COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53I
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 7 MAI 2024
N° RG 23/01384 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VWWJ
AFFAIRE :
S.A. MONTE PASCHI BANQUE
C/
[B] [S]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Janvier 2023 par le Tribunal de Commerce de Nanterre
N° Chambre : 5
N° RG : 2021F01944
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Christophe DEBRAY
Me Ghislaine DAVID-MONTIEL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. MONTE PASCHI BANQUE.
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 23065
Représentant : Me Yann LE PENVEN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0097
APPELANTE
****************
Monsieur [B] [S]
né le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Ghislaine DAVID-MONTIEL, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 216
Représentant : Me Julien MALLET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0905
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, magistrat honoraire, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président,,
Madame Marietta CHAUMET, Vice-Présidente placée,
Mme Véronique MULLER, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Elisa PRAT,
Le 2 octobre 2014, la SAS de Widehem Automobile (la société Widehem) a ouvert un compte courant auprès de la SA Monte Paschi Banque (la société Monte Paschi) qui lui a accordé une ligne de crédit à durée indéterminée à hauteur de 300 000 euros.
Par acte du même jour, M. [B] [S], mandataire social de la société Widehem, s'est porté caution solidaire de cette société auprès de la société Monte Paschi, pour une durée de trois ans, dans la limite d'une somme de 300 000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités de retard.
Par acte du 23 octobre 2014, la société Widehem a affecté en gage et en garantie de son découvert de 300 000 euros, au profit de la société Monte Paschi, plusieurs véhicules automobiles de luxe. La société Auxiga a été désignée pour inscrire et gérer le stock de véhicules gagés, la société Widehem s'engageant à prendre en charge le paiement de la facturation au titre de cette mission.
Par courrier recommandé du 18 septembre 2017, la société Monte Paschi a dénoncé ses concours, accordant à la société Widehem un préavis de soixante jours pour régulariser sa situation financière.
Par courrier du 28 décembre 2017 la société Monte Paschi a accepté de maintenir le découvert autorisé à hauteur de 200 000 euros, le surplus devant être remboursé en trois échéances, la dernière le 31 janvier 2018.
La société Widehem n'ayant pas respecté cet engagement, la société Monte Paschi lui a notifié, par courrier du 20 février 2018, la clôture du compte bancaire sous préavis de 60 jours.
Lors de son inspection du 4 avril 2018, la société Monte Paschi a constaté qu'un véhicule gagé, ayant une valeur estimée de 100 000 euros, avait été cédé. Par courrier du 4 avril 2018, la société Monte Paschi a clôturé le compte.
Par ordonnance de référé du 1er mars 2019, le président du tribunal de commerce de Paris, saisi par la société Monte Paschi, a condamné la société Widehem au paiement d'une provision à hauteur de 183 012, 01 euros.
Par jugement du 25 novembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé le redressement judiciaire de la société Widehem. Par jugement du 24 juin 2022, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de cette société.
Le 7 janvier 2021 la société Monte Paschi a déclaré sa créance à hauteur de 212 396, 98 euros à titre privilégié et à hauteur de 3 000 euros à titre chirographaire.
Par courrier recommandé du 11 janvier 2021, la société Monte Paschi a rappelé à M. [S] son engagement dans la limite de 300 000 euros.
Par acte du 24 septembre 2021, la société Monte Paschi a assigné M. [S] devant le tribunal de commerce de Nanterre lequel par jugement contradictoire du 31 janvier 2023, a :
- débouté M. [S] de sa demande d'exception au titre du sursis à statuer ;
- condamné M. [S] à payer à la société Monte Paschi la somme de 12 839, 57 euros ;
- débouté M. [S] de sa demande de délais de paiement ;
- condamné M. [S] à payer à la société Monte Paschi la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par déclaration du 23 février 2023, la société Monte Paschi a interjeté appel du jugement.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30 juin 2023, elle demande à la cour de :
- la recevoir en son appel et le déclarer fondé ;
- confirmer le jugement sauf au titre du quantum de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [S] ;
- infirmer le jugement entrepris du chef du quantum de la condamnation,
- débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [S] au paiement de la somme de 98 031,33 euros, outre les intérêts au taux conventionnel à compter du 24 novembre 2020, commissions, frais et accessoires à venir, et ce sous réserve que le paiement de 154 000 euros qu'elle a reçu à titre provisionnel soit définitivement acquis ;
- condamner M. [S] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [S] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 27 juin 2023, M. [S] demande à la cour de :
- le recevoir en son argumentation ;
Y faisant droit,
- confirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions ;
- débouter la société Monte Paschi de l'ensemble de ses demandes;
- condamner la société Monte Paschi à lui payer une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 8 février 2024.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer recevable l'appel formé par la société Monte Paschi.
L'appel formé par la société Monte Paschi ne porte que sur le quantum de la condamnation principale de M. [S]. Ce dernier ne formant aucun appel incident, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes de sursis à statuer et de délais de paiement, et en ce qu'il l'a condamné au paiement des frais irrépétibles et des dépens.
- sur la demande en paiement au titre du cautionnement
La société Monte Paschi expose que, au moment de la clôture du compte de la société Widehem en avril 2018, l'engagement de caution de M. [S] était expiré (depuis le 2 octobre 2017), de sorte que son obligation de couverture avait cessé, l'obligation de règlement restant toutefois maintenue. Elle précise qu'au 2 octobre 2017, le compte était débiteur de 302 075,34 euros, ce montant ayant été ramené à
175 201,55 euros à la suite de mouvements créditeurs ultérieurs bénéficiant à la caution. Elle indique que, devant le tribunal de commerce, sa demande en paiement portait sur la somme de 166 839,57 euros, reprochant au tribunal d'avoir déduit de cette somme la totalité du règlement de la société Widehem à hauteur de 154 000 euros provenant de la vente d'un véhicule gagé. Elle soutient en effet qu'elle était fondée à imputer cette somme de 154 000 euros, pour partie au règlement d'autres dettes de la société Widehem à savoir : un sous-compte 'facture Auxiga' (27 942,82 euros), des intérêts débiteurs (25 261,97 euros) et une condamnation à des frais irrépétibles (3 000 euros). Elle soutient que cette imputation est parfaitement régulière, au regard notamment de l'article 1342-10 du code civil, contestant la demande d'imputation formée par M. [S] en totalité sur les sommes objet du cautionnement.
M. [S] admet implicitement qu'il restait devoir la somme de 166 839,57 euros au titre de son engagement de caution. Il fait toutefois valoir que la société Widehem a remis à la banque, le 13 décembre 2022, un versement de 154 000 euros provenant de la vente d'un véhicule gagé (versement autorisé par le juge-commissaire au terme d'une ordonnance du 24 novembre 2022), ce versement devant être intégralement déduit de sa dette comme décidé par le tribunal. Il conteste l'imputation faite par la banque, pour partie sur le sous-compte Auxiga et pour partie sur des intérêts. Il soutient qu'en l'absence de demande d'imputation par la société Widehem de son versement de 154 000 euros, ce dernier ne pouvait être imputé autrement qu'au paiement du principal de la dette. Il ajoute, sur le fondement de l'article 2302 du code civil que les paiements doivent être imputés prioritairement sur le principal de la dette, soutenant en outre que la banque ne justifie pas que le versement à la société Auxiga provienne d'une défaillance de la société Widehem.
Réponse de la cour
Selon l'article 1254 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, 'le débiteur d'une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu'il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n'est point intégral, s'impute d'abord sur les intérêts.'
En première instance, la société Monte Paschi sollicitait paiement de la somme de 166 389,57 euros, correspondant au solde débiteur du compte de la société Widehem à la date d'expiration du cautionnement ( solde de 302 075,34 euros, ramené au montant du cautionnement, soit 300 000 euros), après imputation de mouvements créditeurs postérieurs à la clôture du compte pour un montant total de 133 160,43 euros (37 000 euros et 96 160,43 euros). M. [S] restait ainsi redevable de la différence, soit la somme de 166 839,57 euros, et non pas 175 201,55 euros comme mentionné par erreur dans les conclusions de la société Monte Paschi.
En appel, la société Monte Paschi sollicite désormais paiement de la somme de 98 031,33 euros, conformément à sa déclaration de créance rectificative du 21 février 2023, dont 95 031,33 euros correspondant au solde débiteur du compte courant de la société Widehem, et 3 000 euros correspondant à des condamnations de cette société à son profit par le tribunal de commerce de Paris en mars et mai 2019. S'agissant du solde débiteur du compte courant à hauteur de 95 031,33 euros, la société Monte Paschi ne produit aucun relevé de compte en justifiant, et ne précise pas comment elle parvient à cette somme alors qu'elle sollicitait initialement la somme de 166 839,57 euros, qui ne pouvait plus - compte tenu de l'expiration du cautionnement - faire l'objet que de diminution, notamment au regard de l'encaissement de la somme de 154 000 euros provenant de la vente d'un véhicule gagé, la seule question étant donc de savoir si cette somme de 154 000 euros peut être déduite, en totalité ou en partie, de la somme de 166 839,57 euros.
La question qui se pose est donc celle de l'imputation, par la banque, de la somme reçue à hauteur de 154 000 euros : soit en totalité sur le montant de la dette cautionnée comme sollicité par M. [S] conformément à la décision de première instance, soit pour partie à l'apurement d'un sous-compte de la société Widehem (sous-compte Auxiga pour 27 942,82 euros), et pour une autre partie à l'apurement des intérêts débiteurs du compte de la société Widehem sur la période du 1er juillet 2018 au 24 novembre 2020 (25 261,97 euros), et enfin pour partie sur la condamnation au paiement de frais irrépétibles (3 000 euros).
L'article 2302 du code civil, tel qu'invoqué par M. [S], porte uniquement sur les conséquences d'un manquement de la banque à l'information annuelle de la caution. Ce manquement n'est toutefois pas invoqué par M. [S], de sorte que l'article précité ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce.
Il est constant que la société Widehem n'a pas formulé de demande particulière d'imputation du paiement de la somme de 154 000 euros, de sorte qu'il convient de faire application de l'article 1254, tel qu'énoncé plus avant, outre la jurisprudence de la cour de Cassation relative à l'imputation d'un paiement partiel (Com., 28 janvier 1997 n° 94-19347).
La cour relève en effet que l'imputation contestée est relative à un paiement partiel de la société Widehem à hauteur de 154 000 euros (paiement du 13 décembre 2022) alors que sa dette portait sur une somme totale de 215 396,98 euros ainsi que cela ressort de la déclaration de créances de la société Monte Paschi du 7 janvier 2021.
Comme souligné par la société Monte Paschi, M. [S] ne conteste pas que la dette de la société Widehem, au titre du solde débiteur de son compte courant, porte intérêt, le montant de ces derniers n'étant pas discuté. En application de l'article 1254 précité, le paiement fait par la société Widehem à hauteur de 154 000 euros s'impute d'abord sur les intérêts, de sorte que la société Monte Paschi est fondée à affecter la somme de 25 261,97 euros au paiement des intérêts postérieurs à l'expiration du cautionnement, cette somme ne pouvant donc pas venir en déduction de la dette cautionnée par M. [S].
S'agissant du sous-compte 'Auxiga', correspondant aux frais de gestion de 'gage sur stock' imputables à la société Widehem, d'un montant non contesté de 27 942,82 euros, il convient de dire que le paiement partiel de la société Widehem s'impute sur cette partie non cautionnée de la dette (s'agissant d'une créance née postérieurement à l'expiration du cautionnement). La société Monte Paschi est ainsi fondée à affecter la somme de 27 942,82 euros au paiement du sous-compte Auxiga, cette somme ne pouvant donc pas venir en déduction de la dette de M. [S].
De même, la société Monte Paschi est fondée à affecter la somme de 3 000 euros au paiement des frais irrépétibles auxquels la société Widehem a été condamnée par le tribunal de commerce de Paris en mars et mai 2019 (postérieurement à l'expiration du cautionnement), cette somme ne pouvant donc pas venir en déduction de la dette de M. [S].
La société Monte Paschi est ainsi fondée à imputer les sommes de 25 261,97 euros, 27 942,82 euros et 3 000 euros (soit un total de 56 204,79 euros) sur la partie non cautionnée de la dette, de sorte que seule la différence, soit : 154 000 euros - 56 204,79 euros = 97 795,21 euros peut être affectée au paiement de la dette cautionnée.
La demande en paiement formée par la société Monte Paschi doit ainsi être limitée à la somme de :
166 839,57 euros - 97 795,21 euros = 69 044,36 euros.
M. [S] est ainsi condamné au paiement de cette somme, outre les intérêts au taux conventionnel à compter du 25 novembre 2020. Le jugement est infirmé de ce chef. Il n'est pas justifié d'autres commissions, frais ou accessoires, de sorte que la demande à ce titre est rejetée. Le paiement de la somme de 154 000 euros opéré en décembre 2022 n'ayant jamais été remis en cause, il n'y a pas lieu d'opérer une réserve à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Déclare recevable l'appel formé par la société Monte Paschi,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 31 janvier 2023, sauf en ce qu'il a condamné M. [S] au paiement de la somme de 12 839,57 euros,
Et statuant à nouveau de ce chef,
Condamne M. [B] [S] à payer à la société Monte Paschi Banque la somme de 69 044,36 euros au titre de son engagement de caution, outre les intérêts au taux conventionnel à compter du 25 novembre 2020,
Rejette toutes autres demandes,
Y ajoutant,
Condamne M. [B] [S] à payer à la société Monte Paschi Banque la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [B] [S] aux dépens de la procédure d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,