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02/05/2024 | FRANCE | N°22/00608

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-2, 02 mai 2024, 22/00608


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 82E



Chambre sociale 4-2



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MAI 2024



N° RG 22/00608 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VA4E



AFFAIRE :



S.A.S. MONOPRIX HOLDING anciennement dénommée S.A.S. L.R.M.D



S.A.S. MONOPRIX



S.A.S. AUX GALERIES DE LA CROISETTE



S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION



S.N.C. SMC ET COMPAGNIE



C/



Syndicat FEDERATION CGT COMM

ERCE DISTRIBUTION SERVICES



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2022 par le Pole social du TJ de NANTERRE

N° RG : 19/08593































































Copies exécutoires et certifiées ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 MAI 2024

N° RG 22/00608 -

N° Portalis DBV3-V-B7G-VA4E

AFFAIRE :

S.A.S. MONOPRIX HOLDING anciennement dénommée S.A.S. L.R.M.D

S.A.S. MONOPRIX

S.A.S. AUX GALERIES DE LA CROISETTE

S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION

S.N.C. SMC ET COMPAGNIE

C/

Syndicat FEDERATION CGT COMMERCE DISTRIBUTION SERVICES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2022 par le Pole social du TJ de NANTERRE

N° RG : 19/08593

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Martine DUPUIS

Me Philippe CHATEAUNEUF

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S MONOPRIX HOLDING anciennement dénommée S.A.S. L.R.M.D

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Bruno SERIZAY de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020 substitué par Me Charlotte CAREL, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. MONOPRIX

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Bruno SERIZAY de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020 substitué par Me Charlotte CAREL, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. AUX GALERIES DE LA CROISETTE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Bruno SERIZAY de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020 substitué par Me Charlotte CAREL, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Bruno SERIZAY de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020 substitué par Me Charlotte CAREL, avocat au barreau de PARIS

S.N.C. SMC ET COMPAGNIE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Bruno SERIZAY de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020 substitué par Me Charlotte CAREL, avocat au barreau de PARIS

APPELANTES

****************

Syndicat FEDERATION CGT COMMERCE DISTRIBUTION SERVICES

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 et Me Benoît PELLETIER de la SELARL DELLIEN Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R260

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Février 2024, Madame Isabelle CHABAL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

La société Monoprix Holding, anciennement dénommée LRMD, la société Monoprix SAS, la société Aux galeries de la croisette, la société Monoprix Exploitation et la société SMC et compagnie, dont les sièges sociaux sont tous situés [Adresse 1] à [Localité 4], dans le département des Hauts-de-Seine, sont spécialisées dans l'activité de commerce alimentaire. Elles emploient plus de 10 salariés.

Elles constituent l'unité économique et sociale (UES) Monoprix.

La direction de Monoprix a mis en place en 1999 pour les cadres une prime d'objectifs sur performance (POP) trimestrielle constituant un engagement unilatéral de l'employeur. Elle a été étendue en 2002 aux agents de maîtrise.

Le 1er janvier 2007, la direction de Monoprix a étendu la prime POP au bénéfice des salariés de la catégorie employés des sociétés composant l'UES Monoprix.

Estimant que ce dispositif est discriminatoire, la fédération CGT Commerce Distribution Services a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre par requête du 19 juillet 2019 aux fins de voir faire interdiction aux sociétés composant l'UES Monoprix de maintenir l'application de ce dispositif et de voir régularisée la situation des salariés ayant fait l'objet de retenues pour absences au titre de ce dispositif.

Dans le dernier état, elle présentait les demandes suivantes :

- ordonner aux sociétés de l'UES Monoprix de régulariser la situation salariale de l'ensemble des salariés qu'elles emploient et ont employés dans la catégorie « employés » et qui ont subi des retenues pour absences sur la « POP » sur la période non prescrite, soit à compter de juillet 2016, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard passé deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir,

- condamner solidairement les sociétés composant l'UES Monoprix à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession,

- condamner solidairement les sociétés composant l'UES Monoprix à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- prononcer l'exécution provisoire du jugement,

- condamner solidairement les sociétés de l'UES Monoprix aux entiers dépens.

Les sociétés Monoprix Holding anciennement dénommée LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et compagnie avaient quant à elles, soulevé l'irrecevabilité des demandes de la fédération CGT Commerce Distribution Services et sollicité la condamnation de cette dernière aux dépens ainsi qu'à leur payer à chacune une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 20 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- rejeté les irrecevabilités soulevées en défense,

- ordonné aux sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix, de régulariser la situation salariale de salariés qu'elles emploient et ont employés dans la catégorie « employés » et qui ont subi des retenues sur la prime sur objectif de performance dite POP en raison de leur absence pour cause de grève, maladie, accident du travail, accident de trajet, hospitalisation, cure, maternité et congé parental pour la période allant du mois de juillet 2016 au 30 juin 2020 et, ce, sous astreinte de 10 000 euros par infraction et par jour de retard passé un délai de deux mois courant à compter de la signification de sa décision et pendant 90 jours en se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamné in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix à verser à la Fédération CGT Commerce Distribution Services la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix à verser à la Fédération CGT Commerce Distribution Services la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamné in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie aux dépens.

Les sociétés Monoprix Holding anciennement dénommée LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et compagnie ont interjeté appel de la décision par déclaration du 24 février 2022.

Par ordonnance du 9 mars 2022 rendue par la présidente de la 6ème chambre sociale de la cour d'appel de Versailles, la requête aux fins d'être autorisées à assigner à jour fixe présentée par les sociétés Monoprix Holding anciennement dénommée LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et compagnie a été rejetée.

Par ordonnance du 11 septembre 2023, le magistrat de la mise en état de la 25ème chambre sociale de la cour d'appel de Versailles a donné acte à la Fédération CGT Commerce Distribution Services de son désistement d'incident tendant à voir ordonner la radiation de l'affaire en application de l'article 524 du code de procédure civile.

Par conclusions n°3 notifiées par voie électronique le 8 janvier 2024, les sociétés Monoprix Holding anciennement dénommée LRMD, Monoprix SAS, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et compagnie demandent à la cour de :

- déclarer recevables et bien fondées les sociétés Monoprix Holding anciennement dénommée LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et compagnie en leur appel,

Y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre en date du 20 janvier 2022 en ce qu'il :

' « rejette les irrecevabilités soulevées en défense,

' ordonne aux sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix, de régulariser la situation salariale de salariés qu'elles emploient et ont employés dans la catégorie « employés » et qui ont subi des retenues sur la prime sur objectif de performance dite POP en raison de leur absence pour cause de grève, maladie, accident du travail, accident de trajet, hospitalisation, cure, maternité et congé parental pour la période allant du mois de juillet 2016 au 30 juin 2020 et, ce, sous astreinte de 10 000 euros par infraction et par jour de retard passé un délai de deux mois courant à compter de la signification de sa décision et pendant 90 jours en se réservant la liquidation de l'astreinte,

' condamne in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix à verser à la Fédération CGT Commerce Distribution Services la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

' condamne in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix à verser à la Fédération CGT Commerce Distribution Services la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,

' condamne in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix, aux dépens »,

Statuant à nouveau,

. sur la demande d'illicéité de la prime POP :

- juger licite la prime d'objectif sur performance (POP employé) en vigueur dans les sociétés de l'UES Monoprix jusqu'à avril 2020 et en conséquence,

- débouter la fédération CGT Commerce Distribution Services de sa demande d'illicéité,

. sur la demande de régularisation des situations salariales individuelles :

- à titre principal, déclarer irrecevable et à tout le moins non fondée la demande de la CGT [sic] visant à la régularisation de la situation salariale individuelle de l'ensemble des salariés que l'UES emploie ou a employés dans la catégorie « employé » et qui ont subi des retenues sur la période non prescrite, soit à compter de juillet 2016,

- en conséquence, ordonner aux salariés et anciens salariés qui auraient bénéficié de régularisation de situations salariales individuelles injustifiées, à défaut à la CGT de rembourser à la société qui l'a versée la somme que chacun a perçue, sous astreinte de 100 euros par jour à compter du 30ème jour suivant la date à laquelle la société concernée lui aura demandé par LRAR le remboursement,

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour jugerait (i) le dispositif POP illicite totalement ou partiellement et (ii) recevable la demande de régularisation, juger que la régularisation ne peut porter que sur des retenues pratiquées à l'occasion d'absences dont elle préciserait les causes et sur les périodes non prescrites par 3 ans à la date de signification de l'arrêt ; encore plus subsidiairement sur les périodes non prescrites à la date de signification du jugement du 20 janvier 2022,

- ordonner le cas échéant la restitution au profit des sociétés appelantes par les salariés et anciens salariés des régularisations réalisées par les sociétés en exécution provisoire du jugement,

- ordonner le remboursement par la CGT de la somme de 10 000 euros versée par les sociétés en exécution provisoire au titre des dommages et intérêts,

- ordonner le remboursement par la CGT de la somme de 1 500 euros versée par les sociétés en exécution provisoire au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner le remboursement par la CGT de la somme de 467,75 euros versée par les sociétés en exécution provisoire au titre des dépens,

- condamner la CGT à verser à chaque société, Monoprix Holding anciennement dénommée LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et compagnie, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions n°1 notifiées par voie électronique le 22 juin 2022, la fédération CGT Commerce Distribution Services demande à la cour de :

- déclarer les sociétés composant l'UES Monoprix mal fondées en leur appel et les en débouter intégralement,

en conséquence,

- débouter les sociétés composant l'UES Monoprix de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement rendu le 10 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- condamner in solidum les sociétés composant l'UES Monoprix à verser à la fédération CGT Commerce Distribution Services la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en appel,

- les condamner in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Chateauneuf, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 10 janvier 2024, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 6 février 2024.

MOTIFS DE L'ARRET

La fédération CGT Commerce Distribution Services soutient que le dispositif de prime POP est discriminatoire et demande la régularisation de la situation des salariés et anciens salariés qui ont subi des retenues sur cette prime en raison de leur absence pour certains motifs, outre des dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession.

Sur la prime d'objectifs sur performance

La fédération CGT Commerce Distribution Services expose que le versement de la prime POP aux employés est conditionné à la fois par le rapport entre le chiffre d'affaires budgété et le chiffre d'affaires réalisé et par la présence du salarié au sein de l'entreprise au cours du trimestre.

Elle soutient que si le principe de la prise en compte des absences du salarié pour la détermination d'un avantage est possible, c'est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à du temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution. Elle estime que tel n'est pas le cas du dispositif POP puisque le régime de versement de la prime dépend de la nature de l'absence ; que le dispositif s'avère discriminatoire dès lors que les congés pour événements familiaux et la maladie d'un enfant n'ont pas d'incidence sur la POP, alors que, résultant d'un dispositif conventionnel, ils ne sont pas légalement assimilés à du temps de travail effectif, tandis que les absences liées notamment à la grève ou à la maladie privent le salarié de la prime.

Elle souligne que plusieurs salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour voir condamner leur employeur à leur verser des rappels de salaire correspondant à des retenues discriminatoires et que la chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé le caractère discriminatoire du dispositif à propos des retenues opérées pour des absences liées à la grève et à la maladie ; que cependant l'employeur a refusé de cesser d'appliquer le dispositif illégal et de régulariser la situation des salariés concernés. Elle indique que si le dispositif POP a désormais été dénoncé, il n'a été remplacé par aucun nouveau dispositif.

Les sociétés composant l'UES Monoprix répondent que seule une dizaine de salariés a considéré être victime d'une discrimination du fait du dispositif de prime POP, lequel a été supprimé à effet au 2ème trimestre 2020 car il était inadapté et peu attractif, sans mise en place d'un dispositif de substitution compte tenu de l'intransigeance de certaines organisations.

Elles soutiennent que la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué et que le dispositif qui maintient une prime en cas d'événements familiaux prévus par la convention collective applicable à l'entreprise mais l'exclut en cas d'absences non assimilées légalement à du temps de travail effectif n'est ni discriminatoire ni illicite.

L'article L. 1132-1 du code du travail dispose que 'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.'

Si l'employeur peut tenir compte des absences, même motivées par la grève, pour le paiement d'une prime, c'est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution (voir notamment Cas. soc., 23 novembre 2011, nº 10-15.644 qui concerne le dispositif POP mis en place au sein de l'UES Monoprix). A défaut, le mécanisme est jugé discriminatoire.

En l'espèce, les modalités d'application de la prime POP pour les employés des sociétés composant l'UES Monoprix sont énoncées dans un 'kit d'information sociale' qui précise que le dispositif est destiné à lutter contre l'absentéisme de courte durée et répétitif, qui désorganise le travail, et démotive les employés assidus et à récompenser ces derniers (pièce 1 du syndicat).

Il ressort de ce document que :

- ont un impact sur la POP (et privent donc le salarié de la prime) :

'' les absences supérieures à 1 jour sur le trimestre pour : accident de trajet, accident de travail, cure, hospitalisation, maladie, maternité, paternité, Fongecif, congé parental, congé sabbatique, absences autorisées non payées, congé de présence parentale, formation non rémunérée, grève, mise à pied,

'' quelle que soit leur durée : les absences injustifiées,

- n'ont pas d'impact sur la POP (et ne privent donc pas le salarié de la prime) les absences pour : congés payés, formation professionnelle, journée solidarité, juré, mi-temps thérapeutique, période militaire, pont jours fériés, préavis payé non effectué, heures de délégation, exercice de la fonction prud'homale, repos compensateur, jours RTT, récupération de jours fériés, jours d'ancienneté, récupération (pour journée de solidarité, 5 dimanches exceptionnels, inventaires, soldes, jours fériés, heures complémentaires et supplémentaires), jours accord handicapés, formation économique, sociale, syndicale - membres titulaires CE/CHSCT/Conseiller prud'homme, et en application des dispositions conventionnelles : enfant hospitalisé, enfant malade, baptême, communion, décès, déménagement, mariage, naissance.

Figurent ainsi parmi les motifs d'absence n'ayant pas d'impact sur la prime des congés conventionnels pour événements familiaux et les congés pour maladie d'un enfant.

Or ces congés ne sont pas assimilables à du temps de travail effectif.

En effet, les congés pour enfant malade ne sont prévus par aucun texte de loi.

Par ailleurs, l'article L. 3142-1 du code du travail énumère les congés pour événements familiaux légaux suivants : mariage ou conclusion d'un pacte civil de solidarité, mariage d'un enfant, naissance, arrivée d'un enfant placé en vue de son adoption, décès de certains membres de la famille, annonce de la survenue d'un handicap, d'une pathologie chronique nécessitant un apprentissage thérapeutique ou d'un cancer chez un enfant.

L'article L. 3142-2 du même code prévoit que ces congés n'entraînent pas de réduction de la rémunération et sont assimilés à du temps de travail effectif pour la détermination de la durée du congé payé annuel.

La chambre sociale de la Cour de cassation retient que les absences pour événements familiaux conventionnels ne sont pas légalement assimilés à du temps de travail effectif (Soc., 1er décembre 2016, n°15-24.693 et 15-24.694).

La convention collective nationale des grands magasins et des magasins populaires du 30 juin 2000 prévoit :

- en son article 9-8 des autorisations d'absence du salarié pour soigner un enfant malade,

- en son article 9-9 des congés exceptionnels à l'occasion de certains événements familiaux, dont elle précise d'ailleurs qu'ils sont 'non assimilés à un temps de travail effectif sauf pour la détermination du congé annuel' : en cas de mariage, décès, première communion d'un enfant, déménagement (pièce 12 des appelantes).

En prévoyant que les congés conventionnels pour événements familiaux et pour maladie d'un enfant, qui ne sont pas légalement assimilés à un temps de travail effectif, ne donnent pas lieu à une retenue sur la prime, alors qu'une retenue est opérée pour d'autres motifs d'absence, notamment la maladie ou la grève, le dispositif de prime POP revêt un caractère discriminatoire.

Toutes les absences n'entraînant pas les mêmes conséquences sur l'attribution de la prime, il doit être retenu que le dispositif de prime POP instauré le 1er juillet 2007au profit des employés des sociétés de l'UES Monoprix, en vigueur jusqu'au mois d'avril 2020, est discriminatoire.

Sur la régularisation de la situation des salariés

La fédération CGT Commerce Distribution Services demande que, par confirmation de la décision de première instance, il soit ordonné sous astreinte aux sociétés composant l'UES Monoprix de régulariser la situation salariale des salariés relevant de la catégorie 'employés' qui ont subi des retenues sur la prime POP en raison de certaines absences, pour la période allant du mois de juillet 2016 au 30 juin 2020.

Les sociétés composant l'UES Monoprix soutiennent que la demande est irrecevable et qu'elle est pour partie prescrite.

Sur la recevabilité de la demande

Les sociétés composant l'UES Monoprix soutiennent que la demande est irrecevable à plusieurs titres. Elles estiment en premier lieu que la CGT n'a pas un intérêt direct et personnel à agir pour obtenir la régularisation de situations individuelles. Elles font en outre valoir que la demande n'identifie ni les créanciers ni les débiteurs, ne détermine pas la nature et le montant de la créance, et que la procédure spéciale prévue en cas de discrimination par les articles L. 1134-1 et suivants du code du travail n'a pas été mise en 'uvre, le syndicat n'ayant pas adressé à l'entreprise, avant d'engager l'action, une demande tendant à faire cesser la discrimination.

La fédération CGT Commerce Distribution Services soutient que son action est parfaitement recevable aussi bien sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code du travail, dès lors qu'elle tend à la régularisation de salariés non précisément identifiés au regard de l'application d'une norme collective illégale, que sur le fondement des articles L. 1134-7 à L. 1134-9 du code du travail.

L'article L. 2132-3 du code du travail dispose que 'les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice.

Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.'

Un syndicat est recevable à agir pour demander l'exécution d'une convention, d'un accord collectif de travail, de la loi ou d'un engagement, leur non-respect étant de nature à causer nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de l'ensemble de la profession. Il est également recevable à agir pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier. Il n'est en revanche pas recevable à solliciter le paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées ou à demander la régularisation de situations individuelles, qui impliquerait de déterminer, pour chaque salarié, le contenu et les modalités des avantages qui lui sont dus.

En l'espèce, la demande de régularisation formée par la fédération CGT Commerce Distribution Services implique de déterminer, pour chaque salarié concerné, la nature des absences qui ont donné lieu à une retenue sur la prime POP et le montant de ces retenues. Elle se rapporte à l'intérêt individuel de chaque salarié concerné et non à la défense de l'intérêt collectif de l'ensemble de la profession. Est en outre sollicitée une astreinte applicable pour la régularisation de chaque salarié en cause.

Il convient en conséquence, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs d'irrecevabilité invoqués ni le moyen tiré de la prescription, d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a ordonné aux sociétés composant l'UES Monoprix de régulariser la situation des salariés ayant subi des retenues sur la prime POP en raison de leur absence pour certains motifs, sous astreinte.

Statuant à nouveau, la cour déclarera la fédération CGT Commerce Distribution Services irrecevable en sa demande de régularisation sous astreinte.

Sur la demande reconventionnelle en restitution des sommes perçues au titre de la première instance

Les sociétés composant l'UES Monoprix demandent qu'il soit ordonné aux salariés et anciens salariés qui auraient bénéficié de régularisation de situations salariales individuelles injustifiées, à défaut à la fédération CGT Commerce Distribution Services, de rembourser à la société qui l'a versée la somme que chacun a perçue, sous astreinte.

Or en premier lieu, ainsi que le souligne la fédération CGT Commerce Distribution Services, la demande est sans objet dès lors que l'infirmation de la décision de première instance vaut titre exécutoire pour la restitution des sommes versées.

En second lieu, une astreinte ne saurait être prononcée à l'encontre de salariés qui ne sont pas parties à la procédure.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts

La fédération CGT Commerce Distribution Services fait valoir que la discrimination résultant de l'application d'une norme collective porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession ; qu'en outre, l'employeur a eu une attitude déloyale en prétendant mensongèrement que les conditions d'attribution de la POP avaient été modifiées pour refuser de régulariser la situation des salariés, ce qui porte également atteinte à l'intérêt collectif de ces derniers. Elle demande en conséquence confirmation de la décision de première instance qui lui a alloué une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Les sociétés composant l'UES Monoprix, estimant que le jugement doit être intégralement réformé, concluent au débouté de la demande.

En contestant la régularité du dispositif de prime POP, la fédération CGT Commerce Distribution Services agit pour la défense d'une catégorie de salariés - les employés - et poursuit la réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, par une action de nature collective et non individuelle.

L'action est bien fondée en ce qu'il a été retenu plus avant que le dispositif de prime POP appliqué aux employés des sociétés composant l'UES Monoprix est discriminatoire.

L'existence d'une discrimination pour l'application de la prime en cause porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession.

A l'issue de plusieurs contentieux prud'homaux ayant opposé des salariés à l'entreprise au sujet du paiement de la prime POP, la fédération CGT Commerce Distribution Services a, par courrier du 29 septembre 2017, demandé à la direction des ressources humaines de Monoprix de mettre immédiatement un terme à la pratique de la privation du versement de la prime POP trimestrielle en cas d'absence de plus d'un jour dans les cas qu'elle a énumérés, et de régulariser la situation de l'ensemble des salariés qui auraient été privés du versement de la prime POP pour ce motif sur les trois dernières années (pièce 2 du syndicat).

La société a répondu le 16 octobre 2017 que les décisions rendues dans des cas individuels n'avaient pas une portée collective (pièce 3 du syndicat).

Le syndicat a réitéré sa demande par courrier du 9 novembre 2018. Par courrier du 28 novembre 2018, la société a maintenu sa position, en ajoutant que les modalités d'attribution de la prime POP 'ne sont plus les mêmes que celles qui avaient présidé aux contentieux auxquels vous faites référence', sans que cette affirmation soit corroborée par les pièces versées au débat (pièces 4 et 5 du syndicat).

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'indemnisation du syndicat sera fixée à la somme de 3 000 euros, par infirmation de la décision entreprise.

Sur les demandes accessoires

Le caractère discriminatoire du dispositif de prime POP étant reconnu, la décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

L'appel n'étant que partiellement fondé, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 20 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre sauf en ce qu'il a :

- condamné in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix à verser à la fédération CGT Commerce Distribution Services la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum les sociétés LRMD, Monoprix, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie aux dépens,

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le dispositif de prime POP instauré le 1er juillet 2007au profit des employés des sociétés de l'UES Monoprix, jusqu'au mois d'avril 2020, comporte des dispositions discriminatoires,

Déclare irrecevable la demande de la fédération CGT Commerce Distribution Services tendant à voir ordonner aux sociétés de l'UES Monoprix de régulariser la situation salariale de l'ensemble des salariés qu'elles emploient et ont employés dans la catégorie « employés » et qui ont subi des retenues pour absences sur la « POP » sur la période non prescrite, soit à compter de juillet 2016, sous astreinte,

Condamne in solidum les sociétés Monoprix Holding anciennement dénommée LRMD, Monoprix SAS, Aux galeries de la croisette, Monoprix Exploitation et SMC et Compagnie, composant l'UES Monoprix, à verser à la fédération CGT Commerce Distribution Services la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Domitille Gosselin, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-2
Numéro d'arrêt : 22/00608
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.00608 ?
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