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23/05/2024 | FRANCE | N°23/06582

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 23 mai 2024, 23/06582


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 78F



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 23 MAI 2024



N° RG 23/06582 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WC3S



AFFAIRE :



Société ACCIONA ESCO







C/

[W] [L]

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 17 Juillet 2023 par le Président du TC de NANTERRE

N° RG : 2023R00633



Expéditions exécutoires

E

xpéditions

Copies

délivrées le : 23.05.2024

à :



Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES,





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT TROIS MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 78F

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 MAI 2024

N° RG 23/06582 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WC3S

AFFAIRE :

Société ACCIONA ESCO

C/

[W] [L]

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 17 Juillet 2023 par le Président du TC de NANTERRE

N° RG : 2023R00633

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 23.05.2024

à :

Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société ACCIONA ESCO SL

société de droit espagnol, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1] ESPAGNE

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2372007

Ayant pour avocat plaidant Me Jacques BOUYSSOU et Me Marie-Hélène BARTOLI VALLET

APPELANTE

****************

Monsieur [W] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Madame [P] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

S.A.S. ALTERBRIDGE

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20230328

Ayant pour avocat plaidant Me Marine LALLEMAND et Joy ARAMAN

INTIMES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Avril 2024, Monsieur Thomas VASSEUR, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

M. [L] et Mme [T] étaient les associés de l'entreprise Eqinov, qu'ils ont fondée en 2011 et qui intervenait notamment dans le domaine des certificats d'économie d'énergie et plus généralement de l'activité de prestation de conseil en matière d'efficacité énergétique. Ils étaient propriétaires de près des trois quarts des titres, directement pour environ 10 % s'agissant de chacun d'eux et indirectement par le truchement de leur société Alterbridge qui détenait elle-même la moitié des titres de cette entreprise.

À la suite d'un appel d'offre intervenu au cours de l'année 2020, la société Acciona Esco S.L. (ci-après la société Acciona) a acquis, par un contrat du 18 octobre 2021, 85 % du capital de la société Eqinov pour un prix fixe de 76,5 millions d'euros payé à la réalisation de l'opération, avec une possibilité pour les fondateurs de percevoir des compléments de prix en 2024 et 2027 en considération des résultats financiers de la société à ces dates. Dans ce cadre, Mme [T] et M. [L] ont cédé l'intégralité des actions qu'ils détenaient directement ainsi que la plus grande part de celles qu'ils détenaient par le truchement de la société Alterbridge. Les autres actionnaires de la société ont eux-mêmes cédé l'ensemble de leurs participations à la société Acciona Escol. À la suite de ce contrat de cession, il était prévu que M. [L] et Mme [T] demeurent tous deux directeurs généraux de la société Eqinov, assistant ainsi un président désigné par la société Acciona.

Au 1er février 2022, les parties sont convenues d'acter la levée des conditions suspensives et la réalisation de la cession pour le prix prévu de 76,5 millions d'euros. À ce titre, Mme [T] a perçu une somme de 9.010.057 euros, M. [L] une somme de 9.414.626 euros et la société Alterbridge une somme de 31.545.346 euros.

Quelque cinq mois plus tard, au mois de juillet 2022, M. [L] et Mme [T] ont quitté la société Eqinov, en raison de ce qu'ils considèrent être une résiliation de fait de leurs contrats de mandataires sociaux, alors que la société Acciona considère quant à elle qu'il s'agit d'une démission de leur part.

Au mois d'octobre suivant, la société Acciona a indiqué vouloir exercer son option d'achat sur les actions de la société Eqinov, représentant les 15 % de titres qu'elle n'avait pas encore acquis et qui restaient entre les mains de la société Alterbridge, toujours intégralement détenue quant à elle par M. [L] et Mme [T].

Les parties ne s'étant pas mises d'accord sur la valorisation de ces titres et sur l'effectivité de la réalisation de la vente, que M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge considèrent comme étant un rachat forcé, un litige est apparu entre ces derniers d'une part et la société Acciona d'autre part, litige qui a été porté par les cédants devant le tribunal de commerce de Paris. Réciproquement, la société Acciona, estimant que M. [L] et Mme [T] lui avaient masqué la situation réelle de la société Eqinov, les a également fait assigner, ainsi que la société Alterbridge devant ce même tribunal de commerce.

Le 23 mars 2023, la société Acciona a soumis trois requêtes au président du tribunal de commerce de Nanterre afin d'être autorisée à faire pratiquer des saisies conservatoires sur les comptes bancaires de Mme [T], de M. [L] et de la société Alterbridge, pour les montants correspondant aux sommes qu'ils avaient respectivement perçues le 1er février 2022.

Le président du tribunal de commerce de Nanterre a partiellement fait droit à cette demande, à hauteur de 15 %, et a ainsi, par trois ordonnances du 11 avril 2023, autorisé la société Acciona à saisir à titre conservatoire le solde des comptes bancaires de Mme [T], de M. [L] et de la société Alterbridge pour les montants respectifs de 1.351.508,69 euros, 1.412.194 euros et 4.731.801,91 euros.

La société Acciona a fait procéder aux saisies conservatoires correspondantes le 27 avril 2023 et ces saisies ont été dénoncées à Mme [T], M. [L] et la société Alterbridge le 4 mai suivant.

Le 1er juin 2023, Mme [T], M. [L] et la société Alterbridge ont sollicité l'autorisation de pouvoir faire assigner en référé d'heure à heure la société Acciona en vue de la mainlevée des saisies conservatoires, autorisation qui leur a été donnée par trois ordonnances du 8 juin 2023.

Par trois actes du 14 juin 2023, M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge ont fait assigner la société Acciona devant le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre afin que soit ordonnée la rétractation de chacune des ordonnances autorisant les saisies conservatoires et la mainlevée desdites saisies.

Par ordonnance du 17 juillet 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre, accueillant chacune de ces demandes, a :

joint pour une bonne administration de la justice chacune des trois instances ;

rétracté chacune des trois ordonnances portant saisie conservatoire à l'encontre respectivement de M. [L], Mme [T] et de la société Alterbridge ;

ordonné la mainlevée des saisies pratiquées le 27 avril 2023 dans les livres des établissements des banques Boursorama et BNP Paribas ;

condamné la société Acciona à payer à M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge, pour chacun d'eux, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Acciona aux dépens.

Par déclaration du 21 septembre 2023, la société Acciona a interjeté appel de l'ordonnance en intimant M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge, en visant l'ensemble des chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions, n° 3, remises par RPVA le 27 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus complet des moyens qui y figurent, la société Acciona demande à la cour de :

« Déclarer la société demanderesse recevable et bien-fondée en son appel ;

Y faisant droit :

A titre liminaire : rejeter des débats la pièce adverse intitulée « Rapport réalisé par le cabinet Ernst & Young du 18 mars 2024 » numérotée 96 ;

Sur le fond :

- Infirmer l'ordonnance rendue le 17 juillet 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre en ce qu'elle a :

- Rétracté les ordonnances du président du Tribunal de commerce de Versailles du 11 avril 2023 (n° 2023O07004, 2023O07005, 2023O07006) portant saisie conservatoire à l'encontre respectivement de Monsieur [W] [L], de Madame [P] [T] et de la SAS Alterbridge ;

- Ordonné la mainlevée des saisies pratiquées par l'étude Leroi & associés, commissaire de justice, le 27 avril 2023, dans les livres des établissements des banques Boursorama et BNP Paribas (Monsieur [W] [L]), et dans les livres des établissements de la banque BNP Paribas (Madame [T] et la société Alterbridge) ;

- Condamné la société Acciona Esco S.L. à payer à chacun de M. [W] [L], de Madame [P] [T] et de la SAS Alterbridge la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné la société Acciona Esco S.L. aux dépens ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- Liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 74,64 euros, dont TVA. 12,44 euros.

Statuant à nouveau :

- juger n'y avoir lieu à rétracter les ordonnances du président du Tribunal de commerce de Versailles du 11 avril 2023 (n° 2023O07004, 2023O07005, 2023O07006) portant saisie conservatoire à l'encontre respectivement de Monsieur [W] [L], de Madame [P] [T] et de la SAS Alterbridge ;

- débouter Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et la SAS Alterbridge de l'ensemble de leur demande, en ce compris celle tendant à la rétractation desdites ordonnances, et celle tendant à la mainlevée des saisies pratiquées par l'étude Leroi & associés, commissaire de justice, le 27 avril 2023, dans les livres des établissements des banques Boursorama et BNP Paribas (Monsieur [W] [L]), et dans les livres des établissements de la banque BNP Paribas (Madame [P] [T] et la société Alterbridge)

- confirmer en toutes ses dispositions les ordonnances rendues le 11 avril 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre, autorisant la société Acciona Esco S.L. à saisir à titre conservatoire le solde des comptes bancaires :

- de Madame [P] [T], pour sûreté et conservation de la somme de 1.351.508,69 euros ;

- de Monsieur [W] [L], pour sûreté et conservation de la somme de 1.412.194 euros ; et

- de la société Alterbridge, pour sûreté et conservation de la somme de 4.731.801,91 euros.

Sur l'appel incident de Madame [P] [T], Monsieur [W] [L] et la société Alterbridge, y ajoutant :

- débouter Madame [P] [T], Monsieur [W] [L] et la société Alterbridge de leur demande de condamner Acciona Esco au paiement de la somme de 100.000 euros chacun à titre dommages et intérêts en raison du prétendu caractère abusif des saisies pratiquées par Acciona Esco ;

En tout état de cause,

- débouter Madame [P] [T], Monsieur [W] [L] et la société Alterbridge de toutes demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ;

- condamner Madame [P] [T], Monsieur [W] [L] et la société Alterbridge à verser à la société Acciona Esco S.L. la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Madame [P] [T], Monsieur [W] [L] et la société Alterbridge aux entiers dépens, y compris au titre de l'appel, dont distraction au profit de la SELARL Lx Paris-Versailles-Reims agissant par Maître Martine Dupuis, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC. »

Au soutien de son appel, la société Acciona, après avoir rappelé le contexte économique dans lequel se sont inscrites les relations contractuelles des parties, expose les raisons pour lesquelles la créance qu'elle invoque au titre de ses demandes de saisie conservatoire est fondée en son principe et celles pour lesquelles cette créance est menacée dans son recouvrement. S'agissant du moyen tenant à ce que la créance est fondée en son principe, elle indique qu'elle est titulaire d'une créance sur les intimées en restitution du prix de cession du contrôle de la société Eqinov du fait de la dissimulation par les fondateurs de la situation financière de cette dernière. Elle indique à cet égard que les fondateurs, dans le cadre de leur appel d'offres, avaient communiqué aux potentiels acquéreurs différents documents parmi lesquels les comptes 2020, montrant une évolution très positive de la société, avec une tendance haussière et un Ebitda prospectif de 6 millions d'euros pour 2021 et de 16,6 millions d'euros pour l'année suivante et que cette société avait, dans un mémorandum d'information, présenté les chiffres de ce business plan comme étant « hautement prévisibles ». Or, le 21 mars 2022, peu après la date de réalisation de la cession et le paiement du prix, les fondateurs ont présenté au comité de surveillance de la société Eqinov un budget pour 2022 qui faisait apparaître des chiffres sans rapport avec les prévisions affichées et notamment un Ebitda de 3,9 millions d'euros pour 2021, cet indicateur devenant même négatif à hauteur de 5.000 euros pour 2022. La société Acciona indique encore que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, les articles 9.5.2 et 9.5.3 du contrat de cession ne sauraient justifier un renoncement de sa part à tout recours dès lors que ces clauses visent uniquement le caractère éventuellement erroné de certaines projections intégrées dans le business plan des vendeurs, en raison de l'incertitude qui entoure tout exercice prospectif ; or, l'action qu'elle engage vise plus généralement le caractère trompeur de l'ensemble des informations transmises par les vendeurs, lesquelles ne correspondent pas à des projections prospectives, qui excluraient la garantie, mais à des chiffres réels que les vendeurs auraient dû communiquer au fur et à mesure puisqu'ils contredisaient leurs projections et manifestaient un changement drastique de la situation de la société depuis les comptes 2020. Ainsi ces articles, ne remettent pas en cause les obligations du vendeur de signaler tout changement négatif important depuis les comptes 2020 et de mettre à jour les informations communiquées jusqu'à la date du closing. Plusieurs des informations, comme le rapport d'activité commerciale en juin 2021 ou le chiffre d'affaires qu'ils évoquaient auprès de leurs équipes le 30 septembre 2021 et notamment un « atterrissage » pour 2021 de 75,3 millions d'euros au lieu des 98,7 millions d'euros qu'ils annonçaient toujours à l'acquéreur à la même époque dans leur business plan, auraient dû être communiquées à la société Acciona à l'époque. Ainsi, selon le cabinet Mazars, à la date de prise d'effet de la cession, le jour du paiement du prix, la valeur de 85 % des actions de la société Eqinov n'aurait pas dû excéder 36,4 millions d'euros au lieu des 110 millions d'euros payés. La seule communication, le 17 janvier 2022, à la société Acciona, du chiffre d'affaires de la société Eqinov, n'exonérait pas les fondateurs de leur obligation de communiquer les informations essentielles et ne répondait pas aux exigences de mise à jour spontanée des informations pertinentes à la date de la signature du contrat de cession. Dès lors, l'article 11 du contrat de cession prévoit une restitution du prix à hauteur du préjudice subi et le caractère intentionnel de la dissimulation des fondateurs justifie la condamnation in solidum de ces derniers à indemniser la société Acciona du préjudice qu'elle a subi du fait de leurs man'uvres dolosives. La société Acciona estime que son préjudice s'élève à la somme de 51,2 millions d'euros, en s'appuyant à cet égard sur l'étude du cabinet Mazars déjà évoquée.

La société Acciona indique que le rapport de la société Ernst &Young, communiqué en pièce adverse n° 96 le 18 mars 2024, doit être écarté des débats dès lors qu'il a été produit pour la première fois par les intimés à la veille de la clôture : bien que la clôture ait finalement fait l'objet d'un report jusqu'à la veille de l'audience des plaidoiries, le délai de 15 jours est insuffisant pour permettre à l'appelante d'y répondre dans le détail.

S'agissant de la condition tenant à ce que la créance serait menacée dans son recouvrement, la société Acciona indique que les actifs de M. [L] et de Mme [T] paraissent essentiellement constitués des fonds retirés de la cession du contrôle de la société Eqinov et que le simple fait qu'ils aient chacun retiré plus de 9 millions d'euros de cette cession ne suffit pas à écarter toute inquiétude quant à l'existence d'un patrimoine de nature à garantir la créance évaluée à 51,2 millions d'euros. La société Acciona évoque à cet égard la volatilité du patrimoine qui résulte de cette cession, d'autant que le capital social des deux nouvelles sociétés constituées par M. [L] et Mme [T] est composé exclusivement de l'apport de la pleine propriété de l'intégralité des actions composant le capital social de la société Alterbridge et qu'il n'existe aucune certitude quant à la qualité des investissements ainsi réalisés. S'agissant de la société Alterbridge, l'appelante indique que cette société ne dispose d'aucune activité réelle et qu'elle n'a depuis sa création en 2014 jamais généré un quelconque chiffre d'affaires, qu'elle ne dispose n'a pas de locaux commerciaux et que ses comptes sociaux déposés le 21 juillet 2022 montrent l'absence totale d'actifs, laissant planer des doutes sur sa solvabilité le jour où une décision sera rendue contre elle. La société Acciona ajoute que la déclaration de confidentialité accompagnant les comptes sociaux déposés le 27 octobre 2023 marque la volonté de rendre indisponible toute information financière et ne peut que nourrir l'inquiétude des créanciers. La société Acciona ajoute que l'attitude des fondateurs est source d'une crainte légitime quant au règlement de la dette, dès lors qu'ils ont montré leur refus à reconnaître leurs dettes.

M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge, dans leurs dernières conclusions, n° 3, remises par RPVA le 29 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus complet des moyens qui y figurent, demandent à la cour de :

« Sur l'appel principal interjeté par la société demanderesse :

- juger qu'il n'existe aucune créance paraissant fondée en son principe détenue par la société Acciona Esco à l'encontre de Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et de la société Alterbridge ;

- juger qu'il n'existe aucune menace sur le recouvrement de la créance alléguée par la société Acciona Esco à l'encontre de Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et de la société Alterbridge ;

Par conséquent,

- débouter la société demanderesse de son appel et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris sa demande, formulée par conclusions signifiées le 27 mars 2024, tendant au rejet de la pièce numérotée 96 versée aux débats par Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et la société Alterbridge ;

- confirmer l'Ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre le 17 juillet 2023 (numéro de Répertoire Général 2023R00633) en ce qu'elle a jugé que les critères prévus par l'article L. 511-1 du Code des Procédures Civiles d'Exécution n'étaient pas remplis.

- Confirmer l'Ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre le 17 juillet 2023 (numéro de Répertoire Général 2023R00633) en ce qu'elle a rétracté les Ordonnances rendues par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre le 11 avril 2023 (numéros de Répertoire Général 2023007004, 2023007005 et 2023007006) autorisant la société Acciona Esco à pratiquer des saisies conservatoires sur les comptes bancaires de Monsieur [W] [L], de Madame [P] [T] et de la société Alterbridge ;

- confirmer l'Ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre le 17 juillet 2023 (numéro de Répertoire Général 2023R00633) en ce qu'elle a ordonné la mainlevée des saisies pratiquées sur les comptes bancaires de Monsieur [W] [L], de Madame [P] [T] et de la société Alterbridge en application de ces ordonnances ;

-confirmer l'Ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre le 17 juillet 2023 (numéro de Répertoire Général 2023R00633) en ce qu'elle a condamné la société Acciona Esco à payer à chacun de Monsieur [W] [L], de Madame [P] [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Sur l'appel incident interjeté par [W], [P] et la société Alterbridge :

- déclarer recevables et bien fondés Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et la société Alterbridge en leur appel incident de l'Ordonnance rendue le 17 juillet 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre ;

- infirmer l'Ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre le 17 juillet 2023 (numéro de Répertoire Général 2023R00633) en ce qu'elle a rejeté la demande de condamnation formulée par Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et la société Alterbridge à l'encontre de la société Acicona Esco sur le fondement du caractère abusif des saisies pratiquées par cette dernière ;

- condamner la société Acciona Esco à payer à Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et la société Alterbridge la somme de 100.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de ces saisies ;

En tout état de cause :

- condamner la société Acciona Esco à régler la somme de 100.000 euros à Monsieur [W] [L], Madame [P] [T] et à la société Alterbridge sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Franck Lafon, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC. »

S'ils demandent la confirmation de l'ordonnance entreprise, les intimés exposent que la mainlevée des mesures de saisie conservatoire ne doit pas seulement intervenir en raison de l'absence de menaces qui pèsent sur le recouvrement de la créance alléguée mais également en raison de l'absence de créance paraissant fondée en son principe. S'agissant de cette dernière condition, ils indiquent que toutes les informations relatives à la situation financière de la société cédée ont été fournies à la société Acciona et régulièrement mises à jour, conformément aux termes du contrat de cession. Ils indiquent ainsi avoir communiqué, avant la date de réalisation, le montant estimatif du chiffre d'affaires pour l'année 2021, ce que la société Acciona s'est gardée de mentionner dans ses requêtes. Ils indiquent que l'article 9.5 du contrat de cession stipule que la société Acciona a conscience de « l'existence d'incertitudes inhérentes aux projections financières » fournies par les vendeurs et donc des informations comprises dans le business plan et « assumer l'entière responsabilité de faire sa propre évaluation du caractère adéquat et pertinent de ces projections, estimatifs et autres projections ». Ils indiquent que la renonciation de la société Acciona, prévue dans l'article 9.5.2, est dépourvue de toute équivoque et que l'ordonnance entreprise aurait dû tirer les conséquences de ces stipulations, cette renonciation ayant été consentie en pleine connaissance de cause. Ils indiquent que l'acquisition a été réalisée au terme d'un processus d'appel d'offres structuré, organisé par la banque Rothschild & Cie, la société Acciona ayant elle-même été conseillée par le cabinet FTI Consulting. Ils ajoutent que la société Acciona a reçu communication, au mois de mars 2021, d'une version actualisée du business plan, ce qui était de nature à lui permettre, si elle le souhaitait, de se retirer du processus, ce qu'elle n'a pas fait, émettant au contraire une offre au mois de mai 2021 sur la base d'une évaluation de la société à hauteur de 140 millions d'euros. Les intimées ajoutent que l'appelante ne caractérise pas quelles informations lui auraient été dissimulées et se contente d'affirmations évasives. S'agissant du chiffre d'affaires prévisionnel de la société au titre de l'exercice 2021, les intimés indiquent que M. [L] l'a communiqué dès qu'il en a eu connaissance, alors même que les documents sociaux et comptables de la société cédée n'étaient pas encore finalisés.

Les intimés indiquent encore que le rapport Ernst & Young qu'ils produisent valorisent la totalité des actions de la société cédée entre 74,8 millions d'euros et 92,4 millions d'euros au 28 juillet 2022, ce qui procède d'une estimation très éloignée de celle du cabinet Mazars produite par l'appelante. Ils ajoutent qu'au demeurant, la société Eqinov avait réalisé 60 % de ses objectifs commerciaux au 1er juillet 2021, avec notamment un important contrat signé, à l'initiative de M. [L], le 30 juin 2021. Les intimés considèrent ainsi que le rapport Mazars contient des prévisions de croissances qui ne sont que peu crédibles car le marché sur lequel intervient la société Eqinov est en forte croissance.

S'agissant de la condition tenant à l'existence d'une menace sur le recouvrement de la créance alléguée, les intimés exposent que l'ordonnance de première instance procède d'une juste appréciation, dès lors notamment qu'ils ont perçu des sommes importantes à l'issue de la cession litigieuse. Ils indiquent que leur simple refus, légitime, de reconnaître l'existence de la créance, qu'ils qualifient de fantaisiste, dont se prévaut la société Acciona, ne saurait caractériser une menace sur le recouvrement. Ils ajoutent que le montant de l'autorisation des saisies conservatoires, à hauteur de la somme de 7.495.594 euros, doit être comparé à celui des sommes qu'ils ont perçues, qui est de 49.970.030 euros, de sorte qu'ils ont retiré un montant excédant de plus de 41 millions d'euros le montant des saisies conservatoires que la société Acciona souhaite réaliser. Ils exposent enfin que l'allégation, par l'appelante, d'une volatilité de leur patrimoine est dépourvue de toute réalité juridique et qu'il n'est pas démontré que leur investissement dans les deux nouvelles sociétés qu'ils ont constituées leur occasionnerait un risque d'insolvabilité. S'agissant plus spécifiquement de la situation de la société Alterbridge, ils rappellent qu'elle a perçu une somme de plus de 31 millions d'euros et que ses capitaux propres s'élèvent à plus de 29 millions d'euros au 31 décembre 2022, ce qui éloigne toute menace sur le recouvrement d'une créance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande tendant au rejet du rapport de la société Ernst & Young, communiqué par les intimées le 18 mars 2024 :

En application de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

En l'espèce, le rapport de la société Ernest & Young produit par les intimés en pièce n° 96 a été communiqué le 18 mars 2024.

La clôture de la procédure, qui devait initialement intervenir le 5 mars 2024, a été reportée au 19 mars 2024, puis de nouveau, à la demande de la société Acciona au 2 avril 2024. Ainsi, l'appelante a disposé d'un peu plus de deux semaines pour examiner ce rapport et pouvoir y répliquer, de sorte qu'il ne peut être considéré qu'elle n'a pas disposé du temps suffisant pour y répondre.

Aussi convient-il de rejeter la demande de la société Acciona tendant à ce que soit écartée cette pièce.

Au demeurant, ainsi qu'il va être vu plus loin, cette pièce est sans incidence quant à la solution à apporter au présent litige.

Sur l'appel principal :

En application de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.

Ainsi, la mesure conservatoire sollicitée par la société Acciona à l'égard de chacun des intimés doit répondre à une double condition, tenant, d'une part, à ce que la créance invoquée par la société Acciona paraisse fondée en son principe et, d'autre part, à ce que la société Acciona justifie de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de chacune des créances invoquées.

Ces deux conditions étant cumulatives, le défaut de l'une d'entre elles justifie à lui seul le rejet de la demande de saisie.

En l'espèce, c'est à juste titre que le juge de première instance a relevé que la société Acciona ne justifiait pas d'une menace sur le recouvrement de chacune des trois créances invoquées par la société Acciona à l'égard de chacun des intimés.

Comme il a été pertinemment été relevé en première instance, M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge ont déjà perçu, de la première partie de la cession d'actions intervenue, des sommes de plus de 9 millions d'euros pour M. [L] et Mme [T] chacun et une somme de plus de 31 millions d'euros pour la société Alterbridge. Ces sommes sont à comparer à celles faisant l'objet de la demande de saisie conservatoire à hauteur d'appel, qui sont inférieures à 1,5 million d'euros pour M. [L] et Mme [T] et à 5 millions d'euros pour la société Alterbridge.

Contrairement à ce que soutient la société Acciona, il importe peu que le montant de la créance invoquée dépasse la somme de 50 millions d'euros au total, dès lors que le critère de comparaison qui doit être pris en compte porte sur le montant de la saisie sollicitée qui, à hauteur d'appel, est d'une bien moindre mesure que celui de la créance alléguée.

Le fait que M. [L] et Mme [T] aient fait le choix de réinvestir les sommes qu'ils ont perçues au titre de la première partie de la cession dans de nouvelles sociétés qu'ils ont créées au mois d'avril 2023 ne constitue pas en soi une menace pour le recouvrement de l'hypothétique créance invoquée par la société Acciona, étant souligné au surplus que lesdites sociétés sont immatriculées en France et qu'il n'est pas contesté que leurs patrimoines respectifs y soient également localisés. S'agissant de la société Alterbridge, il est justifié par la production de son bilan au 31 décembre 2022 qu'elle dispose à cette date de capitaux propres pour une somme supérieure à 29 millions d'euros, plus de six fois le montant de la saisie conservatoire sollicitée.

Par ailleurs, la circonstance tenant à ce que M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge contestent être débiteurs d'une quelconque somme à l'égard de la société Acciona ne constitue aucunement une menace sur le recouvrement des créances invoquées, sans quoi la condition correspondante revêtirait un caractère purement potestatif.

Ainsi, c'est à juste titre que le juge de première instance a retenu que la société Acciona ne justifie pas d'une menace sur le recouvrement des créances qu'elle allègue, à hauteur du montant des saisies qu'elle sollicite, de sorte qu'il convient de confirmer l'ordonnance entreprise, sans qu'il n'y ait lieu de statuer sur la condition tenant à l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe.

Sur la demande incidente de dommages-intérêts formée par M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge :

En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un montant maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Contrairement à ce qu'exposent les intimés, les moyens tenant à ce que M. [L] et Mme [T] auraient été évincés de la société Eqinov, à ce que la vente des participations qui étaient détenues par la société Alterbridge aurait été forcée, à ce que la publication des procès-verbaux du comité de surveillance de la société Eqinov au registre du commerce et des sociétés aurait été faite à des fins vexatoires et à ce que la demande de réduction du prix réglé s'appuierait sur une version erronée des circonstances du rachat par la société Acciona, procèdent tous de moyens de fond, qui ne sont pas relatifs aux mesures de saisie conservatoire. En outre, la demande de ces mesures de saisie conservatoire procède de l'exercice d'un droit dont il n'est pas rapporté en cause d'appel qu'il en aurait été usé dans une intention de nuire ou avec une mauvaise foi caractérisée. Il n'est par ailleurs pas invoqué que cette mesure revête un quelconque caractère dilatoire.

Aussi convient-il de débouter M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge de leurs demandes indemnitaires formées à titre reconventionnel.

Sur les mesures accessoires :

Partie succombante en cause d'appel, la société Acciona sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés par chacun des intimés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort :

Rejette la demande formée par la société Acciona tendant à ce que soit écarté le rapport de la société Ernst & Young produit aux débats par les intimés ;

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Rejette la demande indemnitaire formée par les intimés ;

Condamne la société Acciona à verser à M. [L], Mme [T] et la société Alterbridge la somme de 2.500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Acciona aux dépens et dit que l'avocat des intimés pourra recouvrer directement contre l'appelante ceux exposés en appel et dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/06582
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;23.06582 ?
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