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30/05/2024 | FRANCE | N°22/03186

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 30 mai 2024, 22/03186


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 30 MAI 2024



N° RG 22/03186

N° Portalis DBV3-V-B7G-VPHH



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Section : C

N° RG : F 21/00279



------



N° RG 22/03188

N° Portalis

DBV3-V-B7G-VPHC



Décision dÃ

©férée à la cour : Jugement rendu le 20 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Section : C

N° RG : F 21/00280

AFFAIRE :



[X] [F]



C/



S.A. SARP INDUSTRIES







Copies ex...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 MAI 2024

N° RG 22/03186

N° Portalis DBV3-V-B7G-VPHH

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Section : C

N° RG : F 21/00279

------

N° RG 22/03188

N° Portalis

DBV3-V-B7G-VPHC

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Section : C

N° RG : F 21/00280

AFFAIRE :

[X] [F]

C/

S.A. SARP INDUSTRIES

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Christophe DEBRAY

la SCP PECHENARD & Associés

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [X] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - Substitué par Me Thomas VANZETTO, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A. SARP INDUSTRIES

N° SIRET : 303 77 2 9 82

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Julie DE OLIVEIRA de la SCP PECHENARD & Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R047

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,

EXPOSE DU LITIGE

M. [X] [F] a été engagé par la société Sarp Industries à compter du 1er juin 1993 en qualité de manoeuvre dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, puis un contrat de travail à durée indéterminée a été signé le 1er juin 1994 pour le poste de cariste-manutentionnaire. En dernier lieu, il exerçait les fonctions de chauffeur poids lourds.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des industries chimiques et connexes.

Par courrier du 18 août 2015, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, qui s'est tenu le 7 septembre 2015, puis il a été licencié pour faute grave par courrier du 21 septembre 2015.

RG n° 22/03186

Par requête reçue au greffe le 29 janvier 2016, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Mantes la Jolie afin de contester son licenciement et d'obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des indemnités de rupture. Par décision du 20 septembre 2016, notifiée à M. [F] le 1er octobre 2016, l'affaire a été radiée du rôle du conseil de prud'hommes. Cette décision prévoit le rétablissement au rôle sur justification auprès du conseil de prud'hommes de l'échange des pièces et moyens entre les parties. Aux termes de conclusions déposées au greffe le 13 janvier 2021, l'affaire a été réinscrite au rôle puis de nouveau radiée par décision du 6 avril 2021, notifiée le 8 avril 2021, pour absence de plaidoirie à la date fixée. Cette même affaire a été réinscrite au rôle aux termes de conclusions déposées au greffe le 23 novembre 2021.

Par jugement du 20 septembre 2022, le conseil de prud'hommes a :

- dit et jugé que la péremption d'instance est intervenue le 20 septembre 2018,

- déclaré irrecevable la demande de M. [F] contestant son licenciement,

- débouté M. [F] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Sarp Industries du surplus de ses demandes,

- mis les entiers dépens à la charge de M. [F].

Par déclaration de greffe du 20 octobre 2022, M. [F] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 10 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, M. [F] demande à la cour de

- déclarer recevable son action, aucune fin de non-recevoir ne lui étant opposable ;

- infirmer la décision de première instance en toutes ses dispositions :

- juger le licenciement intervenu comme étant dénué de cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- réformer la décision entreprise et condamner la société Sarp Industries au paiement des sommes suivantes :

* 83 568 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (24 mois),

* 25 776 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 7 030 euros à titre d'indemnité de préavis (2 mois),

* 703 euros au titre de congés payés sur préavis,

* 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* aux entiers dépens,

- ordonner la remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard, des documents conformes : bulletin de salaires, attestation pôle emploi,

- débouter la société Sarp Industries de l'ensemble de ses demandes,

- prononcer les intérêts civils sur les montants à intervenir, avec capitalisation année après année au titre des intérêts échus.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 7 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Sarp Industries demande à la cour de :

vu l'article 386 du code de procédure civile et l'article L. 4171-1 du code du travail dans sa version applicable en 2015,

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par M. [F],

- confirmer le jugement du 20 septembre 2022 en toutes ses dispositions,

en conséquence et statuant à nouveau :

- débouter M [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner M. [F] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [F] aux entiers dépens.

--------

RG n° 22/03188

Par requête reçue au greffe le 10 juillet 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Mantes la Jolie afin d'obtenir des dommages-intérêts pour harcèlement moral, une indemnité pour licenciement nul, des indemnités de rupture. Cette affaire a été radiée du rôle de la juridiction par décision du 12 janvier 2021 notifiée à M. [F] le 21 janvier 2021. Aux termes de conclusions déposées au greffe le 24 novembre 2021, M. [F] a sollicité la réinscription de l'affaire au rôle.

Par jugement du 20 septembre 2012, le conseil de prud'hommes a :

- dit qu'il n'est pas constaté l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de M. [F],

- dit que le licenciement de M. [F] est justifié 'pour' une faute grave,

- condamné M. [F] au paiement de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [F] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Sarp Industries du surplus de ses demandes,

- mis les entiers dépens à la charge de M. [F].

Par déclaration de greffe du 20 octobre 2022, M. [F] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 10 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, M. [F] demande à la cour de :

- déclarer l'appel recevable et bien-fondé ;

infirmer le jugement entrepris et y faisant droit ;

- juger l'existence d'un harcèlement moral ;

- en conséquence, prononcer la nullité du licenciement intervenu ;

en conséquence, condamner la société Sarp Industries au paiement des sommes suivantes :

- dommages et intérêts pour harcèlement moral (6 mois) : 21 090 euros

- indemnité à raison de la nullité du licenciement intervenu (24 mois) : 84 360 euros

- indemnité compensatrice de préavis : 7 030 euros

- congés payés y afférents : 703 euros

- indemnité conventionnelle de licenciement : 25 776 euros

- article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros

- intérêts légaux à compter de la saisine ;

- entiers dépens ;

- débouter la société Sarp Industries de l'ensemble de ses demandes.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 7 avril 2023 dans la procédure n° 22/03188, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Sarp Industries demande à la cour de :

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par M. [F],

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

en conséquence et statuant à nouveau,

- débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner M. [F] à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [F] aux entiers dépens.

--------

Les instances n° 22/03186 et 22/03188 ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 30 novembre 2023, lesquelles se sont poursuivies sous le numéro 22/03186.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il sera rappelé à titre liminaire que si la jonction d'instances consiste à réunir des instances qui présentent un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble, elle ne crée pas une procédure unique, chaque instance poursuivant son cours pour elle-même.

RG n° 22/03186

L'appelant soutient que la fin de non-recevoir tirée de la péremption a été soulevée par la société Sarp Industries par des moyens mélangeant l'exception de l'instance et la prescription de l'action, et qu'il en résulte, comme soulevé en première instance tel que retranscrit au plumitif, que la péremption d'instance n'a pas été opposée conformément à l'article 388 du code de procédure civile qui prévoit qu'elle doit l'être, à peine d'irrecevabilité, avant tout autre moyen, soit avant toute exception de procédure, fin de non-recevoir ou défense au fond. Il fait valoir que le jugement attaqué doit être infirmé en ce que, après avoir indiqué 'en liminaire' que la société Sarp Industries a demandé de dire et juger que la péremption d'instance est intervenue en 2018, dit que la péremption d'instance est intervenue le 20 septembre 2018.

La société Sarp Industries réplique que la péremption est acquise, que M. [F] a reconnu dans ses conclusions de première instance que l'affaire n'avait pu être réinscrite au rôle dans le délai de péremption de deux ans, et que la requête du 10 juillet 2019 visait à échapper à cette péremption.

L'article 386 du code de procédure civile prévoit que 'L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans'.

Selon l'article 388 du même code, la péremption doit, à peine d'irrecevabilité, être demandée ou opposée avant tout autre moyen, le juge pouvant la constater d'office après avoir invité les parties à présenter leurs observations.

Il ne ressort pas des éléments du dossier, dont le plumitif de l'audience du 5 avril 2022 devant le premier juge, que la fin de non-recevoir tirée de la péremption d'instance n'a pas été soulevée conformément à l'article 388 précité, peu important le fait que la société Sarp Industries ait déduit de la péremption que toute action en contestation du licenciement était prescrite.

Au surplus, force est d'observer que la péremption d'instance peut être soulevée d'office par le juge et qu'il ressort des éléments de la procédure que les parties en ont contradictoirement débattu.

Il résulte des textes précités que pour interrompre le délai de péremption, la diligence doit émaner d'une partie et doit être de nature à faire progresser l'action. Pour interrompre la péremption, la diligence émanant d'une partie doit prendre la forme d'une démarche processuelle.

En l'espèce, le délai de péremption de deux ans a couru à compter du 1er octobre 2016, date de la notification de l'ordonnance de radiation du 20 septembre 2016 qui prévoit le rétablissement au rôle sur justification auprès du conseil de prud'hommes de l'échange des pièces et moyens entre les parties, et n'a pu dès lors être interrompu ni par une requête du 10 juillet 2019 ni a fortiori par des conclusions de réinscription de l'affaire au rôle déposées au greffe le 13 janvier 2021.

En conséquence, la péremption étant bien acquise depuis le 20 septembre 2018 et l'instance, éteinte, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris rendu dans l'instance RG n° 21/00279, en ce qu'il constate cette péremption.

Le constat de la péremption de l'instance, qui tire les conséquences de l'absence de diligences des parties pendant deux années en vue de voir aboutir le jugement de l'affaire et qui poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que cette instance s'achève dans un délai raisonnable, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable

Il en résulte que le jugement doit être infirmé en ce qu'il statue sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action dont il était dessaisi par suite du constat de la péremption de l'instance.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens.

Les dépens d'appel seront supportés par M. [F] et l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque en première instance comme en appel, le premier juge ayant omis de statuer sur les frais irrépétibles.

RG n° 22/03188

A titre liminaire, il convient d'observer que la société Sarp Industries indique ne pas soulever la prescription de l'action. Ni le dispositif du jugement attaqué ni le dispositif des conclusions d'intimée qui en sollicite la confirmation, ne contiennent de mention relative à cette fin de non-recevoir. Il s'en déduit qu'en tout état de cause la cour n'est pas saisie d'une fin de non-recevoir à ce titre.

Pour infirmation du jugement entrepris, le salarié soutient qu'il a été victime d'un harcèlement moral dont le dernier acte est son licenciement du 21 septembre 2015. Il en déduit la nullité du licenciement.

L'employeur fait valoir que le salarié ne fournit aucun élément précis, probant et grave étayant ses allégations de harcèlement moral et la nullité du licenciement.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 de ce code, dans sa rédaction en vigueur du 1er mai 2008 au 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. En vertu de ce même article L. 1154-1, dans sa rédaction résultant de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable aux faits commis à compter de son entrée en vigueur le 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui du harcèlement moral qu'elle allègue avoir subi, la salariée invoque les faits suivants:

une information judiciaire a été ouverte le 22 novembre 2013 des chefs de vol en bande organisée et d'association de malfaiteurs visant des faits en date du 20 mars 2013 de vol de flacons de parfum Chanel destinés à être détruits par la société Sarp Industries ; le licenciement prononcé lorsqu'il était simplement mis en examen et bénéficiait de la présomption d'innocence, porte sur ces mêmes faits ; aux termes de l'arrêt prononcé le 3 novembre 2021 par la présente cour statuant en matière correctionnelle, il a été relaxé des fins de la poursuite concernant les faits reprochés, au surplus prescrits ; ces faits répétés ont porté atteinte à son état de santé antérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement à son encontre, comme en attestent les pièces médicales versées aux débats et évoquant un état de souffrance psychique aiguë tel qu'en attestent une ordonnance médicale du 4 août 2015 lui prescrivant un anti-dépresseur, un anxiolytique et un hypnotique, un arrêt de travail pour maladie ordinaire initial du 4 août 2015 et un avis de renouvellement jusqu'au 5 octobre 2015, le courrier adressé à un confrère par un psychiatre le 7 septembre 2015 aux termes duquel son patient ' présente un état de souffrance psychique aiguë, victime d'un contexte très particulier, et qui n'est pas soulagé par le traitement mis en route'.

Le salarié verse également la lettre de licenciement du 21 septembre 2015 dont la motivation s'énonce en ces termes :

«... Le 24 juin 2015 vous avez été interpellé et placé en garde à vue par les services de gendarmerie pour des faits de vol et de recel en bande organisée qui auraient été commis au sein de notre entreprise, pendant vos horaires de travail.

En effet, nous avons pour clients de grandes marques de luxe qui nous confient régulièrement des produits (parfums, cosmétiques') pour destruction, ces produits n'étant pas destinés à la vente.

Tel est le cas notamment de la société CHANEL qui nous confie régulièrement des lots de produits destinés à la destruction.

Or, une enquête de gendarmerie a mis à jour l'existence d'un trafic concernant ces produits qui, alors qu'ils devaient être détruits, étaient en réalité volés pour être ensuite « commercialisés » ou « donnés » en dehors de tout circuit de distribution légal.

L'enquête permettait de considérer qu'un certain nombre de détournements avait pu être réalisé par l'utilisation d'un camion poids-lourds de type de celui que vous êtes amené à utiliser dans le cadre de votre activité professionnelle au sein de notre entreprise, en particulier un stock important de parfums de marque Chanel acheminé le 20 mars 2013 au sein de notre entre entreprise, pour y être détruit.

C'est dans ce cadre que votre interpellation a eu lieu et qu'une perquisition a été effectuée à votre domicile, perquisition qui a permis de découvrir « un carton d'emballage vide portant des inscriptions manuscrites de feutre vert sur le côté « 21 allure Homme Sport » et le nombre 34 sur le dessus du carton 'une feuille A4 blanche, portant les mentions manuscrites noires concernant de la parfumerie, leur contenance et à la fin s'apparentant à des quantités ».

Par ailleurs, l'analyse de votre planning de travail pour les journées des 20 et 21 mars 2013, ainsi que l'analyse des disques tachygraphes, pointaient l'existence d'incohérence et de faits troublants, laissant à penser votre implication dans le vol des produits.

En effet, ce 20 mars 2013, alors que votre journée de travail était terminée, vous êtes ressorti à deux reprises de l'usine avec le camion, avant de revenir plus tard sans passer par le pont à bascule. Des faits identiques étaient constatés le 21 mars 2013.

Lors de l'entretien préalable, vous avez tenté de justifier la journée du 20 mars 2013 en indiquant avoir une envie de déjeuner « chinois » sans nous expliquer la raison de pour laquelle cela a duré près de deux heures, ni la raison pour laquelle vous avez cru bon d'utiliser le camion de l'entreprise plutôt que votre véhicule personnel alors que votre journée de travail était terminée. Bien plus vous nous avez indiqué qu'après être revenu à l'usine, vous vous seriez aperçu que vous aviez oublié votre portefeuille « chez le chinois », ce qui explique la deuxième sortie du camion, une demi-heure après être revenu de votre déjeuner. Là encore vous n'avez pas cru bon vous souvenir de la raison pour laquelle vous aviez utilisé le camion de l'entreprise plutôt que votre véhicule personnel pour le faire.

Il est à noter d'ailleurs que cette utilisation personnelle du matériel et du carburant appartenant à l'entreprise, sans aucune autorisation préalable n'est pas acceptable.

Vos explications pour la journée du 21 mars sont encore plus troublantes puisque vous prétendiez que ce jour-là vous aviez oublié les BSD à l'usine, ce qui vous avait contraint à faire demi-tour.

Pourtant vous ne vous souvenez pas de la raison pour laquelle vous êtes resté à l'arrêt avec votre camion près de 30 mn avant de faire demi-tour'

C'est d'ailleurs en raison du caractère pour le moins confus et curieux de vos explications que la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Versailles a considéré qu'il existe « des raisons plausibles de [vous] soupçonner d'avoir commis les faits pour lesquels [vous êtes] poursuivies », en assortissant votre remise en liberté d'un contrôle judiciaire vous faisant notamment interdiction de vous rendre dans les locaux de notre entreprise et même d'y exercer une activité professionnelle.

En tout état de cause vous saviez parfaitement qu'il est strictement interdit d'utiliser le matériel de l'entreprise à des fins personnelles et de dérober des produits destinés à la destruction. Cette interdiction est régulièrement rappelée, la dernière note de service sur le sujet datant du mois de décembre 2014 et indiquant très clairement que toute récupération de produits destinés à la destruction est strictement interdite.

Les faits qui vous sont reprochés sont particulièrement graves.

De tels faits sont d'autant plus inacceptables qu'ils portent gravement atteinte à notre entreprise tant au niveau de son image que commercialement, sans compter les risques pénal et financier encourus : les produits qui nous sont confiés pour destruction n'ont en effet pas vocation à se retrouver ni dans le circuit parallèle et illégal de distribution ni dans le casier de notre personnel ni à son domicile.

C'est la raison pour laquelle nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave... »

Pris dans leur ensemble, ces faits, dont les documents médicaux produits, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

L'employeur prouve que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement en ce que : l'information judiciaire ouverte le 22 novembre 2013 n'a conduit à l'interpellation, au placement en garde à vue puis en détention provisoire du salarié, qu'en juin 2015 ; la procédure de licenciement, qui a été engagée le 18 août 2015 après qu'il ait eu connaissance de l'ensemble des faits, a abouti à la notification du licenciement à caractère disciplinaire ; en eux-mêmes, ni la procédure de licenciement ni le licenciement, qu'il soit bien-fondé ou non, n'ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; si la lettre de licenciement évoque l'enquête de gendarmerie, l'interpellation et le placement en garde à vue du salarié pour des faits de vol du 20 mars 2013, elle énonce que le licenciement à caractère disciplinaire est étayé concernant des faits du 20 mars 2015 et du jour suivant compte tenu de l'analyse du planning de travail du salarié et des disques chronotachygraphes, des explications données par le salarié lors de l'entretien préalable, de l'interdiction, rappelée par une note de service, notamment d'utiliser sans autorisation préalable le matériel et le carburant de l'entreprise à des fins personnelles ; l'établissement des éléments médicaux relatifs à la souffrance psychique du salarié a suivi de peu sa mise en examen sans qu'aucun lien ne soit médicalement établi entre la dégradation de l'état de santé du salarié et ses conditions de travail, l'arrêt de travail ayant précédé l'engagement de la procédure de licenciement.

Le harcèlement moral n'est donc pas caractérisé et, dès lors, la nullité du licenciement que le salarié ne fait découler que de l'existence d'un tel harcèlement ne peut être prononcée. Le salarié sera ainsi débouté de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, de dommages et intérêts pour licenciement nul, d'une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, et d'une indemnité conventionnelle de licenciement. Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé dans la limite de la saisine en ce que le salarié est débouté de ces demandes.

En équité, il convient d'infirmer le jugement entrepris rendu dans l'instance RG n° 21/00280 en ce qu'il statue sur les frais irrépétibles. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque en première instance comme en appel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens.

Les dépens d'appel seront supportés par le salarié, partie succombante.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement,

RG n° 22/03186

Confirme le jugement rendu dans l'instance RG n° 21/00279, en ce qu'il statue sur la péremption de l'instance et les dépens ;

L'infirme en ce qu'il statue sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action dont il était dessaisi par suite du constat de la péremption de l'instance ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Constate l'extinction de la première instance ;

Dit n'y avoir lieu de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance comme en appel ;

Condamne M. [X] [F] aux dépens d'appel ;

RG n° 22/03188

Confirme le jugement rendu dans l'instance RG n° 21/00280 dans les limites de la saisine en ce qu'il déboute M. [X] [F] de ses demandes au titre d'un harcèlement moral et d'un licenciement nul, et en ce qu'il statue sur les dépens ;

L'infirme sur les frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel ;

Déboute les parties pour le surplus ;

Condamne M. [X] [F] aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Madame Nouha ISSA, faisant fonction de Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 22/03186
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.03186 ?
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