COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30Z
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 JUIN 2024
N° RG 22/03224 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VGC2
AFFAIRE :
S.C.I. [Adresse 5]
C/
S.A.S. SKARV
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Mars 2022 par le tribunal judiciaire de Chartres
N° Chambre : 1
N° RG : 19/01709
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Oriane DONTOT
Me Sabine LAMIRAND
TJ CHARTRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.C.I. [Adresse 5]
RCS Chartres n° 448 020 503
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Claire GINISTY MORIN de la SELARL GINISTY MORIN LOISEL JEANNOT, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000057
APPELANTE
****************
S.A.S. SKARV
RCS Chartres n° 832 053 284
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Sabine LAMIRAND de la SELARL LPALEX, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455 et Me Sandrine BEAUGE-GIBIER de la SELAS FIDAL, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000049
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Marietta CHAUMET, Vice-Présidente placée,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSÉ DES FAITS
Par acte authentique du 3 janvier 2018, la société BCD Buy a cédé à la société Skarv un fonds de commerce de vente à distance de pièces détachées pour engins agricoles.
Par accord du 8 novembre 2017, la société Skarv a repris le stock postérieur à 2012 pour un montant total de 186.820 € HT payé comptant à concurrence de 150.000 € le jour de la cession du fonds de commerce et le solde restant dû à raison de 24 mensualités de 784,20 € à compter du 31 janvier 2018.
Le stock antérieur à 2012 qui n'a pas été repris immédiatement est demeuré la propriété de la société BCD Buy jusqu'au 30 juin 2020, date à laquelle la société Skarv s'est engagée à racheter le reste du stock invendu à un prix convenu à l'avance.
Par acte authentique du 3 janvier 2018, la SCI [Adresse 5], ci-après dénommée la SCI, a consenti à la société Skarv un bail dérogatoire d'une durée de 36 mois courant du 3 janvier 2018 au 2 janvier 2021, portant sur des locaux situés [Adresse 6], comprenant une 'partie du bâtiment' et consistant en un magasin de stockage et deux bureaux d'une surface totale de 840 m².
Outre le loyer, d'un montant de 18.000 € hors taxes par an, la société Skarv a pris l'engagement de rembourser au propriétaire la taxe foncière afférente au local loué ainsi que les charges de chauffage, de gardiennage, de service des ascenseurs, les honoraires de gestion de l'immeuble, la consommation d'eau, les taxes municipales, la consommation de gaz et d'électricité au prorata des surfaces louées et ce, dans l'attente de l'installation d'un compteur séparé.
Par acte sous seing privé du même jour, soit du 3 janvier 2018, la SCI a consenti à la société BCD Buy un bail dérogatoire d'une durée de 36 mois portant sur un bureau et une salle informatique sis [Adresse 6]) ainsi qu'une partie de zone de stockage d'environ 60 m² située dans le magasin loué à la société Skarv.
La société Skarv s'étant opposée à laisser la société BCD Buy accéder aux locaux, le juge des référés du tribunal de grande instance de Chartres a, par décision du 12 juillet 2019, ordonné à la locataire, soit de remettre en son état initial la serrure de la porte d'entrée principale en façade et la serrure de la porte donnant sur l'arrière du bâtiment sis [Adresse 6], soit de remettre à la société BCD Buy et au bailleur deux clefs des deux portes litigieuses, et ce sous astreinte de 200 € par jour à compter du huitième jour suivant la signification de l'ordonnance de référé. Le juge des référé a, en outre, condamné la société Skarv à payer à la société BCD Buy, la somme provisionnelle de 1.000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice de jouissance.
Par ordonnance de référé du 10 août 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Chartres, saisi d'une demande de provision à valoir sur les charges locatives formulée par la SCI à l'encontre de la société Skarv, s'est déclaré incompétent au profit du juge de la mise en état.
Le bail unissant la SCI à la société Skarv a expiré le 2 janvier 2021 et la preneuse a libéré les lieux à cette même date.
Par acte d'huissier du 2 août 2019, la société Skarv a fait assigner la SCI devant le tribunal judiciaire de Chartres, afin notamment de contester le bail conclu avec la société BCD Buy.
Par jugement du 16 mars 2022, le tribunal judiciaire de Chartres a :
- Déclaré la société Skarv recevable en son action engagée contre la SCI [Adresse 5] et en ses demandes dirigées à son encontre ;
- Condamné la SCI [Adresse 5] à payer à la société Skarv, la somme de 9.659,44 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;
- Condamné la société Skarv à payer à la SCI [Adresse 5], la somme de 1.969,78 € au titre du loyer de décembre 2020 et du loyer pour la période du 1er au 2 janvier 2021 inclus ;
- Condamné la SCI [Adresse 5] à payer à la société Skarv, la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la SCI [Adresse 5] aux entiers dépens ;
- Ordonné l'exécution provisoire ;
- Rejeté le surplus des prétentions.
Par déclaration du 9 mai 2022, la SCI a interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 janvier 2024, la SCI [Adresse 5] demande à la cour de :
- Dire recevable et bien fondée la SCI [Adresse 5] en son appel et en ses demandes;
- Infirmer en conséquence la décision rendue le 16 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Chartres, en ce qu'il a :
- Déclaré la société Skarv recevable en son action engagée contre la SCI [Adresse 5] et en ses demandes dirigées à son encontre ;
- Condamné la SCI [Adresse 5] à payer à la société Skarv, la somme de 9.659,44 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;
- Condamné la SCI [Adresse 5] à payer à la société Skarv, la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la SCI [Adresse 5] aux entiers dépens de l'instance ;
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- Rejeté les demandes de la SCI [Adresse 5] formées au titre de la consommation d'eau, d'électricité et de la taxe foncière ;
- Rejeté la demande au titre de la location d'un bureau supplémentaire ;
- Rejeté le surplus des prétentions ;
Et statuant à nouveau,
- Dire et juger irrecevable la société Skarv en son action et en ses demandes formées à l'encontre de la SCI [Adresse 5] ;
- Condamner la société Skarv à verser à la SCI [Adresse 5], la somme de 20.161,61 €, et ce au titre des consommations d'électricité et d'eau au titre des années 2018, 2019 et 2020, au titre de l'impôt foncier et du loyer des locaux, outre les intérêts au taux légal sur la somme de 20.161,61 €, courant à compter du 12 novembre 2018 ;
- Condamner la société Skarv à verser à la SCI [Adresse 5] la somme de 891 € TTC au titre des frais de remise en état des locaux ;
- Débouter la société Skarv de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société Skarv à restituer à la SCI [Adresse 5], la somme de  9.659,44 € versée au titre de l'exécution provisoire ;
- Condamner la société Skarv à verser à la SCI [Adresse 5] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Skarv aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par Me Oriane Dontot, Avocat aux offres de droit, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 janvier 2024, la société Skarv demande à la cour de:
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Chartres rendu le 16 mars 2022 en ce qu'il a déclaré la société Skarv recevable en son action engagée contre la SCI [Adresse 5] et en ses demandes dirigées à son encontre, condamné la SCI [Adresse 5] à réparer le préjudice de jouissance subi par la société Skarv, débouté la SCI [Adresse 5] de ses demandes au titre des charges locatives, condamné à payer à la société Skarv la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné la SCI [Adresse 5] aux entiers dépens ;
- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a limité les dommages et intérêts alloués à la société Skarv à la somme de 9.659,44 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, et condamné la société Skarv à payer à la SCI [Adresse 5] la somme de 1.969,78 € au titre du loyer de décembre 2020 et du loyer pour la période du 1er et 2 janvier 2021 inclus ;
Statuant à nouveau,
- Condamner la SCI [Adresse 5] à payer à la société Skarv la somme de 26.200 € et subsidiairement de 13.100 €, en réparation du préjudice subi du fait du trouble de jouissance subi par la société Skarv du fait du bail consenti à la société BCD Buy par la SCI du [Adresse 5], durant 3 ans ;
- Débouter la SCI [Adresse 5] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner la SCI [Adresse 5] à verser à la société Skarv la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SCI [Adresse 5] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 février 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'inopposabilité du bail en raison de son caractère frauduleux
- Sur la recevabilité de l'action
La SCI conclut à l'irrecevabilité de l'action de la société Skarv, dès lors qu'elle n'a pas attrait à la procédure la société BCD Buy.
La société Skarv conteste l'irrecevabilité de son action, soulignant que l'article 1341-2 du code civil n'impose pas que soit attrait à la procédure le tiers co-contractant.
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L'article 1341-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, dispose que " le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude ".
Comme le relève la SCI, la société BCD Buy n'a pas été attraite à la procédure. Cependant, il est constant que le bail conclu entre la société Skarv et la SCI a pris fin, que la locataire a quitté les lieux et que l'action exercée par cette dernière tend uniquement à la condamnation de la SCI à indemniser le préjudice de jouissance subi du fait de la conclusion d'un second bail portant sur une partie des locaux loués, en fraude de ses droits. Dans ces conditions, la décision relative à la demande de la société Skarv tendant à se voir déclarer inopposable le bail conclu entre la SCI et la société BCD Buy n'est pas susceptible d'avoir la moindre conséquence sur cette dernière, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir.
- Sur le bien-fondé de l'action
La société Skarv conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré le bail conclu le 3 janvier 2018 entre la SCI et la société BCD Buy inopposable pour avoir été conclu en fraude du bail dérogatoire portant sur les mêmes locaux que la SCI a conclu avec elle à la même date. Elle conteste tout accord de sa part pour que la bailleresse et l'ancienne exploitante du fonds de commerce puissent disposer d'une partie des locaux. L'intimée considère que les conditions de l'action paulienne fixées à l'article 1341-2 du code civil sont remplies, dès lors que le bail litigieux a été conclu le même jour que celui qu'elle a conclu avec la SCI, mais postérieurement, qu'il porte atteinte à son droit de jouissance paisible des locaux et manifeste l'intention de lui nuire et de s'enrichir de manière déloyale alors que la bailleresse est intervenue à l'acte de cession du fonds de commerce et a accepté la résiliation du bail conclu avec le cédant.
La SCI fait valoir qu'il n'y a jamais eu d'ambiguïté sur la désignation des locaux que la société Skarv a pris à bail précaire, qui ne peuvent se confondre avec ceux loués à la société BCD Buy. L'appelante explique que la société Skarv avait une parfaite connaissance des locaux, notamment de la présence de six bureaux alors que seuls deux d'entre eux lui ont été loués ; qu'elle savait que le stock ancien restait la propriété de la société BCD Buy et donc dans les locaux après la cession du fonds de commerce. La SCI se prévaut du procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires de la société Skarv, qui selon elle confirme que cette dernière connaissait les locaux et les espaces loués, et de l'attestation de M. [D], son expert-comptable et celui de la société BCD Buy. Elle considère dès lors que les conditions de l'action paulienne ne sont pas remplies
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Les dispositions de l'article 1341-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, ont été rappelées ci-avant.
Il ressort des éléments de la procédure que par acte notarié du 3 janvier 2018, la société BCD Buy a cédé à la société Skarv son fonds de commerce de vente de pièces agricoles. Il est précisé à l'acte que : " le bail n'est pas repris par le cessionnaire et qu'un nouveau bail précaire est consenti entre le cessionnaire et le bailleur concomitamment aux présentes. La résiliation du bail entre le bailleur et le cédant est également demeurée annexée aux présentes ". Enfin, il est indiqué que le bailleur est intervenu à l'acte.
La cour constate qu'il n'est pas fait mention d'une quelconque restriction des droits de la future locataire, la société Skarv, sur les locaux dans lesquels est exploité le fonds de commerce cédé.
Comme le soutient la SCI, le procès-verbal d'assemblée générale des actionnaires de la société Skarv du 1er octobre 2017 indique que dans le cadre de l'acquisition du fonds de commerce de la société BCD Buy, un bail commercial précaire va être conclu, portant sur " un magasin de stockage et 2 bureaux d'une surface totale de 780 m² ".
Pourtant, suivant bail notarié du 3 janvier 2018 nécessairement postérieur à l'acte de cession du fonds de commerce, la SCI a donné à bail à la société Skarv " une partie du bâtiment comprenant un magasin de stockage et deux bureau d'une superficie totale d'environ 840 m² avec accès direct par la porte d'entrée principale en façade et par une porte donnant sur l'arrière du bâtiment pour l'accès au magasin" sans aucune mention d'une quelconque restriction du droit de jouissance de la locataire sur les locaux au bénéfice de la société BCD Buy.
Certes, il est précisé dans l'engagement de reprise des stocks de la société BCD Buy signé par les parties le 8 novembre 2017 que le stock antérieur à 2012 demeure la propriété du cédant et que " le cessionnaire en aura la garde ". Toutefois, il n'est pas précisé qu'à ce titre, la société BCD Buy conservera la jouissance d'une partie des locaux.
Il résulte du bail commercial précaire sous seing privé conclu par la SCI et la société BCD Buy le 3 janvier 2018, que le bailleur a loué à cette dernière " deux pièces à usage de bureaux pour une surface de 27,30 m² ", à savoir " 1 bureau et 1 salle informatique ", et " une partie de zone de stockage d'environ 60 m² située dans le magasin loué à la société Skarv ", l'accès se faisant par la 'porte d'entrée principale en façade et par une porte donnant sur l'arrière du bâtiment pour l'accès au magasin et accès commun également au locataire de la société Skarv ".
Ce bail porte atteinte aux droits de la société Skarv issus du bail authentique précité du 3 janvier 2018. Si la SCI soutient que les espaces loués à la société BCD Buy ont fait l'objet d'un accord entre cette dernière et la société Skarv, aucun élément probant ne permet de corroborer cette affirmation, étant souligné que l'attestation de M. [D], en sa qualité d'expert-comptable de la société BCD Buy, ne peut être retenue au regard du lien économique le liant à cette dernière et par conséquent à la SCI, dont le gérant est l'époux de la gérante de la société BCD Buy.
Aucune conclusion ne peut être tirée de la facture adressée par la société Skarv à la société BCD Buy concernant la mise à disposition de 2 ETP du 7 au 22 décembre 2017, dès lors que la période est antérieure à la signature du bail notarié et que le 31 janvier 2018 n'est pas la date d'expédition de la facture à la société BCD Buy à l'adresse des locaux litigieux, mais la date de son exigibilité.
Néanmoins, le caractère frauduleux du bail conclu entre la SCI et la société BCD Buy n'apparaît pas suffisamment caractérisé. La cour relève en effet une grande confusion dans les actes concernant les pièces et les surfaces louées. En effet, il ressort du plan des locaux annexé au bail authentique conclu par les parties qu'il y a manifestement six pièces, qui ne sont pas qualifiées de bureaux (deux pièces " vendeur ", une pièce " secrétariat ", une pièce " bureau de direction ", une pièce " comptabilité " et une pièce " ordinateur "), un espace " exposition " et un espace " pièces détachées ". Or le bail notarié du 3 janvier 2018 évoque " une partie du bâtiment 'comprenant un magasin de stockage et deux bureaux d'une superficie totale d'environ 840 m²" sans précision quant aux bureaux concernés, tandis que le procès-verbal d'assemblée générale des actionnaires de la société Skarv du 1er octobre 2017 mentionne la conclusion d'un bail commercial portant sur "un magasin de stockage et 2 bureaux d'une surface totale de 780 m²", et que le bail sous seing privé du 3 janvier 2018 porte sur " deux pièces à usage de bureaux pour une surface de 27,30 m² ", à savoir " 1 bureau et 1 salle informatique ", et " une partie de zone de stockage d'environ 60 m² ", alors qu'aucune pièce n'est qualifiée de bureau et de salle informatique sur le plan. Ainsi ces différentes stipulations sont imprécises quant aux pièces concernées et tout aussi confuses, voire contradictoires quant aux surfaces, alors qu'aucun acte ne comporte en annexe un plan délimitant précisément les espaces évoqués. Le plan communiqué par le bailleur en pièce n°5 n'éclaire pas davantage la cour, dès lors qu'il délimite deux pièces " vendeur ", une pièce " comptabilité " et une pièce " ordinateur " qui auraient été exclues du bail de la société Skarv et une partie stockage sans toutefois délimiter l'espace loué à la société BCD Buy, laissant penser que tout l'espace de stockage a été loué à la société Skarv. La référence à " une partie du bâtiment " ne permet pas davantage d'identifier la consistance du bien loué à la société Skarv, dans la mesure où les locaux litigieux se situent dans un bâtiment plus vaste, propriété de la SCI, partiellement occupé par d'autres locataires.
En outre, il ressort de l'engagement de reprise des stocks de la société BCD Buy signé par la société Skarv le 8 novembre 2017 que les parties feront leurs meilleurs efforts pour vendre ce stock. La poursuite par la société BCD Buy de la vente des pièces antérieures à 2012, dont le stock demeurait dans les locaux loués, peut laisser penser qu'elle maintiendrait une activité dans les lieux.
Enfin, le bail conclu entre la SCI et la société BCD Buy mentionne expressément que la zone de stockage louée se situe dans celle louée à la société Skarv et que les accès sont partagés avec cette dernière. La référence à la société Skarv dans le bail n'apparaît pas compatible avec la fraude invoquée, qui induit une notion de dissimulation.
Il résulte ainsi de ces éléments que le caractère frauduleux du bail conclu entre la SCI et la société BCD Buy n'est pas suffisamment établi. L'action de la société Skarv fondée sur les dispositions de l'article 1341-2 du code civil ne peut prospérer.
Sur l'obligation de délivrance du bailleur et la garantie de non-éviction
La société Skarv considère qu'aucun acte ne justifie la limitation de son droit de jouissance, qu'elle conteste avoir acceptée. Elle souligne que le bail consenti par la SCI à la société BCD Buy fait expressément référence à la mise à disposition d'une zone de stockage de 60 m² " située sur la surface louée à la société Skarv ". Au soutien de sa demande de confirmation du jugement, l'intimée se prévaut en conséquence d'un manquement à l'obligation de délivrance et à la garantie d'éviction prévue à l'article 1726 du code civil.
La SCI conclut au débouté de la demande indemnitaire de la société Skarv, affirmant, pour les motifs précités, que cette dernière était parfaitement avisée de l'étendue des espaces loués, qui avaient été convenus avec la société BCD Buy.
*****
L'article 1719 du code civil dispose que :'Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations'.
Par ailleurs, l'article 1726 du même code prévoit que : 'Si, au contraire, le locataire ou le fermier ont été troublés dans leur jouissance par suite d'une action concernant la propriété du fonds, ils ont droit à une diminution proportionnée sur le prix du bail à loyer ou à ferme, pourvu que le trouble et l'empêchement aient été dénoncés au propriétaire'.
Pour les motifs énoncés supra, les baux conclus par la SCI avec la société Skarv et la société BCD Buy s'avèrent particulièrement confus quant aux espaces loués. Alors que le bailleur entendait donner à bail à deux locataires des espaces distincts au sein d'un même ensemble, il lui appartenait de veiller à ce que les baux soient particulièrement précis quant à la délimitation des locaux et espaces dont la jouissance était attribuée à chaque locataire. Or, les actes ne comportent pas de plan fixant les limites des locaux loués. Pire, les désignations des pièces et espaces figurant dans les actes ne correspondent pas à celles reportées sur le plan.
Comme indiqué précédemment, il n'est pas démontré avec certitude que la société Skarv avait été informée de la limitation de son droit de jouissance issu du bail notarié conclu avec la SCI, du fait du bail conclu avec la société BCD Buy, ni qu'elle l'avait acceptée.
La confusion des actes est à l'origine d'un trouble de jouissance subi par la société Skarv, dont le bail notarié ne comporte aucune restriction de son droit de jouissance.
La responsabilité de la SCI est par conséquent engagée sur le fondement des textes précités.
Sur la demande indemnitaire
La société Skarv conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité son droit à indemnisation aux seuls 60 m² des locaux de stockage. Sur la base du montant du loyer fixé au bail conclu par la société BCD Buy, elle soutient que son préjudice ne saurait être inférieur à 25.200 € (350 € x2) = 700 € / mois x 36 mois (03/01/2018 au 30 décembre 2020), ou subsidiairement, 12.600 €.
Elle réclame en outre le remboursement de la provision de 1.000 € réglée en exécution de l'ordonnance de référé du 12 juillet 2019 au titre du préjudice de jouissance de la société BCD Buy.
La SCI répond que la société Skarv n'a subi aucun préjudice et relève que la demande indemnitaire est excessive, dès lors qu'elle représente 47 % des loyers dus sur la durée du bail.
*****
Au regard des différents constats d'huissier communiqués et des procédures judiciaires engagées par les parties, le trouble de jouissance de la société Skarv n'est pas contestable. Il est rappelé que les décisions rendues en référé n'ont pas autorité de chose jugée au principal.
Il résulte des baux que la société Skarv devait disposer de 840 m² moyennant le loyer annuel de 18.000 € et qu'elle a été privée de la jouissance de 87,30 m² (27,30 m² + 60 m²). Le préjudice annuel s'élève donc à la somme de 1.870,71 € par an.
En conséquence, la SCI sera condamnée à payer à la société Skarv la somme de 5.612,14 € de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance subi pendant les 3 années du bail.
La demande relative au remboursement de la provision de 1.000 € payée en exécution de l'ordonnance de référé du 12 juillet 2019 ne peut prospérer, dès lors que cette somme a été réglée à la société BCD Buy, qui n'est pas partie à l'instance, et non à la SCI.
Sur les demandes au titre des charges d'électricité, d'eau et de la taxe foncière
La SCI expose que le bail notarié du 3 janvier 2018 prévoit le remboursement de la taxe foncière et des charges locatives selon une répartition convenue en pages 5 et 6 dudit document, à savoir " au prorata des surfaces louées ". Elle soutient justifier de la répartition du montant des factures de charges entre les différents locataires du bâtiment. Elle affirme qu'il était convenu que la société Skarv supporte 25 % des charges.
La société Skarv conclut à la confirmation du jugement, soutenant que le bailleur n'a jamais satisfait à son obligation de procéder à une individualisation des compteurs d'eau et d'électricité afin de lui permettre d'acquitter, comme le stipule expressément le bail notarié, ses consommations d'eau, de gaz et d'électricité. Elle souligne que la SCI n'a jamais procédé à l'individualisation des compteurs, alors que la rétrocession d'électricité est prohibée. Elle indique que la refacturation des consommations d'électricité, au demeurant non réglées par la SCI mais par la société BCD Buy à hauteur de 25 %, n'est pas justifiée. Pour s'opposer à la demande en paiement, la locataire invoque également l'exception d'inexécution, dès lors que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance.
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Le bail souscrit le 3 janvier 2018 par la société Skarv comporte une clause intitulée " Charges locatives diverses " en page 5, qui stipule :
" Le preneur devra rembourser au propriétaire en sus des loyers les charges ci-dessous énumérées, cette énumération devant être considérée comme limitative chauffage, gardiennage, service des ascenseurs, honoraires de gestion de l'immeuble, consommation d'eau, taxe municipale, les charges seront réparties soit au prorata des surfaces louées dans l'attente d'un compteur séparé.
Consommations d'eau, de gaz et d'électricité :
le preneur acquittera régulièrement ses consommations d'eau, de gaz et d'électricité et autres suivant les indications des compteurs installés dans les lieux, mis à disposition, ainsi que les frais de mise à disposition de relevés et de réparation desdits compteurs ".
Pour justifier des factures d'électricité de l'année 2018, la SCI se contente de produire des factures d'électricité adressées à la société BCD Buy et en pièce n°31 bis des documents qui seraient des refacturations émises par la société BCD Buy à la SCI. Cependant, la cour constate que ces documents ne sont pas authentifiables. Ils ne sont pas signés, ni certifiés par l'expert-comptable de la société BCD Buy. En outre, aucun élément de preuve n'établit que la SCI a réglé ces factures. La demande de la SCI au titre des consommations d'électricité pour l'année 2018 ne peut en conséquence prospérer.
Par ailleurs, concernant les autres charges, le premier juge a pertinemment relevé que les sommes réclamées n'étaient pas justifiées, dès lors qu'en l'absence de compteurs individuels, rien ne permet de déterminer le montant des charges dues. Si le bail évoque le paiement des charges, notamment de fluides, au prorata des surfaces, la cour ne dispose pas des éléments nécessaires au calcul de ce prorata, dans la mesure où aucun élément de preuve ne justifie la surface totale du bâtiment, partagée entre différents locataires.
Le bail notarié prévoit que la locataire doit rembourser à la bailleresse " la taxe foncière afférente au local loué ". Cependant, la SCI ne justifie pas du montant de la taxe foncière spécifiquement attachée aux locaux loués et comme indiqué supra, le calcul du prorata n'est pas possible, les copies des avis de taxe foncière communiquées ne permettant pas de déterminer la surface totale précise du bâtiment.
La SCI évoque un accord de répartition des charges qui aurait été conclu avec la société Skarv, sans toutefois produire d'élément probant permettant de corroborer ses dires. Le bailleur soutient également que la société Skarv se serait opposée à l'installation d'un compteur électrique individuel. A nouveau, cette affirmation n'est pas justifiée.
En conséquence, par confirmation du jugement, la demande en paiement de la SCI au titre des charges ne peut aboutir.
Sur la demande en paiement de loyers complémentaires
La SCI soutient que le loyer du mois de décembre 2020 et des deux premiers jours de janvier 2021 n'ont pas été réglés. Elle réclame une somme de 1.969,78 € outre celle de 1.944 € (45 x 36 mois) au titre de la location d'un bureau supplémentaire à droite de l'entrée principale.
La société Skarv conclut à l'infirmation du jugement qui l'a condamnée au paiement de loyers au titre de pièces supplémentaires, indiquant qu'elle a subi des troubles de jouissance des locaux loués. Elle soutient que le loyer de décembre 2020 a été compensé par le dépôt de garantie non restitué par le bailleur. Elle conclut au débouté de la demande au titre de la location d'un bureau supplémentaire à droite de l'entrée principale compte tenu des stipulations de son bail.
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La cour constate que la société Skarv ne conteste pas le défaut de paiement du loyer du mois de décembre 2020 et des deux premiers jours de janvier 2021. Si elle soutient que le loyer du mois de décembre 2020 a été compensé par le dépôt de garantie non restitué par le bailleur, elle ne démontre pas avoir réglé le dépôt de garantie, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société Skarv au paiement de la somme de 1.969,78 €. Cette somme ne peut produire intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2018 dès lors que la mise en demeure adressée à la société Skarv à cette date ne peut porter sur le paiement du loyer de décembre 2020 et janvier 2021. La SCI ne justifiant pas de la date de sa première demande en paiement des loyers en cause, les intérêts courront à compter du 26 janvier 2022, date de l'audience de plaidoiries au cours de laquelle la demande a été présentée au tribunal. Le jugement, qui n'a pas statué sur les intérêts, sera complété en ce sens.
En revanche, la demande en paiement de loyers au titre de la location d'un bureau supplémentaire à droite de l'entrée principale ne peut prospérer, dès lors que le bail notarié de la société Skarv ne comporte aucune limitation de la surface louée. Le jugement est également confirmé sur ce point.
Sur la demande en paiement au titre des frais de remise en état
La SCI réclame une somme de 891 € TTC, au titre des frais de remise en état des locaux suite au départ de la société Skarv.
La société Skarv s'oppose à la demande qu'elle estime non justifiée.
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Au-delà du fait que la demande n'a pas été présentée au premier juge, la cour constate que la SCI, aux termes de ses conclusions, ne précise pas en quoi ont consisté les dégradations, se limitant à renvoyer à un procès-verbal de constat d'huissier du 2 janvier 2021 et à deux factures des 1er juin 2022 et 3 décembre 2021.
Or, il n'appartient pas à la cour de rechercher les dégradations imputables à la locataire, cette recherche étant au demeurant impossible puisque l'état des lieux d'entrée n'est pas produit.
En conséquence, la demande en paiement ne peut aboutir.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Au regard de la solution du litige, le jugement déféré doit être confirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles.
La SCI qui succombe à titre principal, sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement à la société Skarv d'une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris, sauf en celles de ses dispositions relatives au quantum de l'indemnisation allouée à la société Skarv ;
Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,
Condamne la SCI [Adresse 5] à payer à la société Skarv la somme de 5.612,14 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;
Dit que la somme de 1.969,78 € que la société Skarv a été condamnée à payer à la SCI [Adresse 5] au titre du loyer du mois de décembre 2020 et des deux premiers jours de janvier 2021, est assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2022 ;
Déboute la SCI [Adresse 5] de sa demande au titre des frais de remise en état des locaux ;
Condamne la SCI [Adresse 5] aux dépens d'appel ;
Condamne la SCI [Adresse 5] à payer à la société Skarv la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le conseiller,