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29/04/2024 | FRANCE | N°21/03716

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-3, 29 avril 2024, 21/03716


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 AVRIL 2024



N° RG 21/03716 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U4XP



AFFAIRE :



[I] [D]



C/



S.A.S. CAMECA











Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : F19/03079r>


Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Anne-Sophie CARLUS de la SELAS JDS AVOCATS



Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 AVRIL 2024

N° RG 21/03716 -

N° Portalis DBV3-V-B7F-U4XP

AFFAIRE :

[I] [D]

C/

S.A.S. CAMECA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : F19/03079

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Anne-Sophie CARLUS de la SELAS JDS AVOCATS

Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [D]

né le 17 Août 1974 à [Localité 5] (GHANA)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Anne-Sophie CARLUS de la SELAS JDS AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0028 substitué à l'audience par Me Lymia KENZOUA, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.S. CAMECA

N° SIRET : 403 092 216

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619

Représentant : Me Saliha HARIR de la SELEURL ARKHEOM AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1240

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Président,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,

Madame Michèle LAURET, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [I] [D] a été engagé par la société par actions simplifiée (S.A.S.) Cameca par contrat de travail à durée déterminée du 1er février 2002, prolongé à deux reprises, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2002 en qualité de monteur micro-mécanicien au statut ouvrier, niveau IV échelon 270 TA3, pour un temps de travail à temps plein moyennant en toute fin de relation contractuelle, une rémunération brute mensuelle de base de 2 704,77 euros à laquelle s'ajoutent un treizième mois et une prime d'ancienneté de 212,24 euros.

La société par actions simplifiée Cameca a été immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 403 092 216. Elle exerce une activité de fabrication et de vente de tous appareils ou éléments d'appareils électroniques et mécaniques de haute précision en particulier, d'instruments scientifiques. Elle emploie plus de 10 salariés.

Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective nationale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne du 16 juillet 1954.

Par courrier du 13 novembre 2018, la société Cameca a convoqué M. [D] à un entretien préalable à un licenciement fixé au 22 novembre 2018 et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 novembre 2018, la société Cameca a notifié à M. [D] son licenciement pour faute grave en ces termes :

" Monsieur,

Conformément aux articles L.1232-2 du Code du travail, nous vous avons convoqué par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 13 novembre 2018 à un entretien ayant pour objet votre éventuel licenciement, le 22 novembre dernier étant précisé que cette convocation était assortie d'une mise à pied à titre conservatoire.

Vous vous êtes présenté à cet entretien assisté de Monsieur [O] [J], Délégué du personnel.

Le délai légal de réflexion prévu par l'article L.1232-6 du Code du travail étant écoulé, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave pour les motifs suivants étant rappelé en liminaire que vous avez intégré la Société CAMECA, par contrat à durée indéterminée en date du 1 février 2002.

Vous occupiez en dernier lieu les fonctions de Monteur Micro mécanicien, Ouvrier Niveau IV échelon 270 TA3 de la Convention collective de la Métallurgie de la Région Parisienne et de son avenant mensuel.

Nous sommes aujourd'hui contraints de déplorer de graves manquements de votre part.

Ainsi, il nous est apparu, par différents canaux, qu'une de nos salariées, la seule femme de votre équipe au demeurant, était en situation d'extrême souffrance du fait de votre attitude à son endroit. Une enquête a été diligentée par le CHSCT du 29 octobre au 8 novembre 2018. Plusieurs collaborateurs ont pu être entendus suite aux propos qu'avait pu relayer cette collaboratrice. Vous avez-vous-même été entendu, par la commission désignée par les membres du CHSCT dans le cadre de cette enquête, le 5 novembre dernier, aux fins de voir recueillir vos explications. Vous avez souhaité être assisté au cours de cette audition.

Cet entretien a duré un peu moins de 10 minutes, minutes au cours desquelles vous avez répondu invariablement à chaque question qui vous a été posée : " je ne me souviens pas d'avoir dit ça. Je n'ai jamais dit ça " ; " je n'ai jamais tenu les propos qui me sont attribués ", " je n'ai jamais dit ça, je ne suis pas au courant " ; " je ne suis pas au courant ", " je n'ai jamais dit ça, je ne suis pas au courant ", " je n'ai jamais tenu ces propos [...] ".

Cette collaboratrice nous a elle-même confirmé son état de stress et les difficultés rencontrées au quotidien du fait de votre attitude permanente de défiance et d'hostilité à son égard. Elle fait état de propos sexistes réguliers de votre part qui se sont accentués lorsqu'elle avait signé son contrat à durée indéterminée. Lors de son audition, cette salariée est venue préciser être en butte en permanence à vos propos désobligeants.

Elle ajoute que vous n'avez eu de cesse de la renvoyer à son statut de femme et à son absence de compétence et de légitimité sur son poste. Elle précise vous avoir demandé à de nombreuses reprises que cela cesse sans jamais avoir été entendue.

Elle indique enfin que vos remarques déplacées quotidiennes l'ont profondément affectée et que cela a eu un impact sur sa vie privée. Elle précise se sentir humiliée de ce manque de respect perpétuel de votre part. Précisons que cette salariée a vu son état de santé se dégrader et a été contrainte de se faire arrêter plusieurs jours.

Il ressort de l'enquête qui a été diligentée que plusieurs collaborateurs ont été spectateurs de vos propos outranciers permanents.

Ces collaborateurs confirment les propos de cette salariée au travers d'un certain nombre de verbatim non exhaustifs :

- " [...] Monsieur [D] disait ouvertement devant elle qu'une femme n'a rien à faire au montage. Monsieur [D] a présenté sa position comme étant culturelle (...) ".

- " [...] Monsieur [D] tient toujours les mêmes propos sexistes (...] ".

- " [...J Les femmes doivent rester à la maison et les hommes au travail. " C'est un état d'esprit sur les femmes en général. Pour Monsieur [D], cela est culturel (...) ".

- " [.] Les femmes, c'est bon qu'à s'occuper des mômes, à faire le ménage ; elles n'ont rien à faire au travail, dans l'atelier [...] ".

- " [..] on ne veut pas de femme ; une femme dans l'atelier, ça fout le bordel [']".

Par vos propos, vos plaisanteries déplacées, vous n'avez eu de cesse que d'instaurer un climat de pression et de créer une situation intimidante, humiliante, dégradante et offensante. Vous avez distillé de façon permanente des remarques sexistes et vos opinions dépassées sur la place de la femme dans le monde du travail, la démotivant aux seules fins, probablement, de la voir quitter son poste ce qu'elle a d'ailleurs envisagé de faire en s'en ouvrant auprès de l'une de ses collègues.

Votre attitude est en totale inadéquation avec ce que nous sommes légitimement en droit d'attendre de nos collaborateurs.

Nous vous rappelons que votre liberté d'expression a pour limite la courtoisie, la bienséance et le respect de l'ensemble des collaborateurs, dussent-ils, vous en déplaise, être des femmes. Vous l'avez largement outrepassée.

Pire, alors que vous avez eu, de toute évidence, vent des propos de cette salariée et de l'enquête diligentée, vous avez indiqué à plusieurs collaborateurs, le 7 novembre dernier, " si [N] revient, le la détruis psychologiquement ". Un de vos interlocuteur vous a d'ailleurs appelé à d'avantage de tempérance et vous a répondu : " Tu ne te rends pas compte de l'affaire dans laquelle tu te trouves ".

La personne auditrice involontaire de vos propos a été durement ébranlée tant par la violence de vos propos que par votre véhémence au moment de cet incident.

Vos propos dénotent votre volonté clairement affichée d'en découdre violemment avec cette salariée en lui ruinant la santé si d'aventure elle avait l'aplomb de réintégrer son poste ce que nous ne saurions admettre.

Aussi et au-delà des propos sexistes réguliers et absolument inadmissibles que vous avez pu tenir au quotidien à cette salariée, propos aussi peu professionnels qu'ils sont déplacés, vos menaces clairement formulées à son endroit ne viennent que corroborer votre attitude des plus contestables et que nous ne saurions tolérer plus avant compte tenu notamment de l'obligation de sécurité de résultat nous incombant.

Lors de l'entretien du 22 novembre 2018, vous avez dit votre étonnement par rapport à ces accusations. Vous avez indiqué ne pas vous " douter qu'elle se sentait mal ". Vous avez néanmoins nié les propos qui sont rapportés et notamment les menaces proférées à son encontre.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est d'évidence que votre comportement s'apparente à des faits de harcèlement sexiste et de propos menaçant l'intégrité physique et mentale de cette collaboratrice, inacceptables aux yeux de la loi et des valeurs de notre entreprise.

L'ensemble de vos agissements ne sauraient être tolérés et nous contraignent à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. Votre maintien dans nos effectifs s'avérant impossible, le licenciement prend donc effet immédiatement ce jour, sans préavis ni indemnité de licenciement.

En outre, nous vous informons que vous disposez de la faculté de solliciter le maintien, pour une durée de douze mois maximums et à condition de justifier de votre affiliation au régime d'assurance-chômage et de votre prise en charge par ce régime sous forme d'allocations d'assurance-chômage, des garanties mutuelle et prévoyance prévues par le contrat collectif auquel notre Société a souscrit et ce, à titre gratuit.

Si vous souhaitez ce maintien, lequel cessera lors de la reprise d'un nouvel emploi ou en tout état de cause à l'issue de la période de maintien des droits, il vous incombera de retourner dans les meilleurs délais auprès de [Z] les documents certifiant de votre prise en charge à l'assurance chômage.

Par ailleurs, vous pouvez bénéficier des dispositions de l'article 4 de la Loi Evin qui vous permet, sous certaines conditions, notamment à condition de le faire valoir dans les 6 mois qui suivent le départ de l'entreprise à l'assureur actuel, de conserver le bénéfice du contrat de complémentaire santé groupe à caractère obligatoire.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans un délai de 15 jours à compter de la première présentation de la lettre de licenciement. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de 15 jours après réception de cette demande par courrier recommandé avec accusé de réception. Nous pouvons également, le cas échéant, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de 15 jours après la notification du licenciement.

Dès réception de la présente, vous voudrez bien prendre contact avec le service ressources humaines ([XXXXXXXX01] ou par mail [Courriel 4]) afin que les documents inhérents à la fin de votre contrat de travail vous soient remis. Vous voudrez bien à cette occasion nous restituer l'ensemble du matériel et des documents en votre possession et appartenant à l'entreprise et notamment une mallette d'intervention et un ordinateur portable ".

M. [D] a contesté les griefs reprochés par courrier du 10 décembre 2018 mais la société n'a pas souhaité revenir sur sa décision de licenciement.

Par requête introductive en date du 27 novembre 2019, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande tendant à déclarer son licenciement nul.

Par jugement du 3 décembre 2021, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- Déclaré que le licenciement de M. [I] [D] est constitutif d'une faute grave ;

- Débouté en conséquence M. [I] [D] :

* au titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* au titre des congés payés sur préavis ;

* au titre de sa demande d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Débouté les parties de leurs autres demandes ;

- Mis les entiers dépens à la charge de la M. [I] [D] ;

- Dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire.

M. [D] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel au greffe du 20 décembre 2021.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 janvier 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 30 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [D] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 3 décembre 2021 dans toutes ses dispositions ;

et, statuant à nouveau,

A titre principal,

- Dire et juger que son licenciement est nul ;

En conséquence,

Condamner la S.A.S. Cameca à lui verser la somme de 61 257,69 euros nets de CSG et de CRDS à titre d'indemnité pour licenciement nul, sur le fondement de l'article L. 1235-3-1 du code du travail ;

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

Condamner la S.A.S. Cameca à lui verser à la somme de 61 257,69 euros nets de CSG et de CRDS à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- fixer son salaire mensuel brut de référence à hauteur de 4 712,13 euros, sauf à parfaire ;

- Condamner la S.A.S. Cameca à lui verser les sommes suivantes :

* 1 325,93 euros de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;

* 132,59 euros au titre des congés payés afférents ;

* 9 424,26 euros d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 942,43 euros de congés payés afférents ;

* 21 073,69 euros d'indemnité légale de licenciement ;

* 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement ;

- Dire et juger qu'il a été victime d'une discrimination ou à tout le moins d'une inégalité de traitement ;

En conséquence, condamner la S.A.S Cameca à lui verser les sommes de :

* 15 144,48 euros à titre de rappel de salaire ;

* 1 514,45 euros au titre des congés payés incidents ;

* 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

- Dire et juger que l'ensemble des condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société intimée à comparaître devant le Bureau de conciliation et d'orientation, en application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil ;

- Ordonner la capitalisation des intérêts légaux en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- Condamner la S.A.S. Cameca à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la S.A.S. Cameca aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d'exécution forcée de la décision à intervenir.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 24 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Cameca demande à la cour de :

A titre principal,

- Confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

- Juger que M. [I] [D] n'a pas été victime de discrimination et d'inégalité de traitement ;

- Constater que le licenciement pour faute grave de M. [D] est fondé ;

En conséquence,

- Débouter M. [D] de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que le licenciement de M. [D] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- Fixer les condamnations aux seules indemnités de fin de contrat ;

En tout état de cause ;

- Débouter M. [D] de ses demandes de condamnation au paiement des sommes :

* 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination et inégalité de traitement ;

* 1 euro à titre de rappel de salaires pour inégalité de traitement ;

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter M. [D] du surplus de ses demandes ;

- Condamner M. [D] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [D] aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau Avocat et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'exécution du contrat de travail

M. [D] affirme à titre principal, sur le fondement de l'article L. 1132-1 du code du travail, avoir fait l'objet d'une discrimination fondée sur son origine et ses activités syndicales, puis à titre subsidiaire, au visa de l'article L. 3221-4 du même code, avoir subi une inégalité de traitement. L'appelant sollicite la condamnation de son employeur à lui payer un rappel de salaire de 15 144,48 euros outre 1 514,45 euros de congés payés afférents pour les années 2016 à 2018 et la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi.

A titre principal, sur la discrimination

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures de qualification, de classification, ou de promotion professionnelle en raison de son origine et de ses activités syndicales.

Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale. L'article L. 1132-1 ne distingue pas selon que le salarié est investi ou non d'un mandat représentatif et selon qu'il est adhérent ou non à une organisation syndicale.

Selon l'article 1 de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 précitée, constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement notamment de son origine ou de ses activités syndicales, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs susmentionnés, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

Selon l'article L. 1134-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 1132-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [D] soutient avoir donné pleine et entière satisfaction à son employeur tout au long de sa carrière mais que malgré cela, il a fait l'objet d'une discrimination matérialisée par :

- une classification et un salaire inférieurs à ceux d'un panel comparatif ;

- le refus de son employeur de l'intégrer au service après-ventes (SAV) et de le promouvoir au poste de FSE " Field Service Engineer ".

Compte tenu des éléments versés aux débats par les parties, il est constant et non contesté que :

- M. [D], originaire du Ghana est titulaire d'un CAP " Entretien des systèmes mécaniques " et d'un BEP " Maintenance des systèmes mécaniques de production " obtenus le 30 juin 1995 à [Localité 5] (Ghana) ;

- le salarié a été engagé :

* le 1er février 2002 en contrat à durée déterminée à un salaire mensuel de base de 1 525 euros au niveau III, échelon 3 coefficient 240 et qu'il cumulait quatre ans d'expérience professionnelle au moment de son intégration ;

* à compter du 1er septembre 2002 par contrat à durée indéterminée au salaire mensuel de base de 1 800 euros au niveau III échelon 3 coefficient 240 ;

- par courrier du 30 mai 2007, il est passé à compter du 1er mai 2007 au niveau IV 1 échelon 270 TA3 puis par notification du 28 avril 2008 à compter du 1er avril 2008, au niveau IV 2 coefficient 270 ;

- M. [D] a bénéficié d'une augmentation individuelle de :

* 4% au 1er janvier 2006 ;

* 3% au 1er janvier 2007 ;

* 3,80% au 1er janvier 2008 ;

* 1,5% au 1er juillet 2010.

- au 1er novembre 2018, il bénéficiait d'une rémunération mensuelle brute de base de 2 704,77 euros.

Sur la rémunération et la classification du salarié

Afin de mettre en évidence la différence de traitement discriminatoire alléguée, le salarié compare sa rémunération de base et sa classification et leurs évolutions à un panel de six salariés exerçant les mêmes fonctions de monteurs micro-mécanicien au sein du service auquel il est rattaché : MM. [T], [S], [W], [K], [A], [M].

L'appelant produit les bulletins de salaire de MM. [T] et [S] qui permettent d'établir que :

- M. [T], dont la date d'ancienneté est le 13 novembre 2006, bénéficiait en novembre 2018, d'un salaire de base de 3 206,95 euros bruts et était positionné au niveau IV TA4, coefficient 285 ;

- M. [S], dont la date d'ancienneté est également le 13 novembre 2006, bénéficiait quant à lui en octobre 2018, d'un salaire de base de 3 060,31 euros bruts et était positionné à l'instar de M. [T], au niveau IV TA4, coefficient 285.

Le salarié affirme sans être contredit, qu'il a assuré la formation d'une partie des salariés de son panel comparatif arrivés après lui de sorte qu'il considère détenir une plus grande expérience professionnelle dans ses fonctions et qu'aucun élément objectif ne justifiait la différence de traitement salariale et de classification.

Dans la mesure où il n'est pas contesté par la société que M. [D] exerçait le même travail que les six salariés auquel il se compare, ce dernier justifie que presque seize ans après son intégration, il ne bénéficiait pas, à travail égal et ancienneté supérieure dans le poste, du même niveau de rémunération et de classification qu'au moins deux des salariés de son panel.

Sur la demande d'affectation du salarié au service après-ventes (SAV)

Bilingue en anglais et autonome dans son travail, M. [D] relate que la société a eu très régulièrement recours à ses compétences et l'envoyait en clientèle pour accomplir les missions de SAV, alors que ces dernières ne faisaient pas partie de ses tâches contractuelles, ce qu'il justifie par la production de ses bulletins de salaire sur lesquels apparaissent des primes de détachement France et Export. Il soutient qu'à compter de 2012, il n'a eu de cesse de solliciter seul puis avec l'appui de M. [T], délégué CGT, son affectation au sein de l'équipe SAV afin que le statut inhérent à cette fonction lui soit reconnu mais qu'à chaque fois, son employeur a refusé sa demande sans lui fournir d'explications.

Il démontre qu'en début d'année 2018, il a soumis l'idée à son employeur d'être affecté de manière définitive au service SAV à un poste de " Field Service Engineer " (FSE) compte tenu du fait que ses missions dans ce service, représentaient la majeure partie de son activité. Le salarié déplore avoir essuyé un refus au motif qu'il ne serait pas capable de suivre avec succès une formation nécessaire pour accéder à ces fonctions, son employeur préjugeant selon lui, de ses capacités d'apprentissage et de compréhension.

M. [D] produit un courrier du 3 octobre 2018 adressé à la société, dans lequel il a pris acte du refus de cette promotion interne au sein duquel il soupçonne que cette décision repose sur un fondement discriminatoire en raison de sa couleur de peau et de son appartenance syndicale. Il y dénonce être resté au niveau 4.2, ne pas avoir progressé depuis plus de 10 ans alors que ses collègues ayant la même ancienneté sont tous au niveau 4.3 à travail égal et qu'au surplus, il " écrit et parle anglais à la perfection ", compétence dont la société tire avantage dans le cadre de ses sollicitations au service SAV et qu'elle ne valorise pas. Il affirme enfin que ce courrier est resté sans réponse.

Le versement aux débats de l'offre d'emploi d'ingénieur service client publiée sur le site de l'Apec par la société le 17 novembre 2020, le curriculum vitae et le contrat de travail du salarié recruté, M. [H], démontrent que le poste convoité par M. [D] a été ouvert en novembre 2020 et qu'il était accessible uniquement à un candidat doté d'une formation initiale d'ingénieur.

Par ailleurs, le salarié expose que l'abréviation " FSE " se traduit par " ingénieur de service sur le terrain " et qu'elle est généralement utilisée pour désigner tous les salariés disposant de compétences techniques et amenés à se déplacer chez des clients, à l'instar des missions qu'il remplissait. Selon lui, il n'était donc pas requis nécessairement de diplôme d'ingénieur. Cela étant, il est démontré que la société Cameca dissociait les fonctions que tenaient le salarié au service SAV et le poste d'ingénieur service client pour lequel M. [H] a été recruté fin 2020. En effet, il est justifié qu'un poste de poste de technicien monteur SAV a été pourvu à compter du 1er avril 2020 par M. [V], ancien collègue de M. [D], soit postérieurement à la sollicitation de ce dernier.

En conséquence des éléments soumis à l'appréciation de la cour, M. [D] échoue à établir que les refus de la société quant à son affectation au service après-vente reposent sur une discrimination en raison de son origine et de ses activités syndicales.

Sur les critères retenus au titre de la discrimination

Et enfin, s'il est établi par les questionnaires d'enquête versés en pièces 12 et 18 par l'employeur, que l'adhésion de M. [D] au syndicat CGT était notoirement connue puisqu'avec un autre salarié, M. [T], il tentait d'obtenir de nouvelles adhésions, cela ne suffit pas à matérialiser la discrimination alléguée.

En outre, force est de constater qu'en se comparant à ce salarié syndiqué, très actif, doté notamment d'un mandat de délégué syndical et bénéficiant d'un traitement salarial et de classification plus favorable, le salarié ne présente aucun élément en faveur d'une discrimination en raison de ses activités syndicales.

M. [D] ne démontre pas plus d'agissement discriminatoire fondé sur le critère de son origine.

Il s'ensuit que la discrimination dont se prévaut le salarié, n'est pas caractérisée.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [D] de ce chef.

A titre subsidiaire, sur l'inégalité de traitement

M. [D] prétend à titre subsidiaire, avoir fait l'objet, à travail égal, d'une inégalité de traitement.

Aux termes de l'article L. 3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

Le principe d'égalité de traitement impose à l'employeur d'assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. Il appartient d'abord au salarié qui invoque une atteinte à ce principe, de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une différence de traitement et il appartient ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence de traitement et dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.

En l'espèce, le salarié produit d'une part, son contrat de travail et ses avenants, ses bulletins de salaire de janvier 2016 à novembre 2018, un tableau récapitulatif du détail de ses salaires de 2016 à 2018, et d'autre part, le bulletin de salaire de novembre 2018 de M. [T] et d'octobre 2018 de M. [S].

Ces éléments mettent en évidence que fin 2018, M. [D] percevait un salaire de base inférieur à ses deux collègues embauchés quatre ans après lui et qu'il était positionné à un niveau de classification inférieur.

L'affirmation du salarié selon laquelle il effectuait le même travail que les salariés constituant son panel comparatif en application de l'article L. 3221-4 du code du travail précité, n'étant pas contestée par la société, l'égalité des travaux réalisés est établie.

De son côté, la société Cameca confirme la différence de traitement alléguée par le salarié mais soutient qu'elle est objective. Elle l'explique par le fait que ces six salariés ont tous été recrutés à une classification supérieure (niveau IV, coefficient 285) en raison soit d'une expérience professionnelle antérieure plus longue même si elle n'a pas été acquise dans le même secteur d'activité pour certains, et par la détention pour deux d'entre eux, d'un diplôme de niveau supérieur à celui de l'appelant, ce qui justifie selon elle, la différence d'évolution de carrière. Pour matérialiser ces propos, elle verse aux débats les curriculum vitae communiqués par les salariés lors de leur embauche et produit la majeure partie des diplômes dont ils se prévalent.

Il ressort notamment des pièces produites par l'employeur que :

- M. [T] qui perçoit fin 2018 un salaire de base de 3 206,95 euros, a été embauché le 2 janvier 2007 au niveau IV coefficient 285, titulaire d'un CAP d'horloger-réparateur, diplôme extrêmement rare selon ce dernier, et d'une expérience de 17 ans dans ce secteur ;

- M. [S], qui perçoit fin 2018 un salaire de base de 3 060,31 euros, a été engagé le 19 novembre 2006 au niveau IV coefficient 285, titulaire d'un CAP de mécanicien ajusteur, avec une expérience d'ajusteur et de monteur régleur sur presses de 24 ans ;

- M. [W], qui perçoit fin 2018 un salaire de base de 3 068,99 euros, a été engagé le 3 septembre 2012 au niveau IV coefficient 285, dont la formation n'est pas évoquée et une expérience de 12 ans en tant que monteur ajusteur et des fonctions alléguées de chef d'équipe durant 4 ans ;

- M. [K], qui perçoit fin 2018 un salaire de base de 2 873,31 euros, a été engagé le 15 mai 2000 au niveau IV coefficient 285 avec un CAP de menuiserie agencement et un BEP " Bois et matériaux associés " dominante " menuiserie agencement " et une expérience variée de 9 ans ;

- M. [A], qui perçoit fin 2018 un salaire de base de 2 750,52 euros, a été engagé le 1er novembre 2012 au niveau IV coefficient 285, titulaire notamment d'un BTS " Maintenance Industrielle " et une expérience notamment de technicien de maintenance de 5 ans en alternance et de technicien " manufacturing " sur outils de mesure de 18 mois ;

- M. [M], qui perçoit fin 2018 un salaire de base de 3 102,48 euros, a été engagé le 1er janvier 2013 au niveau IV coefficient 305, titulaire notamment d'un baccalauréat technologique F1 " Construction mécanique ", d'un niveau BTS non justifié, de même qu'une ancienneté alléguée d'une quinzaine d'années, non justifiée.

Le salarié qui ne possède pas les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination peut, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, demander au juge des référés d'ordonner à l'employeur la production de ces éléments sans que celui-ci puisse s'abriter derrière la protection de la vie privée de ses collaborateurs ou le secret des affaires (Cass. soc., 19 déc. 2012, no 10-20.526). En application de ce texte, peut être ordonnée la communication d'informations non anonymisées nécessaire à l'exercice du droit à la preuve d'une discrimination et proportionné au but poursuivi.

La cour relève que M. [D] n'a engagé aucune action sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile pour obtenir les éléments de rémunération des salariés avec lesquels il entend se comparer mais que pour obtenir des éléments probatoires, le salarié a sollicité son employeur à plusieurs reprises au cours de la présente procédure afin d'obtenir la communication des contrats de travail, des bulletins de salaire et des notifications de changement de classification concernant les salariés de son panel et que la société s'y est refusée au regard notamment, de la protection des données personnelles des personnes concernées.

Une différence de diplôme ne justifie une différence de traitement que s'il est démontré l'utilité particulière des connaissances acquises au regard des fonctions exercées, ce que la société ne fait pas.

Il est constant que l'expérience professionnelle acquise auprès d'un précédent employeur ne peut justifier une différence de salaire qu'au moment de l'embauche et pour autant qu'elle est en relation avec les exigences du poste et les responsabilités effectivement exercées, ce qui n'est pas démontré.

Les informations fournies par les parties permettent d'établir que M. [D] a été engagé et maintenu à un niveau de classification inférieur à celui de son panel, qu'il percevait à travail égal, une rémunération mensuelle de base fin 2018, inférieure à celle des salariés de son panel et qu'elle n'a pas évolué depuis 2011, soit durant les huit dernières années de la relation contractuelle.

La société Cameca ne justifiant par aucun élément objectif la différence de salaire et de classification du salarié eu égard au panel comparatif, la cour constate que M. [D] a fait l'objet d'une inégalité de traitement.

Il convient dès lors de condamner la société à payer à M. [D], un rappel de salaire sur la base de la différence du salaire de base du salarié au regard de la moyenne des salaires de base du panel.

Par conséquent, la société Cameca sera condamnée à payer à M. [D] la somme de 11 003 euros à titre de rappel de salaire outre 1 100,30 euros de congés payés afférents et 1 000 euros de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi.

Le jugement entrepris sera infirmé de ces chefs.

Sur le licenciement et les demandes financières subséquentes

M. [D] sollicite à titre principal que son licenciement soit jugé nul au motif qu'il s'inscrit dans le prolongement de la discrimination subie au cours de l'exécution de son contrat de travail et à titre subsidiaire, qu'il soit jugé infondé.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate.

La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur qui l'invoque.

La charge de la preuve est aménagée en matière de discrimination. Il appartient d'abord au salarié qui s'estime victime, de présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce et en synthèse, la société reproche au salarié à l'issue d'une enquête paritaire réalisée consécutivement à la réception d'un courriel d'alerte reçu par un délégué du personnel :

- d'avoir tenu des propos sexistes permanents à l'égard des femmes ayant détériorés les conditions de travail de la seule salariée femme du service, ayant générés chez elle, une grande souffrance au travail et dégradés son état de santé compte tenu de cet environnement de travail hostile ;

- d'avoir formulé des menaces violentes à son endroit à la suite de sa dénonciation des faits et de l'enquête diligentée si elle revenait d'arrêt maladie.

Il est établi par un échange de courriels du 18 octobre 2018 entre M. [U], délégué du personnel, et Mme [L], directrice générale de la société, que le représentant du personnel a exercé son droit d'alerte concernant Mme [F], alors en arrêt maladie, qui s'estimait victime de harcèlement moral et sexuel par des personnes du service montage au sein duquel elle travaillait, agissements matérialisés par des remarques déplacées à caractère sexiste qui ont eu pour effet de dégrader son état de santé.

Par suite, la dirigeante a réuni le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) le 22 octobre 2018 aux fins de mettre en place une commission d'enquête paritaire, composée du secrétaire et d'un membre du CHSCT et du responsable des ressources humaines, laquelle a été chargée de réaliser des auditions, de synthétiser les témoignages dans un rapport circonstancié et d'émettre un avis sur la véracité des faits dénoncés.

Interrogée par cette commission, Mme [F] a nommément désigné M. [D] et M. [T] par lesquelles elle était entourée à son poste de travail, comme étant les auteurs des agissements incriminés.

M. [D] invoque à l'appui de la nullité de son licenciement les dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail selon lesquelles aucune personne ne peut être licenciée en raison de son origine et de ses activités syndicales.

Au soutien du caractère discriminatoire de la rupture de son contrat de travail, le salarié fait valoir que le rapport réalisé à la suite de l'enquête ne reflète pas le contenu des comptes-rendus individuels des auditions, que les contradictions entre les témoignages n'y sont pas mentionnées et qu'au surplus, aucun fait précis à son encontre n'est évoqué par les témoins. Le salarié affirme également que cette synthèse a été rédigée par l'employeur et que ce dernier a repris des phrases sorties de leur contexte, tendant ainsi à faire croire qu'il a tenu des propos sexistes.

En conséquence, l'appelant demande à la cour d'écarter ce rapport d'enquête partial des débats et de juger son licenciement nul puisque concomitant au courrier du salarié du 3 octobre 2018 interrogeant l'employeur sur le caractère discriminatoire de la stagnation de sa classification et de son refus de l'intégrer au service SAV au regard de sa couleur de peau et de son appartenance syndicale.

En matière prud'homale la preuve est libre. En cas de licenciement d'un salarié à raison de la commission de faits de harcèlement sexuel, le rapport d'enquête interne, auquel recourt l'employeur, informé de possibles faits de harcèlement sexuel dénoncés par un salarié et tenu envers lui d'une obligation de sécurité lui imposant de prendre des dispositions nécessaires en vue d'y mettre fin et de sanctionner leur auteur, peut être produit par l'employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. Il appartient au juge du fond d'en apprécier la valeur probante dès lors qu'il n'a pas été mené par l'employeur d'investigations illicites et au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produite par les parties. (cass. Soc. 29 juin 2022, arrêt n° 802, pourvoi n° 21-11.437)

Il n'est pas illicite qu'une partie seulement des salariés composant le service concerné soient interrogés sans que soient connus les critères objectifs ayant présidé à la sélection des témoins (Soc., 1er juin 2022, n° 20-22.058). De même, les investigations peuvent être plus ou moins poussées, plus ou moins pertinentes ou judicieuses, paritaires ou solidaires sans que ces qualités ou défauts ne soient des conditions de la recevabilité de l'enquête, mais de simples éléments d'appréciation de la force probante que lui reconnaîtra les juges du fond (Soc., 1er juin 2022, préc).

Les questionnaires individuels et le rapport d'enquête produits permettent de constater que les trois personnes impliquées dans les faits et neuf salariés sur les dix-sept composant le service de monteurs micro-mécaniciens ont été sélectionnés par la commission d'enquête composée du secrétaire et d'un membre du CHSCT et du responsable des ressources humaines, que les auditions ont été menées entre le 29 octobre et le 5 novembre 2018 et que le rapport émis à l'issue des investigations a été signé par les trois membres de la commission.

La lecture des comptes rendus des auditions permet d'établir l'absence de lien entre le courriel du salarié du 3 octobre 2018 et l'exercice du droit d'alerte suivi de l'engagement d'une procédure disciplinaire en date du 13 novembre 2018 dans la mesure où cinq témoins, proches du poste de travail des protagonistes, confirment que M. [D], a tenu des propos sexistes réguliers lors d'échanges avec M. [T] à destination de ses collègues masculins au sein du service de montage, contribuant ainsi à isoler Mme [F], ce qui au fil des jours, a généré chez elle, de la souffrance au travail que vient confirmer un certificat médical versé en pièce 34 par l'employeur.

Le fait que l'intégralité des témoignages ne soit pas reprise dans le rapport, notamment ceux de quatre salariés qui n'étaient pas physiquement à côté des protagonistes dans le service de sorte qu'ils n'ont pas entendus les propos incriminés, et que ledit rapport ne reprenne que les verbatims des cinq autres auditions confirmant la tenue de propos sexistes de M. [D], ne le rend ni partial, ni illicite. En conséquence, il ne sera pas écarté des débats.

Le caractère discriminatoire de la différence de traitement salarial subie par l'appelant au cours de sa relation de travail n'ayant pas été établi, la seule concomitance de l'exercice du droit d'alerte du délégué du personnel et de l'envoi du courrier de M. [D] du 3 octobre 2018, ne permet pas au regard des cinq témoignages concordants, de laisser supposer l'existence d'un licenciement discriminatoire en raison de son origine et de ses activités syndicales.

Il incombe dès lors à la société Cameca de démontrer d'une part, que les griefs portés à l'encontre du salarié lui sont imputables, qu'ils sont réels, sérieux et suffisamment graves pour rendre impossible le maintien du salarié à son poste de travail.

Pour justifier le licenciement pour faute grave intervenu, la société produit :

- le courriel du 18 octobre 2018 de M. [U], délégué du personnel adressé à la directrice générale, Mme [L] ;

- les procès-verbaux des séances du CHSCT ayant traité cette dénonciation ;

- la retranscription signée des auditions et les feuilles d'émargement des salariés qui ont participé à l'enquête paritaire ;

- le rapport d'enquête rédigé et signé par MM [X], [C] et [P].

La société produit par ailleurs l'attestation de M. [W], collègue de M. [D], du 13 décembre 2018 qui relate que le 7 novembre 2018, lorsqu'il est revenu du local d'entreposage de produits chimiques et qu'il était masqué par le compacteur, il a distinctement entendu M. [D] dire à MM. [Y] et [E], " si [N] revient, je la détruis psychologiquement ", qu'il est ensuite passé devant eux pour revenir au montage, profondément choqué par ces propos.

Ce dernier grief, établi, imputable au salarié constitue à lui seul une cause réelle et sérieuse de licenciement et caractérise un manquement suffisamment grave du salarié à ses obligations contractuelles rendant impossible son maintien au sein de la société durant la période de préavis.

Dès lors, le conseil de prud'hommes a considéré à juste titre que la faute grave était établie. Les demandes subséquentes de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et de congés payés afférents, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement seront par suite rejetées et le jugement confirmé de ces chefs.

Sur la demande de dommages-intérêts quant aux circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail de M. [D]

Un salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages intérêts en réparation du préjudice subi distinct de celui résultant de la perte de son emploi.

En l'espèce, M. [D] soutient qu'il a été licencié dans des conditions vexatoires en raison d'accusations particulièrement graves, ce dont se défend la société intimée.

La preuve de circonstances vexatoires de la rupture ayant causé à M. [D] un préjudice distinct de celui résultant de la perte injustifiée de son emploi n'étant pas rapportée, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire.

Sur les intérêts et leur capitalisation

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation.

S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1153-1 du code civil.

Sur la demande de fixation de salaire

M. [D] sollicite la fixation de la moyenne de ses salaires.

Cette demande est sans objet, l'article R. 1454-28 du code du travail imposant au juge de fixer la moyenne des salaires n'étant pas applicable devant la cour d'appel, le pourvoi en cassation n'ayant pas d'effet suspensif.

Sur la remise des documents sociaux

Il convient d'ordonner à la société de remettre à M. [D], un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La société Cameca qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient, en application de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner la société Cameca à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 3 décembre 2021 ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit que M. [I] [D] a fait l'objet d'une inégalité de traitement ;

En conséquence,

- Condamne la société Cameca à payer à M. [D] les sommes de :

* 11 003 euros à titre de rappel de salaire pour les années 2016 à 2018 ;

* 1 100,30 euros de congés payés afférents ;

* 1 000 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi.

- Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la décision les ayant prononcées ;

- Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1153-1 du code civil ;

- Ordonne à la société de remettre à M. [D] un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- Dit n'y avoir lieu à fixation du salaire ;

- Condamne la société Cameca à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déboute la société Cameca de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne la société Cameca aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-3
Numéro d'arrêt : 21/03716
Date de la décision : 29/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-29;21.03716 ?
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