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22/05/2024 | FRANCE | N°22/01661

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-4, 22 mai 2024, 22/01661


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-4



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 MAI 2024



N° RG 22/01661

N° Portalis DBV3-V-B7G-VGV2



AFFAIRE :



[R] [P]



C/



Société IBM FRANCE











Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 19/00826
r>

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Agnès LASKAR



Me Oriane DONTOT







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'ar...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 MAI 2024

N° RG 22/01661

N° Portalis DBV3-V-B7G-VGV2

AFFAIRE :

[R] [P]

C/

Société IBM FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 19/00826

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Agnès LASKAR

Me Oriane DONTOT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [P]

né le 30 juin 1960 à [Localité 5] (16)

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Agnès LASKAR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0710

APPELANT

****************

Société IBM FRANCE

N° SIRET : 552 118 465

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Blandine ALLIX de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0461 - Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 6 mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [P] a été engagé en qualité d'élève inspecteur, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 26 mars 1984, par la société IBM France.

Cette société a une activité de développement et de commercialisation de technologies et de l'information, d'infrastructures et de conseils en technologies de l'information, employant plus de dix salariés, et relevant de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Au dernier état de la relation, M. [P] exerçait les fonctions de « business developpment Services & Coach et Intervenant Scale Zone BU Commercial », niveau 08, et percevait une rémunération brute mensuelle de base de 4 982 euros, outre une rémunération variable.

Convoqué par lettre du 14 mars 2018 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 22 mars 2018, M. [P] a été licencié par lettre du 28 mars 2018 pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants:

« Expérimenté dans les fonctions liées à la vente. vous avez occupé les fonctions de « Business développeur » pour la gamme de services d'infrastructure d'IBM, sur un territoire intitulé « Commercial», composé principalement d'entreprises PME/PMI.

Dans l'exercice de vos fonctions, vous étiez chargé de :

o Prospecter les entreprises pour identifier les opportunités commerciales,

o Promouvoir les offres IBM et les positionner dans le contexte du prospect,

o Gérer et suivre un portefeuille d'affaires,

o Construire et remettre un dossier par opportunité validée et qualifiée ce qui permettra aux commerciaux spécialistes IBM de conclure la transaction avec le client.

Vos résultats commerciaux étaient mesurés sur le travail de prospection réalisé avec des indicateurs sur le nombre de visites clients, le nombre de clients invites et présents aux événements marketing, le nombre et le montant de dossiers qualifiés et aux signatures associées.

En dépit de votre expérience sur la gamme de services d'infrastructure, votre travail n'a pas été déterminant et n'a pas prouvé son efficacité dans les actions de commercialisation.

Depuis votre prise de territoire en 2016, votre manageur, P. [B] vous a fait remarquer que votre présence en clientèle n'avait pas été suffisante. En effet aucun point d'avancement ne lui avait été envoyé avant la fin 2016 où étonnamment, vous lui avez indiqué ne pas avoir démarre la mission. Par conséquent. vous n'aviez réalisé aucune vente et votre portefeuille d'opportunités était vide.

De plus, votre collaboration avec les ingénieurs d'affaires « Commercial » et GTS n'a pas porté ses fruits car vous étiez peu présent sur votre lieu de travail à [Localité 3] dans les locaux IBM.

C'est donc sans surprise que votre évaluation 2016 a reflété cette situation. En effet, votre travail a été placé au niveau le plus bas « peut mieux faire » sur l'échelle de notation pour deux dimensions fondamentales de votre activité à savoir « résultats professionnels » et « responsabilité vis a vis des tiers ».

Par ailleurs, IBM a continué de vous fournir tous les moyens et soutien qui vous étaient nécessaires pour parvenir à redresser la situation notamment par des formations totalisant 49 heures sur 2017.

Toujours dans l'objectif de vous aider à améliorer votre travail, votre manageur a mis en place un plan d'amélioration de performance (PIP) avec un accompagnement de sa part sur des actions ciblées. Ainsi des conseils concrets et pratiques sur les meilleures pratiques du métier de commercial vous ont été délivrés, prenant appui sur votre activité au quotidien et vos rapports d'affaires.

C'est ainsi que sur le deuxième semestre 2017, il vous a guidé dans votre travail de prospection sur trois domaines :

- Les « top accounts commercial IDF »: il s'agissait de démarcher les prospects les plus importants du territoire et, du fait de leur proximité géographique avec votre lieu de travail, d'obtenir des visites en face à face.

- Les conférences web (WEBINARS) : un travail de prospection devait être fait pour inviter et obtenir des participations à ces conférences qui permettent aux prospects participants de bénéficier de formation, de rencontres avec des spécialistes et de réponses à leurs questions.

- La pouponnière des start-up IBM (Scale Zone) qui permet des rencontres et des études approfondies sur les besoins en offres IBM dont elles auront besoin dans leur essor.

Pour autant, les progrès attendus sur votre prise d'initiatives dans les phases de prospection ainsi que votre motivation dans la conduite des dossiers sont restés très décevants. En dépit du soutien de votre manageur, aucune affaire n'a été signée et seule l'opportunité « CORIOLIS », pour un montant de 50 000 Euros a fait l'objet d'un dossier de prospection en 2017 dans l'outil de gestion des opportunités «  Sales Connect ».

Ces résultats restaient donc très insuffisants et présentaient un risque pour l'atteinte de vos objectifs annuels et plus généralement pour la conquête de nouveaux marchés.

Ce constat, une nouvelle fois, a été partagé avec vous lors de votre évaluation 2017. Votre évaluation 2017 vous plaçait cette fois au niveau le plus bas « peut mieux faire » sur l'ensemble des 5 dimensions a l'exception de la dimension « compétences ».

Cependant, vous n'avez pas pris en compte l'urgence de la situation car pour le premier trimestre 2018, vous n'avez effectué que 3 visites en clientèle et n'avez remonté que deux dossiers de prospection, VOCALCOM et DPII contrairement aux objectifs fixés.

Cette performance démontre de nouveau que malgré les relances, les alertes et le soutien de votre management, vous avez continué à ignorer les conseils pour vous permettre d'améliorer l'efficacité de votre travail et pour redresser la situation.

En conséquence des éléments qui précédent, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour insuffisance professionnelle. »,

Par lettre du 18 avril 2018, M. [P] a contesté son licenciement.

Le 26 mars 2019, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contestation de son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement du 27 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a:

. dit que le licenciement de M. [P] par la Compagnie IBM France n'est pas nul

. débouté M. [P] de la totalité de ses demandes

. débouté la Compagnie IBM France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

. condamné M. [P] aux dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 21 mai 2022, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 6 février 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [P] demande à la cour de :

. Réformer le Jugement du Conseil de Prud'hommes de Nanterre en date du 27 avril 2022

Statuant à nouveau :

. Fixer la rémunération moyenne de M. [P] à 6358,94 euros

. Condamner la Compagnie IBM France à payer à M. [P] :

. Rappel de rémunération variable 2017 et 2018 :15658,97 euros

. Congés payés sur rémunération variable :1565,89 euros

. Rappel indemnité compensatrice de préavis : 3479,67 euros

. Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 347,96 euros

. Indemnité pour licenciement nul : 200 000 euros

. à titre subsidiaire Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :120.000 euros

. Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :50.000 euros

. Indemnité de congés payés sur rémunération variable : 1.000 euros

. Dommages et intérêts pour licenciement vexatoire : 20.000 euros

. Article 700 du Code de Procédure Civile : 3.000 euros

. Avec Intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le Conseil de Prud'hommes pour les créances à caractère salarial et à compter de votre décision pour le surplus

. Ordonner la capitalisation des Intérêts

. Condamner la compagnie IBM France aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Laskar sur le fondement de l'article 699 du Code de Procédure Civile

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Compagnie IBM France demande à la cour de :

A titre principal de :

. Déclarer mal fondé l'appel de M. [P] à l'encontre du jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nanterre le 27 avril 2022 ;

. Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 27 avril 2022 en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du licenciement et en ce qu'il a débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes en le condamnant aux dépens ;

En conséquence de :

. Juger que M. [P] n'a subi aucune discrimination liée à son âge ;

. Juger que le licenciement de M. [P] pour insuffisance professionnelle repose sur une cause réelle et sérieuse ;

. Juger que le licenciement de Monsieur [P] n'est pas intervenu dans des circonstances vexatoires ;

. Juger que M. [P] n'a été victime d'aucune exécution déloyale de son contrat de travail ;

. Juger que la demande de M. [P] au titre d'un rappel de rémunération variable pour les années 2016, 2017 et 2018 est totalement infondée ainsi que la demande de congés payés y afférents ;

. Juger que la demande de fixation d'un salaire moyen est infondée ;

. Juger que la demande d'indemnité compensatrice de préavis est totalement infondée ;

. Débouter M. [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Y ajoutant, de :

. Débouter M. [P] de sa demande au titre de l'article 700 du CPC et le condamner, en revanche, à verser à IBM France une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

. Condamner M. [P] aux entiers dépens de 1 ère instance et d'appel en accordant à Maître Oriane Dontot, avocat (JRF & Associés), pour ceux la concernant, le bénéfice de l'article 699 du CPC.

A titre subsidiaire,

Si la Cour de céans devait par extraordinaire juger que le licenciement de M. [P] est nul, il lui est demandé de :

. Juger que le montant des dommages-intérêts doit être limité à 6 mois de salaire, soit 29.892 euros ;

Si la Cour de céans devait par extraordinaire juger que le licenciement de M. [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il lui est demandé de :

. Juger que le montant des dommages-intérêts doit être limité à 3 mois de salaire, soit 14.946 euros ;

Si la Cour de céans devait par extraordinaire juger que l'argumentation de M. [P] au titre de l'exécution déloyale de son contrat de travail est crédible, il lui est demandé de :

. Juger que M. [P] ne remplit pas la charge de la preuve qui lui incombe concernant la matérialité et le montant des préjudices qu'il invoque au titre l'exécution déloyale du contrat de travail et par conséquent, de débouter M. [P] de sa demande de dommages-intérêts formée à ce titre;

Si la Cour de céans devait par extraordinaire juger que l'argumentation de M. [P] au titre du caractère vexatoire de son licenciement est crédible il lui est demandé de :

. Juger que Monsieur [P] ne remplit pas la charge de la preuve qui lui incombe concernant la matérialité et le montant des préjudices qu'il invoque au titre du caractère vexatoire de son licenciement et par conséquent, débouter M. [P] de sa demande de dommages-intérêts formée à ce titre ;

Si la Cour de céans devait par extraordinaire juger que l'argumentation de M. [P] au titre de la rémunération variable pour les années 2016, 2017 et 2018 est fondée :

. Juger que M. [P] ne justifie nullement du montant de 15.658,97 euros qu'il sollicite ;

En conséquence de,

. Débouter M. [P] de sa demande de rappel de salaire et de congés payés afférents ;

. Débouter M. [P] de sa demande de rappel d'indemnité de préavis et de congés payés subséquente ;

. Débouter M. [P] de sa demande concernant la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail, d'un solde de tout compte et d'un bulletin de paie rectifiés ;

. Débouter M. [P] de sa demande de capitalisation des intérêts et plus généralement, du surplus de ses demandes ;

MOTIFS

Sur le licenciement

Le salarié expose que son licenciement est nul du fait d'une discrimination en raison de son âge, mise en lumière au sein d'IBM France au terme d'une vaste enquête en 2018, et reconnu dans le cadre de différents litiges initiés par d'autres salariés (notamment CA Versailles 07 septembre 2022, RG 20/00574, non frappé de pourvoi). Il fait valoir qu'il a eu un parcours exemplaire chez IBM, que l'employeur ne lui a jamais notifié ses objectifs pour 2016/2017, seuls ont été portés à sa connaissance ceux de 2018, juste avant sa convocation à l'entretien préalable au licenciement, et ne portant plus que sur des objectifs marketing et non plus commerciaux.

L'employeur objecte que le salarié n'a subi aucune discrimination en raison de son âge, la décision de le licencier étant fondée sur cette seule insuffisance professionnelle, laquelle est établie.

**

En application de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge.

Conformément à l'article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de la prohibition de la discrimination est nul.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Le salarié, soutenant que son licenciement est nul car fondé sur une discrimination liée à l'âge, en ce qu'il était âgé de 58 ans lors de la notification de son licenciement, ce fait laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'âge, il convient de rechercher si la décision de l'employeur de le licencier est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination liée à l'âge, tenant à l'insuffisance professionnelle invoquée dans la lettre de licenciement.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L'insuffisance professionnelle qui se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié d'exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, constitue une cause légitime de licenciement distincte de la faute. L'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal. Pour autant, l'insuffisance alléguée doit reposer sur des faits objectifs, précis et vérifiables, ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur et le salarié doit avoir bénéficié des moyens nécessaires pour accomplir sa mission.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le poste de « Business développeur », occupé par Monsieur [P] avant son licenciement, consistait notamment à :

' prospecter les entreprises pour identifier les opportunités commerciales ;

' promouvoir les offres IBM France et les positionner dans le contexte du prospect ;

' gérer et suivre un portefeuille d'affaires ;

' construire et remettre un dossier par opportunité validée et qualifiée afin de permettre aux commerciaux spécialistes d'IBM France de conclure la transaction avec le client.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié, en substance, une présence en clientèle insuffisante, l'absence de point d'avancement envoyé à son manager par le salarié avant la fin de l'année 2016, l'absence de vente réalisée et un portefeuille d'opportunités vide, une faible présence sur son lieu de travail, malgré les formations mises en place ainsi que la mise en place d'un plan d'amélioration de performance (PIP), l'absence d'affaire signée en 2017 et un seul projet de prospection Coriolis de 50 000 euros, des résultats insuffisants relevés à nouveau sur l'évaluation 2017 et la réalisation en 2018 de seulement 3 visites en clientèle et deux dossiers de prospection contrairement aux objectifs fixés.

Pour établir les griefs précités, l'employeur produit notamment :

- l'évaluation de l'année 2015 réalisée début 2016, dont il ressort qu'il a alors été obtenu une « note de 2 mais (...) n'étais pas très loin d'une note 3 », étant précisé que 1 est la meilleure note et 3 la plus mauvaise,

- l'entretien d'évaluation de 2016, daté du 23 février 2017, dans lequel son évaluateur, M. [B], directeur de la business unit (BU) commercial, a indiqué que ses « différentes missions 2016 (non reflétées dans (son) CheckPoint au 2H2016, n'ont pas généré de résultats business. ( ') Je n'ai jamais réussi à obtenir de ta part un point d'avancement malgré plusieurs relances et tu m'as confié ne pas avoir démarré la mission lors de l'un de nos points intermédiaires (') (les) objectifs de ton Q4 sont restés nuls. Ta présence rare à [Localité 3] en 2016 ne favorise pas la collaboration avec les équipes pour mener à bien ta mission. » Il est noté comme « inactif » sur l'objectif de « réaliser les budgets commerciaux H1 (...) », avec une évaluation « en dessous des attentes », sauf s'agissant des « compétences »,

- l'entretien d'évaluation de 2017, daté du 25 janvier 2018, dans lequel l'évaluateur indique que sa « contribution business a été extrêmement faible en 2017 : quasiment aucun RV client durant l'année, pas d'opportunité identifiée ou signée en 2017, que ce soit sur la mission de business development GTS ou autour des start-ups de la Scale Zone (') aurais dû organiser des webinars ce qui n'a pas été le cas malgré mes demandes, sur la Scale Zone je n'ai jamais reçu le plan d'action demandé malgré plusieurs relances (') malgré les formations suivies le business n'a pas décollé ». Il n'est plus noté comme «en cours» sur les différents objectifs, lesquels ne comportent plus l'objectif de « réaliser les budgets commerciaux H1 (...) » mais celui de « réaliser des visites clients auprès des principaux top accounts commercial IDF », pour lequel il est notamment précisé « pas de nouveau RV client depuis le 21/11. Dans un contexte d'arrêt maladie en décembre. Plan de visites territoire PO Dubois pas réalisé. Besoin d'augmenter le nombre des visites clients auprès des principaux Top accounts commercial IDF et des comptes CSP IDF (...) ». Enfin, à nouveau il a une évaluation « en dessous des attentes », sauf s'agissant des « compétences »,

- un couriel de relance du salarié du 19 octobre 2017 sur son « point d'activité à la fois sur le buz dev GTS IS et sur la Scale Zone », la cour relevant que le salarié a été absent pour maladie du 4 au 15 décembre 2017,

- un courriel de M. [B], du 9 janvier 2017 lui demandant, dans le cadre de la « mission sur commercial France pour le 4e trimestre 2016 », que le salarié a acceptée le 5 octobre 2016, de lui faire parvenir le point business demandé dans les plus brefs délais, cette demande ayant déjà été faite par courriel du 19 décembre 2016 du manager, avec un retour attendu pour le 31 décembre 2016 d'une synthèse de ses actions et résultats Q4. Sans réponse du salarié, son supérieur a relevé, dans le formulaire d'évaluation Checkpoint établi le 23 février 2017, qu'il n'a « jamais réussi à obtenir de (sa) part un point d'avancement »,

- lors d'un point organisé le 30 janvier 2018, dont le compte rendu est envoyé par courriel au salarié le même jour, M. [B] a constaté notamment qu'aucun rendez-vous client n'avait été pris par le salarié depuis le 15 janvier. Puis dans un courriel du 14 février 2018, son supérieur a indiqué que seuls 3 rendez-vous avaient été organisés par le salarié, qui n'avaient pas permis d'identifier une opportunité.

Il n'est pas contesté que le salarié a bénéficié d'une cinquantaine de formations en 2016, d'une centaine de formations en 2017 (pièces n°3 et 4 de l'employeur) et qu'il était expérimenté dans son domaine, dans lequel les évaluations indiquent qu'il possède les compétences nécessaires à l'exercice de ses fonctions.

Pour contester les griefs invoqués, le salarié fait valoir d'abord que les entretiens d'évaluation précités ne sont pas signés. Toutefois, l'absence de signature manuscrite du salarié et de l'évaluateur n'altère pas leur valeur probante, dès lors qu'il n'est pas contesté que le processus de signature des évaluations mis en place par IBM France est dématérialisé, avec un système de « liste des vérifications / signatures », le salarié produisant d'ailleurs lui-même également des entretiens d'évaluation non signés de façon manuscrite (cf. ses pièces 18 à 23) mais comportant les indications des vérifications / signatures, jusqu'à trois signatures de manager ou réviseur.

Les entretiens à compter de 2016 portent l'indication suivante « Reconnaissance ;IMPORTANT ; En cliquant sur « accord » vous confirmez avoir discuté avec votre collaborateur au sujet de son évaluation et vous signez numériquement le formulaire. Une copie du document sera envoyé dans votre dossier « Terminé » et dans le dossier « terminé » de votre collaborateur. » Il en résulte que la procédure applicable à l'évaluation annuelle n'implique la signature, électronique, que de l'évaluateur, de sorte que le salarié n'est pas fondé à soutenir que lui-même ne les a pas signés. En l'absence de contestation par le salarié du contenu de ces entretiens, leur valeur probante ne saurait être écartée.

La cour relève que si les évaluations antérieures à 2015 produites par le salarié ne soulignent pas les insuffisances de résultats par la suite relevée, et que le salarié y indique dans l'évaluation 2014 souhaiter un « passage en BAND 9 en 2015 », il n'en demeure pas moins que dans cette même évaluation, le salarié a indiqué « je signe même si je n'accepte pas cette notation. De plus me noter sur des éléments de quotas alors que je ne suis pas sur mon territoire en H2 me semble hors de propos ». Dès lors son argument selon lequel « il ressort des entretiens d'évaluation qu'il a eu un parcours exemplaire. (Pièces n° 16 à 23) » est mal fondé.

L'attestation de son ancien supérieur hiérarchique, M. [V], dont il n'est pas contesté qu'il a managé le salarié de 2012 à 2013, selon laquelle ce dernier « a été relevé de ses fonctions de team leader pour n'être qu'ingénieur commercial », ne comporte aucune date relative aux faits relatés et ne peut faire référence à l'allégation du salarié selon laquelle, après une formation à Londres de 15 jours, il a été évincé de son poste en janvier 2016, laquelle est dès lors dépourvue d'offre de preuve.

Le fait que le salarié ait postulé en 2016 sur plusieurs opportunités internes n'établit pas qu'il était alors sans missions ni « qu'il n'en a pas en 2017 et 2018 », alors qu'il ressort de l'évaluation 2016 que le salarié a confié à son évaluateur « ne pas avoir démarré la mission lors de l'un de nos points intermédiaire » , et qu'il ressort d'un courriel de M. [B] du 3 octobre 2016 (pièce n°45 du salarié) qu'il a accepté la « mission sur Commercial France pour le 4e trimestre 2016 », qu'il a indiqué lors de l'entretien préalable que « le territoire et la cible qui (lui) a été affectée était le secteur commercial » (cf compte rendu d'entretien pièce n°3 du salarié), M. [B] ajoutant, sans être contredit, que le salarié « avait ce territoire commercial Ile de France depuis 2016 », ce qu'il confirme dans sa lettre de contestation de son licenciement dans laquelle il indique « le territoire de prospection défini entreprise Telecom du segment commercial [Localité 6] ».

Le fait que le salarié n'ait plus reçu de plan de motivation à compter de 2015 ne suffit pas à l'exonérer des reproches de résultats insuffisants et non atteinte de ses objectifs mentionnés dans les évaluations, étant ici relevé que, contrairement à ce que soutient le salarié selon lequel « il aurait des objectifs marketing et non plus commerciaux », figurait en réalité bien dans ses objectifs notamment (2017) « réaliser des visites clients » et « développer le business IBM sur le segment commercial » et qui sont des objectifs commerciaux, en lien avec ses missions de « business developper ».

Il résulte de l'ensemble de ces constatations que les griefs reprochés au salarié sont établis, de sorte que son licenciement pour insuffisance professionnelle repose sur une cause réelle et sérieuse, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, par des motifs pertinents que, pour le reste, la cour adopte.

L'employeur établit donc que sa décision de licencier le salarié est justifiée par des éléments objectifs précités constitutifs d'une insuffisance professionnelle du salarié, étrangers à toute discrimination liée à son âge.

Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de nullité du licenciement.

Sur le rappel de rémunération variable 2017 et 2018

Le salarié expose qu'il n'a pas eu de « quota letter » (plan de commission sur objectifs) en 2016, 2017 et 2018, qu'il n'était donc sur aucun plan de commission alors qu'il est commercial, qu'en 2017, il n'a eu aucune commission, que la société doit lui régler l'intégralité de la rémunération variable qu'il était susceptible d'obtenir, telle qu'il en a toujours bénéficié, cette rémunération variable étant donc contractualisée, et sa structure ne pouvant être modifiée, qu'il a perçu la dernière année où il était sur plan de commission une rémunération variable de 6 959,34 euros, qu'il a vocation à percevoir une telle somme pour 2016, 2017 et 2018 au prorata jusqu'à fin mars 2018.

L'employeur objecte que le salarié n'apporte au soutien de sa demande aucun élément et invoque une jurisprudence constante, dont il ne cite curieusement aucune référence, qu'il affirme désormais qu'il bénéficiait de la qualité de commercial depuis 1984 et qu'il a, à ce titre, toujours perçu une rémunération variable, mais aucune pièce qu'il verse ne corrobore le fait qu'il aurait un droit garanti à rémunération variable, ni même qu'IBM France lui aurait effectivement toujours proposé un plan de commissionnement depuis 1984, qu'au sein d'IBM France, le collaborateur bénéficie d'une rémunération fixe contractuelle dénommée RTR prévue au contrat de travail, et IBM FRANCE peut ou non proposer au collaborateur un plan de commissionnement, soit le collaborateur est sur plan de commissionnement pour une durée déterminée car il s'est vu proposer un plan de commissionnement annuel ou semestriel qu'il a accepté, et il perçoit alors une partie fixe et une partie variable (commissions) fonction des objectifs atteints, soit il n'est pas sur plan de commissionnement parce qu'IBM France ne lui en a pas proposé ou parce qu'il a refusé le plan proposé, et il perçoit donc alors son salaire fixe contractuel (RTR), tel que c'était le cas de M. [P], dont le contrat de travail ne prévoyait qu'une rémunération fixe (RTR), ainsi que l'a d'ailleurs relevé le conseil de prud'hommes en jugeant que « le contrat de travail signé le 5 mars 1984 ne prévoyait aucune rémunération variable», et qui a accepté des plans de commissionnement, tous d'une durée semestrielle, en 2013, 2014 et 2015, et n'était pas sur plan de commissionnement à compter de l'année 2016.

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La rémunération du salarié peut être constituée en tout ou partie d'une rémunération variable. La limite est celle de la prohibition d'une rémunération inférieure au SMIC ou aux minimas conventionnels.

Une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, qu'elle ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels (Soc., 2 juill. 2002, n°00-13.111, Bull.V, n°229, Soc., 20 avril 2005, n°03-43.696).

Il ressort des explications de l'employeur ' sur ce point non contestées par le salarié ' que si un collaborateur ne se voit proposer aucun plan de commissionnement (ou « quota letter ») ou s'il le refuse, alors il perçoit alors son salaire fixe contractuel (RTR), en l'occurrence la somme de 4 982 euros bruts (cf bulletin de paie de janvier 2018), et, à l'inverse, que s'il accepte un plan de commissionnement, dans ce cas son salaire fixe est inférieur à son RTR.

En l'espèce, l'allégation du salarié selon laquelle il a été commercial pendant 34 ans et « a TOUJOURS eu » une rémunération variable est dépourvue d'offre de preuve, ses conclusions ne faisant d'ailleurs ici référence à aucune pièce. En effet, le salarié produit seulement les bulletins de paie 2011, et 2015 à 2018, et les bulletins de paie de 2016, année pendant laquelle le salarié indique avoir perçu une rémunération variable, le bulletin de mai 2016 indiquant une somme de 179,68 euros, et celui de mars 2016 une somme de 2 153,32 euros à titre de « commissions A-1 », sommes versées uniquement pour ces deux seuls mois.

Par des motifs pertinents que la cour adopte, les premier juges ont relevé que le contrat de travail du salarié ne comportait pas le paiement d'une rémunération variable, et que le plan de commissionnement dont il a bénéficié en 2015 indique que « la participation (du salarié) aux plans de motivation d'IBM est déterminée pour chaque période de plan et est dépendante des règles d'éligibilité et de de la stratégie globale d'IBM pour la période concernée » . La cour relève par ailleurs que pour l'année 2015 durant laquelle il n'est pas contesté que le salarié a bénéficié d'un plan de commissionnement (qui n'est pas produit) et donc d'une rémunération variable, son salaire fixe a été inférieur au RTR (3 837 euros au lieu de 4 883 euros).

Le salarié n'établissant pas avoir accepté un plan de commissionnement pour les années 2017 et 2018, et ne contestant pas que l'employeur n'était pas dans l'obligation de lui proposer la participation à un tel plan, il en résulte que l'employeur n'était tenu de lui verser que sa rémunération mensuelle fixe contractuelle soit la somme de 4 982 euros bruts, tel qu'il ressort des bulletins de paie du salarié pour ces deux années en question.

Il convient donc de confirmer le jugement qui a débouté le salarié de sa demande de rappel de rémunération variable au titre des années 2017 et 2018, et de fixation de sa rémunération mensuelle moyenne à la somme de 6 358,94 euros (au lieu de 5 779 euros), ainsi que d'un rappel d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les dépens d'appel sont à la charge de M. [P], partie succombante.

Il paraît équitable de laisser à la charge de l'employeur l'intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. L'employeur est débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Y ajoutant,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE M. [P] aux dépens d'appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-4
Numéro d'arrêt : 22/01661
Date de la décision : 22/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-22;22.01661 ?
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