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16/05/2024 | FRANCE | N°24/00918

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 16 mai 2024, 24/00918


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 82E



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 MAI 2024



N° RG 24/00918 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WK64

Jonction avec le n°24/919



AFFAIRE :



S.A. ENEDIS







C/

Syndicat FÉDÉRATION CFE-CGC ÉNERGIES

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 15 Décembre 2023 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERR

E

N° RG : 22/09672



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 16.05.2024

à :



Me Oriane DONTOT (x2), avocat au barreau de VERSAILLES



Me François LEGRAS, avocat au barreau de PARIS,



Me Jonathan CADOT, avocat a...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 MAI 2024

N° RG 24/00918 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WK64

Jonction avec le n°24/919

AFFAIRE :

S.A. ENEDIS

C/

Syndicat FÉDÉRATION CFE-CGC ÉNERGIES

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 15 Décembre 2023 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 22/09672

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 16.05.2024

à :

Me Oriane DONTOT (x2), avocat au barreau de VERSAILLES

Me François LEGRAS, avocat au barreau de PARIS,

Me Jonathan CADOT, avocat au barreau de PARIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. ENEDIS

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20240106

Ayant pour avocat plaidant Me Benjamin KRIEF, du barreau de Paris

APPELANTE

INTIMEE DANS LE DOSSIER 24/919

****************

FÉDÉRATION CFE-CGC ÉNERGIES

Syndicat professionnel de salariés, pris en la personne de sa secrétaire générale, Madame [F] [D], dument habilitée en application des statuts.

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentant : Me François LEGRAS de la SELEURL ARKELLO AVOCATS,

avocat au barreau de PARIS

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE EDF

Agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20240106

Ayant pour avocat plaidant Me Benjamin KRIEF, du barreau de Paris

(Appelant dans le dossier n°RG 24/919)

FÉDÉRATION CHIMIE ENERGIE CFDT (FCE-CFDT)

prise en la personne de Monsieur [M] [J] en sa qualité secrétaire général dûment mandaté

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Jonathan CADOT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R222

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Avril 2024, Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

La s.a. Electricité de France (EDF) a pour activité la production d'énergie. La s.a. Enedis a pour activité la distribution de gaz et d'électricité. L'une et l'autre sont soumises aux dispositions du décret n°46-1541 du 22 juin 1946 relatives au statut du personnel des industries électriques et gazières.

En application de ce décret, la direction de l'établissement public dont sont issues ces deux sociétés a défini, dans une instruction dite « PERS 285 » du 30 juillet 1956, les modalités de remboursement des frais de transport de ses agents, en prévoyant notamment à quelles conditions il était possible de voyager en train de première classe.

Les directions des sociétés EDF et Enedis ont décidé de ne rembourser désormais que les trajets ferroviaires effectués en seconde classe.

Par acte du 17 novembre 2022, dans une procédure enregistrée sous la référence 22/9672, la fédération CFE CGC Energies a assigné les sociétés EDF et Enedis devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour voir faire appliquer l'instruction « PERS 285 ».

Par acte du 1er décembre 2022, dans une procédure enregistrée sous la référence 22/10229, la fédération Chimie Energie CFDT a assigné les sociétés EDF et Enedis devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour voir faire appliquer l'instruction « PERS 285 ».

Par ordonnance contradictoire rendue le 15 décembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les références 22/9672 et 22/10229,

- rejeté l'exception d'incompétence présentée par les sociétés EDF et Enedis,

- mis à la charge des sociétés EDF et Enedis la somme de 1 500 euros à payer à la Fédération CFE CGC Energies en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis à la charge des sociétés EDF et Enedis la somme de 1 500 euros à payer à la Fédération Chimie Energie CFDT en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les sociétés EDF et Enedis de leur demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens,

- renvoyé l'instruction du dossier à l'audience de mise en état du 18 janvier 2024 pour présentation des conclusions en défense au fond.

Sur le dossier 24/918

Par déclaration reçue au greffe le 12 février 2024, la société Enedis a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les références 22/9672 et 22/10229.

Autorisée par ordonnance rendue le 20 février 2024, la société Enedis a fait assigner à jour fixe la société EDF, le syndicat Fédération CFE CGC Energies et le syndicat Fédération Chimie Energie CFDT pour l'audience fixée au 27 mars 2024 à 9h30.

Copie de cette assignation a été remise au greffe le 23 février 2024.

Dans ses dernières conclusions déposées le 26 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Enedis demande à la cour de :

' - infirmer l'ordonnance du juge de la mise état du tribunal judiciaire de Nanterre du 15 décembre 2023 en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

- juger le tribunal judiciaire incompétent au profit des juridictions de l'ordre administratif (Conseil d'Etat) et renvoyer en conséquence la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT à mieux se pourvoir ;

- condamner la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT à verser chacune à la société Enedis une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT aux dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- débouter la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT de l'ensemble de leurs demandes et prétentions..'

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, le syndicat Fédération Chimie Énergie CFDT demande à la cour, au visa de l'article L. 2132-3 du code du travail, de :

'- confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre le 15 décembre 2023 en toutes ses dispositions

y ajoutant

- condamner la société Enedis à verser à la Fédération Chimie Energie CFDT la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société EDF aux entiers dépens'

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, le syndicat Fédération CFE-CGC Énergies demande à la cour, au visa des articles L. 2132-3 du code du travail, L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et 700 du code de procédure civile, de :

'- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre du 15

décembre 2023 ;

et y ajoutant :

- condamner les sociétés Enedis et EDF à verser à la Fédération CFE-CGC Énergies la somme de 3 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; - condamner in solidum les sociétés Enedis et EDF aux entiers dépens d'appel.'

Sur le dossier 24/919

Par déclaration reçue au greffe le 12 février 2024, la société EDF a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les références 22/9672 et 22/10229.

Autorisée par ordonnance rendue le 20 février 2024, la société EDF a fait assigner à jour fixe la société Enedis, le syndicat Fédération CFE CGC Energies et le syndicat Fédération Chimie Energie CFDT pour l'audience fixée au 27 mars 2024 à 9h30.

Copie de cette assignation a été remise au greffe le 23 février 2024.

Dans ses dernières conclusions déposées le 26 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société EDF demande à la cour de :

'- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Nanterre du 15 décembre 2023 en ce qu'elle a :

- rejeté l'exception d'incompétence présentée par la société EDF,

- mis à la charge des sociétés EDF et Enedis la somme de 1 500 euros à payer à la Fédération CFECGC Energies d'une part et à la Fédération Chimie Energie CFDT d'autre part, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société EDF de sa demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens

- renvoyé l'instruction du dossier à l'audience de mise en état du 18 janvier 2024 pour présentation des conclusions en défense au fond.

et statuant à nouveau,

- juger le tribunal judiciaire incompétent au profit des juridictions de l'ordre administratif (conseil d'état) et renvoyer en conséquence la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération

Chimie Energie CFDT à mieux se pourvoir ;

- condamner la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT à verser

chacune à la société EDF SA une somme de 3 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT aux

dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- débouter la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT de l'ensemble de leurs demandes et prétentions.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, le syndicat Fédération Chimie Enérgie CFDT demande à la cour, au visa de l'article L. 2132-3 du code du travail, de :

'- confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de NANTERRE le 15 décembre 2023 en toutes ses dispositions

y ajoutant

- condamner la société Enedis à verser à la Fédération Chimie Energie CFDT la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Enedis aux entiers dépens'

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, le syndicat Fédération CFE-CGC Énergies demande à la cour, au visa des articles L. 2132-3 du code du travail, L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et 700 du code de procédure civile, de :

'- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre du 15

décembre 2023 ;

et y ajoutant :

- condamner les sociétés Enedis et EDF à verser à la Fédération CFE-CGC Énergies la somme de 3 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; - condamner in solidum les sociétés Enedis et EDF aux entiers dépens d'appel.'

MOTIFS DE LA DÉCISION

sur la jonction

Les deux déclarations d'appel des sociétés Enedis et EDF concernant la même ordonnance n°23/0150 rendue le 15 décembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre, il convient pour une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des dossiers 24/918 et 24/919.

sur l'exception d'incompétence

Rappelant que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris, saisi par la FNEM - FO, a reconnu la compétence du juge administratif et renvoyé les parties à mieux se pourvoir dans un litige similaire, les sociétés Enedis et EDF indiquent que les actes unilatéraux relatifs à l'organisation du service public et au statut du personnel, et notamment les actes relatifs aux remboursements de frais, sont des actes administratifs.

Elles précisent qu'en vertu d'une jurisprudence constante du Tribunal des conflits, du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, cette solution s'applique aux actes unilatéraux pris par les organes dirigeants des sociétés anonymes chargées d'une mission de service public, comme en l'espèce puisqu'elles sont les gestionnaires du réseau public de distribution d'électricité / de gaz français et que leur personnel est soumis au statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG) mis en place par le décret du 22 juin 1946.

Les sociétés Enedis et EDF soutiennent que le juge administratif est compétent pour connaître de la légalité des décisions unilatérales prises par les entreprises et régissant les conditions d'emploi et de travail des agents, puisqu'elles constituent des éléments d'application du statut et présentent, à ce titre, un caractère réglementaire.

Elles exposent qu'en l'espèce, leurs décisions internes relatives à la prise en charge des déplacements professionnels de leurs agents impacte directement le statut du personnel et n'est pas une simple décision d'organisation interne, en ce qu'elles modifient un texte d'application du statut sur la prise en charge des déplacements professionnels des agents (la PERS 285).

Elle soulignent que leur politique de rémunération et d'indemnisation de leurs agents a des conséquences directes sur le service public qu'elles gèrent dans la mesure où cette politique a un impact sur le TURPE (Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Electricité) qui est payé par chaque client et est fixé, conformément aux dispositions du code de l'énergie, pour 4 ans, par la Commission de régulation de l'énergie, et ce en fonction notamment des coûts d'exploitation supportés par Enedis en sa qualité de gestionnaire de réseaux comprenant les charges de personnel et les remboursements de frais professionnels.

Reconnaissant que les litiges individuels et collectifs peuvent ressortir de la compétence des juridictions judiciaires lorsqu'ils ne mettent pas en cause la légalité d'actes réglementaires, les appelantes affirment que tel n'est pas le cas en l'espèce car les demandes des intimés reviennent de facto à contester leurs décisions internes prise en matière de prise en charge et de défraiement des déplacements professionnels de leurs agents qui doivent être qualifiées d'actes de nature réglementaire, s'agissant de décisions de portée générale et collective.

Les sociétés Enedis et EDF soutiennent que leurs dirigeants sont bien compétents pour faire évoluer à leur périmètre des actes unilatéraux de nature réglementaire pris par les anciens dirigeants d'EDF-GDF et en déduisent que les intimées ne sont donc pas fondées à invoquer l'article L. 161-4 du code de l'énergie, qui ne vise que des mesures prises et s'appliquant au niveau de la branche entière des IEG.

Les sociétés Enedis et EDF font valoir que la formulation des demandes des syndicats n'est pas de nature à leur permettre de contourner les règles impératives de compétence et sollicitent en conséquence l'infirmation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle a rejeté leur exception d'incompétence.

La Fédération Chimie- Energie CFDT (FCE- CFDT) conclut à la compétence du juge judiciaire au regard de la nature des demandes qu'elle a formulées, dès lors qu'elle ne demande pas de statuer sur la légalité de la 'décision du Comex' mais uniquement l'application de la circulaire Pers. 285 qui a valeur réglementaire et obligatoire.

Elle réfute l'interprétation faite par la société Enedis des jurisprudences du Tribunal des conflits, du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation et souligne que l'appelante n'a pris aucune décision administrative de nature à remettre en cause la circulaire Pers. 285, indiquant qu'aucune 'décision du Comex' n'est versée aux débats et que le Comex d'EDF n'a pas le pouvoir de prendre des décisions modifiant ou abrogeant une circulaire.

Soutenant que le Tribunal des Conflits établit une distinction entre l'organisation du service public, relevant de la compétence du juge administratif et l'organisation et le fonctionnement interne du service, qui relève de la compétence du juge judiciaire, la FCE- CDFT expose qu'en l'espèce la décision prise ne concerne que les conditions de travail des salariés et n'a aucun impact sur le fonctionnement du service public de l'énergie et de l'électricité.

La Fédération CFE-CGC Energies indique à titre liminaire que, bien que se fondant sur cette décision, l'appelante ne verse aux débats aucune 'décision du Comex'.

Elle expose que le juge judiciaire est compétent pour enjoindre à la société Enedis d'appliquer les dispositions de la circulaire Pers. 285 dès lors qu'elle ne demande que d'exécuter cette circulaire sans remettre en cause sa validité ou sa légalité.

L'intimée affirme en effet que le juge judiciaire doit veiller à l'application du statut et des circulaires PERS prises pour sa mise en oeuvre dans les relations de droit privé entre les employeurs et le personnel des IEG.

Elle soutient qu'il appartient à la société Enedis de démontrer dans quelle mesure le fait de rembourser à certains salariés les trajets en 1ère classe a un impact sur l'organisation du service public de la distribution et la production d'électricité et sur les usagers de ce service public et souligne que cette preuve n'est pas rapportée, la conséquence sur le Tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité n'étant pas établie.

Elle souligne que la société Enedis ne peut modifier ou abroger, par des décisions unilatérales, les dispositions de la circulaire Pers. 285 qui ont une valeur réglementaire nationale et précise que l'article L. 161-4 du code de l'énergie prévoit la seule manière de modifier les règles issues du statut des IEG.

La Fédération CFE-CGC fait valoir que la décision prise par une société de droit privé assurant la gestion d'un service public ne revêt un caractère réglementaire et administratif que si elle remplit deux conditions cumulatives : être relative au statut du personnel du service public en cause et être relative à l'organisation du service public en tant que tel, la société Enedis devant rapporter la preuve de l'impact structurel de sa décision sur l'organisation du service public.

Elle conclut à la compétence du juge judiciaire et sollicite la confirmation de l'ordonnance querellée.

Sur ce,

Selon l'article 47, alinéas 1 à 3, de la loi n°46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, dans sa rédaction issue de la loi n 2010-1488 du 7 décembre 2010 :

" Des décrets pris sur le rapport des ministres du travail et de la production industrielle, après avis des organisations syndicales les plus représentatives des personnels, déterminent le statut du personnel en activité et du personnel retraité et pensionné des entreprises ayant fait l'objet d'un transfert.

Ce statut national, qui ne peut réduire les droits acquis des personnels en fonctions ou retraités à la date de la publication de la présente loi, mais qui peut les améliorer, se substituera de plein droit aux règles statutaires ou conventionnelles, ainsi qu'aux régimes de retraite ou de prévoyance antérieurement applicables à ces personnels.

Ce statut s'applique à tout le personnel de l'industrie électrique et gazière en situation d'activité ou d'inactivité, en particulier celui des entreprises de production, de transport, de distribution, de commercialisation et de fourniture aux clients finals d'électricité ou de gaz naturel, sous réserve qu'une convention collective nationale du secteur de l'énergie, qu'un statut national ou qu'un régime conventionnel du secteur de l'énergie ne s'applique pas au sein de l'entreprise.(...)'

Le décret n°46-1541 du 22 juin 1946 a approuvé le Statut national du personnel des industries électriques et gazières.

En vertu des dispositions de la circulaire Pers. 285 'le remboursement des frais de transport d'un agent en déplacement ou d'un agent muté est opéré, pour tout parcours effectué en chemin de fer, sur les bases suivantes :

ÉCHELLES 1 A 10

- prix du billet 2e classe pour tous déplacements, quelle que soit la distance.

Les agents obligés de voyager la nuit, pour les besoins du service, peuvent utiliser des

couchettes 2e classe, qui leur seront remboursées.

ÉCHELLES 11 A 14-15 (Maîtrise)

' prix du billet 2e classe pour les déplacements inférieurs à 400 km ;

' prix du billet 1re classe pour les déplacements supérieurs à 400 km.

Les agents obligés de voyager la nuit, pour les besoins du service, peuvent utiliser des

couchettes 2e classe qui leur seront remboursées.

ÉCHELLES 15 ET AU-DESSUS (Cadres)

- prix du billet 1re classe'.

L'article L. 2233-1 du code du travail prévoit que 'dans les entreprises publiques et les établissements publics à caractère industriel ou commercial et les établissements publics déterminés par décret assurant à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé, les conditions d'emploi et de travail ainsi que les garanties sociales peuvent être déterminées, en ce qui concerne les catégories de personnel qui ne sont pas soumises à un statut particulier, par des conventions et accords conclus conformément aux dispositions du présent titre', l'article L. 2233-2 précisant que 'dans les entreprises et établissements mentionnés à l'article L. 2233-1, des conventions ou accords d'entreprises peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut' (souligné par la cour).

Depuis les lois du 10 février 2000 et du 9 août 2004 dans la branche des industries électriques et gazières, les accords professionnels peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par les articles L. 2233-1 et L. 2233-2 du code du travail, articles auxquels renvoient les articles L. 161-1 et suivants du code de l'énergie .

Dès lors, si les litiges individuels et collectifs nés de mesures unilatérales et générales relatives aux conditions d'emploi dans les entreprises à statut ressortent à la compétence du juge judiciaire, c'est à la condition qu'ils ne mettent pas en cause la légalité du statut.

En revanche, les juridictions administratives demeurent compétentes pour apprécier la légalité des décisions d'Electricité de France relatives à l'organisation du service public et au statut du personnel de cet établissement public qui présentent un caractère réglementaire et administratif (TC 22 juin 1992 n°02718).

En conséquence, les juridictions administratives sont compétentes pour connaître de la légalité de l'ensemble des actes administratifs unilatéraux émanant des responsables d'entreprises publiques et relatifs au statut des personnels (CE 23 juillet 2012 n°347088).

En effet, en vertu des dispositions combinées de l'article L. 2233-1 susvisé et du décret du 22 juin 1946, les conditions d'emploi et de travail du personnel des industries électriques et gazières ne sont pas déterminées par des conventions et accords collectifs de travail, sous réserve des dispositions de l'article L. 2233-2 du même code, mais par un statut qui, constituant un élément de l'organisation du service public exploité par cet établissement public, a le caractère d'un règlement administratif (CE 23 janvier 2012, n°350529 et Soc., 28 juin 2023, n° 21-19.784).

En l'espèce, les sociétés Enedis et EDF ont, par décision de leurs Comex, décidé de modifier pour leurs personnels le remboursement des frais de transport de leurs salariés.

L'existence de ces décisions est démontrée par :

- une 'décision politique voyage Enedis' datée du 15 septembre 2020 qui expose les mesures suivantes : 'généraliser les billets de train en seconde classe sauf dérogation d'un membre du Comex ; réserver la carte abonnement 'liberté' aux grands voyageurs (10 voyages AR par an) ; prendre systématiquement des billets de train avec l'option 'modifiable sous conditions' pour les salariés sans cartes ; inciter les voyageurs à privilégier le train quand les trajets sont inférieurs à 3h30 (afin de réduire l'empreinte carbone).' ;

- une capture d'écran du site EDF du 31 août 2020 qui fait apparaître sous l'onglet 'nouvelles modalités de déplacement' : 'le Comex a décidé d'engager un plan d'économies pour faire face aux impacts de la crise Covid venue s'ajouter à une situation financière difficile. Les mesures suivantes sont donc mises en application : les voyages en train en France sont effectués en seconde classe (sauf dérogation du membre du Comex référent), la souscription de cartes d'abonnement SNCF est réservée aux grands voyageurs (plus de 10 A/R TGV par an), les billets réservés moins de 7 jours avant le départ doivent être réservés sans flexibilité (non échangeables, non remboursables).'.

Ces modifications, dans les deux cas, sont contraires aux dispositions de la circulaire Pers 285 susmentionnée, circulaire dont il n'est pas contesté qu'elle fait partie du statut des personnels des IEG.

En conséquence, les décisions des Comex, décisions unilatérales touchant au statut, présentent un caractère administratif et c'est à juste titre que les sociétés Enedis et EDF font valoir que seul le juge administratif est compétent pour en apprécier la légalité, étant précisé qu'à l'évidence la demande d''enjoindre [aux sociétés EDF et Enedis] à appliquer la circulaire Pers 285" telle que formée par les organisations syndicales implique implicitement mais nécessairement une appréciation corrélative de la légalité et de la valeur de la circulaire et des décisions des Comex.

L'ordonnance querellée sera donc infirmée et les fédérations syndicales seront renvoyées à mieux se pourvoir.

Sur les demandes accessoires

L'ordonnance attaquée sera également infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT ne sauraient prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doivent supporter les dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de débouter les sociétés EDF et Enedis de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Ordonne la jonction du dossier 24/919 au dossier 24/918 ;

Infirme l'ordonnance querellée,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Accueille l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés EDF et Enedis ;

Renvoie la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT à mieux se pourvoir ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Rejette les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Fédération CFE-CGC Energies et la Fédération Chimie Energie CFDT aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 24/00918
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;24.00918 ?
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