COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 51B
chambre 1 - 2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 MAI 2024
N° RG 22/07634 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VSRX
AFFAIRE :
M. [L] [W]
...
C/
Société EMMAUS HABITAT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Novembre 2022 par le Juge des contentieux de la protection de SANNOIS
N° RG : 11-22-476
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 14/05/24
à :
Me Clément GOY
Me Mariane ADOSSI
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [L] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Maître Clément GOY, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 30
Madame [O] [E] épouse [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Maître Clément GOY, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 30
APPELANTS
****************
Société EMMAUS HABITAT
Ayant son siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Maître Mariane ADOSSI de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 100 - N° du dossier 2200578
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Décembre 2023, Monsieur Philippe JAVELAS, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe JAVELAS, Président,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Anne THIVELLIER, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 10 décembre 2001, la société Emmaüs Habitat a donné à bail à M. et Mme [W] un logement sis [Adresse 1] à [Localité 4].
Considérant que les agissements des enfants [W] contreviennent à la jouissance paisible à laquelle est astreint tout locataire, la société Emmaüs Habitat a, par acte de commissaire de justice délivré le 6 mai 2022, fait assigner M. et Mme [W] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Sannois aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- le prononcé de la résiliation judiciaire du bail le liant à M. et Mme [W] à leurs torts et griefs exclusifs,
- l'expulsion de M. et Mme [W], et de tout occupant de leur chef, des Iieux loués, au besoin avec le concours de la force publique,
- la condamnation solidaire de M. et Mme [W] au paiement :
*d'une indemnité mensuelle d'occupation équivalente au montant du loyer et des charges, due à compter de l'assignation et jusqu'à la libération effective des lieux,
* d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance comprenant les frais d'exécution de la décision.
Par jugement réputé contradictoire du 17 novembre 2022, le tribunal de proximité de Sannois a :
- prononcé la résiliation judiciaire du bail liant les parties à la date du jugement,
- ordonné, à défaut de libération spontanée des lieux, l'expulsion de M. et Mme [W] et de tous occupants de leur chef des lieux loués situés au [Adresse 1], à [Localité 4], au besoin avec le concours de la force publique, et ce à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du commandement d'avoir à quitter les lieux, conformément aux dispositions des articles L 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
- rappelé que le sort des meubles meublants est régi par les dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné solidairement M. et Mme [W] en tant que de besoin, à payer à la société Emmaüs Habitat une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant équivalent au loyer et charges qui auraient été dus en cas de poursuite du bail, à compter de la présente décision et jusqu'à la libération effective des lieux,
- dit que cette somme ne produira pas d'intérêts,
- débouté la société Emmaüs Habitat de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. et Mme [W] aux entiers dépens,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- rappelé que le présent jugement est assorti de droit de l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe en date du 20 décembre 2022, M. et Mme [W] ont relevé appel de ce jugement.
Aux termes de leurs conclusions signifiées le 1er novembre 2023, M. et Mme [W], appelants, demandent à la cour de :
- dire et juger recevable l'appel par M. et Mme [W] du jugement rendu le 17 novembre 2022 par le juge des contentieux de la protection près le tribunal judiciaire de Pontoise affecté au tribunal de proximité de Sannois sous le RG 11-22-000476 en ce qu'il a :
* prononcé la résiliation judiciaire du bail liant les parties à effet du jugement,
* ordonné, à défaut de libération spontanée des lieux, l'expulsion de M. et Mme [W] et tous occupants de leur chef des lieux loués situés au [Adresse 1], à [Localité 4], au besoin avec le concours de la force publique, et ce à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du commandement d'avoir à quitter les lieux, conformément aux dispositions des articles L 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
* rappelé que le sort des meubles meublants est régi par les dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
* condamné solidairement M. et Mme [W] en tant que de besoin, à payer à la société Emmaüs Habitat une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant équivalent au loyer et charges qui auraient été dus en cas de poursuite du bail, à compter de la présente décision et jusqu'à la libération effective des lieux,
* condamné in solidum M. et Mme [W] aux entiers dépens,
- le déclarer bien fondé,
- réformer ledit jugement en ce qu'il a :
* prononcé la résiliation judiciaire du bail du 10 décembre 2001 liant la société Emmaus Habitat aux époux [W],
* ordonné, à défaut de libération spontanée des lieux donnes à bail, l'expulsion des locataires et de tous occupants de leur chef, au besoin avec le concours de la force publique, à l'expiration d'un délai de 2 mois suivant la signification du commandement de quitter les Iieux,
* rappelé que le sort des meubles est régi par les articles L 433-1 et L 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
* condamné solidairement M. et Mme [W] à payer à la bailleresse, à compter de ladite décision de justice et jusqu'à complète libération des lieux, une indemnité d'occupation d'un montant équivalent aux loyer et charges courants,
* condamne in solidum les locataires aux entiers dépens.)
Statuant à nouveau,
- dire que les locataires n'ont pas manqué à leur obligation de jouissance paisible des lieux loués,
- dire que le bail consenti le 10 décembre 2001 doit continuer de produire son plein effet,
- condamner la société Emmaüs Habitat aux entiers dépens,
Y ajoutant,
- la condamner à verser à M. et Mme [W] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrepetibles exposés en cause d'appel,
- la condamner aux entiers dépens d'appel et en accorder le droit de recouvrement direct à M. Goy, avocat au Barreau du Val d'Oise, sur le fondement de l'article 699 dudit code.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 24 mars 2023, la société Emmaüs Habitat, intimée, demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 17 novembre 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Sannois,
- débouter M. et Mme [W] de l'ensemble de leurs prétentions, moyens, plus amples ou contraires,
- condamner M. et Mme [W] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. et Mme [W] aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 novembre 2023.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I) Sur la demande de résiliation du bail
Moyens des parties
M. et Mme [W] font reproche au premier juge d'avoir prononcé la résiliation judiciaire de leur bail pour manquement à leur obligation de jouissance paisible des lieux loués.
À hauteur de cour et aux fins d'obtenir l'infirmation de la décision contestée, ils exposent que:
- les nuisances qui leur sont reprochées ont définitivement pris fin, depuis que M. [W] s'est vu consentir, le 5 mai 2023, un bail à usage d'habitation sur un autre logement, sis à [Localité 5] et que trois de ses enfants ont été placés auprès de l'aide sociale à l'enfance jusqu'au 4 mars 2024, si bien que seul le plus jeune fils [W], âgé de six ans, demeure avec Madame dans le logement litigieux,
- les manquements qui leur sont reprochés ne sont pas établis en raison du fait que les attestations communiquées sont dépourvues de toute valeur probante parce qu'elles ne répondent pas aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile : une attestation écrite, datée et signée de son auteur, avec en annexe un document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature,
- la mise en demeure qui leur a été adressée le 28 juillet 2021 ne vise que des faits uniques qui seraient survenus le 20 juillet précédent,
- ils occupent les lieux depuis 21 ans, sans que le contrat de location ait donné lieu à des difficultés notables.
La société Emmaüs Habitat, qui conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, rétorque que :
- les quatre enfants [W], à l'exception du plus jeune d'entre eux, sont à l'origine d'incivilités voire d'infractions pénales au sein de la résidence, qui mettent en danger les autres résidents de l'immeuble et sont susceptibles d'engager la responsabilité du bailleur vis-à -vis des autres locataires de l'immeuble,
- les pièces qu'elle verse aux débats et les témoignages recueillis sont parfaitement probants,
- les époux [W] ont été mis en demeure, sans que cette mise en demeure ait été suivie d'effets,
- les enfants, même s'ils ne résident plus dans le logement litigieux, continuent de fréquenter la résidence, dans laquelle demeurent leur mère et leur jeune frère, durant la journée, si bien que les troubles persistent,
- en sa qualité de bailleresse, il lui appartient d'assurer une jouissance paisible aux autres locataires de la résidence.
Réponse de la cour
En application de l'article 7 b de la loi du 6 juillet 1989, le locataire se doit d'user paisiblement les locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le bail.
Il résulte des articles 1728 et 1741 du code civil que le preneur doit user raisonnablement et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail de la chose louée et que le manquement à cette obligation par le locataire est sanctionné par la résiliation du bail.
La responsabilité du locataire est engagée pour les troubles causés par les occupants de son chef et notamment par ses enfants mineurs ou majeurs, au visa de l'article 1735 du code civil qui dispose que le preneur est tenu des dégradations et des pertes qui arrivent par le fait des personnes de sa maison.
Il est de principe que si le locataire n'use pas de la chose louée conformément à l'usage auquel elle a été destinée, le bailleur peut, suivant les circonstances, résilier le bail ou demander la résiliation judiciaire du bail. La résiliation judiciaire ne peut être prononcée que si le manquement est suffisamment grave pour la justifier.
Au cas d'espèce, c'est à bon droit et par motifs adoptés que le premier juge, au terme d'une analyse exhaustive des faits de la cause, après avoir relevé que des incivilités étaient imputables aux enfants de M. et Mme [W] et caractérisaient autant de manquements de ces derniers à leurs obligations de jouissance paisible des lieux donnés à bail - jet de détritus depuis les fenêtres de l'appartement familial, dégradation des murs de la résidence, feu allumé dans le sous-sol de la résidence à l'aide de papier et de branchages, comportement irrespectueux et actes de malveillance à l'égard des autres résidents, ayant donné lieu à un dépôt de plainte - a considéré que ces manquements étaient suffisamment graves pour justifier la résiliation du bail qui leur avait été consenti.
C'est en vain que les époux [W] font valoir que les attestations produites par la bailleresse seraient dépourvues de valeur probante en ce qu'elles ne respectent pas les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, les dispositions de l'article 202 n'étant pas prescrites à peine de nullité et la cour considérant que les attestations querellées comportent, en l'espèce, des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.
C'est tout aussi vainement que les locataires soutiennent que la mise en demeure qui leur a été adressée ne leur serait pas opposable, parce qu'elle serait unique, aurait été adressée à M. et Mme et viserait un fait isolé, dès lors que la mise en demeure a été adressée et reçue par les cotitulaires du bail, qu'aux termes de cette mise en demeure, ces derniers ont été dûment informés des faits reprochés à leurs enfants et que la bailleresse n'était pas tenue de délivrer plusieurs mises en demeure avant de solliciter la résiliation judiciaire du bail.
Les époux [W] font également valoir que les faits ont cessé depuis que Monsieur s'est vu attribuer un nouveau logement et que trois des enfants ont été placés auprès de l'aide sociale à l'enfance, le placement s'exerçant ' sous la forme d'un placement modulable à partir du domicile du père'.
Cependant, ce placement récent a été effectué par le juge des enfants jusqu'au 4 mars 2024, sans que l'on puisse savoir s'il a été reconduit et si le péril est ainsi conjuré et les trois chenapans définitivement éloignés du théâtre de leurs exploits, le jugement d'assistance éducative du tribunal judiciaire de Pontoise du 4 septembre 2023 faisant état d'une opposition des deux parents au placement de leurs enfants et d'un très 'fort déni parental'.
De plus, s'il n'est justifié d'aucune incivilité par la bailleresse depuis que le placement est intervenu, il convient de rappeler que les juges du fond apprécient souverainement la gravité des manquements contractuels qui leur sont dénoncés pour obtenir la résiliation du contrat, la cour ayant ' le pouvoir' d'apprécier la situation au jour où elle statue sans que ce pouvoir constitue pour autant une obligation (3e Civ., 10 novembre 2009, pourvoi n° 08-21.874, Bull. 2009, III, n° 245).
Au cas d'espèce, il apparaît à la cour que les faits reprochés aux enfants [W] sont suffisamment graves, en considération du profil des intéressés, tel qu'il ressort du jugement d'assistance éducative produit par les appelants et des préjudices que ces faits ont causés au voisinage, pour justifier, même si aucun trouble n'a été constaté depuis leur placement intervenu le 4 septembre 2023, le prononcé de la résiliation judiciaire du bail consenti à M. et Mme [W], responsables des agissements de leurs fils.
Il résulte de ce qui précède que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
II) Sur les demandes accessoires
Les époux [W], qui succombent, seront condamnés aux dépens d'appel, les dispositions du jugement querellé relatives aux dépens de première instance étant, par ailleurs, confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
Déboute M. [L] [W] et Mme [O] [W] de la totalité de leurs demandes;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [L] [W] et Mme [O] [W] à payer à la société Emmaüs Habitat une indemnité de 1 500 euros ;
Condamne M. [L] [W] et Mme [O] [W] aux dépens de la procédure d'appel.
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame Julie FRIDEY, Greffier Placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,