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29/04/2024 | FRANCE | N°23/01275

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-3, 29 avril 2024, 23/01275


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80O



Chambre sociale 4-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 AVRIL 2024



N° RG 23/01275 -

N° Portalis DBV3-V-B7H-V3LL



AFFAIRE :



S.A.S. SAGE



C/



[U] [M]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 mai 2021 par le Conseil de prud'hommes de NANTERRE-

N° Section : AD

N° RG :19/03028



Copies exécutoires et

certifiées conformes délivrées à :



Me Loïc TOURANCHET de la SAS ACTANCE



M. [F] [N]







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suiv...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80O

Chambre sociale 4-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 AVRIL 2024

N° RG 23/01275 -

N° Portalis DBV3-V-B7H-V3LL

AFFAIRE :

S.A.S. SAGE

C/

[U] [M]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 mai 2021 par le Conseil de prud'hommes de NANTERRE-

N° Section : AD

N° RG :19/03028

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Loïc TOURANCHET de la SAS ACTANCE

M. [F] [N]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. SAGE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Loïc TOURANCHET de la SAS ACTANCE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168 substitué à l'audience par Me Olivia TESSEMA, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Monsieur [U] [M]

né le 10 Octobre 1985 à

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : M. [F] [N] (Défenseur syndical ouvrier)

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Président,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,

Madame Michèle LAURET, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

FAITS ET PROCÉDURE

La société Sage est spécialisée dans le domaine de l'édition de logiciels.

M. [M] a été engagé par la société Sage en qualité de Credit'Collections Analyste par contrat à durée déterminée en date du 26 septembre 2019. Il percevait une rémunération annuelle brute de 28'000 euros. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des bureaux d'études et sociétés de conseils.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 novembre 2019, la société Sage a convoqué M. [M] à un entretien préalable à un licenciement, fixé le 20 novembre 2019, auquel il ne s'est pas présenté.

Par lettre recommandé avec accusé de réception du 28 novembre 2019, la société Sage a notifié à M. [M] la rupture anticipée de son contrat à durée déterminée en ces termes':

«'Monsieur, (...)

Ainsi, nous vous informons que votre absence à cet entretien ne nous a pas permis de recueillir vos explications sur les faits qui vous sont reprochés et que nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave pour les raisons ci-après exposées,

Embauché par notre société avec un début d'activité au 7 octobre 2019, nous constatons que vous êtes ainsi absent de votre poste de travail depuis le 8 octobre 2019, sans autorisation ni justificatif malgré nos multiples réclamations de justification adressées, notamment par mail du 11 octobre 2019 et par courriers recommandés du 28 octobre et du 6 novembre 2019.

Ce faisant nous vous informons que vous transgressez vos obligations en tant que salarié de notre société et ne respectez notamment pas notre règlement intérieur, dont nous vous rappelons l'article 4 du titre III :

'Toute indisponibilité, pour maladie ou accident doit être signalée par l'intéressé ou sa famille dès que possible et en tout état de cause dans les 48 heures, sauf cas de force majeure. Un certificat médical justifiant l'arrêt de travail et indiquant la durée prévue de l'indisponibilité doit être produit dans les 48 heures par le salarié malade ou accidenté et adressé au service du personnel.

Toute absence pour motif justifié autre que la maladie ou l'accident doit sauf, force majeure, faire l'objet d'une autorisation préalable du responsable hiérarchique, (...).

La demande d'autorisation doit être présentée au moins un jour à l'avance.

En cas de force majeure empêchant l'autorisation ; l'absence doit être notifiée et motivée à l'Entreprise dans les 48 heures au maximum. Le non-respect de ces dispositions pourra, selon les circonstances, être considéré comme une faute entraînant l'application des sanctions prévues par le règlement intérieur.'

Compte tenu de la gravité des fautes que nous vous reprochons et de ses conséquences pour la société, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. Le licenciement prend donc effet immédiatement sans préavis, dès l'envoi de cette lettre. Votre solde tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de rupture ni indemnité de préavis. (...) ».

Par requête introductive en date du 20 novembre 2019, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande tendant à dire la prise d'acte justifiée et en requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

Par jugement du 27 mai 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- jugé recevable la requête de M. [M] et déboute la société Sage de sa demande';

- jugé recevables les pièces produites par la société Sage et déboute M. [M] de ses demandes';

- requalifié le contrat de travail à durée déterminée de M. [M] en contrat de travail à durée indéterminée ;

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est injustifiée et produit les effets d'une démission ;

- dit que le licenciement pour faute grave est sans objet ;

- dit que M. [M] n'apporte aucun élément probant laisser supposer une situation de discrimination ;

- jugé établie l'infraction de travail dissimulée ;

- condamné la société Sage à verser à M. [M] :

* 60,16 euros à titre de remboursement du pass Navigo ;

* 2.333,34 euros bruts à titre d'indemnité de requalification ;

* 14.000,04 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé';

* 50 euros d'indemnité au titre l'article 700 du code de procédure civile';

- condamné la société Sage à remettre à M. [M] une attestation Pôle-Emploi, un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail et une fiche de paie conformes au présent jugement ;

- dit que les intérêts sur l'indemnité accordée au titre de l'article 700 du code de procédure civile commenceront à courir à compter du prononcé du jugement ;

- dit que les intérêts sur les autres condamnations, commenceront à courir à compter de la réception par la société Sage de la convocation à l'audience de jugement ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile';

- débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat, d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour rupture abusive, de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat, de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'indemnité pour faute de l'employeur, de dommages et intérêts pour discrimination ;

- fixé à 2.333,34 Euros bruts le salaire moyen de M. [M] pour permettre l'exécution provisoire prévue par l'article R.1454-28 du code du travail ;

- met les éventuels dépens de l'instance à la charge de la société Sage ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

La société Sage a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel au greffe du 12 juillet 2021.

Par conclusions remises au greffe par lettre recommandée avec accusé de réception le 3 novembre 2021, M. [M], par la voie de M. [N], défenseur syndical, a sollicité la radiation de l'affaire.

Par conclusions reçues le 8 novembre 2021, M. [M] a conclu à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la condamnation de la société Sage à lui verser la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions du 1er février 2022, la société Sage a conclu au rejet de la demande de radiation et, à titre reconventionnel, elle a demandé qu'il soit prononcé l'irrecevabilité des conclusions d'intimé de M. [M] du 8 novembre 2021 en ce qu'elles ont été transmises au-delà du délai de trois mois.

Aux termes de ses dernières conclusions sur incident adressées par LRAR du 30 août 2022, M. [M] a conclu à titre principal à l'irrecevabilité des conclusions et de la déclaration d'appel de la société Sage et, à titre subsidiaire, à la radiation de l'affaire.

Par ordonnance d'incident en date du 24 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a':

- dit n'y avoir lieu à écarter des débats les conclusions responsives n°2 de la société Sage en date du 23 septembre 2022,

- rejeté la demande d'irrecevabilité des conclusions d'appelante et de la déclaration d'appel,

- ordonné la radiation du rôle de la cour de l'affaire n° 21/2258 ;

- dit que la réinscription de l'affaire au rôle de la cour se fera sur justification par la société Sage de l'exécution de la décision dont appel,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Sage aux dépens de l'incident,

- dit que la présente décision sera notifiée aux représentants des parties par le greffe,

- rappelé que la présente ordonnance peut faire l'objet d'un déféré sur la recevabilité de la déclaration d'appel et l'irrecevabilité des conclusions d'intimé dans les quinze jours de sa date, dans les conditions de l'article 916 du code de procédure civile.

Le 9 décembre 2022, M. [N], défenseur syndical, a informé la cour de ce qu'il ne représentait plus M. [M] depuis le 5 décembre 2022.

Par conclusions déposées au RPVA le 25 avril 2023, la société Sage a demandé à la cour qu'il soit constaté qu'elle a procédé à l'exécution provisoire du jugement du conseil des prud'hommes et que l'affaire soit réinscrite au rôle. A la demande du conseiller de la mise en état, la société Sage a justifié de la réception par M. [M] du courrier recommandé auquel était joint le règlement des condamnations prononcées en première instance.

L'affaire a été réinscrite sous le n°23/01275 le 26 juin 2023.

Le 11 décembre 2023, le greffe a adressé à M. [N], défenseur syndical, le calendrier de procédure fixé, et lui a précisé qu'en dépit de son courrier du 9 décembre 2022 l'informant de ce qu'il ne représentait plus M. [M], il restait inscrit au dossier au titre de la procédure écrite tant qu'un confrère ne se constitue pas en ses lieux et places.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 31 janvier 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 27 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Sage demande à la cour de':

A titre principal

- confirmer le jugement du 27 mai 2021 du Conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a :

* jugé recevables les pièces produites par la société Sage et débouté M. [M] de ses demandes';

* dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est injustifiée et produit les effets d'une démission ;

* dit que le licenciement pour faute grave est sans objet';

* dit que M. [M] n'apporte aucun élément probant laisser supposer une situation de discrimination ;

* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire au titre de l'article 515 du Code de procédure civile';

* débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat, d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour rupture abusive, de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat, de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'indemnité pour faute de l'employeur, de dommages et intérêts pour discrimination.

- infirmer le jugement du 27 mai 2021 du Conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a :

* juge recevable la requête de M. [U] [M] et débouté la société SAGE de sa demande';

* requalifie le contrat de travail à durée déterminée de M. [M] en contrat de travail à durée indéterminée';

* jugé établie l'infraction de travail dissimulée';

* condamne la société Sage à verser à M. [U] [M]';

° 60,16 euros à titre de remboursement du pass Navigo';

° 2.333,34 euros bruts à titre d'indemnité de requalification ;

° 14.000,04 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé';

° 50 euros d'indemnité au titre l'article 700 du code de procédure civile';

* condamne la société Sage à remettre à M. [M] une attestation Pôle- Emploi, un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail et une fiche de paie conformes au présent jugement ;

* dit que les intérêts sur l'indemnité accordée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile commenceront à courir à compter du prononcé du jugement';

* dit que les intérêts sur les autres condamnations, commenceront à courir à compter de la réception par la société Sage de la convocation à l'audience de jugement';

* ordonne la capitalisation des intérêts ;

* mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de la société Sage ;

* débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Et, statuant à nouveau :

- débouter M. [U] [M] de toutes ses demandes

- condamner M. [U] [M] à verser à la société Sasu Sage la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile';

- condamner M. [U] [M] aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites.

Par conclusions remises au greffe le 8 novembre 2021 par lettre recommandée avec accusé de réception, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [M] demande à la cour de':

- confirmer le jugement du 27 mai 2021 en son dispositif,

Y ajoutant,

- 1 200 euros au tire de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses motifs, M. [M] fait valoir qu'il ne conteste pas le jugement entrepris et qu'il considère que les premiers juges ont rendu un jugement motivé qu'il convient de confirmer en cause d'appel dans tout son dispositif.

MOTIFS

Sur la procédure

La cour est saisie de conclusions transmises au greffe le 8 novembre 2021 par M. [N], défenseur syndical, représentant les intérêts de M. [M], intimé, mais il ne lui a pas été adressé les pièces afférentes, M. [N] ne représentant plus les intérêts de M. [M] depuis le 5 décembre 2022.

Sur la requalification du contrat à durée déterminée

La société Sage conclut à l'infirmation de la décision entreprise ayant requalifié le contrat de travail à durée déterminée de M. [M] en un contrat à durée indéterminée en alléguant l'intention frauduleuse et la mauvaise foi de M. [M], qui a refusé de signer la promesse d'embauche dans les délais impartis, s'est présenté dans les locaux de la société le 7 octobre 2019 en sachant qu'il s'agissait d'un CDD sans toutefois remettre la promesse d'embauche ni aucun des documents administratifs nécessaires à l'établissement de son CDD et à sa déclaration préalable à l'embauche. La société ajoute qu'il s'est ensuite absenté sans justifier de ses absences malgré les différentes relances qui lui ont été faites, qu'il a ensuite pris acte de la rupture de son contrat puis a saisi le conseil des prud'hommes en sollicitant la condamnation de la société Sage à lui verser plus de 100 000 euros alors même qu'il n'avait été présent qu'un seul jour au sein de la société. Elle souligne enfin qu'il a déclaré de manière erronée devant les premiers juges qu'il était à la recherche d'un emploi alors qu'il a créé sa société à effet du 1er janvier 2019 tout en s'engageant à travailler en CDD du 7 octobre 2019 au 7 janvier 2020.

M. [M] sollicite la confirmation du jugement aux termes des conclusions susvisées, en se rapportant aux motifs retenus par les premiers juges, ayant considéré qu'il n'était pas établi la preuve de son intention frauduleuse.

****

Selon l'article L. 1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

Et, en application de l'article L.1245-1,'est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6, L. 1242-7, L. 1242-8-1, L. 1242-12, alinéa 1er, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13-1, L. 1244-3-1 et L. 1244-4-1 (...)'.

La signature d'un contrat de travail à durée déterminée a le caractère d'une prescription d'ordre public dont l'omission entraîne, à la demande du salarié, la requalification en contrat à durée indéterminée. Il n'en va autrement que lorsque le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse (Soc., 10 avril 2019, n°18-10.614).

La fraude corrompt tout. Si la signature d'un contrat écrit, imposée par la loi dans les rapports entre l'entreprise de travail temporaire et le salarié afin de garantir qu'ont été observées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite, a le caractère d'une prescription d'ordre public dont l'omission entraîne à la demande du salarié la requalification en contrat de droit commun à durée indéterminée, il en va autrement lorsque le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de mission dans une intention frauduleuse (Soc., 24 mars 2010, n° 08-45.552, publié).

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats par la société Sage qu'à la suite d'entretiens en date des 19 et 23 septembre 2019, la société Sage a informé M. [M] par courriel du 23 septembre que sa candidature avait été retenue pour le poste de chargé de recouvrement. Le 26 septembre 2019, la société lui a adressé une lettre d'embauche valable jusqu'au 6 octobre 2019, par laquelle elle l'a d'abord informé de son embauche à compter du 7 octobre 2019 en contrat à durée déterminée en qualité de «'crédit collections analyst'», lui a ensuite demandé de donner son accord en signant la lettre transmise, et de transmettre enfin via un formulaire la photocopie de sa carte d'identité, son attestation de carte vitale, afin de procéder à la déclaration préalable à son embauche auprès de l'URSSAF.

La société Sage démontre au travers de la capture d'écran du logiciel DocuSign du 31 janvier 2020 que M. [M] n'a pas signé la promesse d'embauche dans le délai imparti, au contraire de l'employeur.

Il résulte également des pièces produites que le 7 octobre 2019, M. [M] s'est présenté dans les locaux de la société sans fournir les documents requis pour la signature du contrat, ce qui résulte du courriel du 11 octobre 2019 adressé par la société à M. [M], par lequel elle lui a écrit «'vous avez intégré Sage le 7 octobre 2019 dans le cadre d'un contrat en CDD de 3 mois. Vous avez reçu une lettre d'embauche la semaine dernière que vous n'avez pas signée ce qui a empêché l'établissement de votre contrat et donc sa signature dès le jour de votre embauche. Vous êtes absent depuis le 8 octobre 2019 et nous sommes sans nouvelle de votre part concernant la durée de votre absence'; nous n'avons pas non plus à ce jour reçu de justificatif médical.(...)'».

Il est également établi par le courriel du 8 octobre 2019 adressé par M. [M] à la société Sage que l'intimé était absent ce jour-là, qu'il devait se rendre chez son médecin, mais qu'aucune pièce n'a été produit à ce titre pour en justifier. En effet, si par LRAR du 11 octobre 2019, M. [M] a transmis à la société Sage la photocopie de son pass Navigo et deux titres de transport, il ressort de l'attestation de la comptable et du courriel de la responsable du service de recouvrement que l'intimé n'a pas transmis d'autres justificatifs.

Puis, par courrier recommandé avec accusé réception du 24 octobre 2019, la société Sage, détaillant la chronologie des faits précédemment exposée, a souligné d'une part son impossibilité de soumettre à M. [M] le CDD faute de signature de la promesse d'embauche, d'autre part son absence injustifiée depuis le 8 octobre 2019, et en outre l'absence de transmission des documents administratifs nécessaires au versement de la rémunération résultant de la journée de travail effectuée. La société a enfin mis le salarié en demeure de régulariser sa situation en transmettant la promesse d'embauche signée, ainsi que les documents nécessaires au traitement administratif de son embauche (RIB, carte vitale, pièce d'identité, attestation de sécurité sociale) ainsi que les justificatifs de son absence. Elle lui a indiqué qu'à défaut de lui transmettre ces documents, elle ne serait pas en mesure de lui verser sa rémunération et de gérer son dossier sur le plan administratif.

Par courrier du 28 octobre 2019 non produit aux débats, M. [M] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Par LRAR du 6 novembre 2019, la société Sage s'est étonnée de son courrier et s'est interrogée sur son intention réelle d'intégrer la société, l'a de nouveau mis en demeure de produire les pièces précédemment sollicitées, et l'a convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé au 20 novembre 2019.

M. [M] ne s'est pas présenté à cet entretien mais il a saisi le conseil des prud'hommes le jour de cet entretien aux fins de requalification du CDD en CDI, de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'obtention de diverses sommes s'élevant à près de 100 000 euros.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. [M], à qui il avait été adressé une lettre d'embauche en vue de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée à effet du 7 octobre 2019, a refusé de la signer dans les délais impartis, a refusé de transmettre l'ensemble des documents administratifs sollicités de manière réitérée par la société afin d'établir le contrat de travail à durée déterminée et de procéder à la déclaration préalable à l'embauche. Il apparaît qu'ensuite l'intimé s'est présenté dans les locaux de la société le premier jour d'exécution du contrat, mais n'y est plus jamais retourné, en dépit des demandes successives de l'entreprise le mettant en demeure de justifier de son absence et d'adresser les documents administratifs nécessaires à l'établissement du contrat et de la DPAE. Il est établi que M. [M] n'a pas donné suite à ces mises en demeure et qu'il n'a pas justifié auprès de la société Sage de son absence, tandis qu'il ne le fait pas davantage aux termes de la procédure.

Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que M. [M] a refusé de signer la lettre d'embauche qui lui avaient été adressée et de transmettre les pièces requises par l'employeur aux fins d'établissement du CDD dans le seul but de se prévaloir ultérieurement de l'irrégularité résultant du défaut de signature, ce qui démontre l'existence d'une intention frauduleuse de M. [M]. Dès lors, il n'y a pas lieu à requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, par voie de rejet de la demande de M. [M], et d'infirmation de la décision entreprise. Cette dernière sera également infirmée s'agissant de l'indemnité de requalification qui a été allouée.

Sur la remise tardive du contrat à durée indéterminée

Selon l'article L.1242-13 du même code, 'le contrat de travail est transmis au salarié, au plus tard, dans les deux jours ouvrables suivant l'embauche.'.

En l'espèce, la société Sage conclut à la confirmation du jugement du conseil des prud'hommes ayant débouté ce dernier de ce chef, en soulignant que M. [M] ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour solliciter une indemnité sur ce fondement, tandis que M. [M] conclut à la confirmation de l'intégralité du dispositif.

En conséquence, la décision déférée sera confirmée de ce chef.

Sur la demande au titre des congés payés et de l'absence de visite médicale à l'embauche

Au regard de la demande de confirmation de la totalité du dispositif du jugement entrepris formulée par M. [M], il convient de confirmer la décision déférée ayant rejeté les demandes de ces chefs.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail et les demandes afférentes à la rupture

La prise d'acte est un acte par lequel le salarié prend l'initiative de rompre son contrat de travail en imputant la responsabilité de cette rupture à son employeur, en raison de manquements de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail de démontrer les manquements reprochés à l'employeur.

Au cas présent, le conseil des prud'hommes a considéré que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée par M. [M] par courrier du 28 octobre 2019 à la société Sage était injustifiée et produisait les effets d'une démission, et il a débouté l'intimé de ses demandes d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour rupture abusive, dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, pour exécution déloyale du contrat, pour préjudice moral, indemnité pour faute de l'employeur et discrimination, ainsi qu'au titre de l'indemnité de précarité et de remise tardive des documents de fin de contrat.

Il convient de confirmer le jugement entrepris sur l'ensemble de ces chefs de demandes, conformément aux demandes concordantes de la société Sage et de M. [M], qui conclut pour sa part à la confirmation du jugement en tout son dispositif.

Sur le travail dissimulé

Pour contester la motivation du conseil de prud'hommes ayant condamné la société Sage à verser une indemnité au titre du travail dissimulé, la société Sage souligne que l'élément intentionnel de l'infraction n'est pas démontré, puisque l'absence de déclaration préalable à l'embauche est imputable à M. [M] qui n'a pas transmis les documents sollicités de manière réitérée.

M. [M] conclut à la confirmation du jugement déféré.

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L.8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur s'est soustrait intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche.

En application de l'article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits visés à l'article L 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La charge de la preuve des éléments matériels et intentionnels de la dissimulation d'emploi de salarié incombe au salarié.

En l'espèce, il n'est pas contesté qu'il n'a pas été procédé à la déclaration préalable à l'embauche par la société Sage, de sorte que l'élément matériel est établi.

Néanmoins, M. [M] ne démontre pas que la société Sage s'est soustrait à cette obligation de manière intentionnelle, et il a été au contraire retenu par la cour que la société n'avait pas pu y procéder en raison de l'absence de transmission par M. [M] des documents administratifs requis et ce, en dépit des sollicitations réitérées de la société Sage, en date des 26 septembre, 11 octobre, 24 octobre et 6 novembre 2019.

En conséquence, il convient par voie de d'infirmation de débouter M. [M] de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

Sur le pass navigo

Pour conclure à l'infirmation du jugement entrepris ayant condamné la société Sage à verser 60,16 euros au titre du pass navigo, l'appelante indique que M. [M] n'a pas fourni son RIB ni justifié de son titre de transport. A titre subsidiaire, la société Sage souligne que la cour ne pourra la condamner qu'à verser 50 % du coût des titres des transports justifiés par le salarié soit 37,60 euros.

M. [M] a conclu à la confirmation du jugement ayant condamné l'employeur à lui verser la somme de 60,16 euros.

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En application des articles L. 3261-2 et R. 3261-1 du code du travail, l'employeur prend en charge les titres de transports publics à hauteur de 50 % du coût de ces titres pour le salarié.

En l'espèce, la société Sage produit en pièce 8 le justificatif produit par M. [M] au titre de son pass navigo pour le mois d'octobre 2019, d'un montant de 75,20 euros.

Il n'est pas démontré par M. [M] l'existence d'un usage au sein de l'entreprise tenant à la prise en charge par l'employeur de 80 % du coût des transports publics, en l'absence de pièce produite aux débats.

En conséquence, par voie d'infirmation de la décision entreprise, il convient de condamner la société Sage à verser à M. [M] la somme de 37,60 euros représentant 50 % du coût du pass navigo.

Cette condamnation produira des intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, par voie de confirmation du jugement entrepris, outre la capitalisation des intérêts prononcée en première instance.

Sur les autres demandes

Compte tenu de la solution du litige, la demande de remise des documents de fin de contrat est sans objet.

Par ailleurs, M. Sage, qui succombe en la quasi totalité de ses demandes, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, par voie d'infirmation de la décision déférée.

En outre, l'équité justifie de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en infirmant d'une part la décision de première instance ayant condamné la société Sage à verser à M. [M] la somme de 50 euros à ce titre, et en condamnant d'autre part M. [M] à verser à la société Sage la somme de 3 000 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 27 mai 2021, mais seulement en ce qu'il a requalifié le contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, et condamné la société Sage à verser des sommes à M. [M] au titre de l'indemnité de requalification, du travail dissimulé, du pass navigo s'agissant du quantum alloué, au titre des frais irrépétibles et aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Déboute M. [M] de sa demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et de celle au titre de l'indemnité de requalification,

Déboute M. [M] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

Condamne la société Sage à verser à M. [M] la somme de 37,60 euros à titre de remboursement des titres de transports, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,

Ordonne la capitalisation des intérêts,

Condamne M. [M] à verser à la société Sage la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne M. [M] aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-3
Numéro d'arrêt : 23/01275
Date de la décision : 29/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-29;23.01275 ?
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