles a :

- ordonné le sursis à statuer sur l'appel de l'ordonnance entreprise dans l'attente de la décision de la cour de cassation dans le pourvoi Y2218969 exercé à l'encontre du jugement du 29 juin 2022,

- ordonné la radiation de la procédure dans l'attente de cet arrêt,

- dit que l'affaire sera rétablie à la demande de la partie la plus diligente, sur justification de la survenance de l'événement ayant motivé le sursis à statuer,

- réservé les dépens.

Par arrêt rendu le 20 septembre 2023, la chambre sociale de la cour de cassation a :

- rejeté le pourvoi,

- condamné la société La Poste aux dépens,

- en application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamné la société La Poste à payer à la société Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, la somme de 3 600 euros TTC.

Dans ses dernières conclusions déposées le 15 novembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société La Poste demande à la cour, au visa des articles 834, 835 du code de procédure civile, L. 4614-12 du code du travail, de :

'- infirmer l'ordonnance du tribunal judiciaire de Nanterre du 30 juin 2022,

statuant à nouveau juger que les intimés ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un projet important,

- juger que les intimés ne démontrent ni un trouble manifestement illicite ni un dommage imminent,

en conséquence :

- juger n'y avoir lieu à référé,

- débouter les intimés de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- juger n'y avoir lieu à prise en charge des frais judiciaire du CHSCT compte tenu du caractère abusif de son action,

- condamner le syndicat SUD PTT à verser à La Poste la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le syndicat SUD aux entiers dépens. '

Dans leurs dernières conclusions déposées le 8 décembre 2023 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, le Comité d'Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail et le syndicat Sud Activités Postales Hauts-de-Seine demandent à la cour, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, de :

'- déclarer La Poste mal fondée en son appel et l'en débouter ;

- débouter La Poste de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- recevoir le Comité d'Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail de l'établissement de

[Localité 7]-[Localité 8] et le syndicat Sud Activités Postales Hauts-de-Seine en leurs demandes, et les en juger bien fondées,

en conséquence,

- confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :

- interdit à La Poste d'imposer aux agents du site de [Localité 7] [Adresse 6] la distribution de la partie sécable de leur tournée en dehors des jours habituels, les lundis et mardis dans l'attente de la restitution de l'expertise votée le 20 octobre 2021 et la consultation régulière du CHSCT de [Localité 7]-[Localité 8], de l'évaluation du temps, de la charge de travail et des risques psychosociaux induite par l'extension de la sécabilité au-delà des lundis et mardis et de ses modalités d'application, sous astreinte de 10 000 euros par infraction et jour de retard à compter de la signification de la décision,

- condamné La Poste à verser au CHSCT de [Localité 7]-[Localité 8] la somme de 7 200 euros TTC au titre de ses frais judiciaires et aux entiers dépens,

y ajoutant,

- condamner La Poste à verser au CHSCT de [Localité 7]-[Localité 8] la somme de 8 280 euros TTC au

titre de ses frais judiciaires en cause d'appel,

- débouter La Poste de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires.

- condamner La Poste aux entiers dépens de la procédure d'appel, dont distraction au profit de Maître Philippe Châteauneuf, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient à titre liminaire de constater que si La Poste indique dans le corps de ses conclusions que les pièces complémentaires des intimés numérotées de 41 à 45 ne sont pas visées aux termes de leurs dernières conclusions et que la pièce n°46, n'a fait l'objet d'aucune communication, ce qui doit conduire à les écarter, l'appelante ne formule aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile.

De même, si La Poste affirme que le CHSCT n'est plus valablement représenté faute de délibération en ce sens, elle n'en tire aucune conséquence de droit.

En l'absence de saisine valable de la cour sur ces points, il n'y a pas lieu de statuer les concernant.

Sur le trouble manifestement illicite et le dommage imminent

La Poste expose au soutien de ses demandes avoir mis en place un mécanisme de sécabilité dans l'établissement de [Localité 7] depuis 2012, qui permet une répartition égalitaire de la charge de travail entre les facteurs en fonction du volume de courrier à distribuer et le nombre d'agents présents.

Concrètement, elle indique que, dans cette organisation, chaque facteur appartient à une équipe de facteurs, est affecté à une tournée qu'il connaît et dont le parcours ne change pas mais il connaît aussi une partie déterminée d'une autre tournée, dite sécable, une tournée étant dite sécable quand elle a été conçue pour être intégrée les jours faibles aux tournées des facteurs titulaires et partagée entre les autres tournées de l'équipe.

Contestant l'existence de tout trouble manifestement illicite, La Poste soutient que le CHSCT ne peut recourir à un expert que lorsqu'il existe un projet important qui modifie de façon significative des conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, afin de permettre à ses membres d'être éclairés sur une question technique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce de l'extension de la sécabilité.

L'appelante fait valoir en premier lieu que le CHSCT, régulièrement informé et consulté sur l'organisation transitoire mise en place en octobre 2020 qui prévoyait la possibilité d'étendre la sécabilité sur l'ensemble des jours de la semaine, ne peut donc invoquer l'existence d'un nouveau projet.

Elle soutient que l'extension de la sécabilité ne constitue pas, en tout état de cause, un projet important au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail puisqu'il ne modifie pas significativement les conditions de travail des agents mais constitue une simple modalité d'organisation du travail en permettant une répartition égalitaire de la charge entre les facteurs, de sorte que l'information-consultation ne s'impose pas.

La Poste fait valoir que la sécabilité est mise en oeuvre dans l'établissement de [Localité 7] [Localité 8] depuis 2012, que les facteurs connaissent donc parfaitement leur partie de tournée sécable et que, tous les jours étant désormais des jours faibles compte tenu de la baisse très importante du volume du courrier à distribuer (la plate-forme de [Localité 7] ne distribuant pas de colis), la sécabilité constitue un mode ordinaire d'organisation du travail.

Elle affirme avoir évalué la charge de travail et les risques psycho-sociaux, cette évaluation ayant été estimée régulière dans l'arrêt de la cour du 24 septembre 2020, un cabinet d'expertise ayant en outre été missionné.

Contestant l'argumentation des intimés quant à la surcharge de travail et aux risques psycho-sociaux, La Poste soutient que les blâmes notifiés à ses agents qui ont refusé de se conformer aux modalités d'organisation du travail en place sont justifiés.

Elle expose avoir, à la demande du ministre du travail, procédé à une évaluation de la charge de travail des agents du site de [Localité 7] [Adresse 6] et à une évaluation des risques psychosociaux, ayant conclu à l'absence de surcharge de travail, les agents ne s'étant pas rendus aux réunions de groupes de travail sur l'évaluation des risques psycho-sociaux.

La Poste soutient que c'est faussement que certains facteurs allèguent de conditions de travail dégradées alors que l'analyse du trafic permet de constater une diminution très importante du trafic et que l'accompagnement de certaines tournées par un huissier qu'elle a mandaté a permis de constater le respect des horaires et les bonnes conditions de travail.

Elle conteste toute surcharge de travail et toute situation dangereuse, rappelant la baisse avérée du trafic depuis 2012 et le retour des facteurs sur site avant leur heure de fin de service théorique (plusieurs facteurs ayant refusé les accompagnements de tournée qui leur avaient été proposés afin d'objectiver leurs doléances).

Elle conclut au caractère infondé et exorbitant de l'astreinte demandée.

Le CHSCT et le syndicat Sud exposent en réponse que la méconnaissance des dispositions de l'article L. 4612-8-1 du code du travail par la société La Poste par la mise en oeuvre d'une réorganisation sans consultation et avis préalable du CHSCT, au mépris de la santé de ses salariés, constitue un trouble manifestement illicite, mais aussi un dommage imminent.

Ils affirment que l'extension de la sécabilité tous les jours de la semaine constitue un projet important, ayant des conséquences sur les conditions de travail et de santé des salariés, sur lequel le CHSCT doit être consulté et précisent que l'accord sur l'amélioration des conditions de travail et l'évolution des métiers de la distribution de 2017 reconnaît la nécessité de 'cadrer la sécabilité'.

Ils soutiennent que l'extension de la sécabilité ayant une incidence directe sur la charge de travail des facteurs, La Poste est tenue de réaliser une évaluation du temps et de la charge de travail répondant aux exigences des articles L. 4121-1 et 3 du code du travail.

Contestant fermement que la sécabilité constitue une modalité d'organisation du travail, les intimés indiquent qu'au contraire elle modifie de façon importante les conditions de travail et constitue un facteur de pénibilité, toute modification à ce titre constituant donc nécessairement un projet important imposant la consultation du CHSCT.

Ils font valoir que l'arrêt de la cour du 24 septembre 2020 qui concernait la période de la pandémie de Covid-19, ne peut avoir d'incidence dans le présent litige et affirment que c'est durant l'été 2021 que La Poste a décidé de modifier l'organisation des tournées, qui ne correspond pas à celle prévue dans l'organisation transitoire du 4 juin 2020.

Le CHSCT et le syndicat Sud exposent que le projet d'une sécabilité tous les jours de la semaine est différent de celui d'une sécabilité n'intervenant qu'en jours faibles.

Se fondant sur les observations de l'inspection du travail, la mise en demeure de la DREETS, les registres HSCT et les témoignages des facteurs pour établir l'existence de risques pour les salariés, ils rappellent que le 13 mai 2022, la Direction générale du travail a confirmé la mise en demeure de La Poste de prendre toute disposition de nature à garantir la protection de son personnel en matière de risques psychosociaux, décision qui reste exécutoire même si un recours administratif est en cours.

Ils concluent que, si La Poste veut expliquer les raisons pour lesquelles elle souhaite imposer l'extension de la sécabilité tous les jours de la semaine, elle doit le faire dans le cadre d'une procédure de consultation régulière du CHSCT, laquelle suppose une évaluation de la charge de travail et des risques psychosociaux.

Sur ce,

L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit » dont la preuve incombe à celui qui le dénonce.

Au sens de l'article 835 précité, le dommage imminent dont la preuve de l'existence incombe à celui qui l'invoque, s'entend du 'dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer'.

L'article L. 4121-1 du code du travail énonce que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et l'article L. 4121-3 du même code dispose que l'employeur, compte tenu de la nature des activités, doit évaluer les risques pour la santé et la sécurité, y compris notamment dans la définition des postes de travail et, à la suite de cette évaluation, mettre en oeuvre les actions de prévention.

Aux termes de l'ancien article L. 4612-1 du code du travail toujours applicable au CHSCT de La Poste, 'le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission :

1° De contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure ;

2° De contribuer à l'amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l'accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité ;

2° bis De contribuer à l'adaptation et à l'aménagement des postes de travail afin de faciliter l'accès des personnes handicapées à tous les emplois et de favoriser leur maintien dans l'emploi au cours de leur vie professionnelle ;

3° De veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières'.

L'article L. 4612-8-1 du même code dispose que 'le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.'

Aux termes de l'article L. 4614-9 du même code, le CHSCT reçoit de l'employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions.

Selon l'article L. 4614-12 2°, le CHSCT peut faire appel à un expert 'en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1.'

Au vu de ces différents textes, est donc susceptible de caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite, le refus de l'employeur de consulter le CHSCT sur les projets importants ayant des incidences sur les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des agents.

La Poste justifie avoir mis en oeuvre une procédure d'information consultation du 4 juin 2020 'sur l'évolution des mesures de prévention mises en place dans le cadre du déconfinement progressif décidé par les autorités'.

Cependant, ce projet qui organisait une reprise d'un fonctionnement plus classique autour d'une semaine de travail complète, ne mentionnait pas l'organisation particulière des tournées ou la sécabilité, la phrase 'les modalités d'évolution de l'organisation transitoire et de fonctionnement ont été définies localement dans le strict respect de l'application des consignes sanitaires de protection des postiers et clients' que le CHSCT a certes interprété comme 'la possibilité explicite d'instaurer la sécabilité structurelle' dans sa délibération du 4 juin 2020, étant particulièrement équivoque.

De même le cabinet CEDAET, désigné par le CHSCT pour réaliser une expertise, indique dans son rapport du 12 juin 2020 ' sur [Localité 7], une réorganisation était en préparation. D'après la direction elle-même, la mise en oeuvre quotidienne et permanente de la sécabilité anticipe partiellement cette réorganisation.' (souligné par la cour), ce qui ne correspond manifestement pas à une consultation sur la mise en place de la sécabilité habituelle sur tous les jours de la semaine, destinée à s'appliquer en dehors de la période particulière de la pandémie de Covid 19 et de la période transitoire postérieure.

La lecture de l'arrêt de la présente cour du 24 septembre 2020 permet d'ailleurs de constater que La Poste avait alors indiqué que son projet discuté le 4 juin 2020 correspondait uniquement à une organisation projetée sur une période temporaire et transitoire pendant une durée très limitée dans le temps, et non à une modification générale et pérenne des conditions de travail des facteurs.

La Poste, qui ne conteste pas avoir mis en oeuvre un processus de sécabilité des tournées tous les jours de la semaine postérieurement à la fin de la pandémie, ne peut donc affirmer qu'une procédure d'information consultation suffisante a déjà été menée en juin 2020 sur ce point.

Il apparaît que le CHSCT de [Localité 7] s'est réuni le 20 octobre 2021 et a voté en faveur du recours à un expert sur le fondement d'un projet important. La Poste a alors assigné selon la procédure accélérée au fond le CHSCT aux fins d'obtenir l'annulation de la délibération au motif de l'absence de projet important.

Le tribunal judiciaire de Nanterre a rendu le 29 juin 2022 un jugement disant n'y avoir lieu à annuler la délibération du CHSCT, ainsi motivé : 'la sécabilité et la double sécabilité sont de nature à alourdir les conditions de travail des facteurs puisque le simple volume des courriers ne saurait être le seul paramètre de l'évaluation de la charge de travail. En outre, la sécabilité modifie substantiellement les postes de travail.', reconnaissant ainsi l'existence d'un projet important.

Par arrêt non spécialement motivés sur ce point du 20 septembre 2023, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de La Poste à l'encontre de ce jugement.

Il apparaît en conséquence que La Poste a exercé le recours prévu à l'article L. 2315-86 du code du travail l'autorisant à saisir le juge judiciaire de 'la délibération du comité social et économique décidant le recours à l'expertise s'il entend contester la nécessité de l'expertise', recours qui a été rejeté par une décision aujourd'hui définitive, retenant la qualification de projet important qui en est le fondement.

De façon surabondante, c'est à juste titre que les intimés font valoir que la sécabilité mise en place 5 jours par semaine constitue une augmentation de la charge de travail, alliée à un risque d'aggravation de la pénibilité du travail, et modifie les conditions de travail des salariés.

Dès lors, en l'absence de procédure d'information consultation du CHSCT menée par La Poste sur le projet de sécabilité pérenne s'appliquant 5 jours par semaine, la mise en oeuvre de ce projet constitue un trouble manifestement illicite et l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a interdit à La Poste de mettre en oeuvre la sécabilité en dehors des jours habituels (lundi et mardi) dans l'attente de la restitution de l'expertise et de la consultation régulière du CHSCT.

Cette interdiction étant respectée depuis le 30 juin 2022, il n'y a pas lieu de l'assortir d'une astreinte et l'ordonnance sera infirmée de ce seul chef.

Sur les demandes accessoires

La Poste soutient que l'action du CHSCT est manifestement abusive et qu'elle n'a donc pas à prendre en charge ses frais.

Le CHSCT indique qu'il dispose de la personnalité morale, mais n'a aucun budget propre et qu'il ne peut supporter le coût d'une procédure judiciaire à moins qu'un abus soit retenu contre lui.

Sur ce,

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie essentiellement perdante à hauteur d'appel, La Poste devra supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice de l'avocat qui en a fait la demande.

Sauf abus, l'employeur doit prendre en charge les frais exposés par le CHSCT pour assurer ses frais de justice, le comité ne disposant d'aucune ressource propre.

Justifiés à hauteur d'appel au montant de 8 280 euros (7 200 euros + 1 080 euros de frais de postulation), rien ne justifie n'en réduire le montant de sorte que La Poste sera condamnée à verser cette somme au CHSCT.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance querellée sauf en ce qu'elle a assorti l'interdiction faite à La Poste d'une astreinte,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à assortir l'interdiction d'une astreinte ;

Condamne La Poste à verser au CHSCT de [Localité 7] [Localité 8] la somme de 8 280 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne La Poste aux dépens d'appel avec distraction au bénéfice de l'avocat qui le demande.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/07027
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;23.07027 ?
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