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16/05/2024 | FRANCE | N°22/03144

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-5, 16 mai 2024, 22/03144


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80O



Chambre sociale 4-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 MAI 2024



N° RG 22/03144

N° Portalis DBV3-V-B7G-VPAC



AFFAIRE :



[H] [E]



C/



S.C.P. BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS MEDIAPRO FRANCE



...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Juillet 2022 par le Conseil de Prud'

hommes Formation paritaire de BOULOGNE -

BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : 22/00148



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELEURL CABINET RACHEL SPIRE



la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES







le :
...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80O

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 MAI 2024

N° RG 22/03144

N° Portalis DBV3-V-B7G-VPAC

AFFAIRE :

[H] [E]

C/

S.C.P. BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS MEDIAPRO FRANCE

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Juillet 2022 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE -

BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : 22/00148

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELEURL CABINET RACHEL SPIRE

la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [H] [E]

née le 16 Février 1969 à [Localité 7] (Turquie)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Rachel SPIRE de la SELEURL CABINET RACHEL SPIRE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B335

APPELANTE

****************

S.C.P. BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS MEDIAPRO FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - Substitué par Me Laura COZ, avocat au barreau de PARIS

Association CGEA IDF OUEST

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB

EXPOSE DU LITIGE.

Mme [H] [E] a été embauchée entre le 6 juin 2012 et le 2 février 2021, par le biais de 794 contrats de travail à durée déterminée d'usage, en qualité de 'technicien supérieur serveur vidéo' (statut de cadre) par la société MEDIAPRO FRANCE, employant habituellement au moins onze salariés et ayant une activité de production et de distribution audiovisuelle.

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale des entreprises techniques au service de la création et de l'événement.

Par jugement du 15 septembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE et a désigné la société BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 31 janvier 2022, Mme [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt pour demander la requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée, la requalification de la rupture d'un tel contrat en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de la relation contractuelle, assortie de la garantie de l'AGS.

Par un jugement du 21 juillet 2022, le conseil de prud'hommes a :

- débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les dépens à la charge de chacune des parties.

Le 18 octobre 2022, Mme [E] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 23 février 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, Mme [E] demande la cour d'infirmer le jugement attaqué dans l'ensemble de ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

1) - REQUALIFIER la relation de travail avec la société MEDIAPRO FRANCE en CDI depuis le 6 juin 2012, sur le fondement de l'article L. 1245-2 du Code du travail,

- FIXER AU PASSIF de la société MEDIAPRO FRANCE les sommes suivantes :

* 4 344,34 euros bruts à titre de rappel de 13 ème mois pour les salaires perçus sur la période de mars 2018 à février 2021 ;

* 57 381,30 euros bruts à titre de rappel de salaire, s'agissant d'une requalification à temps constant pour la période de mars 2018 à février 2021, ainsi que 5 738,13 euros

bruts au titre des congés payés afférents et 4 781,78 euros à titre de rappel de 13 ème

mois ;

* 9 642,75 euros nets (3 mois) en réparation du préjudice subi pour le recours illicite au

CDD pendant 9 ans, sur le fondement de l'article L. 1245-2 du Code du travail ;

* 1 392 euros nets de dommages et intérêts en raison du préjudice subi lié à la violation

de l'employeur à l'usage de l'entreprise relatif à l'attribution des tickets

restaurants.

2) - JUGER que la cessation sans motif de la fourniture de travail après le 3 février 2021s'analyse en une rupture aux torts et griefs des employeurs emportant les conséquences d'un licenciement injustifié ;

- FIXER AU PASSIF de la société MEDIAPRO FRANCE les sommes suivantes :

* 9 642,75 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois), outre 964,27 euros de congés payés afférents, sur le fondement de l'article 4.1.3 de la convention collective nationale des entreprises techniques au service de la création et des évènements;

* 8 678,48 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* A TITRE PRINCIPAL, 38 571 euros nets (12 mois) à titre de dommages et intérêts en réparation de l'ensemble des préjudices professionnels, financiers et moraux subis en raison de son licenciement injustifié, sur le fondement des dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable, le plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du Code du travail étant écarté en raison de son inconventionnalité ;

* A TOUT LE MOINS, si le Conseil devait ne pas écarter les dispositions de l'article 1235-3 du Code du travail, 25 714 euros (8 mois) à titre de dommages et intérêts en raison de la perte injustifiée de l'emploi causée par le licenciement illicite, sur le fondement de l'article L. 1235-3 du Code du travail ;

3) FIXER AU PASSIF de la société MEDIAPRO FRANCE 45 000 euros nets à titre de réparation du préjudice subi en raison de la privation par l'employeur de la faire bénéficier du PSE sur le fondement de l'art. L. 1222-1 du Code du travail ;

4) CONDAMNER la SCP BTSG en qualité de liquidateur de la société MEDIAPRO FRANCE, à fournir les bulletins de paie et documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document à compter du 8 ème jour suivant sa notification, la Cour se réservant le contentieux de la liquidation de l'astreinte ;

5) CONDAMNER la SCP BTSG en qualité de liquidateur de la société MEDIAPRO FRANCE, à régulariser la situation auprès des organismes sociaux au mois le mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par organisme à compter du prononcé du jugement, la Cour se réservant le contentieux de la liquidation de l'astreinte ;

6) FIXER AU PASSIF de la société MEDIAPRO FRANCE les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme), conformément à l'article 1343-2 du Code Civil ;

7) FIXER AU PASSIF de la société MEDIAPRO FRANCE le paiement des frais d'avocat à hauteur de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

8) JUGER que les AGS devront apporter sa garantie sur l'ensemble des condamnations à

intervenir.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 8 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE, demande à la cour de:

1 ) IN LIMINE LITIS :

- CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du

21 juillet 2021 en ce que Mme [H] [E] ne fait état d'aucune critique sur les moyens du

jugement du Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 21 juillet 2021 et par conséquent, DEBOUTER Mme [H] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

2 ) À TITRE PRINCIPAL :

- CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du

21 juillet 2021 ;

- DÉCLARER prescrite de la demande de requalification de Mme [H] [E] de sa relation

de travail en contrat à durée indéterminée fondée sur des irrégularités de forme ;

- DÉBOUTER Mme [H] [E] de sa demande de requalification de sa relation de travail

en contrat à durée indéterminée fondée sur des irrégularités de forme ;

- DIRE ET JUGER que les conditions de recours au CDDU ont été respectées par MEDIAPRO

FRANCE ;

- DÉBOUTER Mme [H] [E] de sa demande de requalification de sa relation de travail

en contrat à durée indéterminée ;

- Par conséquent, DEBOUTER Mme [H] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

3) À TITRE SUBSIDIAIRE, si par extraordinaire la Cour de céans estimait fondée la demande en requalification des contrats de Mme [H] [E] en CDI :

- CONSTATER que Mme [H] [E] n'apporte pas la preuve d'un calcul susceptible de

justifier ses demandes pécuniaires ;

- FIXER le salaire de référence de Mme [H] [E] à hauteur de 1.087,81 euros ;

- DÉBOUTER Mme [H] [E] de sa demande de fixation d'une créance de 191.137,55 euros à son bénéfice au passif de la société MEDIAPRO FRANCE ;

- DIRE ET JUGER que cette somme sera fixée à concurrence de 25 971,45 euros au maximum;

- ORDONNER à Mme [H] [E] de rembourser à Pôle Emploi l'ensemble des allocations

chômage perçues durant les 3 dernières années.

4) EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

- CONDAMNER Mme [H] [E] à payer à MEDIAPRO France la somme de 3.000 euros

au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER Mme [H] [E] aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 12 avril 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, l'AGS CGEA Île-de-France Ouest demande à la cour de :

1 ) A Titre Principal :

- CONFIRMER le jugement en toutes ses dispositions

- DEBOUTER Mme [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions

2) A titre subsidiaire :

- Fixer le salaire de référence de Mme [E] à titre principal à 687 euros et à titre subsidiaire à 1841,53 euros.

- Limiter les créances fixées au passif compte tenu de ces salaires de référence et de la réalité du

préjudice allégué par Mme [E]

3) en tout état de cause :

- METTRE HORS DE CAUSE l'AGS s'agissant de la demande d'astreinte et des frais

irrépétibles de la procédure.

- FIXER l'éventuelle créance allouée au salarié au passif de la Société MEDIAPRO FRANCE.

- DIRE que le CGEA, en sa qualité de représentant de l'AGS, ne devra procéder à l'avance des

créances visées aux articles L 3253-6, L 3253-8 et suivants du Code du Travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15, L 3253-19 à 21 et L 3253-

17 du Code du Travail.

- DIRE ET JUGER que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le Mandataire judiciaire et selon les plafonds légaux.

Une ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 12 mars 2024.

SUR CE :

Sur la saisine de la cour :

Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 954 du code de procédure civile : 'Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte./ La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion'.

En l'espèce, alors que le jugement attaqué déboute Mme [E] de l'ensemble de ses demandes, cette dernière, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué 'dans l'ensemble de ses dispositions' puis formule ses différentes prétentions.

Le cour constate qu'elle est ainsi saisie de prétentions par l'appelante.

Sur la requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée à raison de la participation à l'activité normale et permanente de l'entreprise :

Il résulte de la combinaison des articles L.1242-1, L.1242-2, L.1245-1 et D. 1242-1 du code du travail que, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de ces contrats est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Ainsi, la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l'existence de ces raisons objectives.

En l'espèce, à titre liminaire, il n'est pas contesté que la société MEDIAPRO FRANCE avait une activité dans le secteur de l'audiovisuel qui relève des dispositions des articles L.1242-2 et D.1242-1 mentionnés ci-dessus et que la convention collective applicable à la relation de travail permet le recours aux contrat à durée déterminée d'usage pour les fonctions de 'technicien supérieur serveur vidéo' confiées à Mme [E].

Par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats et notamment des contrats à durée déterminée d'usage conclus entre les parties que Mme [E] a été employée entre le 6 juin 2012 et le 2 février 2021 par le biais de 794 contrats à durée déterminée d'usage d'une durée de quelques heures ou d'une journée pour le même emploi de 'technicien supérieur serveur vidéo', entrecoupés de périodes intercalaires.

A ce titre, elle a travaillé de manière régulière tous les mois sur la période en cause à l'exception, certaines années, de mois d'été, et ce pour un nombre de jours oscillant, en année pleine, entre 31 jours et 124 jours en 2015 ou 135 jours en 2017.

Le travail ainsi confié à Mme [E] consistait à participer à la production habituelle de différentes émissions sportives confiées par des clients de la société MEDIAPRO FRANCE à la suite d'appels d'offre, et particulièrement par la société BeIN Sport, ou réalisées par la société elle-même, laquelle constitue le coeur de l'activité de production de la société MEDIAPRO FRANCE, des tâches semblables étant d'ailleurs confiées à des salariés employés par le biais de contrat à durée indéterminée.

Par ailleurs, la société MEDIAPRO FRANCE ne justifie pas que les tâches confiées à Mme [E] correspondaient à des remplacements de salariés permanents ou à des 'pics d'activité' de production liés à des événements sportifs ponctuels, contrairement à ce qu'elle prétend.

Dans ces conditions, l'ensemble des contrats en cause avait bien pour objet de pourvoir durablement un poste lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise dans le domaine de la production audiovisuelle et la société MEDIAPRO FRANCE ne justifie pas de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi de technicien supérieur serveur vidéo en litige.

En conséquence, Mme [E] est fondée à demander la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 6 juin 2012, date de son engagement par le biais d'un contrat irrégulier. Le jugement attaqué sera donc infirmé en ce qu'il déboute Mme [E] de cette demande de requalification.

Sur la prescription de la demande de requalification en contrat à durée indéterminée fondée sur un motif de forme soulevée par le liquidateur judiciaire :

En l'espèce, cette fin de non-recevoir est sans objet eu égard à la requalification en contrat à durée indéterminée pour un motif de fond mentionnée ci-dessus.

Sur le rappel de salaire à raison d'une 'requalification à temps constant' pour la période de mars 2018 à février 2021 et le rappel de treizième mois afférent :

Mme [E] soutient que, à raison de la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée, elle est fondée à réclamer un rappel de salaire pour la période de mars 2018 à février 2021 sur la base du salaire annuel perçu en 2017, le salaire versé les années suivantes ainsi que le nombre d'heure de travail fournies ayant diminué, ce qui constitue une modification unilatérale du contrat de travail.

Toutefois, la cour rappelle que la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

En conséquence, en l'espèce, eu égard aux contrats à durée déterminée d'usage conclus entre Mme [E] et la société MEDIAPRO FRANCE sur la période en cause, qui constituent la loi des parties quant à la durée du travail et à la rémunération afférente, il y a lieu de débouter Mme [E] de sa demande de rappels de salaire sur la base d'une 'requalification à temps constant' et de treizième mois afférent, laquelle est dénuée de tout fondement.

Le jugement attaqué sera ainsi confirmé sur ce point.

Sur le rappel de treizième mois sur la rémunération effectivement versée de mars 2018 à février 2021 :

En l'espèce, il n'est pas contesté par le liquidateur judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE et par l'AGS que la rémunération effectivement perçue par Mme [E] sur la période en litige s'élève à 52'153 euros et qu'un treizième mois lui est dû en conséquence de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée par application de la convention collective.

Par suite, il y a lieu de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE une créance d'un montant de 4 344,34 euros bruts à ce titre.

Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur l'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée :

En application de l'article L. 1245-2 du code du travail, en cas de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, le salarié a droit à une indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel, dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale.

En l'espèce, il ressort des débats que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, aucun rappel de salaire 'à temps constant' n'est dû à Mme [E] pour la période de mars 2018 à février 2021.

Au vu des pièces versées, et notamment des bulletins de salaire, et eu égard au rappel de treizième mois mentionné ci-dessus, la moyenne de salaire mensuel sur les douze derniers mois s'élève à la somme de 1 178,46 euros brut.

Il sera dans ces conditions fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE une créance d'un montant de 1200 euros à titre d'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée, en l'absence de justification d'un plus ample préjudice.

Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur les dommages-intérêts pour privation de tickets de restaurant :

Pour qu'une pratique d'entreprise acquière la valeur contraignante d'un usage, dont les salariés pourront se prévaloir, celle-ci doit être constante, générale et fixe, ces conditions étant cumulatives.

En l'espèce, au soutien de cette demande indemnitaire, Mme [E] se borne à alléguer l'existence d'un usage dans l'entreprise de remise au salarié de tickets de restaurant 'à hauteur de huit euros', sans verser le moindre élément démontrant l'existence d'une pratique en ce sens au sein de la société MEDIAPRO FRANCE ayant les caractères de constance, de généralité et de fixité.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande.

Sur la rupture du contrat de travail et les indemnités de rupture :

Lorsqu'un contrat à durée déterminée est requalifié en contrat à durée indéterminée, en cas de rupture des relations contractuelles à l'initiative de l'employeur, les règles applicables au licenciement doivent être respectées.

En l'espèce, il est constat que la relation de travail entre les parties requalifiée en contrat à durée indéterminée a cessé le 2 février 2021 à l'initiative de la société MEDIAPRO FRANCE sans qu'une procédure de rupture n'ait été engagée et notamment sans qu'une lettre de licenciement ne soit adressée à Mme [E].

En conséquence, la rupture de la relation de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à cette date et ouvre droit pour la salariée aux indemnités de rupture.

Ainsi, et eu égard à la rémunération moyenne mensuelle de Mme [E] s'élevant, ainsi qu'il a été dit, à la somme de 1178,46 euros brut, il y a lieu de fixer au passif de la société MEDIAPRO FRANCE les créances suivantes :

- 3 535,38 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 353,53 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 3 181,27 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

En outre, Mme [E] est fondée à réclamer une créance d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant compris entre un trois et huit mois de salaire brut, eu égard à son ancienneté de huit années complètes, en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, étant précisé que ces dispositions ne sont pas contraires à l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail ni au droit au procès équitable prévue par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et que les stipulations de l'article 24 de la Charte sociale européenne ne peuvent être invoquées par l'appelante faute d'effet direct horizontal. Eu égard à son âge (née en 1969), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (chômage) , il y a lieu de fixer au passif une créance de 8 000 euros à ce titre.

Le jugement attaqué sera ainsi infirmé sur ces différents points.

Sur les dommages-intérêts pour privation du bénéfice d'un PSE :

En l'espèce, Mme [E] ne verse pas le moindre élément démontrant qu'elle aurait pu bénéficier du plan de sauvegarde l'emploi mis en place dans l'entreprise après son licenciement .

De plus et en tout état de cause, elle ne verse aucun élément permettant de justifier l'existence d'un préjudice.

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le débouté de cette demande.

Sur la remise de documents sociaux sous astreinte :

Eu égard la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à la société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire, de remettre à Mme [E] un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt, une attestation pour France Travail et un certificat de travail conformes au présent arrêt. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

En revanche, il y a lieu de confirmer le débouté de la demande d'astreinte à ce titre, une telle mesure n'étant pas nécessaire.

Sur la régularisation auprès des organismes sociaux sous astreinte :

En l'espèce, eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à société BTSG, ès qualités de liquidateur judiciaire, de régulariser la situation de Mme [E] auprès des organismes sociaux. Le jugement attaqué sera dès lors infirmé sur ce point.

En revanche, il y a lieu de confirmer le débouté de la demande d'astreinte à ce titre, une telle mesure n'étant pas nécessaire.

Sur les intérêts légaux et l'anatocisme :

Il y a lieu de rappeler qu'application des dispositions de l'article L. 622-28 du code du commerce, le jugement du tribunal de commerce du 15 septembre 2021 qui a prononcé l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société MEDIAPRO FRANCE a arrêté le cours des intérêts légaux à cette date.

Les créances de nature indemnitaire et salariales de Mme [E] ne produiront donc pas intérêts et cette dernière sera déboutée de sa demande d'anatocisme.

Le jugement attaqué sera confirmé sur ces différents points.

Sur la garantie de l'AGS :

Il y a lieu de déclarer le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA d'Ile de France Ouest qui ne devra procéder à l'avance des créances mentionnées ci-dessus et visées aux articles L. 3253-6, L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-17 et L. 3253-19 à 21 du code du travail et de déclarer que l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle est évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Il sera rappelé en outre que la créance de la salariée fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'entre pas dans le champ de la garantie de l'AGS.

Sur la demande formée par le liquidateur judiciaire de remboursement par la salariée à Pôle emploi des allocations de chômage perçues pendant les trois dernières années :

Cette demande de remboursement des indemnités de chômage par la salariée à Pôle emploi formée par le liquidateur judiciaire est dépourvue de tout fondement. Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur :

Eu égard à la solution du litige, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE, au profit des organismes concernés, une créance au titre des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [E] du jour du licenciement au jour de l'arrêt, et ce dans la limite d'un mois d'indemnités. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points.

Il y a lieu de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE au profit de Mme [E] une créance de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel.

Les dépens de première instance et d'appel sont mis à la charge du liquidateur judiciaire ès qualités. Ils seront pris en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Constate qu'elle est saisie de prétentions par Mme [H] [E],

Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue sur le rappel de salaire de mars 2018 à février 2021 au titre d'une 'requalification à temps constant', les congés payés et le rappel de treizième mois afférents, les dommages-intérêts pour défaut d'attribution des tickets de restaurant, les dommages-intérêts pour privation du bénéfice d'un plan de sauvegarde de l'emploi, les demandes d'astreinte, la demande de remboursement par Mme [H] [E] des allocations de chômage, les intérêts légaux et l'anatocisme,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Requalifie les contrats de travail à déterminée d'usage conclus entre Mme [H] [E] et la société MEDIAPRO FRANCE en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 juin 2012,

Dit que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée intervenue le 2 février 2021 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE la créance de Mme [H] [E] aux sommes suivantes :

- 4 344,34 euros bruts à titre de rappel de treizième mois de mars 2018 à février 2021,

- 1 200 euros à titre d'indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée,

- 3 535,38 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 353,53 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 3 181,27 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

- 8 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne à la société BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE, de remettre à Mme [H] [E] un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt, une attestation pour France travail et un certificat de travail conformes au présent arrêt,

Ordonne à société BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE de régulariser la situation de Mme [H] [E] auprès des organismes sociaux,

Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA d'Ile de France Ouest qui ne devra procéder à l'avance des créances mentionnées ci-dessus et visées aux articles L. 3253-6, L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-17 et L. 3253-19 à 21 du code du travail et déclare que l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle est évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE une créance de Mme [H] [E] d'un montant de 4 000 euros l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel et rappelle que cette créance n'entre pas dans le champ de garantie de l'AGS CGEA d'Ile de France Ouest,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE, au profit des organismes concernés, une créance au titre des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [H] [E] du jour du licenciement au jour de l'arrêt, et ce dans la limite d'un mois d'indemnités,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de société BTSG, prise en la personne de Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MEDIAPRO FRANCE et dit qu'ils seront pris en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-5
Numéro d'arrêt : 22/03144
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;22.03144 ?
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