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30/05/2024 | FRANCE | N°22/03027

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 30 mai 2024, 22/03027


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 30 MAI 2024



N° RG 22/03027 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VOM2



AFFAIRE :



[G] [H]



C/



S.A.S. CARSON PROD









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juillet 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 21/00995



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELASU DAVIDEAU ASSOCIES



la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TRENTE MAI DEUX MILLE VING...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 MAI 2024

N° RG 22/03027 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VOM2

AFFAIRE :

[G] [H]

C/

S.A.S. CARSON PROD

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juillet 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 21/00995

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELASU DAVIDEAU ASSOCIES

la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [G] [H]

né le 16 Mai 1973 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Françoise DAVIDEAU de la SELASU DAVIDEAU ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0002

APPELANT

****************

S.A.S. CARSON PROD

N° SIRET : 438 55 7 2 82

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462

Représentant : Me Angélique LAMY de l'AARPI L'OFFICE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1671, substitué par Me Louis LAZARD, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Avril 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Nouha ISSA,

FAITS ET PROCÉDURE,

M. [G] [H] a été embauché à compter du 23 décembre 2013 par le biais de 152 contrats de travail à durée déterminée d'usage, en qualité de 'coordinateur d'écriture' par la société Carson Prod, employant habituellement au moins onze salariés et ayant une activité de production d'émissions de télévision pour des diffuseurs.

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale de la production audiovisuelle.

Dans le cadre du contrat à durée déterminée d'usage conclu pour la période du 1er au 30 juin 2021, la société Carson Prod a, par lettre du 11 juin 2021, convoqué M. [H] à un entretien préalable à une éventuelle sanction avec mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 22 juin 2021, la société Carson Prod a notifié à M. [H] une décision de rupture anticipée pour faute grave du contrat à durée déterminée d'usage en cours.

La rémunération moyenne mensuelle de M. [H] s'élevait alors à 6 500 euros brut.

Le 27 juillet 2021, M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt pour demander la requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée, la rupture de cette relation ainsi requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société Carson Prod à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de la relation contractuelle.

Par jugement du 7 juillet 2022, le conseil de prud'hommes a :

- jugé que le contrat de travail liant M. [H] à son employeur constituait un contrat à durée indéterminée ;

- jugé que M. [H] a fait l'objet d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse mais sans caractère de faute grave ;

- condamné la société Carson Prod à payer à M. [H] les sommes suivantes :

* 10'000 euros à titre d'indemnité de requalification

* 6 500 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement

* 13'000 euros à titre d'indemnité de préavis et 1 300 euros au titre des congés payés afférents

* 12'455 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

* 6 500 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et 'inexécution déloyale' du contrat de travail

- débouté M. [H] de ses autres demandes ;

- débouté la société Carson Prod de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts ;

- condamné la société Carson Prod à payer à M. [H] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Carson Prod de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 6 octobre 2022, M. [H] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 30 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [H] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué sur le montant de l'indemnité de requalification, le rappel de salaire pour les périodes interstitielles et les congés payés afférents, le débouté de la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le montant de dommages-intérêts pour préjudice moral et inexécution déloyale du contrat de travail, les dommages-intérêts pour préjudice économique-perte de chance, le montant de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés, de :

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Carson Prod à lui payer les sommes suivantes :

* 19'500 euros à titre d'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée ;

* 19'499 euros à titre de 'rappel de salaire, jours interstitiels et congés payés sur rappel de salaire' ;

* 52'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 15'000 euros au titre 'du préjudice moral et inexécution déloyale du contrat de travail';

* 80'000 euros 'pour préjudice économique-perte de chance'

* 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner à la société Carson Prod de lui remettre un bulletin de salaire, un solde de tout compte, un certificat de travail une attestation pour Pôle emploi conformes à la décision, sous astreinte définitive journalière de 300 euros à compter du prononcé, la cour se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte ;

- débouter la société Carson Prod de ses demandes ;

- condamner la société Carson Prod aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 31 mars 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société Carson Prod demande à la cour de :

1) infirmer le jugement attaqué sur la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, le licenciement, les condamnations pécuniaires prononcées à son encontre ;

2) confirmer le jugement attaqué sur le débouté des demandes de M. [H] ;

3) statuant à nouveau sur les chefs infirmés de :

- débouter M. [H] de sa demande de requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée ;

- débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre subsidiaire, limiter le montant de l'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée à la somme de 6 500 euros, limiter le montant de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement à la somme de 6 500 euros, limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 6 500 euros et subsidiairement à la somme de 19'500 euros ;

4) à titre reconventionnel, condamner M. [H] à lui payer une somme de 17'010,41 euros en réparation de son préjudice financier ;

5) condamner M. [H] à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 19 mars 2024.

SUR CE :

Sur la requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée :

Il résulte de la combinaison des articles L.1242-1, L.1242-2, L.1245-1 et D. 1242-1 du code du travail que, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de ces contrats est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Ainsi, la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l'existence de ces raisons objectives.

En l'espèce, en premier lieu, il n'est pas contesté que la société Carson Prod a une activité dans le secteur de l'audiovisuel qui relève des dispositions des articles L.1242-2 et D.1242-1 mentionnés ci-dessus et que la convention collective permet le recours aux contrat à durée déterminée d'usage pour les fonctions de coordinateur d'écriture confiées contractuellement à M. [H].

Par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats et notamment des contrats à durée déterminée d'usage conclus entre les parties que M. [H] a été employé entre le 23 septembre 2013 et le 22 juin 2021, soit pendant plus de sept ans et demi, par le biais de 152 contrats à durée déterminée d'usage, conclus quasiment tous les mois pour des durées de 20 à 22 jours, et ce pour le même emploi de coordinateur d'écriture.

Le travail confié à M. [H] a consisté à assurer la coordination des différents participants à la création, dans une premier temps, d'une émission de télévision intitulée 'ciné tourisme' puis, à compter de février 2014, d'une unique émission intitulée 'Crimes', coproduite avec la société Ne Zappez Pas Productions (dirigée par M. [W]) et diffusée sur la chaîne de télévision NRJ12.

Il ne ressort donc pas de ces éléments que les fonctions de M. [H] ont été cantonnées à une seule émission contrairement à ce que soutient la société Carson Prod et que ce dernier avait ainsi des compétences limitées à une seule émission télévisée spécialisée dans les affaires criminelles.

Par ailleurs, s'agissant de son travail pour la production de l'émission de télévision 'Crimes', la société Carson Prod ne verse pas, pour la période courant de 2014 à 2017 incluse, les contrats de commande de cette émission passées avec la société NRJ12, ce qui ne permet pas d'établir, contrairement à ce qu'elle prétend, que société NRJ12 lui confiait la production d'émissions pour de courtes périodes et pour un nombre limité et donc que M. [H] était embauché à un emploi par nature temporaire. S'agissant ensuite de la période à compter de 2018, les contrats de commande sont conclus de manière continue et portent sur des commandes d'un nombre important d'émissions compris entre 10 et 15, couvrant donc de longues périodes. En outre, les échanges de courriels entre la société Carson Prod et la société Ne Zappez Pas Productions versés aux débats ainsi que le nombre et la durée des contrats à durée déterminée d'usage en litige démontrent que cette émission 'Crimes', présentée par une célébrité du paysage audiovisuel (M. [W]) depuis 2011 était durable et qu'il était envisagé de la produire pendant encore de nombreuses années (cf pièce n°5 de la société Carson Prod intimée dans laquelle M. [W] indique en 2021 'l'idée est de repartir pour 10 ans donc que ce soit bien fait et pas au rabais').

Dans ces conditions, l'ensemble des contrats en cause avait bien pour objet de pourvoir durablement un poste lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise dans le domaine de la production audiovisuelle et la société Carson Prod ne justifie pas de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi en litige de coordinateur d'écriture confié à M. [H].

En conséquence, le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il prononce la requalification des contrats à durée déterminée d'usage conclus entre M. [H] et la société Carson Prod en contrat à durée indéterminée à compter du 23 décembre 2013, date de son engagement par le biais d'un contrat irrégulier.

Sur l'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée :

En application de l'article L. 1245-2 du code du travail, en cas de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, le salarié a droit à une indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale.

En l'espèce, eu égard à la moyenne mensuelle de salaire dans le dernier état de la relation de travail s'élevant à 6500 euros et en l'absence de la moindre justification de son préjudice à ce titre par M. [H], il y a lieu de lui allouer une somme de 6500 euros à titre d'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur le rappel de salaire pour les périodes interstitielles et les congés payés afférents :

La requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail. Il en résulte que le salarié, engagé par plusieurs contrats à durée déterminée et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s'il établit qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.

En l'espèce, au soutien de ses demandes salariales, M. [H] se borne à soulever l'argumentation suivante : 'en jours ouvrés : sur une base normée de 21,67 jours de travail mensuel, 295,46 euros et heures supplémentaires : 17 727,60 euros. Congés payés sur rappel de salaire : 1772,96 euros. Soit au total : 19 499 euros'.

Ce faisant, il ne soulève aucun moyen intelligible et n'allègue pas, en toutes hypothèses, s'être tenu à la disposition de l'employeur pendant des périodes interstitielles.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de ces demandes.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :

La lettre de rupture anticipée du dernier contrat à durée déterminée d'usage conclu entre les parties, qu'il convient de requalifier en licenciement, eu égard à la requalification en contrat à durée indéterminée mentionnée ci-dessus, est ainsi rédigée : ' (...) Au mois d'avril 2021, et consécutivement à d'importantes baisses d'audience du magazine « Crimes, L'Hebdo », les société Carson Prods « Carson Prod » et « Ne Zappez Pas ! Production» qui coproduisent ce format, et vous-même, consulté en qualité de coordinateur d'écriture, se sont accordés sur le fait que le programme commençait à s'essouffler et qu'une refonte

était nécessaire.

Il a alors été décidé de travailler à une nouvelle formule devant permettre au magazine de gagner en fluidité et en efficacité.

Dans cette attente, nous vous avons demandé de stopper le montage des cinq dernières émissions restantes devant être diffusées à la rentrée, et ce afin que ces dernières intègrent la nouvelle formule.

À la fin du mois d'avril 2021, vous nous avez proposé un « sujet pilote» de 4 minutes qui nous a semblé être une première piste intéressante.

Le 5 mai suivant, et alors que nous n'avions toujours pas arrêté la nouvelle direction artistique du magazine, vous nous avez indiqué que vous souhaitiez « remettre en route les sessions de montage» des 5 dernières émissions.

En réponse, et par mail du même jour, M. [H] [W], vous a demandé d'attendre la validation interne de la nouvelle formule, -impliquant de facto celle de notre diffuseur-, avant de finaliser leur montage.

Par ailleurs, et considérant que plusieurs axes d'amélioration devaient encore être apportées au «pilote» que vous nous aviez soumis, nous vous avons demandé de nous préparer un nouveau projet reformaté sur une durée de 26 minutes, et correspondant au format le plus fréquent du magazine, pour voir ce à quoi pourrait ressembler un sujet dans sa durée totale.

Nous vous avons alors fourni des consignes précises s'agissant des éléments que nous souhaitions voir apparaître dans cette seconde mouture.

Vous nous avez livré un nouveau projet le vendredi 4 juin qui devait nous permettre de continuer à travailler sur la nouvelle formule à retenir.

Mais contre toute attente, par mail du 8 juin, nous avons découvert de manière fortuite que vous aviez repris et finalisé le montage des 5 émissions mises à l'arrêt depuis le mois d'avril, sans notre accord, et donc sans attendre la validation de la nouvelle formule.

Cette prise de décision unilatérale est inadmissible dès lors que nous vous avions expressément demandé d'attendre que nous nous soyons mis d'accord sur la nouvelle formule avant de finaliser le montage des cinq émissions restantes.

Le fait d'ignorer délibérément nos directives et de fixer au planning de la post-production la finalisation de ces programmes, sans attendre notre retour et notre éventuelle approbation, caractérise un acte d'insubordination.

Cet acte est d'autant plus préjudiciable à l'entreprise que les émissions que vous avez montées ne correspondent pas à nos attentes, ni à la nouvelle formule que nous souhaitons développer.

Pire, nous avons consécutivement découvert que certaines de ces émissions avaient d'ores et déjà été adressées à notre diffuseur, à savoir la société Carson Prod NRJ 12, et ce sans que vous estimiez nécessaire de nous faire valider le montage retenu par vos soins.

Outre le fait que votre attitude témoigne d'une parfaite indifférence tant à notre point de vue de producteur, qu'aux enjeux liés à la refonte de notre magazine en termes tant artistiques que d'audimat, il participe d'une situation de malaise vis-à-vis de notre diffuseur à qui vous avez fait adresser des émissions que nous allons devoir remonter.

D'un point de vue financier, votre comportement a pour conséquence directe d'augmenter les frais de fabrication des magazines, étant précisé que nous allons devons revoir remonter les 5 émissions en tenant compte de la formule qui sera finalement retenue, ce qui constitue un surcoût non négligeable eu égard l'économie -déjà fragile- du programme.

Enfin, votre refus de tenir compte de nos attentes a suscité la défiance certaine de notre coproducteur délégué, « Ne Zappez Pas ! Production », qui s'interroge sur l'opportunité de continuer à collaborer avec Carson Prod.

Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien, même temporaire, dans l'entreprise (...)'.

M. [H] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs qu'il n'a commis aucune insubordination. Il demande la condamnation de la société Carson Prod à lui payer des indemnités de rupture et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Carson Prod soutient que l'insubordination reprochée à M. [H] est établie et que son licenciement est ainsi fondé sur une faute grave. Elle conclut donc au débouté des demandes subséquentes.

Il résulte des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et que si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

Les griefs doivent être suffisamment précis, objectifs et matériellement vérifiables.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate.

L'employeur qui fonde le licenciement sur une faute grave commise par le salarié doit en justifier.

En l'espèce, les échanges de courriels entre M. [H], la société Carson Prod, la société Ne Zappez Pas Productions (représentée par M. [W]) versés aux débats, qui sont imprécis et confus, ne font pas ressortir que la décision de procéder au montage de cinq émissions mises à l'arrêt depuis le mois d'avril a été prise par M. [H] de son propre chef et sans l'accord de sa hiérarchie. Par ailleurs, M. [H] verse aux débats, sans être démenti, diverses pièces et contrats d'embauche d'intermittents monteurs par la société Carson Prod démontrant que sa hiérarchie a validé préalablement aux reproches qui lui ont été faits la mise en montage des émissions en litige. Aucun volonté de passer outre les directives de l'employeur n'est donc établie. L'insubordination reprochée à M. [H] n'est ainsi pas constituée.

Il s'ensuit que le licenciement de M. [H] est dépourvu de cause réelle et sérieuse contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

En conséquence, il y a lieu tout d'abord de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il alloue à M. [H] les somme suivantes :

- 13'000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 300 euros au titre des congés payés afférents,

- 12'455 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, étant précisé que contrairement à ce que soutient la société Carson Prod, l'ancienneté de M. [H] remonte au 23 décembre 2013 eu égard à la requalification en contrat à durée indéterminée à compter de cette date ainsi qu'il a été dit ci-dessus.

Ensuite, M. [H] est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant compris entre trois et huit mois de salaire brut eu égard à son ancienneté de sept années complètes au moment de la rupture. Eu égard à son âge (né en 1973), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement, il y a lieu d'allouer à M. [H] une somme de 40 000 euros à ce titre. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur les dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement :

En l'espèce, les premiers juges n'ont pas expliqué en quoi la société Carson Prod aurait manqué à ses obligations dans le cadre de la mise en 'uvre de la procédure de licenciement. En outre, M. [H] ne soulève aucun moyen sur ce point dans ses conclusions d'appel.

Aucun manquement de la société Carson Prod n'est donc établi.

Par ailleurs et en toutes hypothèses, ces dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ne peuvent se cumuler avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée ci-dessus.

Il convient alors de débouter M. [H] de sa demande d'indemnité à ce titre. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur les dommages-intérêts pour 'préjudice économique-perte de chance' :

En l'espèce, M. [H], qui invoque à ce titre une perte de revenus d'un montant de 80'000 euros depuis la rupture, ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui réparé par l'allocation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande.

Sur les dommages-intérêts pour 'préjudice moral et exécution déloyale du contrat de travail' :

En l'espèce, les attestations versées aux débats par M. [H] ne font pas ressortir que la notification de sa convocation à entretien préalable à la rupture et de la mise à pied conservatoire a été réalisée dans des conditions brutales et vexatoires.

De plus et en tout état de cause, le certificat médical versé aux débats ne fait ressortir aucun lien de causalité entre les manquements allégués et la dégradation de son état de santé qu'il invoque au titre du préjudice.

Il y a donc lieu de débouter M. [H] de cette demande indemnitaire. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur la remise de documents sociaux sous astreinte :

Eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à la société Carson Prod de remettre à M. [H] un bulletin de salaire récapitulatif, un solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation pour France travail conformes au présent arrêt.

En revanche, une astreinte à ce titre n'étant pas nécessaire, il y a lieu de débouter M. [H] de cette demande.

Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points.

Sur le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur :

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner d'office le remboursement par la société Carson Prod aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [H] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur la demande de dommages-intérêts formée par l'employeur à l'encontre du salarié :

En l'espèce, la société Carson Prod n'établit pas que le préjudice allégué résulte de l'insubordination reprochée à M. [H] dans le cadre du licenciement, ce manquement n'étant pas établi ainsi qu'il a été dit ci-dessus. De plus et en toutes hypothèses, la société intimée n'allègue aucune intention de nuire du salarié dans le manquement invoqué.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, étant précisé que le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur les dépens.

En outre, la société Carson Prod, qui succombe majoritairement en appel, sera condamnée à payer à M. [H] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue la requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée, l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, l'indemnité légale de licenciement, le rappel de salaire pour les périodes interstitielles et les congés payés afférents, les dommages-intérêts pour 'préjudice économique-perte de chance', la demande de dommages-intérêts formée par la société Carson Prod à l'encontre de M. [H], l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [G] [H] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Carson Prod à payer à M. [G] [H] les sommes suivantes :

- 6 500 euros à titre d'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée,

- 40'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,

Déboute M. [G] [H] de sa demande d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et 'inexécution déloyale du contrat de travail',

Ordonne à la société Carson Prod de remettre à M. [G] [H] un bulletin de salaire récapitulatif, un solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation pour France travail conformes au présent arrêt,

Ordonne le remboursement par la société Carson Prod, aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [G] [H] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Carson Prod aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Nouha ISSA, faisant fonction de Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 22/03027
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.03027 ?
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