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29/04/2024 | FRANCE | N°21/03731

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-3, 29 avril 2024, 21/03731


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 AVRIL 2024



N° RG 21/03731 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U44L



AFFAIRE :



[R] [P]



C/



S.A.S. TRANSPORTS BIZOT









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY-PONTOISE

N° Section : C

N° RG : 21/

00351



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Jordana ZAIRE de la SELARL SELARL LEJARD ZAÏRE SELTENE AVOCATS



Me Mickaël CHOURAQUI de la SELARL MCH AVOCATS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FR...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 AVRIL 2024

N° RG 21/03731 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U44L

AFFAIRE :

[R] [P]

C/

S.A.S. TRANSPORTS BIZOT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY-PONTOISE

N° Section : C

N° RG : 21/00351

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jordana ZAIRE de la SELARL SELARL LEJARD ZAÏRE SELTENE AVOCATS

Me Mickaël CHOURAQUI de la SELARL MCH AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [P]

né le 20 Avril 1972 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Jordana ZAIRE de la SELARL SELARL LEJARD ZAÏRE SELTENE AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 112

APPELANT

****************

S.A.S. TRANSPORTS BIZOT

N° SIRET : 384 315 057

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentant : Me Mickaël CHOURAQUI de la SELARL MCH AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 21

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Président,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,

Madame Michèle LAURET, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

FAITS ET PROCÉDURE

La société par actions simplifiée Transports Bizot a pour activité le transport routier des marchandises, la location de véhicules industriels avec chauffeur, le stockage et le déménagement pour le compte d'autrui, l'achat, la vente, la location de tous véhicules industriels et matériels roulants et elle emploie plus de 11 salariés.

M. [P] a été engagé par la société Transport Bizot en qualité de chauffeur livreur poids lourds bras de grue par contrat à durée indéterminée en date du 27 juin 2017, à compter du 3 juillet 2017. Le temps de travail était de 35 heures par semaine moyennant une rémunération mensuelle brute de 1'600 euros et les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des transporteurs routiers.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 mai 2021, M. [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en ces termes':

«'Salarié de votre entreprise en qualité de chauffeur-livreur depuis le 3 juillet 2017, je n'ai pu que constater ces dernières mois la dégradation significative de mon contrat de travail.

Alors que mon contrat de travail prévoit l'accomplissement de 35 heures de travail hebdomadaires, j'effectue en moyenne 40 à 50 heures de travail par semaine sans qu'aucune heure supplémentaire ne soit régularisée.

De plus vous avez changé ma rémunération sans aucun avenant à mon contrat de travail.

J'ai signalé à plusieurs reprises ces situations en vain.

Vous manifestez un mépris certain à mon égard vous permettant de m'appeler «'[D]'» et même de me présenter sous ce nom à nos fournisseurs.

Vos échanges verbaux se soldent régulièrement par des insultes de votre part à mon égard.

Le 12 janvier 2021, vous m'adressiez un avertissement doublé d'une sanction pécuniaire illicite en raison d'une manipulation accidentelle.

Curieusement, à compter du 13 janvier 2021, j'étais placé en activité partielle, une mesure régulièrement reconduite le soir pour le lendemain sans aucune visibilité, et ce, jusqu'au 19 avril 2021 date à laquelle vous m'informiez vouloir me «'réintégrer'».

Malgré la tentative de mon avocate pour régler la situation à l'amiable, vous n'avez pas daigné répondre au courrier qui vous était adressé le 20 janvier 2021.

Depuis, vous m'annoncez une convocation à un entretien pour «'régler'» ma situation sans autre explication.

Cette situation devenue insupportable et la pression que vous exercer impactent aujourd'hui ma santé ainsi que ma vie privée et familiale.

L'ensemble de ces raisons me conduisent, par la présente, à prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts.

Vous voudrez bien m'adresser mon salaire du mois d'avril toujours pas reçu à ce jour, ainsi que mon solde de tout compte, mon certificat de travail et mon attestation pôle emploi. (...)'».

Par requête introductive du 21 juin 2021, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise aux fins de paiement de diverses sommes et qu'il soit dit que la rupture de son contrat de travail s'analyse en une prise d'acte aux torts de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 1er décembre 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise a :

- fixé la moyenne de la rémunération brute mensuelle de M. [P] à 2 330 euros sur la base de la rémunération moyenne brute des 12 derniers mois

- dit que la rupture du contrat de travail de M. [P] s'analyse en une prise d'acte aux torts de la société Transports Bizot produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamné la société Transports Bizot à payer les sommes suivantes à M. [P] :

* 4 660 euros brut (quatre mille six cents soixante euros) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 466 euros brut (quatre cent soixante-six euros) au titre des congés payés afférents,

* 1 941,67 euros net (mille neuf cent quarante et un euros et soixante-sept centimes) au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 6 500 euros (six mille cinq cent euros) au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 800 euros net (mille huit cents euros) au titre du rappel de prime de grutage,

* 180 euros net (cent quatre-vingt euros) au titre des congés payés afférents,

* 1 000 euros net (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- dit que l'intérêt au taux légal court à compter de la date de réception de la convocation en ce qui concerne les créances salariales et à compter de la présente décision pour les autres sommes allouées

- ordonné la capitalisation des intérêts

- débouté le salarié de ses autres demandes

- débouté la société Tranports Bizot de ses demandes

- dit qu'il y a eu a exécution provisoire de la présente décision selon l'article 515 du code de procédure civile

- met les éventuels dépens de l'instance à la charge de la société Transports Bizot.

M. [P] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel au greffe du 20 décembre 2021.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 janvier 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 19 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [P] demande à la cour de':

À titre principal :

- infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Cergy-Pontoise en ce qu'il a rejeté les demandes de condamnation de la Sas Transports Bizot au paiement des sommes suivantes :

* Rappel de 4 mois de prime de non-accident : 1 000 euros

* Congés payés afférents : 100 euros

* Rappel d'heures supplémentaires : 10 180,38 euros

* Congés payés afférents : 1 018 euros

* Dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives au repos-compensateur (article L.3121-38 du Code du travail) : 1 000 euros

* Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (article L.8223-1 du code du travail) : 13 980 euros

En conséquence :

- annuler l'avertissement et la suspension de la prime de non-accident de 4 mois notifiés à Monsieur [P] par courrier du 12 janvier 2021

En conséquence :

- condamner la Sas Transports Bizot à verser à Monsieur [P] :

* Rappel de 4 mois de prime de non-accident : 1 000 euros

* Congés payés afférents : 100 euros

- condamner la Sas Transports Bizot à verser à Monsieur [P] :

* Rappel d'heures supplémentaires : 10 180,38 euros

* Congés payés afférents : 1018 euros

- condamner la Sas Transports Bizot à verser à Monsieur [P] à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives au repos-compensateur (article L.3121-38 du code du travail) : 1'000 euros

- condamner la Sas Transports Bizot à verser à Monsieur [P] à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (article L.8223- 1 du code du travail) : 13 980 euros

- confirmer le jugement de première instance en ses autres dispositions ;

A titre subsidiaire :

- confirmer purement et simplement le jugement de première instance rendu par le conseil de Prud'hommes de Cergy-Pontoise le 1er décembre 2021 en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause':

- ordonner la délivrance de documents fin contrat

- condamner la Sas Transports Bizot à verser à Monsieur [P] au titre de l'article 700 code de procédure civile : 2'500 euros

- ordonner que les sommes dues produisent intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes

- ordonner la capitalisation des intérêts

- condamner la société aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais d'exécution de la décision à intervenir

- débouter la Sas Transports Bizot de l'ensemble de ses demandes.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 26 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Transports Bizot demande à la cour de':

- infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise le 1er décembre 2021 en ce qu'il a :

* dit que la rupture du contrat de travail de M. [P] s'analyse en une prise d'acte aux torts de la société Transports Bizot produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

* condamné la société Transports Bizot à payer les sommes suivantes à M. [P] :

° 4.660 € brut (quatre mille six cent soixante euros) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

° 466 € brut (quatre cent soixante-six euros) au titre des congés payés afférents,

° 1.941,67 € net (mille neuf cent quarante et un euros et soixante-sept centimes) au titre de l'indemnité légale de licenciement,

° 6.500 € (six mille cinq cents euros) au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

° 1.800 € net (mille huit cents euros) au titre du rappel de prime de grutage,

° 180 € net (cent quatre-vingts euros) au titre des congés payés afférents,

° 1.000 € net (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant de nouveau.

- juger que la rupture du contrat de travail de M. [P] le 10 mai 2021 s'analyse en une démission.

- juger que M. [P] a été intégralement rempli de ses droits,

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise le 1er décembre 2021 en ce qu'il a débouté le salarié de ses autres demandes,

- condamner M. [P] d'avoir à payer à la société Transport Bizot la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande d'annulation de l'avertissement et de la suspension de la prime de non-accident

M. [P] sollicite l'annulation de l'avertissement et de la suspension de la prime de non-accident pendant 4 mois, au motif qu'il ne pouvait lui être notifié deux sanctions pour un même fait et que les sanctions financières sont prohibées, ce que conteste l'employeur qui soutient que cette suspension était prévue au contrat de travail et que la commission d'un accident responsable justifiait l'avertissement notifié.

Selon l'article L.1331-1 du code du travail, «'constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération'».

L'article L. 1331-2 de ce même code dispose que «'les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite'».

En application de cet article, le juge apprécie si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction disciplinaire puis leur degré de gravité. L'employeur doit fournir au juge les éléments qu'il a retenus pour prendre la sanction et au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié, le juge forme sa conviction et peut ordonner, si besoin est, toutes les mesures d'instructions utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.

Aux termes de l'article IV intitulé «Rémunération'» du contrat de travail, «'M. [P] bénéficiera, d'une rémunération brute mensuelle de 1 600 euros, à laquelle s'ajoute une prime mensuelle brute de non accident de 250 euros qui pourra être supprimée pendant 4 mois consécutifs en cas d'accident responsable ainsi qu'une prime de grutage de 150 euros'».

Par lettre du 12 janvier 2021, la société Transports Bizot a notifié à M. [P] d'une part la suspension de sa «'prime de non accident'» pendant 4 mois en raison de la destruction complète de l'équipement hydraulique à la suite d'une man'uvre au moyen d'un camion de l'entreprise effectuée le 11 janvier 2021 sur un chantier. Elle lui a d'autre part notifié sur ce même fondement un avertissement au motif suivants': «'nous pensons, et nous espérons à tort, que votre attitude est volontaire pour tenter de nuire à notre réputation et le bon fonctionnement de l'entreprise. Un tel comportement est inacceptable, et nous conduit à vous notifier cet avertissement, et qui, nous, l'espérons, vous fera prendre conscience de vos responsabilités professionnelles et de respect envers votre employeur'».

Par courrier de son conseil du 20 janvier 2021, M. [P] a contesté ces sanctions.

D'abord, en application de l'adage non bis in idem, un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour un même fait, ce qui est bien le cas en l'espèce, puisque l'employeur a notifié au salarié une sanction financière et un avertissement pour le même fait.

Ensuite, l'employeur ne justifie pas des motifs allégués au soutien de l'avertissement selon lesquels l'accident du 11 janvier 2021 serait dû à une attitude volontaire du salarié pour tenter de nuire à la réputation et au bon fonctionnement de l'entreprise, de sorte que cette sanction injustifiée doit être annulée, par voie d'infirmation de la décision déférée.

Enfin, en application de l'article L. 1331-2 du code du travail, la clause du contrat de travail relative à la suspension pendant 4 mois de la prime de 250 euros en cas d'accident responsable constitue une sanction pécuniaire prohibée, de sorte qu'elle est réputée non écrite. En conséquence, la suspension de la prime au préjudice de M. [P] doit être annulée et il convient d'accorder au salarié le rappel de salaire sollicité à hauteur de 1 000 euros outre 100 euros de congés payés, par voie d'infirmation de la décision entreprise.

Sur la prime de grutage

Selon l'article IV du contrat précité, une prime de grutage de 150 euros s'ajoute à la rémunération brute mensuelle.

Les termes clairs et précis de cette clause ne prévoient pas, comme le soutient l'employeur, que son versement mensuel était conditionné à l'utilisation par le salarié d'un engin élévateur, de sorte que la société Transports Bizot ne pouvait valablement la supprimer à compter du mois de mai 2020, au motif que cet usage a été diminué à la suite de la pandémie de Covid-19.

Il convient donc de confirmer la décision entreprise ayant condamné la société à verser au salarié un rappel de salaire de 1 800 euros à ce titre, outre 180 euros de congés payés afférents, correspondant à 12 mois de prime de grutage.

Sur les heures supplémentaires

Le salarié soutient avoir effectué des heures supplémentaires non rémunérées et sollicite un rappel de salaire de 10 180,38 euros outre congés payés afférents.

L'employeur conteste la réalité des heures supplémentaires alléguées et fait valoir que le salarié n'apporte aucun élément de preuve objectif.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalues souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, le salarié soumet à la cour'les éléments suivants :

- son contrat de salaire dont il ressort qu'il a été engagé en qualité de chauffeur livreur et qu'il était soumis à un horaire de 151,67 heures mensuelles soit 35 heures par semaine

- son courrier du 10 mai 2021 par lequel il a pris acte de la rupture de son contrat de travail au motif notamment de l'accomplissement d'heures supplémentaires non rémunérées, entraînant un temps de travail de 40 à 50 heures par semaine,

- un tableau des heures supplémentaires qu'il estime lui être dues au titre des années 2018 (150,71 heures), 2019 (220 heures) et 2020 (215,30 heures) (pièce n°14),

- il indique que les temps de trajet entre le siège et le chantier sur lequel il se rendait n'était pas compris dans le temps payé par l'employeur.

Ces éléments sont suffisamment précis et permettent à l'employeur de répliquer.

Or, la société Transports Bizot ne verse aux débats aucune pièce permettant de démontrer les horaires de travail effectivement réalisés par le salarié, alors que l'employeur a pourtant l'obligation d'enregistrer la durée du travail des chauffeurs livreur au moyen de disques chronotachygraphes. Il produit uniquement un tableau dont il ressort que le 23 juin 2020, le salarié a travaillé de 6h40 à 16h20, soit pendant près de 10 heures.

L'employeur relève uniquement que le salarié n'a adressé aucune réclamation pendant les quatre années du contrat de travail et qu'il présente un chiffrage des heures supplémentaires fantaisiste, sans justifier des heures qu'il aurait effectuées et sans indiquer le moindre horaire.

En conséquence, au vu de l'ensemble des pièces soumises à son appréciation, la cour fixe à la somme de 6 786,92 euros outre 678,69 euros de congés payés afférents, le rappel de salaire dû à M. [P] au titre des heures supplémentaires sur la période courant du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020, par voie d'infirmation du jugement entrepris.

Sur le repos compensateur

M. [P] sollicite des dommages-intérêts pour non-respect du repos compensateur en soulignant qu'il a travaillé 220 heures supplémentaires en 2019.

Vu l'article L. 3121-30 et D. 3121-14-1 du code du travail';

En l'espèce, la cour ayant retenu un nombre d'heures supplémentaires n'entraînant pas de dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires annuel de 220 heures, il convient de rejeter la demande de M. [P] à ce titre, par voie de confirmation de la décision entreprise.

Sur le travail dissimulé

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L.8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

En application de l'article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits visés à l'article L 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La charge de la preuve des éléments matériels et intentionnels de la dissimulation d'emploi de salarié incombe au salarié.

Au cas présent, si un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires a été alloué à M. [P], aucune pièce produite aux débats ne permet d'établir que l'employeur ait eu l'intention de se soustraire à ses obligations déclaratives en ne faisant pas figurer sur les bulletins de paie des heures de travail qu'il savait avoir été accomplies.

En conséquence, le salarié ne rapportant pas la preuve de l'élément intentionnel de l'infraction, il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de le débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

Sur la rupture du contrat de travail

La prise d'acte est un acte par lequel le salarié prend l'initiative de rompre son contrat de travail en imputant la responsabilité de cette rupture à son employeur, en raison de manquements de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail de démontrer les manquements reprochés à l'employeur.

En l'espèce, par courrier du 10 mai 2021 adressé à la société, M. [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur en invoquant le non-paiement des heures supplémentaires, le changement de sa rémunération sans avenant au contrat, les termes méprisants utilisés par son employeur à son égard, la notification le 12 janvier 2021 d'un avertissement doublé d'une sanction pécuniaire en raison d'une manipulation accidentelle et le placement en activité partielle à compter du 13 janvier 2021, mesure reconduite du soir au lendemain sans aucune visibilité jusqu'au 19 avril 2021.

Il a été retenu précédemment l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées par l'employeur, la suppression de primes de manière injustifiée et la notification de sanction irrégulières qui ont été annulées, de sorte que ces manquements reprochés à la société Transports Bizot sont bien fondés.

La cour considère que l'ensemble de ces griefs constituent des manquements graves aux obligations de l'employeur, de nature à rendre impossible la poursuite de la relation de travail, et ce, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs allégués.

En conséquence, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par lettre du salarié du 10 mai 2021 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie de confirmation du jugement déféré.

Sur les conséquences de la rupture

Le licenciement de M. [P] étant sans cause réelle et sérieuse, l'employeur sera condamné, par voie de confirmation du jugement entrepris, à lui verser les sommes de':

- 4 660 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 466 euros de congés payés afférents, sur le fondement de l'article L. 1234-1, 3°, du code du travail, le salarié comptant une ancienneté supérieure à 2 ans, calculée sur la base du salaire brut que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé pendant ce délai-congé,

- 1 941,67 euros à titre d'indemnité légale de licenciement en application de l'article L 1234-9 du code du travail,

- 6 500 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, étant précisé que si M. [P] demande aux termes de ses motifs la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 9 320 euros à ce titre en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, et non la somme de 6 500 euros allouée en première instance, il ne conclut pas à l'infirmation de ce chef et ne formule pas cette prétention dans son dispositif, de sorte que la cour n'en est pas saisie au sens de l'article 954 du code de procédure civile.

Il convient enfin de condamner l'employeur à rembourser aux organismes concernés, les indemnités chômage perçus par le salarié du jour de son licenciement au jour de l'arrêt, en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail qui sont dans le débat et l'imposent, dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur la remise de documents

Il convient d'ordonner à l'employeur de remettre au salarié les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt.

Sur les intérêts

Les créances de nature salariale porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire à compter à compter du jugement entrepris.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux-mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière.

Sur l'article 700 et les dépens

Au vu de la solution du litige, il convient, par voie de confirmation du jugement entrepris, de condamner la société Transports Bizot aux dépens de première instance et d'appel.

En outre, il convient de condamner la société Transports Bizot à verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles. Enfin, les demandes formulées par la société Transports Bizot au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées, par voie de confirmation en première instance, et également au titre de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise du 1er décembre 2021, mais seulement en ce qu'il a débouté M. [P] de ses demandes d'annulation de l'avertissement et de la suspension de la prime de non-accident, et de rappel de salaire au titre de la prime de non-accident et des heures supplémentaires,

Statuant des chefs des dispositions infirmées, et y ajoutant,

Annule l'avertissement notifié à M. [P] le 12 janvier 2021,

Annule la suspension de la prime de non-accident de 4 mois notifiée à M. [P] le 12 janvier 2021,

Condamne la société Transports Bizot à verser à M. [P] la sommes de':

- 1 000 euros à titre de rappel de prime de non-accident, outre 100 euros de congés payés afférents,

- 6 786,92 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires sur la période courant du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020, outre 678,69 euros de congés payés afférents,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire à compter du jugement entrepris,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

Ordonne la société Transports Bizot de rembourser aux organismes concernés les indemnités chômage versées à M. [P] du jour du licenciement au jour de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités,

Ordonne à la société Transports Bizot de remettre au salarié les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Transports Bizot à verser à M. [P] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamne la société Transports Bizot aux dépens en cause d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-3
Numéro d'arrêt : 21/03731
Date de la décision : 29/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-29;21.03731 ?
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