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16/05/2024 | FRANCE | N°22/03170

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 16 mai 2024, 22/03170


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80K



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 16 MAI 2024



N° RG 22/03170

N° Portalis DBV3-V-B7G-VPEN



AFFAIRE :



[R] [T]



C/

Me SELARL [P] - Mandataire de S.A. GRIFFINE ENDUCTION





...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de PONTOISE

N° Section :

E

N° RG : 21/00360



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SCP EVODROIT



la SELARL SOLUCIAL AVOCATS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT Q...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80K

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 16 MAI 2024

N° RG 22/03170

N° Portalis DBV3-V-B7G-VPEN

AFFAIRE :

[R] [T]

C/

Me SELARL [P] - Mandataire de S.A. GRIFFINE ENDUCTION

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Septembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de PONTOISE

N° Section : E

N° RG : 21/00360

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SCP EVODROIT

la SELARL SOLUCIAL AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [R] [T]

née le 21 Août 1960 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Carole DUTHEUIL de la SCP EVODROIT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 13

APPELANTE

****************

SELARL [P], prise en la personne de Me [W] [P], ès qualité de liquidateur judiciaire de la S.A. GRIFFINE ENDUCTION

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Caroline BARBE de la SELARL SOLUCIAL AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0244 - Substitué par Me Olivia BULCKE, avocat au barreau de LILLE

AGS CGEA DE [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 5]/FRANCE

Non représentée

INTIMES

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée, Mme [R] [T] a été engagée à compter du 1er septembre 1997 par la société Griffine enduction en qualité de chef de marché ameublement, statut cadre. Elle occupait en dernier lieu les fonctions de responsable des achats matières premières, statut cadre.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des industries chimiques.

Après consultation du comité social et économique sur un projet de licenciement collectif pour motif économique concernant huit salariés, la société Griffine enduction a, par lettre du 10 septembre 2020, convoqué la salariée à un entretien préalable à licenciement pour motif économique fixé au 10 septembre 2020, puis, par lettre du 2 octobre 2020, elle a été licenciée pour motif économique. Son contrat de travail a pris fin le 5 janvier 2021.

Par requête reçue au greffe le 24 juin 2021, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise afin, notamment, de contester son licenciement.

Par jugement du 8 septembre 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes a :

- jugé que le licenciement pour motif économique de Mme [T] est fondé,

- débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la Sasu Griffine enduction de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de Mme [T].

Par déclaration au greffe du 19 octobre 2022, Mme [T] a interjeté appel de cette décision.

Par jugement du 13 mars 2023, le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Griffine enduction et désigné en qualité d'administrateur judiciaire la SELARL FHB, mission conduite par Me [L] [O] et Me [G] [Y], et en tant que mandataire judiciaire, la SELARL [P], mission conduite par Me [W] [C] [P].

Le 8 juin 2023, ce même tribunal a :

- prononcé la liquidation judiciaire de la société, désigné la SELARL [P], mission conduite par Me [W] [C] [P], en qualité de mandataire liquidateur, et maintenu l'administrateur judiciaire, mission conduite par Me [L] [O] et Me [G] [Y], avec les pouvoirs à la mise en oeuvre de la cession, le licenciement des salariés non repris et la signature des actes de cession ;

- arrêté le plan de cession au profit de la société Le Gato avec faculté de substitution.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 16 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [T] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- débouter la SAS Griffine Enduction de toutes ses demandes fins et conclusions,

infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en date du 8 septembre 2022,

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- fixer sa créance au passif de la SAS Griffine Enduction, soit la somme de 110 766,39 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire,

- dire que la SAS Griffine Enduction n'a pas respecté les critères de l'ordre des licenciements,

en conséquence,

- fixer sa créance au passif de la SAS Griffine Enduction, soit la somme de 110 766,39 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- dire que les sommes susmentionnées produiront intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la SELARL [P], es qualité de mandataire liquidateur de la SAS Griffine Enduction, aux AGS, à Maître [G] [Y] et à Maître [L] [O], du cabinet FHB, es qualité d'administrateurs judiciaires chargés de la régularisation du plan de cession,

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 18 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la SELARL [P], prise en la personne de Maître [W] [P], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Griffine enduction, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- reconventionnellement, condamner Mme [T] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [T] aux entiers frais et dépens.

Par acte de commissaire de justice du 30 octobre 2023, la salariée a fait assigner en intervention forcée l'association AGS CGEA de [Localité 5], l'acte ayant été remis à une personne habilitée.

Par acte de commissaire de justice du 19 février 2024, la salariée a fait signifier ses conclusions à l'association AGS CGEA de [Localité 5], acte qui a été remis à une personne habilitée.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 20 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le bien-fondé du licenciement

En premier lieu, sur la justification économique du licenciement, dans la lettre de licenciement, le motif économique s'énonce en ces termes :

'...

L'entretien préalable ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation de la

situation de l'entreprise, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour motif

économique pour les raisons économiques suivantes.

Vous êtes salariée depuis le 1er septembre 1997, au dernier état en qualité de Responsable

Achat Matières Premières.

Griffine Enduction, filiale de Mecaseat depuis 1997, a été rachetée par le Groupe Duroc au 1er juillet 2019.

Depuis 2018, Griffine Enduction enregistre une baisse drastique de son Chiffre d'affaires et de ses résultats.

Le résultat pour la période du 1 er janvier 2019 à fin juin 2020 (année fiscale du Groupe Duroc : 1 juillet N au 30 juin N+1) est en cumulé de ' 2.419 K€.

[ suit un tableau comportant des données chiffrées repris en page 6 des conclusions d'appelant, ici non reproduit ]

...Les principales raisons de ces difficultés économiques sont notamment :

- La perte du marché Sensoriel Pu P8 à la fin de l'été 2018, laquelle a fortement impacté le résultat car c'était un produit à forte rentabilité ;

- La suspension du marché Haptica pris en Chine du fait des difficultés rencontrées et du changement de cahier des charges.

Afin de faire face à ces difficultés, depuis avril 2019, GRIFFINE a pris de nombreuses mesures destinées à maintenir l'activité et à retrouver un certain niveau de rentabilité, et notamment :

- Le développement de produits plus rentables ;

- La réduction sensible de l'activité pour LONGCHAMP et la limitation de l'activité pour RENAULT, compte tenu de la non-rentabilité de ces produits,

- Des investissements réalisés en matière d'amélioration de la productivité (au sein du département finition : four pour la ligne GR5, remise en service de la GR3 et entrée de ligne de la GR1) ;

- Ce qui a eu pour effet une augmentation de 12% du volume de marchandises produites, mais qui n'a pas été suffisante compte tenu d'une diminution de la marge ;

- Un travail important sur la gestion du flux pour optimiser les processus ;

Toutefois, ces mesures n'ont pas été de nature à permettre de retrouver un équilibre économique et financier.

C'est dans ce contexte déjà délicat que nous avons été touchés, de plein fouet, à compter de mars 2020, par la crise sanitaire qui nous a contraints à suspendre l'ensemble de nos activités sur site à compter du 17 mars 2020.

Ainsi, s'est ajoutée aux difficultés économiques préexistantes, une baisse subite et brutale de notre carnet de commandes, en partie causée par l'arrêt de la production dans le secteur automobile qui représente 60% de notre chiffre d'affaires. Les autres secteurs, qui représentent 40% du chiffre d'affaires, soit principalement les secteurs de l'ameublement et de la maroquinerie, ont également été fortement impactés du fait de la suspension des chantiers de rénovation et/ou de constructions d'établissements hôteliers et de restauration, de la fermeture de l'ensemble de ces établissements et de la fermeture de l'ensemble des enseignes de textile.

Face à cette crise sans précédent, nous avons pris des mesures significatives, et notamment :

- Recours au télétravail jusqu'à fin juin afin de maintenir les activités susceptibles d'être exercées à distance, notamment pour continuer le déploiement du futur ERP ;

- Redémarrage partiel de l'activité, dans le respect des consignes sanitaires, à compter du 11 mai 2020 ;

- Recours à l'activité partielle à compter du 17 mars 2020 et jusqu'au 31 décembre 2020, pour un volume total maximal de 150.000 heures de travail ;

- Réduction forte du recours à l'intérim en production à compter du 4 mai 2020 (-32 intérimaires) ;

- Suspension, à compter du 11 mai 2020, et jusqu'à une date non définie à ce jour, du cycle 3x8.

Ces mesures ont permis de réduire les effets de la crise et, notamment, d'adapter la production à l'activité telle qu'elle a été réduite et aux mesures sanitaires.

Toutefois, elles ne sont pas avérées suffisantes et nous sommes contraints de les compléter par des suppressions de postes afin d'endiguer les difficultés rencontrées.

Celles-ci nous contraignent, notamment, à gérer la baisse du volume des matières premières que nous traitons et de globaliser et internationaliser les achats afin de rationaliser le coût et le fonctionnement du service.

Pour l'ensemble de ces raisons, compte tenu des difficultés économiques qui touchent l'entreprise, nous sommes contraints de supprimer le poste de Responsable achat matières premières ' qui constitue une catégorie professionnelle autonome ' et de rompre votre contrat de travail pour motif économique.

3. Nous avons consulté les représentants du personnel sur ce projet les 1 er et 24 juin 2020 et le CSE a rendu son avis le 9 juillet dernier.

Par lettre recommandée du 27 juillet 2020, nous vous avons fait des offres de reclassement et adressé la liste des postes disponibles au sein de l'entreprise.

Vous n'avez pas donné suite à cette proposition.

Nous avons, en outre, interrogé l'ensemble des entreprises du groupe, la chambre syndicale de Industries Chimiques et le Groupement des Industriels de la Région Vallée de Seine.

Nous n'avons pas été en mesure d'identifier une autre solution de reclassement, interne ou externe, possible.

4. Ainsi, après réflexion, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour motif économique.

''

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail,

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché...'

En l'espèce, pour infirmation du jugement entrepris, la salariée soutient que : le motif économique n'est ni réel ni sérieux ; les pièces comptables produites par la société ne font pas apparaître pour comparaison les chiffres d'affaires trimestre par trimestre des trois premiers trimestres des exercices 2019 et 2020 ; le chiffre d'affaires du 1er trimestre 2020 n'a baissé que de 8,85% par rapport à celui du 1er trimestre de l'année 2019 ; pour la période de janvier 2019 à juin 2020 la provision pour risques et charges est supérieure au résultat d'exploitation négatif avec un effet induit défavorable sur les résultats ; les résultats présentés sont globaux et ne concernent pas nécessairement la situation contemporaine du licenciement ; la situation comptable afférente à l'année 2021 est indifférente à l'appréciation des difficultés économiques à la date de la rupture du contrat de travail ; le groupe Duroc auquel la société appartient, a présenté de très bons résultats au cours de l'exercice 2019-2020 notamment en termes d'Ebit ; son poste de responsable achats n'a pas été supprimé dès lors qu'une annonce le concernant est parue sur le site de l'APEC le 3 août 2020 ; M. [M] a été recruté pour occuper ses fonctions.

Le liquidateur fait valoir que : les difficultés économiques, ne devant pas s'apprécier au-delà du périmètre de la société Griffine enduction ni nécessairement trimestre par trimestre, résultent de la baisse des indicateurs économiques de l'année 2017 au deuxième trimestre de l'année 2020, d'une perte sur la période fiscale allant de janvier 2019 à juin 2020, de l'inflexion constante du résultat d'exploitation qui s'est aggravée sur une période de douze mois après la rupture en dépit d'une diminution des provisions pour risques et charges ; le poste de responsable achat matières premières occupé par la salariée a bien été supprimé dès lors que le poste de responsable achats groupe objet du recrutement critiqué dont la création était annoncée dans le projet de licenciement présenté au comité social et économique, s'en distinguait et avait fait l'objet d'une proposition de reclassement que la salariée a déclinée.

Il y a lieu de rappeler, d'une part, que la baisse du chiffre d'affaires doit être constatée sur un certain nombre de trimestres, variable en fonction de l'effectif de l'entreprise, par comparaison avec la même période de l'année précédente, justifié, que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période, que si les critères afférents à cet indicateur sont réunis, le licenciement fondé sur des difficultés économiques est présumé justifié, d'autre part, que si la réalité de l'indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n'est pas établie, il appartient au juge, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par ce texte, tel que des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Il ressort des éléments produits par le liquidateur, dont les pièces comptables dont la fiabilité et l'exhaustivité ne sont pas utilement contestées, que : les difficultés économiques doivent s'apprécier au niveau de la société Griffine enduction et non au niveau du groupe suédois Duroc ou en intégrant la société belge Plastibert, la salariée ne démontrant, ni même n'alléguant, aucune fraude sur ce point ; le chiffre d'affaires a baissé de 7% au cours de l'exercice 2018 par rapport à l'exercice précédent, de 9,93% au cours de l'exercice 2019 par rapport à celui de 2018, cette baisse s'accentuant au cours des deux premiers trimestres de l'année 2020 notamment par comparaison avec les deux premiers trimestres de l'exercice 2019 ; le résultat net comparé sur les mêmes périodes était en net recul au point d'être négatif sur l'exercice 2019 ; le résultat d'exploitation a décru de 60% de 2017 à 2018 puis de 157 % au cours de l'exercice suivant où il était négatif ; par la suite ces données n'ont pas connu d'infléchissement notable et comme l'indique la salariée une provision comptable étant le constat comptable d'un risque probable mais non certain qui répond au principe comptable de prudence, elle impacte nécessairement le bilan, et ce, sans révéler en soi une présentation fausse de la situation comptable suggérée par la salariée mais qui n'est corroborée par aucun élément et que les données chiffrées sur la période postérieure tendent à écarter dès lors que la réduction des provisions n'a eu aucune incidence sur le résultat d'exploitation qui a poursuivi son recul ; de même, la suppression du seul poste de responsable des achats matières premières que la salariée occupait a été consécutive aux difficultés économiques rencontrées par la société afin de permettre une rationalisation des coûts par la globalisation des achats au niveau du groupe, étant observé que la salariée ne démontre pas, ni même n'allègue, que les difficultés résultent d'un agissement de l'employeur caractérisé par sa légèreté blâmable ; le poste qu'occupait la salariée a ainsi été supprimé de manière effective, ce que ne sont pas de nature à remettre en cause des démarches à fin de recrutement puis l'engagement d'une personne pour exercer le nouveau poste de responsable achat groupe rattaché non au directeur de site de la société Griffine enduction mais au directeur administratif et financier groupe intervenant au niveau des sociétés Griffine enduction et Plastibert pour réaliser, au-delà des achats des matières premières nécessaires à la production, l'ensemble des achats du groupe.

La justification économique du licenciement par le liquidateur résulte donc de l'ensemble de ce qui précède.

En second lieu, s'agissant de l'obligation de reclassement, selon l'article L. 1233-4 du code du travail,

'Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.'

Pour infirmation du jugement attaqué, la salariée soutient que l'obligation de reclassement n'a pas été mise en oeuvre de façon loyale au regard des articles 16 et 24 de la convention collective applicable, notamment en l'absence de saisine de la commission paritaire devant être tenue informée des licenciements collectifs, et compte tenu du fait que la proposition de reclassement lui a été remise par une stagiaire le jour de son départ en congés pour quatre semaines et qu'elle n'a pas obtenu les informations utiles sur le poste de reclassement proposé.

Le liquidateur réplique qu'il a respecté son obligation de reclassement en proposant à la salariée quatre postes, dont le poste de responsable achat groupe, offres que celle-ci a déclinées en toute connaissance de cause.

Il ressort des éléments produits par le liquidateur que : l'employeur a orienté ses recherches vers les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ; quatre emplois disponibles, dont le poste de responsable achats groupe cotting, de même catégorie ou de catégorie inférieure, ont ainsi été proposés à la salariée de manière suffisamment précise et détaillée au moyen d'un courrier qui lui a été remis en main propre le 30 juillet 2020, propositions de reclassement au sujet desquelles la salariée ne justifie pas de demandes d'explications ou de précisions de nature à lui permettre de se prononcer dans le délai, raisonnable, de quinze jours prévu par le courrier pour faire connaître à l'employeur son intérêt pour l'un des postes concernés ; ce courrier n'a pas été suivi d'une réponse positive de la salariée dans le délai imparti.

Le caractère déloyal des recherches de reclassement ne peut se déduire des seules circonstances, évoquées par la salariée, dans lesquelles lui a été remis le courrier précité du 30 juillet 2020.

Par ailleurs, l'obligation de reclassement préalable au licenciement économique ne s'étend pas aux entreprises extérieures au groupe, sauf convention ou engagement contraire ; l'article 21 de la convention collective nationale des industries chimiques relatif à la rupture du contrat de travail dans le cadre des licenciements collectifs dispose en son sixième alinéa : « Les chambres syndicales patronales régionales s'efforceront d'assurer le reclassement du personnel intéressé » ; l'article 9 de l'accord de branche sur l'emploi du 15 janvier 1991 (non étendu) précise que le plan de sauvegarde de l'emploi « prévoit des mesures permettant notamment la « recherche des possibilités de reclassement interne ou, le cas échéant, externe » ; l'article 16 de ce même accord prévoit, sans préciser s'il s'agit de reclassement interne ou externe, que les « entreprises doivent rechercher les possibilités de reclassement susceptibles de convenir aux salariés dont le licenciement aura dû être décidé de préférence dans la localité ou les localités voisines, ainsi que les moyens de formation et de reconversion qui pourraient être utilisés par eux. Les chambres syndicales régionales apporteront à cette recherche leur concours actif ; L'Union des Industries Chimiques fera de même s'il apparaît que l'ampleur du problème dépasse le cadre régional. La Commission Nationale Paritaire de l'Emploi apportera son concours dans les conditions prévues à l'article 24 ci-après. / Les entreprises feront connaître au comité d'entreprise ou d'établissement ainsi qu'au personnel intéressé les possibilités de reclassement, de formation et de reconversion » ; l'article 24 de cet accord prévoit que la commission nationale paritaire de l'emploi sera tenue informée des licenciements collectifs pour raisons économiques intervenus dans la profession l'accord de branche sur l'emploi du 15 janvier 1991 qui n'a qu'une valeur d'incitation à rechercher des solutions de reclassement externe, en lien avec les organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentées à la commission régionale interprofessionnelle de l'emploi, et la commission Nationale Paritaire de l'Emploi, n'impose pas à l'employeur d'obligation particulière de rechercher des reclassements externes ni de saisir la commission territoriale paritaire de l'emploi ; en tout état de cause, la procédure de reclassement externe ne doit être mise en oeuvre que lorsque l'entreprise ne peut pas fournir un poste de reclassement interne ; dès lors que la salariée a refusé un poste de reclassement à l'intérieur du groupe, en rapport avec ses aptitudes, elle ne peut pas remettre en cause son licenciement au motif que l'employeur n'a pas tenté de reclassement externe.

Ainsi, l'employeur a respecté son obligation de reclassement.

Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de débouter la salariée de sa contestation du licenciement pour motif économique et de ses demandes financières subséquentes.

Sur les critères d'ordre des licenciements

En vertu des dispositions de l'article L. 1233-5 du code du travail, lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique.

Ces critères d'ordre des licenciements doivent être appliqués par catégorie professionnelle. Appartiennent à une même catégorie professionnelle, les salariés qui exercent dans l'entreprise des activités de même nature supposant une formation professionnelle commune avec une permutabilité entre eux.

La salariée, seule à figurer au sein de la catégorie professionnelle 'Responsable achat matières premières', soutient que Mme [B], recrutée en avril 2020 et qui selon les éléments produits aux débats exerçait les fonctions de 'data manager -supply chain manager', accomplissait les mêmes tâches et avait les mêmes responsabilités qu'elle en termes de fiches de données de sécurité et de fiches techniques, de stocks, de coordination des flux d'information logistiques entre les fournisseurs, et internes, quand le liquidateur justifie, au vu notamment de fiches de poste, de l'exercice par les intéressées de fonctions qui si elles impliquaient l'accomplissement, dans une proportion non significative, de tâches comparables en raison de leurs postes à responsabilités, en matière de gestion de flux et de stocks en relation avec les fournisseurs ou de conformité à des processus 'Qualités' en rapport notamment avec les données de sécurité et les fiches techniques, n'étaient pas de même nature, ne supposaient pas une formation professionnelle commune et ne permettaient pas une permutabilité dès lors que Mme [B], qui n'intervenait pas dans le processus commercial d'achat et de négociation constituant l'essentiel des tâches de la salariée, occupait alors un poste plus élargi avec des compétences propres dans le domaine de la logistique qui consistait à organiser la chaîne logistique entre l'acheminement de la matière première, les opérations de production et la livraison du produit au client.

La salariée doit donc être déboutée de sa demande de fixation de dommages-intérêts pour non respect des critères d'ordre des licenciements.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il déboute la salariée de cette demande.

Sur l'opposabilité de l'arrêt

L'arrêt sera déclaré opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 5].

Une telle opposabilité ne se justifie nullement à l'égard de l'administrateur judiciaire qui est intervenu volontairement dans la cause ès qualité et dont la mission a cessé.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque en cause d'appel.

La salariée, partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Déclare le présent arrêt opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 5] ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Déboute les parties pour le surplus ;

Condamne Mme [R] [T] aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 22/03170
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;22.03170 ?
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