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03/06/2024 | FRANCE | N°22/04389

France | France, Cour d'appel de Versailles, Ch civ. 1-4 construction, 03 juin 2024, 22/04389


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 54Z



Ch civ. 1-4 construction



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 03 JUIN 2024



N° RG 22/04389 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VJMX



AFFAIRE :



MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, ès qualité d'assureur suivant police dommages-ouvrage



C/



[U] [T]





Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 4 décembre 2020 rendu par la Cour d'Appel de PARIS

N° Pôle : 4

Chambre : 6

N° RG : 19/17436



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Sophie POULAIN



Me Alain CROS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,
...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54Z

Ch civ. 1-4 construction

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 JUIN 2024

N° RG 22/04389 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VJMX

AFFAIRE :

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, ès qualité d'assureur suivant police dommages-ouvrage

C/

[U] [T]

Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 4 décembre 2020 rendu par la Cour d'Appel de PARIS

N° Pôle : 4

N° Chambre : 6

N° RG : 19/17436

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Sophie POULAIN

Me Alain CROS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (3ème chambre civile) du 25 mai 2022 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS (pôle 4 - chambre 6) le 04 décembre 2020

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, ès qualité d'assureur suivant police dommages-ouvrage

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Sophie POULAIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 180 et Me Anne-Sophie PUYBARET de la SELAS LARRIEU & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 657

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

Madame [U] [T]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Alain CROS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : 182

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Fabienne TROUILLER, Présidente chargée du rapport et Madame Séverine ROMI, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Fabienne TROUILLER, Présidente,

Madame Séverine ROMI, Conseillère,

Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseillère,

Greffière, lors des débats : Madame Jeannette BELROSE,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [U] [T] a confié à la société ETTB la construction d'une maison d'habitation sur un terrain situé [Adresse 2] au [Localité 5] (93).

Elle a souscrit auprès de la société MAF une police dommages-ouvrage.

La déclaration d'ouverture de chantier a été déposée le 21 juin 1999.

Aucun procès-verbal de réception n'a été signé mais les parties conviennent que celle-ci est intervenue le 8 février 2004.

Par une lettre recommandée du 26 décembre 2011, Mme [T] a déclaré à la société MAF, entre autres désordres, l'apparition des désordres portant sur des infiltrations d'eau au rez-de-jardin et au rez-de-chaussée.

La société MAF a réclamé des informations par lettre recommandée le 3 janvier 2012 auxquelles Mme [T] a répondu le 10 janvier 2012.

Par lettre du 20 janvier 2012, la société MAF a informé son assurée de la désignation de M. [J] [F] en qualité d'expert dommages-ouvrage.

Le rapport d'expertise amiable a été établi par M. [F] le 15 février 2012 puis a été adressé le 7 mars 2012 à Mme [T].

Par lettre du 12 mars 2012, la société MAF a refusé sa garantie, position confirmée par lettre du 17 juillet 2012.

Mme [T] a déclaré le sinistre auprès de la MAIF, son assureur protection juridique, qui a désigné le cabinet Blanquet en qualité d'expert amiable. Ce dernier a rendu son rapport le 15 mai 2012.

Par lettre du 17 juillet 2012, la société MAF a confirmé son refus de garantie.

Suite à une nouvelle réunion, le cabinet Blanquet a dressé un deuxième rapport le 30 août 2012.

À la demande de l'expert de la société MAF, une recherche de fuite a été entreprise par la société ETAT 9 qui a remis un rapport le 10 décembre 2012.

Le cabinet Blanquet a dressé un troisième rapport le 19 novembre 2013 confirmant l'existence d'un désordre décennal.

Par ordonnance du juge des référés du 28 avril 2014, M. [H] [P] a été désigné à la demande de Mme [T] en qualité d'expert. Il a déposé son rapport le 20 avril 2015.

Par acte du 24 juin 2015, Mme [T] a fait assigner la société MAF devant le tribunal de grande instance de Bobigny, aux fins de la voir condamner, au visa de l'article 1792 du code civil, au paiement de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices matériels, de ses frais et de son trouble de jouissance.

Par jugement contradictoire du 28 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Bobigny, statuant à juge unique, a :

- rejeté l'exception de subrogation de l'article L.121-12 alinéa 2 du code des assurances,

- condamné la société MAF à payer à Mme [T] au titre des désordres d'infiltrations au rez-de-jardin :

- la somme de 108 425,90 euros TTC, outre l'actualisation indexée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 depuis le 20 avril 2015 jusqu'à la date du jugement, au titre des travaux de reprise,

- la somme de 8 674 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux,

- la somme de 2 000 euros TTC au titre de l'assistance d'un maître d''uvre pour les opérations d'expertise,

- condamné la société MAF à payer à Mme [T] au titre des désordres d'infiltration du séjour du rez-de-chaussée :

- la somme de 8 745 euros TTC, outre l'actualisation indexée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 depuis le 20 avril 2015 jusqu'à la date du jugement, au titre des travaux de reprise,

- la somme de 699,30 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux,

- débouté Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société MAF au titre du préjudice de jouissance et au titre de la résistance abusive,

- condamné la société MAF à payer à Mme [T] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société MAF, aux dépens, incluant notamment les frais d'expertise,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le tribunal a tout d'abord retenu que la société MAF ne pouvait se prévaloir de l'exception de subrogation prévue par l'article L.121-12 du code des assurances, à défaut de caractériser une faute imputable à l'assurée.

Il a estimé que le simple fait, pour l'assurée, d'assigner son assureur au-delà du délai de dix ans mais bien dans le délai de deux ans du code des assurances, le privant de toute action récursoire contre le locateur d'ouvrage et/ou l'assureur de responsabilité, ne suffisait pas à caractériser sa faute, même si elle disposait du temps nécessaire pour le faire dans ce délai.

Le tribunal a ensuite retenu la nature décennale des désordres concernant l'humidité affectant le rez-de-jardin et la porte-fenêtre du séjour du rez-de-chaussée.

Il a estimé que l'ensemble des sols et des murs de la maison au niveau du rez-de-jardin étaient affectés par l'humidité et détériorés par la venue d'eau provenant d'un défaut d'étanchéité des murs extérieurs et que ces infiltrations constituaient des désordres cachés à la réception et portaient atteinte à la destination de l'ouvrage.

Il a également rappelé que la garantie décennale s'appliquait aux éléments d'équipement dès lors que le désordre l'affectant rendait l'ouvrage impropre à sa destination et estimé que les désordres d'infiltration affectant la porte-fenêtre du séjour du rez-de-chaussée et portant atteinte à l'étanchéité et à l'habitabilité du pavillon, étaient par conséquent de nature décennale.

La société MAF a interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt du 14 février 2018, la cour d'appel de Paris a :

- confirmé le jugement entrepris,

- condamné la société MAF à payer à Mme [T] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société MAF a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par un arrêt du 11 juillet 2019, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé l'arrêt rendu le 14 février 2018 par la cour d'appel de Paris, sauf en ses dispositions relatives aux demandes au titre du préjudice de jouissance et de la résistance abusive,

- remis en conséquence, sur le surplus, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et renvoyé celles-ci devant la cour d'appel de Paris autrement composée,

- condamné Mme [T] aux dépens,

- rejeté les demandes relatives à l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour a jugé, au visa de l'article L.121-12 du code des assurances et l'annexe II B 4° à l'article A. 243-1 du même code, que l'assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie n'est pas tenu de rappeler à l'assuré, quand il lui notifie son refus de garantie, la position qu'il prend en ce qui concerne l'exercice du droit de subrogation.

La société MAF a saisi la cour de renvoi par déclaration du 3 septembre 2019.

Par arrêt contradictoire du 4 décembre 2020, la cour d'appel de Paris a :

- infirmé le jugement en ce que le premier juge a condamné la société MAF à régler à Mme [T], en réparation des désordres d'infiltrations au rez-de-jardin, les sommes de 108 425,90 euros TTC à titre principal au titre des travaux de reprise et 8 674 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux,

- condamné la société MAF à payer à Mme [T], au titre des désordres d'infiltration au rez-de-jardin, les sommes de :

- 72 788,10 euros TTC au titre des travaux de reprise, outre actualisation à la date du présent arrêt en fonction de l'évolution de l'indice BT 01 depuis le 20 avril 2015,

- 5 823,04 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux,

- confirmé le jugement pour le surplus,

- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société MAF aux dépens d'appel.

Pour confirmer le rejet de l'exception de subrogation, la cour a estimé que c'était l'inaction de l'assureur, et non la délivrance de l'assignation en référé postérieurement au délai décennal, qui avait empêché la subrogation de s'opérer et que l'assureur avait des éléments lui permettant d'anticiper l'assignation puisque l'assuré avait fait organiser une expertise amiable par la MAIF à laquelle la société MAF avait été convoquée.

La cour a confirmé le caractère décennal des désordres affectant le rez-de-jardin, au regard de la généralisation des désordres d'humidité rendant l'ouvrage impropre à sa destination d'habitation mais elle a réformé le montant du coût des travaux de reprises.

La cour a également retenu le caractère décennal des désordres affectant la porte-fenêtre du rez-de-jardin et confirmé le coût de reprise des travaux.

La société MAF a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par arrêt du 25 mai 2022, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé l'arrêt rendu le 4 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris, sauf en ses dispositions relatives aux demandes au titre du préjudice de jouissance et de la résistance abusive,

- remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et renvoyé celles-ci devant la cour d'appel de Versailles,

- condamné Mme [T] aux dépens,

- rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour de cassation a rappelé, au visa de l'article L 121-12 alinéas 1 et 2 du code des assurances, que l'assureur qui refuse sa garantie ne peut agir contre les responsables à titre subrogatoire ou les appeler en garantie avant d'avoir été lui-même poursuivi.

Elle en déduit, au visa de l'article 334 du code de procédure civile, que la société MAF n'était pas privée de ses recours par son inaction mais par le fait de l'assurée à laquelle il appartenait d'assigner l'assureur dans un délai lui permettant d'appeler les responsables en garantie ou à défaut, d'assigner elle-même ces responsables pour préserver les recours de l'assureur.

Par déclaration du 4 juillet 2022, la société MAF a saisi la cour d'appel de renvoi.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives remises au greffe le 25 novembre 2022, la société MAF demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- juger qu'elle a délivré une police d'assurance dommages-ouvrage qui est une police de pré-financement,

- juger qu'elle a été pour la première fois assignée par Mme [T] le 11 mars 2014, soit postérieurement à l'expiration du délai de garantie décennale, la réception étant intervenue le 8 février 2004,

- juger que du fait de cette assignation tardive et dirigée exclusivement à l'égard de l'assureur dommages-ouvrage, la demanderesse ne l'a pas mise en mesure d'exercer ses recours subrogatoires,

- juger qu'elle n'a pu exercer ses recours subrogatoires en raison de l'inaction de l'assurée,

- juger qu'en raison de la non-réalisation du risque garanti et du non règlement d'une indemnité d'assurance, elle ne pouvait prendre l'initiative d'une procédure à l'encontre des constructeurs et de leurs assureurs,

- juger qu'elle devra être déchargée de sa garantie,

- juger que l'action en responsabilité contractuelle de Mme [T] est prescrite,

- juger qu'elle ne démontre pas qu'elle aurait manqué à ses obligations contractuelles,

- en conséquence, infirmer la décision dont appel,

- débouter Mme [T] de toutes ses demandes,

- la condamner à lui restituer les condamnations déjà perçues,

- subsidiairement, juger que l'expert judiciaire n'a nullement retenu le caractère décennal des désordres évoqués,

- juger que la demanderesse n'établit pas que les désordres qu'elle évoque revêtiraient un caractère décennal, au stade actuel,

- juger le montant excessif des travaux chiffrés par Mme [T] alors qu'un économiste l'a établi à 56 930,33 euros TTC,

- en conséquence, infirmer la décision dont appel,

- débouter purement et simplement Mme [T] des demandes qu'elle forme à son égard, le risque garanti par elle n'étant pas réalisé,

- subsidiairement, ramener à de plus justes proportions le montant de ces demandes, lesquelles ne sauraient excéder la somme de 56 930,33 euros TTC,

- très subsidiairement, juger que Mme [T] ne lui a jamais adressé un dossier de production complet,

- infirmer le jugement et la juger bien fondée à opposer à Mme [T] une réduction proportionnelle d'indemnité d'un montant de 66,67 %,

- la condamner à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions n°2, remises au greffe le 3 février 2023, Mme [T] demande à la cour :

- de débouter la société MAF de l'ensemble de ses demandes,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société MAF à lui payer, au titre des désordres d'infiltrations au rez-de-jardin, 108 425,90 euros TTC au titre des travaux de reprise, 8 674 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux, 2 000 euros TTC au titre de l'assistance d'un maître d''uvre pour les opérations d'expertise,

- y ajoutant, de juger que ces sommes seront indexées sur l'évolution de l'indice BT01 depuis le 20 avril 2015 jusqu'à la date de la décision à intervenir, et assorties d'un taux d'intérêt majoré égal au double du taux d'intérêt légal depuis le 12 janvier 2012,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la MAF à lui payer, au titre des désordres d'infiltrations du séjour du rez-de-chaussée, 8 745 euros TTC au titre des travaux de reprise et 699,30 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux,

- y ajoutant, de juger que ces sommes seront indexées sur l'évolution de l'indice BT01 depuis le 20 avril 2015 jusqu'à la date de la décision à intervenir, et assorties d'un taux d'intérêt majoré égal au double du taux d'intérêt légal depuis le 12 janvier 2012,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société MAF à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, incluant notamment les frais d'expertise,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société MAF au titre du préjudice de jouissance,

- de condamner la société MAF à lui payer la somme de 51 800 euros au titre du préjudice de jouissance arrêté au mois de décembre 2022, sous réserve d'actualisation,

- à titre subsidiaire, condamner la société MAF à lui payer au titre des désordres d'infiltrations au rez-de-jardin les sommes suivantes : 107 341,64 euros TTC au titre des travaux de reprise, 8 587,26 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux, 1 980 euros TTC au titre de l'assistance d'un maître d''uvre pour les opérations d'expertise, juger que ces sommes seront indexées sur l'évolution de l'indice BT01 depuis le 20 avril 2015 jusqu'à la date de la décision à intervenir,

- condamner la société MAF à lui payer au titre des désordres d'infiltrations du séjour du rez-de-chaussée les sommes suivantes : 8 657,55 euros TTC au titre des travaux de reprise, 692,31 euros TTC au titre des frais de maîtrise d''uvre pour l'exécution des travaux, juger que ces sommes seront indexées sur l'évolution de l'indice BT01 depuis le 20 avril 2015 jusqu'à la date de la décision à intervenir,

- en tout état de cause, condamner la société MAF à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société MAF aux entiers dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'affaire a été appelée à l'audience du 18 mars 2024 et mise en délibéré au 3 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre préliminaire, la cour constate que les dispositions relatives au préjudice de jouissance et à la résistance abusive sont définitives. Il n'y a par conséquent pas lieu de statuer sur les demandes formées par Mme [T] à ce titre.

Sur le respect du délai d'instruction de la déclaration de sinistre

Pour la première fois devant la cour d'appel de renvoi, Mme [T] fait valoir que la société MAF n'aurait pas respecté le délai d'instruction de sa déclaration de sinistre.

En application de l'article L.242-1 du code des assurances, l'assureur a un délai maximal de soixante jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour notifier sa position de garantie ou de non-garantie.

L'assureur dommages-ouvrage qui ne respecte pas ce délai perd le droit de contester sa garantie, tant sur le fond que sur la forme, de sorte qu'il n'a plus la possibilité de discuter la nature décennale des désordres.

Il est admis que le point de départ du délai d'instruction court à compter de la réception de la déclaration de sinistre et non de son émission.

Il appartient à Mme [T] de rapporter la preuve du non-respect du délai qu'elle invoque.

En l'espèce, il ressort des pièces produites que la déclaration de sinistre est datée du 10 janvier 2012. Si la société MAF en a, par courrier du 20 janvier 2012 accusé réception, Mme [T] produit l'accusé-réception du courrier qui précise que la déclaration a été reçue le 12 janvier 2012 par la société MAF.

Alors qu'elle expose dans ses écritures que la société MAF a dénié sa garantie par courrier du 12 mars 2012, ce qui a toujours été revendiqué par les parties, Mme [T] ne produit aucune pièce venant contredire ou infirmer cette date.

Dans ces conditions, force est de constater que Mme [T] ne prouve donc pas que les délais d'instruction n'auraient pas été respectés.

De surcroît, comme le relève à juste titre la société MAF, Mme [T] aurait dû solliciter l'application de la garantie à titre de sanction dans le délai de deux ans à compter de l'expiration du délai de soixante jours. Cette demande, formulée pour la première fois par conclusions notifiées le 26 septembre 2022 est par conséquent irrecevable.

Sur l'exception de subrogation soulevée par la société MAF

Pour rejeter l'exception de subrogation, le tribunal a retenu que cette exception ne pouvait jouer qu'en cas de faute caractérisée de la part de l'assuré.

Il a constaté que l'assureur s'était bien trouvé dans l'impossibilité d'interrompre le délai de prescription à l'égard des locateurs d'ouvrage ou leurs assureurs et d'exercer utilement ses recours à leur encontre mais que l'assignation tardive par l'assurée ne suffisait pas à caractériser sa faute, même si elle disposait du temps nécessaire pour le faire dans ce délai. Il a jugé que la société MAF ne caractérisait pas de faute imputable à l'assurée l'ayant privée du bénéfice de la subrogation pouvant s'opérer en sa faveur.

Pour s'opposer également à cette exception, Mme [T] critique la jurisprudence et fait valoir que la solution adoptée par la Cour de cassation ne concerne que l'hypothèse d'un refus de garantie.

Elle admet que le 12 mars 2012, la société MAF a refusé sa garantie mais soutient qu'elle a par la suite modifié sa position pendant le délai d'épreuve, ce qui lui permettait de préserver elle-même ses recours.

Elle invoque le courrier de la société MAF en date du 17 juillet comportant une demande de rapport complémentaire, destiné selon elle, à lui permettre d'exercer son recours subrogatoire conformément aux articles A. 243-1, Annexe II A 4° et B 4°. Elle soutient que le 17 juillet 2012, la société MAF a accepté le principe de sa garantie pour le désordre n°1 et que son expert, M. [F] s'était finalement prononcé favorablement sur la prise en charge des désordres n°1 et 2 par l'assureur dommages-ouvrage. Elle ajoute qu'elle a missionné un expert après le 12 mars, qu'elle a sollicité des investigations complémentaires et un rapport complémentaire ce qui démontre qu'elle est revenue sur sa position de non-garantie.

Subsidiairement, elle soutient que le fait de ne pas avoir assigné l'assureur pendant le délai d'épreuve est un simple fait mais n'est pas constitutif d'une faute et que l'appelante ne démontre aucune faute à son encontre.

Très subsidiairement, elle fait valoir que la société MAF a participé activement à la perte de ses recours en refusant la prise en charge d'un sinistre manifestement de nature décennale et que pendant le délai d'épreuve, elle avait des éléments lui permettant d'anticiper l'assignation : le maintien des réclamations, la saisine de la MAIF, la désignation d'un expert privé, la confirmation du caractère décennal par M. [F] et la délivrance d'une assignation en référé expertise.

Elle réclame de limiter en conséquence la décharge de responsabilité de la société MAF à hauteur de 1 %.

Réponse de la cour

En application de l'article L.121-12 al.2 du code des assurances, l'assureur peut être déchargé, en tout ou partie, de sa responsabilité envers l'assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur.

Ces dispositions sont reprises à l'article 13 des conditions générales de la police dommages-ouvrage délivrée à Mme [T].

Il est admis que l'assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie n'est pas tenu de rappeler à l'assuré, quand il lui notifie son refus de garantie, la position qu'il prend en ce qui concerne l'exercice de son droit de subrogation.

En outre, il est également admis que l'assureur qui refuse sa garantie ne peut agir contre les responsables à titre subrogatoire ou les appeler en garantie avant d'avoir été lui-même poursuivi.

Il incombe à la partie qui invoque l'exception de rapporter la preuve qu'elle a été privée de ses recours du fait de l'assuré.

Ainsi, l'impossibilité due aux seuls délais d'instruction de la déclaration de sinistre n'est pas constitutive d'une faute.

En l'espèce, les parties conviennent que la réception des travaux est intervenue le 8 février 2004 et qu'ainsi la garantie décennale expirait le 8 février 2014 à minuit.

Mme [T] a effectué sa déclaration de sinistre le 10 janvier 2012, réceptionnée par la société MAF le 12 janvier 2012.

Il ressort de la chronologie des faits, qu'à la suite de la première expertise amiable du 15 février 2012, la société MAF a, le 12 mars 2012, notifié à son assurée une position de non-garantie. Elle n'avait par conséquent pas à prendre une quelconque initiative procédurale à l'égard des constructeurs.

Si l'intimée soutient que la société MAF aurait ultérieurement modifié sa position, elle n'en rapporte pas la preuve, l'assureur n'étant nullement tenu de suivre l'avis technique de son propre expert. Au contraire, le refus de garantie a été expressément réitéré par courrier du 17 juillet 2012.

L'interrogation émise dans ce courrier concernant le désordre n°1, ne suffit pas pour démontrer une modification de sa position de non-garantie, en l'absence de position de garantie clairement notifiée à l'assurée. Si la société MAF a demandé à son expert de compléter ses investigations, ce rapport complémentaire n'est pas une reconnaissance de garantie de sa part et aucune pièce n'établit qu'elle serait revenue sur sa position initialement notifiée.

Ainsi, à compter du 12 mars 2012, Mme [T] était en mesure de pouvoir assigner son assureur, y compris après les rapports complémentaires réclamés à son propre assureur et remis le 15 mai 2012, le 30 août 2012 puis le 19 novembre 2013, soit avant l'expiration du délai décennal, le 8 février 2014. Il ressort au demeurant de ces rapports, que les experts des parties n'étaient pas d'accord.

Dès lors, les délais d'instruction amiable de la déclaration de sinistre ne sont pas à l'origine de l'impossibilité infligée à l'assureur.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, les échanges intervenus entre les parties ne permettaient pas à l'assureur d'anticiper une assignation ni de prendre l'initiative d'une procédure, en l'absence d'intérêt à agir à ce stade.

Pour autant, Mme [T] n'a assigné la société MAF en référé que le 11 mars 2014, soit postérieurement à l'expiration du délai de garantie décennal et la veille de l'expiration de son délai d'action biennale intervenant le 12 mars 2014. Elle disposait pourtant du temps nécessaire pour assigner dans le délai décennal.

De surcroît, elle a fait le choix de ne pas assigner les constructeurs dont la responsabilité était évoquée dans les rapports d'expertise amiable, ni leurs assureurs. Elle n'a ainsi, de son fait, pas mis en mesure la société MAF d'exercer ses recours.

Dans ces conditions, la preuve est rapportée que la société MAF n'a bien été privée de ses recours que par le fait de l'assurée, à laquelle il appartenait d'assigner l'assureur dans un délai lui permettant d'appeler les responsables en garantie ou, à défaut, d'assigner elle-même ces responsables pour préserver les recours de l'assureur.

Il doit être rappelé que l'assurance dommages-ouvrage a pour objet de préfinancer la réparation des désordres de nature décennale et qu'elle n'est pas une police de responsabilité.

Elle n'a donc pas vocation à supporter la charge définitive du sinistre et l'économie d'un tel contrat réside précisément dans la possibilité d'exercer des recours subrogatoires.

À cet égard, la proposition de l'intimée de limiter la décharge de responsabilité à hauteur de 1 % revient à ne pas sanctionner le fait fautif à l'origine de l'impossibilité subie par l'assureur. Aucun manquement imputable la société MAF n'est démontré. Elle n'encourt aucune limitation de sa décharge.

Partant, le jugement est infirmé en toutes ses dispositions et il est fait droit à l'exception de subrogation en déchargeant intégralement la société MAF de sa garantie.

Sur les autres demandes

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer intégralement le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [T], qui succombe, doit donc être condamnée au paiement des entiers dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise et les frais de l'instance de référé conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement par Me Poulain dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.

Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Les circonstances de l'espèce justifient de condamner Mme [T] à payer à société MAF une indemnité de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel. Elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant en dernier ressort, après débats en audience publique, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Dans les limites de la saisine de la cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau,

Déclare irrecevable la demande d'application de la garantie à titre de sanction ;

Fait droit à l'exception de subrogation de l'article L.121-12 du code des assurances ;

Déboute Mme [U] [T] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Mutuelle des architectes français ;

Rappelle que Mme [U] [T] est redevable de plein droit du remboursement des sommes perçues en exécution du jugement qui est infirmé ;

Condamne Mme [U] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Me Sophie Poulain avocate, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [U] [T] à payer à la société Mutuelle des architectes français une indemnité de 3 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Fabienne TROUILLER, Présidente et par Madame Jeannette BELROSE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Ch civ. 1-4 construction
Numéro d'arrêt : 22/04389
Date de la décision : 03/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-03;22.04389 ?
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