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06/06/2024 | FRANCE | N°22/01870

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 06 juin 2024, 22/01870


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUIN 2024



N° RG 22/01870

N° Portalis DBV3-V-B7G-VIEI



AFFAIRE :



[P] [O]



C/



S.A.S. HERTZ FRANCE











Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES

N° Section : E

N° RG : F 19/00464<

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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mélina PEDROLETTI



la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de V...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUIN 2024

N° RG 22/01870

N° Portalis DBV3-V-B7G-VIEI

AFFAIRE :

[P] [O]

C/

S.A.S. HERTZ FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES

N° Section : E

N° RG : F 19/00464

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mélina PEDROLETTI

la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [O]

né le 10 Avril 1964 à [Localité 6] (TUNISIE)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626

Représentant : Me Pieter-Jan PEETERS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.S. HERTZ FRANCE

N° SIRET : B 3 77 839 667

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625

Représentant : Me Erwan JAGLIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 Mars 2024, devant la cour composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB

EXPOSE DU LITIGE.

M. [P] [O] a été embauché, à compter du 10 août 1987, selon contrat de travail à durée indéterminée par la société Hertz France.

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile, dite convention collective des services de l'automobile.

Par avenant du 15 décembre 2008, une convention individuelle de forfait en jours a été incluse dans le contrat de travail.

Par avenant à effet au 1er avril 2017, M. [O], alors employé comme 'directeur opérations zone 2" (cadre III C) a été promu 'directeur opérations France' (cadre IV A) et ainsi placé sous l'autorité hiérarchique du directeur général de la société.

Par lettre du 6 juin 2019, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Par lettre du 21 juin 2019, la société Hertz France a notifié à M. [O] son licenciement pour cause réelle et sérieuse à caractère personnel.

Au moment de la rupture du contrat de travail, la société Hertz France employait habituellement au moins onze salariés et la rémunération moyenne mensuelle de M. [O] s'élevait à 12 455,66 euros bruts.

Le 24 juillet 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes pour contester la validité et, à titre subsidiaire, le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de la société Hertz France à lui payer une indemnité pour licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et diverses autres sommes à titre notamment de rappels de salaire pour heures supplémentaires.

Par jugement du 8 juin 2022, le conseil de prud'hommes a :

- jugé à titre principal que le licenciement de M. [O] n'est pas fondé sur un motif économique,

- jugé à titre subsidiaire que le licenciement de M. [O] est bien fondé en son motif d'une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [O] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Hertz France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge de chaque partie.

Le 15 juin 2022, M. [O] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 15 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [O] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et, statuant à nouveau, de :

- juger que le licenciement procède de la suppression de son poste (ses tâches ayant été réparties entre les directeurs restants) et que la reconnaissance de la cause économique écarte par là même l'existence d'une cause différente (Cass, soc. 13 fév 2008, n°06-43849),

- juger, à titre subsidiaire, que la société Hertz France a choisi de se placer sur le terrain disciplinaire et que les insuffisances professionnelles reprochées sont non seulement prescrites, mais aussi dénuées de toute cause réelle et sérieuse en l'absence de comportement délibéré desa part, mais aussi de proportionnalité de la sanction eu égard à ses 32 années d'ancienneté sans l'ombre d'un reproche,

- condamner la société Hertz Franceà lui payer les sommes suivantes :

* 181 340 euros au titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires sur le fondement des dispositions de l'article L. 3121-22 du code du travail et 18 134 euros au titre des congés payés afférents,

* 96 587 euros au titre de dommages et intérêts au titre du repos compensateur, sur le fondement des dispositions de l'article L.3121-26 du code du travail,

* 71 431 euros au titre de l'indemnité prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail,

* avec intérêts légaux sur ces sommes, à compter de l'acte introductif d'instance, sur le fondement des dispositions de l'article 1153 du code civil et capitalisation des intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du code civil,

* 249 113 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul en application des dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail et subsidiairement sans cause réelle ni sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-3 du même code,

* 100 000 euros au titre des dommages et intérêts au titre de la perte de chance de bénéficier des dispositions protectrices en matière de licenciement économique sur le fondement de l'article 1104 du code civil,

* 50 000 euros au titre des dommages et intérêts pour discrimination illicite sur le fondement des articles L. 1132-1 et suivants du code du travail et de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008,

* 74 734 euros au titre des dommages et intérêts en raison des agissements répétés de harcèlement moral, sur le fondement de l'article L.1152-1 du code du travail et, subsidiairement, pour exécution déloyale du contrat sur le fondement de l'article L. 1222-1 du même code,

- condamner la société Hertz France à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens dont le montant sera recouvré par Me Pedroletti, avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- faire injonction à la société Hertz France d'adresser une attestation pour Pôle emploi, un certificat de travail et des bulletins de paie conformes.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 11 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Hertz France demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé à titre principal que le licenciement de M. [O] n'est pas fondé sur un motif économique,

- jugé à titre subsidiaire que le licenciement de M. [O] est bien fondé en son motif d'une cause réelle et sérieuse,

- débouter M. [O] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et statuant de nouveau, à titre principal, débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [O] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance,

- à titre subsidiaire, si la cour considérait le licenciement intervenu comme étant sans cause réelle et sérieuse, la condamner à des dommages et intérêts réduits à plus juste proportion, soit à la somme de 37 366,98 euros,

- débouter M. [O] de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions,

- en tout état de cause, à titre reconventionnel, condamner M. [O] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel,

- condamner M. [O] aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 19 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, il sera rappelé qu'en application du troisième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile : 'La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion'.

En l'espèce, s'agissant de la nullité du licenciement, le dispositif des conclusions de M. [O] contient seulement une demande d'indemnité pour licenciement nul fondée expressément sur les dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail relatives à la discrimination illicite et ne contient aucune demande de nullité tirée d'une fraude aux dispositions sur le licenciement économique, contrairement à ce qui est mentionné dans la partie discussion de ses écritures.

La cour ne peut donc que constater qu'elle n'est saisie que d'une demande d'indemnité pour licenciement nul à raison d'une discrimination illicite.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul en application de l'article L. 1132-1 du code du travail :

M. [O] soutient que son licenciement est nul aux motifs qu'il procède en réalité d'une discrimination liée à son âge. Il réclame en conséquence l'allocation d'une indemnité pour licenciement nul.

La société Hertz France conclut au débouté de la demande indemnitaire en faisant valoir qu'aucune discrimination liée à l'âge n'est établie.

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige : 'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français'.

En application de l'article L. 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Aux termes de L.1132- 4 du même code : ' Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul '.

En l'espèce, au soutien de sa demande, M. [O] verse aux débats :

- un courriel émanant du 'vice-président Europe' du groupe Hertz du 5 octobre 2018 adressé à différents responsables du groupe, rédigé en anglais, dont M. [O] a fait réaliser plusieurs traductions contradictoires et inintelligibles qui ne font pas ressortir une intention de l'employeur de procéder à des licenciements des salariés 'senior', vocable au demeurant obscur, à raison de leur âge et qui ne contient en tout état de cause aucun élément visant personnellement M. [O];

- des pièces montrant qu'il a été remplacé à son poste par un salarié âgé de 41 ans alors qu'il avait 55 ans, ce qui constitue un élément insuffisant en l'absence d'autres éléments de fait.

Dans ces conditions, M. [O] ne présente pas des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte liée à l'âge dans la décision de le licencier.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande d'indemnité pour licenciement nul.

Sur les dommages-intérêts pour discrimination illicite liée à l'âge :

En l'espèce, M. [O] invoque à ce titre la même discrimination que celle mentionnée ci-dessus. Il sera donc déboutée de cette demande indemnitaire ce titre pour les même motifs, le jugement attaqué étant confirmé sur ce point.

Sur le bien-fondé du licenciement et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

La lettre de licenciement pour cause réelle et sérieuse, à caractère personnel, notifiée à M. [O], longue de six pages, lui reproche en substance un 'manque de contrôle, d'influence, de leadership et d'appropriation des sujets qui n'est pas acceptable à votre niveau de responsabilité et qui démontrent votre incapacité à tenir votre poste après deux ans d'exercice' puis détaille les faits reprochés qualifiés pour l'essentiel de 'manque d'implication' intervenus dans la réalisation d'un audit par un service interne au groupe au début de l'année 2019 consécutif au vols de dix-neuf voitures sur le site de l'agence de location d'[Localité 5], dans l'application des recommandations du rapport d'audit, dans la gestion de ses équipes et dans le respect des procédures internes à l'entreprise.

M. [O] soutient que son licenciement pour un motif d'insuffisance professionnelle est dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'il convient de lui allouer une indemnité à ce titre en ce que :

- il s'agit en réalité d'un licenciement disciplinaire puisque lui est reprochée une mauvaise volonté délibérée et que les faits sont prescrits ;

- en tout état de cause, aucune insuffisance n'est établie et il s'agit d'une décision de licenciement disproportionnée.

La société Hertz France soutient que l'insuffisance professionnelle reprochée à M. [O] est établie et que son licenciement est ainsi fondé sur une cause réelle et sérieuse. Elle conclut donc au débouté de la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué. L'insuffisance professionnelle qui se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté, constitue un motif de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié. L'insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié, ne constitue pas une faute.

En l'espèce, en premier lieu, il ressort de la lettre de licenciement que la société Hertz France ne reproche pas à M. [O] des faits découlant d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée. Le licenciement est donc motivé par une insuffisance professionnelle.

Par ailleurs, il ressort des débats et des pièces versées que la société Hertz France n'explique pas quelles étaient les attributions et responsabilités exactes confiées à M. [O] en tant que directeur des opérations depuis avril 2017, se bornant à indiquer qu'il était 'le responsable du contrôle et du suivi de la flotte de l'entreprise' et qu'il était le numéro 2 de l'entreprise en France. La fiche de poste et les organigrammes versés aux débats par M. [O] font toutefois ressortir quant à eux que s'il était placé sous l'autorité du directeur général de la société Hertz France, sept autres directeurs étaient placés au même niveau, en charge notamment de la direction de la flotte automobile, des infrastructures et du 'support opération'. La société Hertz France ne fournit aucune explication sur les responsabilités confiées au directeur général et à ces autres directeurs. La fiche de poste de M. [O] précise quant à elle que, en tant que directeur des opérations, ce dernier avait la charge de 'définir et mettre en 'uvre la stratégie pour assurer le meilleur service de location'de véhicules. Il s'ensuit que la société Hertz France est défaillante dans la définition des responsabilités de M. [O] et partant de l'imputabilité des carences en litige.

En outre, M. [O] fait valoir à juste titre que son évaluation professionnelle pour l'année 2017, année de sa prise de fonctions en tant que directeur des opérations, réalisée par le directeur général de la société Hertz France au début de l'année 2018, est satisfaisante, ce dirigeant mentionnant de très bons résultats dans tous les domaines et indiquant même que l'intéressé est considéré comme 'un vrai leader, très respecté et proche des gens et des équipes' et indiquant 'grande année, grand leader, membre essentiel de mon équipe'. L'appelant fait également valoir à juste titre que son évaluation pour l'année 2018, réalisée au début de l'année 2019, est également satisfaisante. Ces éléments anéantissent donc les griefs formulés pour ces périodes et relatifs à 'une incapacité à tenir votre poste après deux ans d'exercice'.

La cour relève par ailleurs que les griefs de 'manque d'influence, de leadership et d'appropriation des sujets' sont vagues et subjectifs et que la société Hertz France ne verse aucun élément relatifs à des reproches ou mises en garde adressés au salarié avant son licenciement.

Ensuite, s'agissant des faits reprochés à compter du début de l'année 2019, la société Hertz France se borne à alléguer des défaillances de la part de M. [O] ayant permis le vol de dix-neuf véhicules au sein de l'agence d'[Localité 5] sans verser le moindre élément le démontrant et sans d'ailleurs expliquer les attributions de M. [O] en ce domaine.

S'agissant d'une absence de réaction de M. [O] face à ces faits, la société Hertz France procède là encore par allégations, aucune pièce ne faisant ressortir une telle attitude. Elle n'explique pas, par ailleurs, les responsabilités du directeur général et des autres directeurs en ce domaine, et notamment du service en charge de la sécurité. Pour sa part, M. [O] verse aux débats de nombreux courriels démontrant son implication et le travail qu'il a réalisé en ce domaine, notamment en matière d'inventaires hebdomadaires demandés aux agences de location.

S'agissant d'un manque d'implication dans la collaboration avec le service chargé de l'audit, la société Hertz France se borne à verser une pièce non datée et non signée accusant M. [O] de n'avoir pas coopéré, et donc dépourvue de valeur probante, un courriel du 11 février 2019 adressé à M. [O] alors qu'il était en congés payés et auquel il n'a donc pu répondre immédiatement, ainsi qu'un courriel du 20 février 2019 qui a été adressé à M. [O] et à d'autres personnes demandant des commentaires seulement en cas de besoin. Est également versé aux débats un courriel du 20 mars 2019 demandant à M. [O] des précisions sur un point mineur auquel il a donné une suite, sans faire ressortir qu'il s'est défaussé de sa tâche.

Sur l'incapacité à faire appliquer les recommandations du rapport d'audit, la société Hertz France se borne à verser des courriels adressés à un autre service ('car control') dont M. [O] était seulement destinataire en copie. Aucun élément ne vient par ailleurs établir une quelconque responsabilité de M. [O] au regard de ses attributions à raison ' de la résurgence de difficultés similaires dans d'autres agences'. L'employeur ne produit par ailleurs aucun élément faisant ressortir la formulation du moindre reproche adressé à M. [O] avant son licenciement sur ces points.

S'agissant de défaillances dans la gestion des équipes et le respect des procédures internes, la société Hertz France s'appuie sur le rapport d'audit interne du 19 mai 2019 qui ne fait ressortir aucune responsabilité personnelle de M. [O], contrairement à ce qu'elle prétend, étant rappelé de surcroît qu'elle est défaillante dans la définition même de ses attributions. Elle ne produit pas d'élements démontrant que la présence de M. [O] à certains réunions était réquise. Elle ne produit de plus, là non plus, aucun élément établissant que des reproches ont été faits à M. [O] avant son licenciement en ce domaine. En outre, les très bonnes évaluations professionnelles de M. [O] sur ces points dans les années précédentes rendent non crédibles une dégradation subites de la qualité du travail sur ces points en quelques semaines.

Il résulte de ce qui précède qu'aucune insuffisance professionnelle de M. [O] n'est établie.

Son licenciement est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse contrairement à ce que soutient la société Hertz France et à ce qu'ont estimé les premiers juges.

Par suite, M. [O] est fondé à réclamer l'allocation d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant compris entre 3 et 20 mois de salaire brut eu égard à son ancienneté de 31 années complètes au moment du licenciement, par application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail. Eu égard à son âge (né en 1964), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (chômage pendant deux ans avec recherches d'emploi puis embauche en mars 2021 avec une diminution de salaire), il y a lieu d'allouer une somme de 240 000 euros à ce titre.

Le jugement attaqué sera infirmé sur ces points.

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral ou subsidiairement pour exécution déloyale du contrat de travail :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L. 1221-1 du code du travail : 'Le contrat de travail est exécuté de bonne foi'.

En l'espèce, M. [O] se borne à critiquer le caractère injustifié des griefs formulés à son encontre au soutien de son licenciement.

Dès lors, il n'allègue pas l'existence d'agissements répétés, seuls propres à fonder l'existence d'un harcèlement moral.

Par ailleurs, s'agissant du manquement à l'exécution loyale du contrat de travail, le salarié se borne à critiquer à nouveau le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement en lui-même, ce qui a donc trait à la rupture du contrat et non à son exécution et lequel est indemnisé par l'allocation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'il est dit ci-dessus.

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le débouté de la demande indemnitaire.

Sur le rappel de salaire pour heures supplémentaires et les congés payés afférents :

M. [O] réclame un rappel de salaire pour heures supplémentaires pour les trois dernières années précédant la rupture, outre les congés payés afférents, en faisant valoir qu'il était soumis tant dans son poste de 'directeur opérations zone 2" que dans son poste de directeur des opérations à une convention de forfait annuel en jours, laquelle ne lui est pas opposable, faute de contrôle de sa charge de travail, de relevé déclaratif avec la mention des jours travaillés et d'entretien annuel prévu par l'article L. 3121-6 du code du travail.

La société Hertz France conclut au débouté en faisant valoir que :

- pour la période afférente à l'emploi de directeur opérations zone 2, M. [O] ne présente aucune demande relative à la nullité de sa convention de forfait en jours ;

- pour la période afférente à l'emploi de directeur des opérations, il avait le statut de cadre dirigeant ;

- en tout état de cause, il ne prouve pas la réalité des heures supplémentaires revendiquées.

Aux termes de l'article 1103 du code civil : 'Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.

En l'espèce, en premier lieu, l'avenant à effet au 1er avril 2017 nommant M. [O] dans l'emploi de directeur des opérations ne contient aucune stipulation relative à la durée du travail et prévoit expressément que 'les autres clauses de votre contrat de travail restent inchangées'.

Il en résulte que les parties sont convenues du maintien, dans le cadre des fonctions de directeur d'opérations, de l'application de la convention de forfait annuel en jours prévue depuis 2008.

La société Hertz France n'est donc pas fondée à opposer à M. [O] le statut de cadre dirigeant.

En second lieu, alors que la charge de la preuve lui revient, la société Hertz France ne justifie en rien d'un suivi régulier de la charge de travail de M. [O], ni, au regard des dispositions de l'article L. 3121-46 dans sa version issue de la loi °2008-789 du 20 août 2008 et L. 3121-65 du même code, de la tenue d'un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail.

Dans ces conditions, M. [O] est fondé à soutenir que sa convention de forfait annuel en jours est privée d'effet et à réclamer l'application de la durée légale du travail sur la période en litige.

En troisième lieu, en application notamment de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [O] verse aux débats des décomptes mentionnant jour par jour les horaires de travail et le nombre d'heures de travail revendiqués sur la période en litige.

Il présente dès lors des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement.

Pour sa part, la société Hertz France n'apporte aucun élément sur le nombre d'heures de travail réalisées par M. [O].

Dans ces conditions, la cour retient l'existence d'heures supplémentaires accomplies par M. [O].

S'agissant du montant de la créance salariale qui en résulte, au vu des pièces versées et des quelques erreurs entachant les décomptes produits, il y a lieu de la fixer à la somme de 121 497,80 euros brut la créance au titre des heures supplémentaires outre la somme de 12 149,78 euros brut au titre des congés payés afférents.

Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur les 'dommages-intérêts pour les repos compensateurs sur le fondement des dispositions de l'article L. 3121-26 du code du travail':

En l'espèce, M. [O] ne soulève aucun moyen au soutien de cette demande qui est de surcroît fondée sur des dispositions du code de travail abrogées par la loi °2008-789 du 20 août 2008. Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé :

Aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail, 'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales '.

En l'espèce, M. [O] ne verse aucun élément démontrant que, à raison du rappel de salaire pour heures supplémentaire mentionné ci-dessus, la mention sur ses bulletins de salaire d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli est intentionnelle.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de la demande d'indemnité pour travail dissimulé.

Sur les dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier des dispositions protectrices en matière de licenciement économique :

En l'espèce, en toutes hypothèses, M. [O] ne justifie en rien du préjudice de perte de chance qu'il allègue.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande indemnitaire.

Sur les intérêts et la capitalisation :

Il y a lieu de rappeler que les sommes allouées ci-dessus à M. [O] portent intérêts légaux à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du présent arrêt en ce qui concerne les créances de nature indemnitaire.

La capitalisation des intérêts légaux sera en outre ordonnée dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil

Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points.

Sur la remise de documents sociaux :

Eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à la société Hertz France de remettre à M. [O] un certificat de travail, un bulletin de salaire récapitulatif et une attestation pour France Travail conformes au présent arrêt.

Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points.

Sur le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur :

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Hertz France aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [O] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il statue sur ces deux points. La société Hertz France sera condamnée à payer à M. [O] une somme de

4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec application pour les dépens d'appel des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Pedroletti.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue sur les dommages-intérêts au titre des repos compensateurs, l'indemnité pour travail dissimulé, les dommages-intérêts pour licenciement nul, les dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier des dispositions protectrices en matière de licenciement économique, les dommages-intérêts pour discrimination illicite, les dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [P] [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Hertz France à payer à M. [P] [O] les sommes suivantes :

- 240 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 121 497,80 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et 12 149,78 euros brut au titre des congés payés afférents,

Rappelle que les sommes allouées ci-dessus à M. [P] [O] portent intérêts légaux à compter de la date de réception par la société Hertz France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du présent arrêt en ce qui concerne les créances de nature indemnitaire,

Ordonne la capitalisation des intérêts légaux dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne à la société Hertz France de remettre à M. [P] [O] un certificat de travail, un bulletin de salaire récapitulatif et une attestation pour France travail conformes au présent arrêt,

Ordonne le remboursement par la société Hertz France aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [P] [O] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités,

Condamne la société Hertz France à payer à M. [P] [O] une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Hertz France aux dépens de première instance et d'appel, avec application pour les dépens d'appel des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Pedroletti.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 22/01870
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;22.01870 ?
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