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16/05/2024 | FRANCE | N°23/06401

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 16 mai 2024, 23/06401


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 39H



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 MAI 2024



N° RG 23/06401 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WCOO



AFFAIRE :



S.A.S. WILLIS TOWERS WATSON FRANCE





C/

S.A.S. HOWDEN FRANCE









Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 05 Septembre 2023 par le Président du TC de NANTERRE

N° RG : 2023R00290



Expéditions exéc

utoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 16.05.2024

à :



Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE MAI DEUX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 MAI 2024

N° RG 23/06401 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WCOO

AFFAIRE :

S.A.S. WILLIS TOWERS WATSON FRANCE

C/

S.A.S. HOWDEN FRANCE

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 05 Septembre 2023 par le Président du TC de NANTERRE

N° RG : 2023R00290

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 16.05.2024

à :

Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. WILLIS TOWERS WATSON FRANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège.

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2371966

Ayant pour avocats plaidants Maître Diego LAMMERVILLE et Maître Vladimir MAILLOT, du barreau de Paris

APPELANTE

****************

S.A.S. HOWDEN FRANCE

société par actions simplifiée à associé unique, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité.

N° SIRET : 909 47 0 5 10

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 23338

Ayant pour avocats plaidants Maître Pascal WILHEM et Maître Emilie DUMUR, du barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Mars 2024, Madame Marina IGELMAN, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

En présence de Madame Caroline TABOUROT, conseiller en preaffectation

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Howden France, filiale du groupe britannique Howden Broking Group, a été créée en janvier 2022 afin d'implanter les activités de courtage en assurances du groupe Howden en France.

La SAS Willis Towers Watson France (la société WTW France), anciennement Gras Savoye, est une filiale du groupe américain WTW spécialiste du courtage en assurances.

Depuis octobre 2022, plusieurs directeurs de région et cadres de la société WTW France ont rejoint la société Howden France.

Soupçonnant la société Howden France de se livrer à des actes de concurrence déloyale, la société WTW France a sollicité des mesures d'instruction in futurum par requête du 18 janvier 2023.

Par ordonnance délivrée le 31 janvier 2023, le président du tribunal de commerce de Nanterre a fait droit à la requête de la société WTW France en autorisant la saisie au siège social de la société Howden France, et leur séquestre, des documents et échanges susceptibles selon elle d'établir le caractère déloyal de la stratégie entreprise par la société Howden France.

Les opérations de saisies ont été effectuées par Maître [WO] [V] [WN], commissaire de justice associé de la SCP Judicium, accompagné de Maître [SI] [LM], commissaire de justice, et de 2 experts informatiques, le 15 février 2023 au siège social de la société Howden France.

Par acte de commissaire de justice délivré le 13 mars 2023, la société Howden France a fait assigner en référé la société Willis Towers Watson France aux fins d'obtenir principalement :

- l'annulation de l'ordonnance rendue sur requête de la société Willis Towers Watson France,

- l'annulation par voie de conséquence des mesures d'instruction réalisées par le commissaire de justice le 15 février 2023 en application de l'ordonnance,

à défaut,

- la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête de la société Willis Towers Watson France,

- l'annulation par voie de conséquence des mesures d'instruction réalisées par le commissaire de justice le 15 février 2023 en application de l'ordonnance,

la restitution des documents prélevés des supports emportés par le commissaire de justice et la destruction de toute copie des documents détenue par le commissaire de justice,

- l'interdiction faite à la société Willis Towers Watson France d'utiliser, à quelque fin que ce soit et devant quelque juridiction que ce soit, le procès-verbal de constat du commissaire de justice dressé en vertu de l'ordonnance ainsi que les pièces et informations recueillies par le commissaire de justice instrumentaire,

- le maintien sous séquestre des éléments saisis par le commissaire de justice jusqu'à ce qu'une décision devenue définitive soit rendue sur le présent recours en rétractation, ou jusqu'à un accord amiable entre les parties, et subsidiairement, le renvoil'affaire à une audience ultérieure afin d'organiser la procédure de levée du séquestre et déterminer les modalités qui seront mises en 'uvre afin de lui permettre d'invoquer et de bénéficier de la protection du secret des affaires et de prévenir l'accès à des pièces autrement protégées par la loi,

- la condamnation de la société Willis Towers Watson France au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamnation de la société Willis Towers Watson France aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire rendue le 5 septembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

- rejeté la demande de nullité de l'ordonnance de requête formée par la société Howden France,

- rétracté l'ordonnance sur requête délivrée le 31 janvier 2023,

- dit que les mesures d'instruction in futurum ordonnées sont devenues caduques ;

- ordonné à la SCP Judicium [WO] [V] [WN] - [PS] [F] - [K] [U], commissaires de justice, de restituer à la société Howden France les documents prélevés des supports emportés par le commissaire de justice et la destruction de toute copie des documents détenue par le commissaire de justice, dont la totalité des deux clés usb utilisées dans le cadre de l'opération de constat contenant l'ensemble des documents prélevés et séquestrés par le commissaire de justice,

- ordonné la destruction du procès-verbal du commissaire de justice du 15 février 2023,

- condamné la société Willis Towers Watson France à payer la somme de 10 000 euros à la société Howden France en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la société Willis Towers Watson France aux dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 8 septembre 2023, la société WTW France a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de l'ordonnance de requête formée par la société Howden France et dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Willis Towers Watson France demande à la cour, au visa des articles 135, 145, 249, 456, 459, 493, 495 et suivants du code de procédure civile, L. 153-1 et suivants et R. 153-1 et suivants du Code de commerce, de :

'in limine litis, sur l'appel incident de Howden France

- juger que l'ordonnance rendue le 30 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Nanterre n'était affectée d'aucun vice de forme, les signatures électroniques apposées sur celle-ci étant conformes à l'article 456 du code de procédure civile et aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique ;

- juger que Howden France ne justifie en tout état de cause d'aucun grief au soutien de sa demande d'annulation de l'ordonnance et d'infirmation du Jugement ;

en conséquence,

- rejeter l'appel incident interjeté par Howden France aux fins de voir réformer l'ordonnance du 5 septembre 2023 en ce qu'elle a rejeté la demande de Howden France d'annulation pour vice de forme de l'ordonnance rendue le 30 janvier 2023,

- confirmer l'ordonnance du 5 septembre 2023 rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle a rejeté la demande de Howden France d'annulation pour vice de forme de l'ordonnance rendue le 30 janvier 2023.

sur la demande de Howden France de faire écarter les pièces les pièces n°64, n°65 et n°67 communiquées par la société Willis Towers Watson France

- juger que Howden France ne se prévaut d'aucun fondement légal au soutien de sa demande de faire écarter des débats les pièces n°64, 65 et 67 communiquées par Willis Towers Watson France des débats ;

- juger que les pièces n°64, 65 et 67 ont été communiquées en temps utile par Willis Towers Watson France et qu'elles ne violent pas le principe du contradictoire ;

en conséquence,

- débouter la société Howden France de sa demande de faire écarter des débats les pièces n°64, 65 et 67 produites par la société Willis Towers Watson France ;

à titre principal,

- juger que la mesure d'instruction autorisée par l'ordonnance rendue le 30 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Nanterre sur requête de la société Willis Towers Watson France était justifiée par un motif légitime ;

- juger que les mesures d'instruction ordonnées étaient suffisamment circonscrites et n'étaient pas susceptibles de porter atteinte au secret des affaires et des correspondances de Howden France, lequel est, en tout état de cause, protégé par la mesure de séquestre ordonnée ;

- juger que l'absence de débat contradictoire était justifiée compte tenu du risque établi de déperdition des preuves ;

en conséquence,

- infirmer l'ordonnance du 5 septembre 2023 rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle :

- rétracte l'ordonnance sur requête n° 2023 O 00194 délivrée le 31 janvier 2023

- dit que les mesures d'instruction in futurum ordonnées sont devenues caduques

- ordonne à la scp Judicium [WO] [V] [WN] - [PS] [F] - [K] [U], commissaires de justice, de restituer à Howden France les documents prélevés des supports emportés par le commissaire de justice et la destruction de toute copie des documents détenue par le commissaire de justice, dont la totalité des deux clés usb utilisées dans le cadre de l'opération de constat contenant l'ensemble des documents prélevés et séquestrés par le commissaire de justice

- ordonne la destruction du procès-verbal du commissaire de justice du 15 février 2023

- condamne la sas Willis Towers Watson France à payer la somme de 10 000 eurosà la sas Howden France en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamne la sas Willis Towers Watson France aux dépens de l'instance

et, statuant à nouveau :

- rejeter la demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 30 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Nanterre sur requête de la société Willis Towers Watson France ;

- débouter la société Howden France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

et, à titre principal,

- ordonner la levée pure et simple de la mesure de séquestre prévue par l'ordonnance rendue le 30 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Nanterre ;

à titre subsidiaire,

- ordonner que l'affaire soit renvoyée à une audience ultérieure afin d'organiser la procédure de levée de séquestre et les éventuelles mesures qui devraient être mises en 'uvre pour empêcher tout risque de violation du secret des affaires et des correspondances attaché aux informations saisies en exécution de l'ordonnance rendue le 30 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Nanterre ;

en tout état de cause,

- condamner la société Howden France à payer à la société Willis Towers Watson France la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Howden France aux entiers dépens.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 15 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Howden France demande à la cour, au visa des articles 14, 16, 31, 122, 145, 456 et 493 à 497 du code de procédure civile, L. 153-1 et suivants et R. 153-1 et suivants du code de commerce, de :

'il est demandé à la cour d'appel de Versailles de déclarer l'appel principal de Willis Towers

Watson France mal fondée et l'en débouter ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes,

faire droit par contre à l'appel incident de Howden France :

in limine litis,

- réformer l'ordonnance du 5 septembre 2023 rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle a rejeté la demande de Howden France d'annulation pour vice de forme de l'ordonnance rendue sur la requête n°2023O00194 de Willis Towers Watson France le 30 janvier 2023,

y faisant droit,

- annuler l'ordonnance rendue sur la requête n°2023O00194 de Willis Towers Watson France le 30 janvier 2023 ;

- annuler par voie de conséquence les mesures d'instruction réalisées par le commissaire de justice le 15 février 2023 en application de ladite ordonnance.

à défaut d'annulation de l'ordonnance rendue sur la requête n°2023O00194 de Willis Towers

Watson France le 30 janvier 2023 :

- ordonner le maintien sous séquestre des éléments saisis par le commissaire de justice jusqu'à ce qu'une décision devenue définitive soit rendue sur le présent recours en rétractation, ou jusqu'à un accord amiable entre les parties, et subsidiairement, renvoyer l'affaire à une audience ultérieure afin d'organiser la procédure de levée du séquestre et déterminer les modalités qui seront mises en 'uvre afin de lui permettre d'invoquer et de bénéficier de la protection du secret des affaires et de prévenir l'accès à des pièces autrement protégées par la loi.

subsidiairement,

- confirmer l'ordonnance du 5 septembre 2023 rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle a :

- rétracté dans l'ensemble de ses dispositions l'ordonnance rendue sur la requête n° 2023O00194 de Willis Towers Watson France par le délégué du président du tribunal de commerce de Nanterre,

- dit caduques les mesures d'instruction in futurum ordonnées,

- ordonné la restitution à Howden France de l'ensemble des éléments saisis et la destruction du procès-verbal du commissaire de justice du 15 février 2023,

- condamné Willis Towers Watson France au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

en tout état de cause,

- juger que les conditions requises par l'article 145 du code de procédure civile ne sont pas réunies et que Willis Towers Watson France n'a pas justifié de circonstances précises de nature à légitimer la suppression du débat contradictoire ;

- écarter les pièces adverses n°64, n°65 et n°67 des débats ;

- débouter Willis Towers Watson France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- faire interdiction à Willis Towers Watson France d'utiliser, à quelque fin que ce soit et devant quelque juridiction que ce soit, le procès-verbal de constat du commissaire de justice dressé en vertu de ladite ordonnance ainsi que les pièces et informations recueillies par le commissaire de justice instrumentaire ;

- condamner Willis Towers Watson France à verser à Howden France la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Willis Towers Watson France aux entiers dépens de l'instance.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La société WTW France demande à la cour de rejeter l'appel incident de la société Howden France, de confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a rejeté la demande d'annulation pour vice de forme de l'ordonnance rendue sur requête le 30 janvier 2023 et d'infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête.

La société Howden France quant à elle demande à la cour de confirmer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a fait droit à sa demande de rétracter l'ordonnance sur requête du 30 janvier 2023 et, préalablement, de l'infirmer en ce qu'elle a rejeté sa demande de nullité de ladite ordonnance.

Sur la demande de nullité de l'ordonnance sur requête du 30 janvier 2023 :

La société Howden France entend tout d'abord démontrer que l'ordonnance sur requête doit être annulée en ce qu'elle a été signée électroniquement par le juge l'ayant prononcée et le greffier, tandis que le certificat de signature n'était pas joint.

Elle se fonde sur le règlement européen n° 910/2014 du 23 juillet 2014 et l'arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce, pour faire valoir que le certificat qualifié attaché à la signature électronique, qui est le seul élément permettant de garantir l'identité des signataires de l'ordonnance, aurait dû être notifié en même temps que l'ordonnance sur requête, à défaut de quoi celle-ci est nulle.

En réponse à la communication par l'appelante d'un courriel du 14 mars 2023 émanant du greffe du tribunal de commerce de Nanterre, elle fait observer que celui-ci s'est contenté d'affirmer que le certificat serait conforme au Référentiel Général de Sécurité et au Règlement eIDAS, sans fournir ledit certificat comme l'avait pourtant sollicité le conseil de l'appelante.

Elle ajoute que selon le guide utilisateur de l'ANSSI sur la signature électronique du 1er mars 2019, c'est bien le certificat et non la signature, qui permet d'attester de l'identité du signataire.

Elle argue d'un grief en ce qu'elle n'a pas été en mesure d'identifier les personnes qui ont signé l'ordonnance sur requête, et donc de savoir si le titre sur la base duquel les mesures ont été réalisées par le commissaire de justice ont bien été autorisées, et par qui.

Elle considère que cette irrégularité qui affecte l'ordonnance sur requête doit entraîner la nullité des mesures réalisées et la destruction de l'intégralité des documents recueillis sur la base d'un titre dont la validité et le caractère exécutoire ne sont pas certains.

La société WTW France conclut à l'inverse à l'absence de vice affectant l'ordonnance du 30 janvier 2023 et à la régularité des signatures électroniques y figurant.

Elle fait valoir qu'aucun des textes applicables en la matière n'impose que les certificats remis par l'opérateur de signature électronique soient annexés aux copies des décisions transmises aux parties ; que l'intimée ne cite aucune jurisprudence qui imposerait cette transmission ; que le guide utilisateur ANSSI dont elle se prévaut est un guide descriptif, qui ne l'impose pas davantage ; que les commentaires de doctrine qu'elle cite ne sont pas opérants.

Elle ajoute qu'à supposer que ces certificats auraient dû être annexés au document dont ils authentifient la signature, aucune nullité n'est encourue dès lors que la société Howden France ne prouve aucun grief en résultant.

En réponse à l'argumentation adverse, elle indique qu'elle a sollicité du greffe la confirmation de sa position pour clore le débat ; qu'aucune irrégularité ne résulte du fait que la date de signature par le magistrat serait antérieure d'un jour à celle de la délivrance de l'ordonnance.

Sur ce,

L'article 456 du code de procédure civile dispose que :

« Le jugement peut être établi sur support papier ou électronique. Il est signé par le président et par le greffier. En cas d'empêchement du président, mention en est faite sur la minute, qui est signée par l'un des juges qui en ont délibéré.

Lorsque le jugement est établi sur support électronique, les procédés utilisés doivent en garantir l'intégrité et la conservation. Le jugement établi sur support électronique est signé au moyen d'un procédé de signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique. »

L'article 2 de l'arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce prévoit quant à lui que tout procédé utilisé pour apposer une signature électronique sur les actes mentionnés à l'article 456 du code de procédure civile met en 'uvre une signature électronique qualifiée au sens du règlement susvisé (à savoir le règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE) tandis que l'article 4 suivant indique que :

« La signature électronique peut être apposée unitairement ou au moyen d'un parapheur électronique.

Le parapheur électronique est un outil mis à disposition de chaque signataire et disposant de fonctions autorisant, au moins, le regroupement de documents à signer, la signature d'un même document par plusieurs signataires, sans en altérer l'intégrité. La signature est apposée sur chacun des documents.

Chaque signature doit pouvoir être vérifiée indépendamment des autres. »

Ainsi, dès lors que la signature électronique mise en 'uvre - comme tel est le cas en l'espèce par l'apposition au bas de l'ordonnance sur requête en date du 30 janvier 2023 de mentions faisant état de ce que la décision est « signé(e) électroniquement le 30/01/2023 » « par Mme [X] [O], juge » et par « Mme [G] [S], greffier » - repose sur un certificat qualifié, comme le sont les décisions du tribunal de commerce en vertu des textes susvisés, elle est présumée fiable, sans nécessité que ledit certificat soit joint à l'acte que la signature électronique authentifie, à charge pour celui qui conteste la validité de cette signature de rapporter la preuve des irrégularités invoquées.

Or la société Howden France déplore seulement l'absence de présentation du certificat qualifié attaché aux signatures électroniques de la décision lors de la notification de cette dernière, ce qui est inopérant. Elle ne démontre pas avoir procédé elle-même à des vérifications desdites signatures, ni a fortiori qu'elles seraient entachées d'une irrégularité, et ce alors que le greffe atteste de la régularité du processus mis en oeuvre.

Dans ces conditions, l'ordonnance querellée en date du 5 septembre 2023 sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de l'ordonnance sur requête formée par la société Howden France à ce titre.

Sur la demande d'infirmation de la rétractation :

Sur la demande de l'intimée aux fins de voir écarter des débats ses pièces n° 64, 65 et 67, la société WTW France oppose le fait que la société Howden France ne vise aucun fondement légal au soutien de cette demande, tandis que de son côté elle démontre que ces pièces ont été communiquées dans le respect du principe du contradictoire.

Elle entend ensuite démontrer qu'elle justifie d'un motif légitime à l'appui de sa requête, faisant valoir que de nombreux éléments portent à croire que la société Howden France a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice.

Elle relève qu'il est de jurisprudence constante que la démission concomitante de salariés dans un laps de temps restreint pour rejoindre un concurrent « constitue un indice suffisamment sérieux » et que la preuve d'une désorganisation n'implique pas nécessairement une perte de clientèle et de chiffre d'affaires ; qu'au cas présent, le départ quasi simultané de plusieurs de ses principaux cadres dirigeants et régionaux pour rejoindre la société Howden France, concomitamment à la création par ce groupe d'une filiale en France affichant l'ambition de se hisser au rang des plus grands courtiers français, laisse présumer l'existence de man'uvres actives de débauchage, cette démarche ayant été ouvertement revendiquée dans la presse spécialisée par son président directeur général.

Elle ajoute que le départ en l'espace de 6 mois de 4 de ses principaux directeurs de régions, de la directrice du pôle santé, de la responsable de l'équipe du pôle médical, de la directrice du commerce international ainsi que de 10 cadres de région, pour rejoindre la société Howden France, l'a fortement désorganisée compte tenu de :

- leur rôle d'encadrement des équipes locales,

- leur connaissance du tissu économique,

- leur connaissance d'informations stratégiques et confidentielles.

Elle précise que ces difficultés organisationnelles ont été aggravées puisqu'elle n'a eu d'autre choix que de dispenser ses directeurs régionaux de poursuivre leur activité pendant leur préavis afin de ne pas augmenter le risque de fuite d'informations sensibles et stratégiques.

Elle fait valoir que la clause de non-sollicitation de leurs contrats de travail n'a pas empêché [ZC] [TF] de transférer vers sa boîte mail personnelle la base Prospect Flotte automobile de la région Ouest quelques jours après sa démission.

Elle souligne que le remplacement de postes clés dans des délais aussi courts est en soi préjudiciable ; que les départs simultanés de plusieurs membres de la direction a instillé un climat délétère, ce qui a conduit son expert-comptable, dans son rapport au CSE, à alerter les représentants du personnel.

L'appelante fait ensuite des développements pour démontrer que les mesures ordonnées étaient légalement admissibles, proportionnées et précisément circonscrites aux seules informations susceptibles d'apporter des éléments de preuve de nature à lui permettre d'initier une action en concurrence déloyale, le commissaire de justice ayant eu pour mission d'accéder aux bureaux, ordinateurs et téléphones portables de [ZB] [Z], [N] [I], [P] [BG], [MI] [FR], [GM] [L], [YF] [W] et [Y] [OW] afin de collecter, à l'aide de mots clés, les documents et échanges intervenus entre le 1er février 2022 et le jour de l'exécution de la mesure, relatifs aux recrutements de ses anciens salariés et cadres de régions.

Elle précise qu'alternativement à une levée du séquestre, afin de préserver le secret des affaires et le secret des correspondances entre avocats, elle demande, à titre subsidiaire, que l'affaire soit renvoyée à une audience ultérieure afin d'organiser la procédure de levée de séquestre dans les termes des articles R. 153-1 et suivants du code de commerce.

Elle conclut en dernier lieu sur la démonstration des circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire.

Elle argue ainsi de la volonté de ménager un « effet de surprise » destiné à réduire le risque de déperdition de preuves, et plus précisément des risques de suppression des correspondances électroniques et les risques de concertation entre la société Howden France et les personnes concernées par la mesure, relevant que ces craintes sont corroborées par les récentes déclarations de l'intimée relatives aux faits de débauchage illicite mis en 'uvre à l'encontre de [GM] [B] au Royaume-Uni.

Elle invoque également un risque de suppression d'éléments facilement altérables à raison de leur nature numérique ou informatique, et un risque plausible de concertation entre les personnes visées par les mesures envisagées, rappelant qu'en matière de concurrence déloyale, le niveau de motivation requis des circonstances permettant de déroger au principe du contradictoire est encore atténué.

Elle rétorque que l'argument de l'intimée selon lequel les contrats de travail ne peuvent être aisément supprimés ou falsifiés est inopérant au regard des impératifs de bonne administration de la justice et de préservation d'un effet de surprise, alors qu'il ne lui était pas possible d'introduire 2 actions distinctes, l'une pour obtenir les contrats de travail et l'autre les communications électroniques.

La société Howden France sollicite quant à elle la confirmation de l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a retenu l'absence de nécessité de déroger au contradictoire en ces termes :

« « WTW France s'est limitée, dans sa motivation de la nécessité de déroger au contradictoire, à une présentation générique, sans justifier le risque de déperdition des preuves. Cette présentation théorique ne s'appuie sur aucun élément concret et factuel, ni a minima sur un faisceau d'indices qui pourraient justifier le recours à une procédure non contradictoire ».

Elle demande que soient écartées des débats les pièces n° 64, 65 et 67 communiquées par l'appelante (qui concernent de récentes déclarations relatives aux faits de débauchage illicite mis en 'uvre à l'encontre de [GM] [B] au Royaume-Uni), en ce qu'elles sont postérieures à l'ordonnance critiquée, et répond qu'elle fonde cette demande sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et le respect du contradictoire.

Elle soutient ensuite que ne justifient pas en soi qu'il soit dérogé au principe du contradictoire :

- la volonté de préserver un effet de surprise, alors qu'il est nécessaire de démontrer parallèlement l'existence d'éléments concrets et propres au cas d'espèce, tandis que les présomptions alléguées par la société WTW France étaient déjà relayées par la presse spécialisée ;

- la circonstance que les preuves soient conservées sur un support informatique, tandis que les documents concernés par la saisie, et notamment les contrats de travail, ne sont pas de nature informatique ;

- l'allégation d'un risque de concertation, risque au demeurant figurant seulement dans la requête et non repris dans l'ordonnance ;

- la nature des actes de concurrence déloyale allégués, la jurisprudence n'admettant pas contrairement à ce que soutient l'appelante un allégement des justifications en la matière.

La société Howden France s'attache ensuite à démontrer l'absence de motif légitime justifiant la mesure ordonnée.

Elle entend établir l'existence d'un climat délétère au sein de la société WTW France, antérieur à son arrivée sur le marché français.

Elle soutient que le départ concomitant de plusieurs salariés pour rejoindre un concurrent ne constitue pas en lui-même un indice suffisamment sérieux, alors qu'il s'inscrit en réalité dans le cadre du libre exercice d'une concurrence saine et loyale.

Elle relate que dans le cadre du déploiement de ses activités en France, elle s'est d'abord appuyée sur des acquisitions de sociétés de courtage déjà implantées sur le territoire, puis a mis en place une politique de recrutement de talents, notamment en provenance d'entreprises du secteur, politique qu'elle qualifie de loyale et non ciblée.

Elle précise que :

- les engagements de MM. [N] [I] et [P] [BG] et Mme [Y] [OW] ne leur interdisent pas de rejoindre un courtier concurrent, mais uniquement de démarcher une clientèle ou des prospects ;

- la société WTW France ne produit aucun élément probatoire qui pourrait attester du caractère déloyal du débauchage allégué, qui ne saurait se déduire de la temporalité rapprochée des départs, et ce dès lors notamment que ces départs se justifient par une proposition d'offre attractive pour lancer l'activité de Howden en France, tandis qu'un climat délétère semblait régner au sein de la société WTW France depuis début 2022 (mauvaises performances financières, conditions salariales non compétitives, succession de projets de réorganisation infructueux).

Elle met en exergue le remplacement sans délai ni difficulté des cadres de la société WTW France partis pour Howden France, ainsi que la réduction par l'appelante des délais de préavis de ces cadres, illustrant l'absence de désorganisation.

L'intimée ajoute que sa stratégie de recrutement s'appuie sur des procédés reconnus comme loyaux par la jurisprudence, soit des sollicitations à l'initiative des salariés de la société WTW France eux-mêmes ainsi qu'une incitation à ne pas prélever et exploiter des documents de leur précédent employeur.

S'agissant de Mme [ZC] [TF], elle relève que la société WTW France a levé sa clause de non-concurrence à compter du 13 janvier 2023 ; que le fichier de prospect qu'elle a transféré est un document public et qu'il n'est pas démontré qu'elle se serait approprié ce document.

Enfin, l'intimée entend démontrer l'absence de caractère légalement admissible de la mesure sollicitée en ce que les mesures d'instruction autorisées ne sont pas proportionnées à l'objectif poursuivi, n'étant pas suffisamment circonscrites dans leur objet et s'apparentant à des mesures d'investigation générale.

Elle critique ainsi la mission qui permet au commissaire de justice :

- d'accéder sans restriction à tout lieu, même en dehors de son siège social, permettant un accès à ses serveurs informatiques, aux bureaux, postes informatiques, ordinateurs portables et messageries de [ZB] [Z], [N] [I], [P] [BG], [MI] [FR], [GM] [L], [YF] [W] et [Y] [OW],

- la recherche des fichiers ou des échanges à l'égard de l'ensemble des directeurs de Howden France,

- de prendre copie des contrats de travail des personnes concernées, sans limitation,

- de prendre copie de documents sans limitation d'objet ni de supports nécessaires,

- d'utiliser pour les recherches des termes très génériques, la combinaison des mots clés étant insuffisante.

Si la cour infirmait l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête du 30 janvier 2023, elle demande le maintien du séquestre jusqu'à l'expiration du délai de pourvoi en cassation, et en cas de pourvoi, jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée, ou en cas de confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête du 30 janvier 2023 et en l'absence de pourvoi à l'encontre de la décision à intervenir, à appeler cette affaire à une audience ultérieure afin que soient fixées les modalités précises de la levée du séquestre.

Sur ce,

Selon l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.

Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

La régularité de la saisine du juge des requêtes étant une condition préalable à l'examen de la recevabilité et du bien fondé de la mesure probatoire sollicitée, il convient d'abord de s'assurer que la requête ou l'ordonnance y faisant droit a justifié de manière circonstanciée qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, avant de statuer sur l'existence du motif légitime et le contenu de la mesure sollicitée.

Sur la motivation de la dérogation au principe de la contradiction

En application des articles 493 et 495 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête rendue non contradictoirement doit être motivée de façon précise, le cas échéant par l'adoption des motifs de la requête, s'agissant des circonstances qui exigent que la mesure d'instruction sollicitée ne soit pas prise contradictoirement.

Le juge de la rétractation statue donc, au besoin d'office, sur la seule motivation de la requête ou de l'ordonnance justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une simple formule de style.

L'examen de la nécessité de déroger au principe de la contradiction devant s'effectuer eu égard aux seuls éléments de motivation contenus dans la requête ou l'ordonnance sur requête, les pièces numérotées 64, 65 et 67 communiquées par la société WTW France, dont il n'est pas discuté qu'elles sont postérieures à la requête et à l'ordonnance y faisant droit, sont dépourvues de force probante à cet égard, sans nécessité toutefois de faire droit à la demande tendant à les voir écartées des débats, leur communication contradictoire n'enfreignant aucun principe de droit.

L'ordonnance rendue le 30 janvier 2023 est certes laconique dans sa motivation de la justification de la dérogation au principe du contradictoire, ne visant que la nécessité de ménager un effet de surprise, la recherche d'éléments de preuve d'agissements commis au détriment de la requérante et la nature des supports électroniques, aisément dissimulables, sans référence aux faits précis de l'espèce.

Toutefois, visant expressément la requête de la société WTW France, ainsi que les pièces produites à l'appui, il doit être retenu que cette ordonnance en adopte implicitement les motifs.

Or la requête, outre des considérations générales relatives au risque de déperdition des preuves, motive sa demande par la nécessité de prévenir un risque plausible de concertation entre les personnes visées par la mesure, s'agissant des anciens cadres dirigeants et cadres de l'appelante débauchés, donc le risque de les voir se prévenir et se coordonner afin de faire disparaître leurs échanges, correspondances ou tout document de preuve recherchés.

Il s'agit en effet d'un risque de concertation, qui par nature est « théorique » ou hypothétique, mais néanmoins avéré s'agissant d'un groupe de salariés ayant en l'espace de 6 mois quitté leur ancienne société pour être embauchés par une entreprise concurrente.

Il y est également souligné qu'en matière de concurrence déloyale, le renvoi au contexte des faits dénoncés et à la déloyauté du comportement adopté par le requis suffit à justifier le risque de dissimulation des preuves recherchées invoqué.

Par de tels motifs, la société requérante a donc suffisamment caractérisé les circonstances nécessitant de déroger au principe de la contradiction eu égard au risque de concertation et de disparition des preuves, ainsi que par rapport au contexte de déloyauté suspecté.

L'ordonnance querellée n'est donc pas justifiée en ce qu'elle a prononcé la rétractation sur ce fondement.

Sur l'existence d'un motif légitime

L'application de des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès "en germe" possible, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui.

Le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque au soutien de sa demande de mesure in futurum puisque celle-ci est destinée à les établir, l'application de ces dispositions n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.

Il lui incombe simplement de justifier d'éléments rendant crédibles les griefs allégués, étant précisé que l'existence du motif légitime s'apprécie à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête initiale et de ceux produits ultérieurement devant le juge des référés et la cour à sa suite.

Il est acquis que si l'embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente n'est pas en elle-même fautive, elle le devient lorsqu'elle intervient dans des conditions déloyales et entraîne une désorganisation de cette entreprise.

Les man'uvres déloyales peuvent résulter de la chronologie des événements, des conditions d'embauche des salariés (éléments de preuve recherchés en l'espèce) ou encore des services concernés.

Au cas présent, il n'est pas contesté que :

- M. [N] [I], qui occupait chez l'appelante, anciennement Gras Savoye, les fonctions de directeur de la région Ile-de-France Nord et Normandie et était également directeur affinitaires et marchés spécialisés ainsi que directeur commercial France des segments PME et ETI, fonctions transversales et nationales qui lui permettaient d'être en contact avec de nombreux collaborateurs de WTW France et qui avait été jusqu'en mars 2022 également membre du Comité de Direction et du Comité Exécutif de WTW France, après avoir démissionné le 27 avril 2022, a été embauché le 27 juillet 2022 à l'issue de son préavis par la société Howden France en qualité de directeur commercial et deputy general manager ;

- Mme [D] [JA], à la tête du commerce international chez WTW France, a démissionné le 15 décembre 2022 pour rejoindre Howden France ;

- M. [P] [BG], qui avait rejoint Gras Savoye en 2010 et y occupait depuis 2016 la fonction de directeur général de la région Ouest, également membre du comité de direction et du comité exécutif de WTW France en 2020, puis membre du France Leadership Team Meeting et du France Growth Team Meeting à compter de mars 2022, a démissionné de WTW France le 7 septembre 2022 pour rejoindre Howden France où il a pris la tête de la région Bretagne ' Pays de la Loire, premier centre régional mis en place par Howden France ;

- dans le sillage de M. [BG], entre le 15 novembre et le 24 novembre 2022, 5 des cadres de son équipe (Mme [E] [IE], Responsable Développement Commercial et Technique), Mme [SJ] [C] (Directeur technique), Mme [BB] [UX] (Responsable Pôle technique), Mme [ZC] [TF] (Responsable Développement Commercial et Technique) et Mme [NE] [EV], chargée de compte de la région Ouest, ont rejoint la société Howden France,

- M. [MI] [FR], qui travaillait au sein du groupe Gras Savoye depuis 1991 et y a occupé à compter de 2008 la fonction de directeur général de la région grand Sud-Ouest, tandis que jusqu'au mois de mars 2022, il siégeait aux côtés de MM. [I] et [BG] aux comités de direction et exécutif de WTW France, a démissionné le 22 septembre 2022 pour prendre la tête de la région Sud-Ouest de Howden France, deuxième centre régional mis en place par celle-ci qui recouvre les mêmes zones que la région Sud-Ouest de WTW France ;

- à la suite de M. [FR], MM. [YF] [W], [M] [R] et [RN] [JW], soit 3 directeurs de département de son équipe, ont rejoint la société Howden France,

- M. [GM] [L], après avoir rejoint Gras Savoye en 2015, et qui y occupait depuis 2021 la fonction de directeur Assurances de personnes de la Région Ile-de-France Nord Normandie a démissionné le 10 octobre 2022 de la société WTW France pour rejoindre Howden France en tant que directeur de la région Nord le 9 janvier 2023,

- dans son sillage, Mme [J] [HI], chargée de comptes, et Mme [H] [DZ], anciennes cadres de l'équipe de M. [L] ont rejoint la société Howden France,

- Mme [Y] [OW], qui avait rejoint WTW France en 2017 et y elle occupait le poste de directrice du Pôle Santé depuis 2021, a annoncé le 14 novembre 2022 sa démission pour rejoindre Howden France,

- la collaboratrice de Mme [OW], Mme [T] [Z], responsable de l'équipe indemnisation du pôle santé, a démissionné le 18 octobre 2022 de chez la société WTW France pour prendre la tête du nouveau pôle médical de Howden France sous la responsabilité de M. [I],

- M. [A] [JA], directeur du développement construction chez l'appelante depuis 2013, a démissionné en janvier 2023 pour rejoindre la ligne produit construction chez la société Howden France.

Ainsi, en l'espace de 6 mois, alors que la société Howden France venait de s'implanter sur le marché français du courtage en assurance, 4 des principaux directeurs de régions, la directrice du pôle santé, la responsable de l'équipe du pôle médical, la directrice du commerce international ainsi que 10 cadres de régions de la société WTW France ont démissionné pour être embauchés aux mêmes fonctions ou à des fonctions équivalentes par la société Howden France.

Ces constatations suffisent à caractériser l'existence d'indices rendant plausibles l'existence d'actes de concurrence déloyale, peu important à cet égard l'absence d'engagement de non-concurrence des anciens salariés, l'usage de procédés éventuellement interlopes n'étant suspecté qu'à l'encontre du nouvel employeur.

A cet égard, la discussion élevée par l'intimée sur les motifs pouvant expliquer ces départs d'une partie la plus qualifiée du personnel de la société WTW France et de cadres, invoquant notamment l'existence de conditions de travail délétères au sein de cette dernière, est prématurée au stade de mesures d'investigation destinées notamment à pouvoir établir son éventuel rôle actif dans ce débauchage, alors qu'en outre elle reconnaît avoir établi des offres d'embauche « attractives » pour pouvoir lancer son activité.

L'intimée ne conteste pas non plus les propos tenus par M. [ZB] [Z], en qualité de Président de la société Howden France et retranscrits par une journaliste dans un article du 4 novembre 2022 dans les termes suivants :

« Aujourd'hui, le groupe est inconnu des clients et du marché en France, explique [ZB] [Z], PDG de Howden France et ancien membre du Comex de WTW. Nous devons prouver que nous sommes crédibles et pertinents auprès des clients entreprises, mais aussi de nos partenaires assureurs. Nous procédons à des acquisitions de cabinets de courtage et à des recrutements de personnalités reconnues par leurs pairs, les concurrents et le marché pour combler ce besoin d'expertise. »,

pouvant laisser penser à l'existence d'une démarche pro-active de débauchages de salariés travaillant pour des concurrents, comme tel est le cas de la société WTW France.

Quant à la désorganisation de la société WTW France, son effectivité n'a pas non plus à être démontrée au stade de mesures d'instruction.

Par ailleurs, outre la désorganisation de l'entreprise victime qui s'induit du départ quasi concomitant de ses directeurs de régions et de plusieurs cadres, le fait que l'expert-comptable dans son rapport sur l'analyse des orientations stratégiques 2022 présenté à la consultation du comité social et économique de la société WTW France relève que « le développement d'Howden France, tant par le recrutement de cadre de votre entreprise, que par son développement local peut fortement pénaliser votre entreprise à l'image de l'évolution actuelle de la région Est », constitue un indice plausible d'une répercussion négative sur l'organisation de l'appelante des faits dénoncés.

Cette deuxième condition nécessaire à la caractérisation d'éléments rendant crédible l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société Howden France est donc remplie et les contestations élevées à cet égard par l'intimée sont ici aussi prématurées puisqu'elles ne permettent pas d'écarter avec certitude les indices dont justifie l'appelante, la campagne de recrutement de la société Howden France prétendument axée sur des principes loyaux, pouvant ne l'être que facialement.

Il découle dès lors de l'ensemble de ces éléments que la société WTW France rapporte la preuve d'un motif légitime fondant sa demande de mesures d'instruction non contradictoires.

Sur les mesures ordonnées

Au sens de l'article 145 du code de procédure civile, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile dès lors que celles-ci ne portent atteinte à aucune liberté fondamentale et qu'elles sont proportionnées au but recherché.

Il sera tout d'abord observé que contrairement à ce que critique l'intimée aux termes de ses conclusions, les mesures ordonnées ne permettent pas, sans restriction, de recueillir de fichiers de clients qui sont les siens qui seraient sans lien avec les faits de débauchage illicite allégués puisque les fichiers clients visés par la mission confiée au commissaire de justice le sont en tant que mots-clés exclusivement rattachés aux clients (ou prospects) de la société WTW France également.

Par ailleurs, l'intimée invoque à tort que la mesure serait illimitée dans l'espace et donnerait la possibilité au commissaire de justice d'intervenir en tout lieu relatif à Howden France, puisqu'elle prévoit au contraire que les mesures ne pourront se dérouler qu'en son siège social ainsi qu'aux domiciles de MM. [Z] et [I].

De même, il est inopérant de la part de l'intimée de prétendre que la recherche des fichiers ou des échanges à l'égard de l'ensemble des directeurs de Howden France, à savoir le directeur général, le directeur commercial, le futur directeur de la région Bretagne, le futur directeur de la région Sud-Ouest et le futur directeur de la région Nord, apparaît complètement disproportionnée au regard des indices produits par WTW France, puisqu'il a été ci-dessus jugé que l'existence d'actes plausibles de concurrence déloyale commis par la société Howden France était suffisamment démontrée.

En ce qui concerne les contrats de travail des personnes concernées, la société Howden France ne peut sérieusement prétendre que cette recherche serait insuffisamment circonscrite, se comprenant limitativement à sa seule lecture, et s'il ne s'agit pas d'éléments susceptibles de déperdition, en revanche en ce qu'elle s'inscrit dans l'ensemble des mesures sollicitées, en cohérence avec elles pour déterminer quelles ont été les modalités ayant présidé aux embauches par la société Howden France des anciens salariés de la société WTW France, elle apparaît assurément utile.

Les supports sur lesquels le commissaire est autorisé à effectuer les saisies doivent nécessairement être largement définis afin de pouvoir appréhender des preuves qui peuvent effectivement être contenues dans les téléphones portables des salariés, tandis que la période de temps visée débute opportunément au commencement du déploiement de la société Howden France de ses nouvelles activités concernant le courtage d'assurance en France.

Enfin, l'objet de la mission est également proportionné en ce que les mots-clés à partir desquels le commissaire de justice est autorisé à effectuer ses recherches et saisies, correspondant à des notions ayant toutes trait aux faits dénoncés, doivent être combinés avec les noms des salariés recrutés.

Ainsi, il sera retenu que la mission a été strictement limitée dans l'espace, le temps, les supports visés et son objet, de sorte qu'elle est proportionnée à la recherche de preuves d'agissements commis à son détriment par l'appelante.

Par voie d'infirmation de l'ordonnance du 5 septembre 2023, il sera donc dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance sur requête du 30 janvier 2023.

Sur le séquestre :

Comme le sollicite l'intimée, il convient d'ordonner le maintien du séquestre jusqu'à l'expiration des délais de recours ou le cas échéant, en cas de pourvoi en cassation, jusqu'à ce qu'une décision ayant force de chose jugée intervienne.

Dans les deux cas, le séquestre sera maintenu dans l'attente de la mise en place de la procédure de tri prévue aux articles R. 153-1 et suivants du code de commerce par la saisine de la juridiction compétente, à l'initiative de la partie la plus diligente.

Sur les demandes accessoires :

La société WTW France étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Howden France ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société WTW France la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'intimée sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Infirme l'ordonnance du 5 septembre 2023 sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de l'ordonnance sur requête,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance sur requête du 30 janvier 2023,

Ordonne le maintien du séquestre jusqu'à l'expiration des délais de recours ou le cas échéant, en cas de pourvoi en cassation, jusqu'à ce qu'une décision ayant force de chose jugée intervienne.

Dit que dans tous les cas, le séquestre sera maintenu dans l'attente de la mise en place de la procédure de tri prévue aux articles R. 153-1 et suivants du code de commerce par la saisine de la juridiction compétente, à l'initiative de la partie la plus diligente,

Dit que la société Howden France supportera les dépens de première instance et d'appel,

Condamne à la société Howden France à verser à la société Willis Towers Watson France la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/06401
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;23.06401 ?
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