La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/04/2024 | FRANCE | N°23/06056

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-5, 25 avril 2024, 23/06056


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 51Z



Chambre civile 1-5



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 AVRIL 2024



N° RG 23/06056 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WBWQ



AFFAIRE :



S.A. EMMAUS HABITAT





C/

[J] [W]

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 21 Juillet 2023 par le Juge des contentieux de la protection de GONESSE

N° RG : 1223000006



Expéditions exécutoi

res

Expéditions

Copies

délivrées le : 25.04.2024

à :



Me Mariane ADOSSI, avocat au barreau de VAL D'OISE



Me Sefik TOSUN, avocat au barreau de VAL D'OISE,







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT CINQ AVRIL D...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 51Z

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 AVRIL 2024

N° RG 23/06056 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WBWQ

AFFAIRE :

S.A. EMMAUS HABITAT

C/

[J] [W]

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 21 Juillet 2023 par le Juge des contentieux de la protection de GONESSE

N° RG : 1223000006

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 25.04.2024

à :

Me Mariane ADOSSI, avocat au barreau de VAL D'OISE

Me Sefik TOSUN, avocat au barreau de VAL D'OISE,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. EMMAUS HABITAT

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentant : Me Mariane ADOSSI de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 100 - N° du dossier 2300395

APPELANTE

****************

Monsieur [S] [J] [W]

né le 28 Août 1981 à [Localité 12] (Tunisie)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Madame [Z] [X] épouse [W]

née le 10 Août 1977 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 11]

[Localité 6]

Mademoiselle [I] [W]

représentée par ses parents Madame [Z] [X], épouse [W] et Monsieur [S] [J] [W]

née le 25 Août 2018 aux Lilas

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Sefik TOSUN, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 190 - Représentant : M. [S] [W]

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat en date du 25 octobre 2022, à effet au 31 octobre 2022, la SA Emmaus Habitat a donné à bail à Mme [Z] [X] épouse [W] et M. [J] [W] des locaux à usage d'habitation situés [Adresse 2]), moyennant un loyer mensuel de 410,73 euros.

M. et Mme [W] ont constaté plusieurs désordres affectant le logement loué et ont informé à plusieurs reprises la société Emmaus Habitat de leur situation, notamment médicale.

Par acte de commissaire de justice délivré le 6 mars 2023, M. et Mme [W] ainsi que [I] [W], représentée par ses parents, ont fait assigner en référé la société Emmaus Habitat aux fins d'obtenir principalement :

- le relogement dans un autre appartement décent, salubre, sans moisissure ni humidité, à [Localité 6] ou à proximité, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

- la suspension des loyers,

- la condamnation de la société Emmaus Habitat au paiement de la somme de 2 058,60 euros, somme à parfaire, au titre de provision pour le préjudice subi du fait de l'absence de jouissance paisible de leur logement,

- la condamnation de la société Emmaus Habitat au paiement de la somme de 6 253,96 euros, somme à parfaire, au titre de provision pour le préjudice matériel,

- la condamnation de la société Emmaus Habitat au paiement de la somme de 1 500 euros, somme à parfaire, au titre de provision pour le préjudice physique, du fait des troubles causés à la famille dont l'état de santé n'est pas compatible avec le maintien dans un logement insalubre,

- la condamnation de la société Emmaus Habitat au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de provision pour le préjudice moral subi,

si un relogement dans un nouvel appartement n 'était pas immédiatement possible,

- la prise en charge immédiate des frais d'hébergement en attendant le relogement dans un nouvel appartement,

- si la suspension des loyers n 'était pas acceptée, la consignation entre les mains de la Caisse des Dépôts et des Consignations des loyers versés,

si par extraordinaire, la juridiction de céans estimait ne pas avoir assez d'éléments pour établir le caractère indécent et insalubre du logement litigieux,

- ordonner une expertise judiciaire afin que l'expert se prononce sur la conformité du logement, notamment sur la présence d'humidité et de moisissures engendrant des risques sanitaires pour les locataires,

- ordonner la condamnation de la société Emmaus Habitat au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le constat de l'exécution provisoire.

Par ordonnance contradictoire rendue le 17 août 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Gonesse a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par les époux [W] à titre principal,

- ordonné une expertise,

- commis en qualité d'expert pour y procédé : M. [N] Denis [Adresse 3] tel : [XXXXXXXX01] mail : [Courriel 9], avec pour mission de :

- se rendre sur les lieux sis [Adresse 2]), donnés à bail à Mme et M. [W] par la société Emmaus Habitat,

- prendre connaissance du dossier, se faire remettre tous documents utiles, et notamment les éléments liés à l'historique de construction de l'immeuble ainsi qu'à la survenance d'un éventuel dégât des eaux avant l'entrée dans les lieux des locataires,

- entendre les parties ainsi que tout sachant, s'adjoindre tout sapiteur qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission,

- examiner les désordres allégués et en rechercher l'origine, l'étendue et les causes,

- procéder à l'analyse des éventuelles moisissures présentes dans le logement et déterminer leur toxicité pour les occupants,

- déterminer le taux d'humidité dans le logement, notamment dans les zones situées en bas des murs, indiquer si ce taux excède, et dans quelle ampleur, les valeurs de référence,

- procéder à toutes autres investigations et tous sondages utiles à la résolution du litige,

- dire si ledit logement présente un caractère décent au sens des conditions posées par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains,

- dire si les désordres persistent et dans l'affirmative, indiquer comment y remédier, en décrivant les éventuels travaux de nature à y mettre fin,

- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre, le cas échéant, au juge de déterminer les responsabilités encourues, et évaluer s'il y a lieu tous les préjudices subis,

- rappelé qu'en application de l'article 278 du code de procédure civile, l'expert pourra en cas de besoin prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, dans une spécialité distincte de la sienne, à charge pour lui de joindre à son mémoire de frais les honoraires de son homologue,

- dit que de ses opérations, constatations et conclusions, l'expert commis dressera un rapport qu'il devra déposer au greffe du tribunal dans le délai de 6 mois à compter du jour où il aura accepté sa mission,

- fixé la consignation à valoir sur les honoraires de l'expert à la somme de 1 500 euros,

- dit que cette somme devra être consignée à hauteur de 750 euros par Mme [X] épouse [W] et M. [W], d'une part, et à hauteur de 750 euros par la société Emmaus Habitat, d'autre part, entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal avant le 1er novembre 2023,

- dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l'expert sera caduque, à moins que la partie à laquelle incombe la consignation n'obtienne judiciairement la prorogation du délai de consignation ou le relevé de caducité, ou que le non consignataire déclare s'y substituer,

- dit qu'en cas de refus ou d'empêchement, l'expert sera remplacé par ordonnance rendue sur simple requête adressée au juge chargé du contrôle des expertises,

- condamné la société Emmaus Habitat à verser à Mme [X] épouse [W] et M. [W] une somme de 5 000 euros à titre provisionnel, à valoir sur l'indemnisation définitive de leurs préjudices,

- débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné Mme [X] épouse [W] et M. [W] à conserver à leur charge les dépens qu'ils ont engagés,

- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de droit à titre provisoire.

Par déclaration reçue au greffe le 16 août 2023, la société Emmaus Habitat a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par les époux [W] à titre principal,

- rappelé qu'en application de l'article 278 du code de procédure civile, l'expert pourra en cas de besoin prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, dans une spécialité distincte de la sienne, à charge pour lui de joindre à son mémoire de frais les honoraires de son homologue,

- dit que de ses opérations, constatations et conclusions, l'expert commis dressera un rapport qu'il devra déposer au greffe du tribunal dans le délai de 6 mois à compter du jour où il aura accepté sa mission,

- fixé la consignation à valoir sur les honoraires de l'expert à la somme de 1 500 euros,

- dit que cette somme devra être consignée à hauteur de 750 euros par Mme [X] épouse [W] et M. [W], d'une part, et à hauteur de 750 euros par la société Emmaus Habitat, d'autre part, entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal avant le 1er novembre 2023,

- dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l'expert sera caduque, à moins que la partie à laquelle incombe la consignation n'obtienne judiciairement la prorogation du délai de consignation ou le relevé de caducité, ou que le non consignataire déclare s'y substituer,

- dit qu'en cas de refus ou d'empêchement, l'expert sera remplacé par ordonnance rendue sur simple requête adressée au juge chargé du contrôle des expertises,

- condamné Mme [X] épouse [W] et M. [W] à conserver à leur charge les dépens qu'ils ont engagés,

- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de droit à titre provisoire.

Dans ses dernières conclusions déposées le 14 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Emmaus Habitat demande à la cour, au visa des articles 145 et 146 du code de procédure civile, de :

'- infirmer les chefs expressément critiqués de l'ordonnance de référé rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Gonesse le 21 juillet 2023,

- débouter les consorts [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société Emmaus Habitat,

statuant à nouveau,

- débouter les époux [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société Emmaus Habitat,

- juger n'y avoir lieu à ordonner une expertise judiciaire,

- condamner solidairement Mme [Z] [X] épouse [W] et M. [J] [W] à verser à la société Emmaus Habitat la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et une somme de 5 000 euros au titre de ceux liés à la procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement Mme [Z] [X] épouse [W] et M. [J] [W] aux entiers dépens de l'instance'.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 15 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [W], Mme [W] et [I] [W], représentée par ses parents, demandent à la cour, au visa des articles 32-1, 145, 834, 835, 514 et 514-1 du code de procédure civile, 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, 84 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, 27 du règlement sanitaire départemental du Val d'Oise, 1721 et 1240 du code civil et le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002, de :

'à titre principal :

- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le Juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise le 21 juillet 2023 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par les époux [W] à titre principal ;

statuant à nouveau :

- condamner la société Emmaüs Habitat à reloger sans délai la famille [W] dans un autre appartement décent, salubre, sans moisissure ni humidité, équivalent (résidence propre et calme), non situé en rez-de-chaussée, éventuellement un T2, relevant des départements de la Direction Territoriale Sud-Est, à savoir la Seine-Saint-Denis (93), la Seine-et-Marne (77), [Localité 13] (75), les Hauts-de-Seine (92), le Val-de-Marne (94), l'Essonne (91) ;

- assortir cette condamnation d'une astreinte de 300 euros par jour de retard dans le relogement à compter de la décision à intervenir.

- suspendre l'obligation de versement des loyers versés par les époux [W] à la sa d'HLM Emmaüs Habitat jusqu'à leur relogement ;

à défaut,

si un relogement dans un nouvel appartement n'était pas immédiatement possible :

- ordonner la prise en charge immédiate des frais d'hébergement de la famille [W] par Emmaüs Habitat en attendant le relogement dans un nouvel appartement ;

si la suspension des loyers n'était pas acceptée :

- ordonner la consignation des loyers par les époux [W] entre les mains de la Carpa du Val d'Oise ;

dans tous les cas,

- condamner la société d'HLM Emmaüs Habitat à verser à Mme [Z] [X], M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] la somme provisionnelle de 98 342,22 euros, somme à parfaire, à titre de provision pour le préjudice matériel arrêté au 5 février 2024 ;

- condamner la société d'HLM Emmaüs Habitat à verser à Mme [Z] [X], M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] la somme provisionnelle de 7 292,25 euros, somme à parfaire, à titre de provision pour le préjudice immatériel arrêté au 5 février 2024 ;

- condamner la société d'HLM Emmaüs Habitat à verser à Mme [Z] [X], M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] une somme d'un montant de 15 000 euros, somme à parfaire, au titre de provision pour le préjudice physique, du fait des troubles causés à la famille dont l'état de santé n'est pas compatible avec le maintien dans un logement insalubre ;

- condamner la société d'HLM Emmaüs Habitat à verser Mme [Z] [X], M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] à une somme de 10 000 euros au titre de provision pour le préjudice moral subi ;

à titre subsidiaire,

si par extraordinaire, si la cour estimait ne pas devoir faire droit aux demandes formées à titre principal par les époux [W] :

- confirmer l'ordonnance de référé rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise le 21 juillet 2023 en ce qu'il a ordonné une expertise et confirmer la désignation de M. [N] Denis, [Adresse 3]. : 06 13 22 54 67 ' mail : [Courriel 10] - pour mission de :

- se rendre sur place ;

- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission et notamment les éléments liés à l'historique de construction de l'immeuble et au dégât des eaux survenu avant l'entrée dans les lieux des époux [W] ;

- indiquez si ces éléments font ressortir une cause pouvant expliquer les problèmes dénoncés ;

- visiter le logement dont il s'agit situé [Adresse 2],

- dire si ledit logement présente un caractère décent au sens des conditions posées par le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains ;

- procéder à l'analyse des moisissures présentes dans le logement et déterminer leur toxicité pour les occupants ;

- procéder à l'analyse de la qualité de l'air dans le logement et indiquer s'il présente une dangerosité pour les occupants ;

- procéder à un rapport pour déterminer le taux d'humidité dans le logement, notamment dans les zones situées en bas des murs ;

- dire si l'état du logement est susceptible d'avoir eu un impact sur la santé des occupants, et le cas échéant, les préciser et indiquer le préjudice qui peut en découler ;

- fournir, d'une façon générale, tous éléments techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction du fond éventuellement saisie, de se prononcer sur les éventuelles responsabilités encourues et les éventuels préjudices subis,

- infirmer l'ordonnance de l'ordonnance de référé rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise le 21 juillet 2023 en ce qu'il a condamné la société Emmaüs Habitat à payer aux époux [W] une somme de 5 000 euros à valoir sur leur préjudice ;

statuant à nouveau ;

- condamner la société Emmaüs Habitat à payer à Mme [Z] [X] (épouse [W]), M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] la somme provisionnelle de 130 634,47 euros ;

à défaut,

- confirmer l'ordonnance de l'ordonnance de référé rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise en ce qu'il a condamné la société Emmaüs Habitat à payer à Mme [Z]

[X] (épouse [W]), M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] la somme provisionnelle de 5 000 euros ;

en tout état de cause :

- condamner la société Emmaus Habitat à payer à Mme [Z] [X] (épouse [W]), M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- condamner la société Emmaüs Habitat à payer à Mme [Z] [X] (épouse [W]), M. [S] [J] [W] et Mme [I] [W] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La société Emmaüs Habitat sollicite l'infirmation de l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a ordonné une expertise judiciaire, alloué une somme de 5 000 euros à titre provisionnel à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices subis par les consorts [W] et rejeté sa demande au titre des frais irrépétibles.

Elle relate qu'un état des lieux d'entrée a été dressé en date du 31 octobre 2022, en présence des locataires et du gardien de la résidence, aux termes duquel il apparaît que l'appartement donné en location est en parfait état d'entretien puisque rénové ; que pour autant, elle a été destinataire à compter du 5 décembre 2022, soit à peine plus d'un mois après la prise de possession des lieux, de doléances formulées par M. et Mme [W] quant à une prétendue insalubrité du logement ; que le 28 décembre 2022, M. et Mme [W] ont indiqué avoir dû quitter le logement le 23 décembre au soir en urgence, et qu'en outre, durant leur absence du logement du 15 au 19 décembre, leurs symptômes se seraient atténués, preuve selon eux du lien de causalité.

Malgré la particulière véhémence injustifiée selon elle de M. et Mme [W], elle prétend avoir été attentive à leurs doléances, en organisant une réunion contradictoire sur site le 10 janvier 2023, en présence de l'artisan ayant réalisé les travaux de réfection, d'un personnel du service d'hygiène de la ville, du responsable Habitat et Cadre de Vie de sa direction territoriale Nord-Ouest et du gardien de la résidence, aux termes de laquelle le commissaire de justice également présent, M. [A], a conclu à l'absence d'anomalie et d'insalubrité du logement, un relevé d'humidité ayant par ailleurs été réalisé.

Elle indique que c'est ainsi que la direction générale des services techniques de la ville de [Localité 6] a adressé, au vu de ces éléments, un courrier à M. et Mme [W] pour les informer qu'il n'avait pas été observé d'humidité lors de cette visite et que la situation ne relevait pas d'une insalubrité pour laquelle le service est compétent.

Elle ajoute que l'assureur d'habitation de M. et Mme [W] a également fait diligenter une expertise amiable tenue le 13 février 2023, qui a conclu que l'appartement était sain, qu'aucun lien de causalité n'était rapporté et que le dossier était classé.

C'est donc en considération de ces éléments que l'appelante dit avoir contesté la matérialité des désordres allégués par les locataires et s'être opposée à l'expertise judiciaire.

Elle réfute avoir manqué à son obligation de délivrance conforme et s'étonne que M. et Mme [W] se maintiennent dans les lieux malgré leur mécontentement affiché.

Elle fait observer que les certificats médicaux et ordonnances produits sont postérieurs au départ des consorts [W] du logement, probablement établis pour les besoins de la cause, soulignant qu'ils n'ont occupé ce logement que quelques jours.

Elle relève également que M. et Mme [W] comme leur fille présentaient déjà un terrain pathologique lors de leur entrée dans les lieux et soutient que l'ensemble de ces éléments constitue des contestations sérieuses devant faire obstacle à ce que le juge se prononce en référé.

Elle avance que M. et Mme [W] ont manqué à leurs obligations en refusant l'accès de leur logement pour le passage des entreprises qu'elle a missionnées.

Elle considère qu'aucun motif légitime ne justifie la mesure d'expertise, arguant qu'en application des dispositions de l'article 146 du code de procédure civile, celle-ci ne peut suppléer la carences de locataires à apporter le moindre élément de preuve des manquements qui lui sont reprochés.

Elle demande donc l'infirmation de l'ordonnance, indiquant qu'une première réunion d'expertise s'est tenue sur site le 31 janvier 2024 dont les constats visuels corroborent les constats effectués par les différents acteurs sociaux lors de la réunion contradictoire du 10 janvier 2023.

La société Emmaüs Habitat sollicite également l'infirmation de l'ordonnance critiquée sur la provision accordée, relevant que le premier juge avait pourtant justement considéré qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à leurs demandes indemnitaires au regard des contestations sérieuses ressortant des éléments de preuve contradictoires.

Elle considère illogique d'octroyer une provision au titre des frais de relogement pendant la durée de l'expertise judiciaire en raison d'une potentielle exposition aux moisissures, alors que les consorts [W] ne résident plus au sein du logement et que la matérialité des désordres n'est pas démontrée, les expertises contradictoires ayant toutes mis en évidence le caractère parfaitement décent du logement donné à bail, de sorte qu'aucun élément du dossier ne permet d'engager sa responsabilité.

Elle formule pour s'opposer aux demandes indemnitaires, que les consorts [W] ont encore « gonflées » en appel, les mêmes observations que pour contester l'expertise ordonnée, à savoir qu'elle n'a pas manqué à son obligation de délivrance, que les désordres allégués ne sont pas établis, que les pathologies décrites par les consorts [W] relèvent d'un état antérieur et que les préjudices allégués sont sans lien avec le contrat de location.

Elle critique par ailleurs les divers postes de préjudices dont font état les intimés, faisant valoir que seul le juge du fond pourra trancher les demandes d'indemnisation « outrancières » de la partie adverse.

En outre, elle relève qu'aucun élément du dossier ne justifie la suspension du paiement des loyers et charges et encore moins le remboursement des échéances passées, alors que le logement est mis à leur disposition et que les loyers sont dus jusqu'à la remise des clés et la libération des lieux.

Les consorts [W] relatent quant à eux que le dossier déposé pour l'obtention d'un logement auprès de la société Emmaüs Habitat était composé d'un certificat médical en date du 6 mai 2021 indiquant que l'état de M. [W] justifie l'attribution d'urgence pour lui-même et sa famille d'un logement plus salubre ' sans humidité ; que rapidement après avoir emménagé, ils se sont aperçus qu'une odeur de moisissures commençait à se propager dans le logement et qu'en même temps, ils subissaient de graves effets sur leur santé ; qu'ainsi, dès le 27 novembre 2022, ils ont écrit un courriel à la bailleresse pour lui indiquer que le logement présentait des problèmes de fuites, d'humidité et de moisissures, courriel qui sera suivi de nombreux autres messages et échanges, comprenant à chaque fois des justificatifs, certificats médicaux et photographies du logement en annexe.

Ils expliquent que Mme [W], qui présente des problèmes d'audition, n'a probablement pas entendu le passage d'une entreprise pour la reprise de la peinture le 15 décembre 2022 au matin ; qu'ils ont dû se rendre en Tunisie au chevet du père malade de M. [W], le 11 décembre pour celui-ci et le 15 décembre pour Mme [W] et [I] ; que ces dernières sont rentrées le 19 décembre 2022, ont réintégré le logement, provoquant la reprise des problèmes (quintes de toux, rejet de glaires et de sang, nausées et vomissements, yeux, gorge et nez irrités, perte d'appétit) et leur aggravation, Mme [W] devant consulter en urgence pour [I] le 23 décembre, date à partir de laquelle ils ont quitté le logement et ont connu un parcours chaotique.

Devant leurs vaines demandes d'obtenir une solution de relogement en urgence, ils indiquant avoir fait établir :

- le 1er janvier 2023, un constat par un commissaire de justice, relevant divers désordres tels que la carence des joints des cadres des fenêtres, des cloques apparues sur le bas des murs (à l'emplacement où les murs avaient été atteints par le dégât des eaux avant leur entrée dans les lieux), des fissures sur les murs, des robinets fuyards, des moisissures au niveau du mur du fond situé sur l'évier de la cuisine, des moisissures derrière les radiateurs du salon et des chambres, dans la salle de bains sous la baignoire ;

- le 3 janvier 2023, un rapport d'humidité par la société Apache, laquelle a relevé en substance une humidité structurelle importante ;

- le 9 janvier 2023 et le 27 novembre 2023, des rapports d'analyse de l'air au sein du logement, concluant à une très forte contamination fongique de la cuisine, la salle de bains et des 2 chambres, avec un impact sanitaire et la nécessité pour la famille de quitter le logement dans l'attente de travaux ainsi qu'à la présence de moisissures derrière les radiateurs dont la convection dissémine dans la pièce les moisissures, mentionnant à une importante contamination fongique et à la présence de Stachybotrys chartarum.

Ils versent des attestations pour démontrer que d'autres voisins connaissent des problèmes similaires.

Ils précisent que les membres de la famille ne se sont jamais remis jusqu'à ce jour des problèmes de santé engendrés à cause de l'exposition aux moisissures toxiques du logement, alors qu'ils ne présentaient pas ces graves problèmes de santé auparavant.

Ainsi, ils forment appel incident de l'ordonnance qui a rejeté leurs demandes principales aux fins de voir condamner l'intimée à les reloger sans délai dans un logement salubre, sous astreinte, voir prononcer la suspension de leur obligation de versement des loyers, subsidiairement la prise en charge immédiate des frais de relogement, la consignation des loyers entre les mains de la CARPA du Val d'Oise, ainsi que de voir condamner l'intimée à les indemniser des divers préjudices subis.

Ils soutiennent que les divers éléments ci-dessus rapportés permettent de caractériser la faute de la société Emmaüs Habitat et l'indécence du logement, soulignant au visa de multiples certificats médicaux les répercussions suivantes subies sur leur santé :

- s'agissant de M. [W], une mise sous traitement de fond pour asthme chronique déclenché par l'exposition aux moisissures ;

- pour Mme [W], des problèmes de crises de toux, yeux irrités, difficultés à respirer, pour lesquels elle est toujours sous traitement, les certificats médicaux indiquant que les lésions font suite à l'humidité du logement ;

- pour [I], qui n'avait que 4 ans lors de l'entrée dans les lieux, une maladie respiratoire chronique, une intoxication ayant déclenché un asthme sévère, générant une grande fatigue.

Ils développent sur 10 pages dans leurs conclusions le préjudice matériel subi et qui se résume ainsi :

- constat et rapports d'expertise : 6 167,50 euros,

- frais d'hôtel : 21 650,92 euros,

- essence ' péage pour les hébergements : 769,49 euros,

- laverie : 122 euros,

- déménagement des affaires :1 896 euros,

- frais de décontamination du linge : 1 512,45 euros,

- frais de décontamination des meubles : 1 400 euros,

- achats divers pour décontamination : 562,45 euros,

- location du BOX n°1 : 452,81 euros,

- location du BOX n°2 : 481,98 euros,

- location Box unique : 137,93 euros,

- location Box (mai à novembre 2023) : 1 181,43 euros,

- emprunts induits par cette situation : 38 498 euros,

- trouble de jouissance : 7 292,25 euros,

- logement de [Localité 7] 3 159,72 euros,

- frais d'avocat : 5 400 euros,

- destruction meubles et effets personnels : 3 730,54 euros,

soit un total de 98 342,22 euros au titre du préjudice matériel.

S'agissant du préjudice immatériel, les intimés allèguent d'un trouble de jouissance évalué à 7 292,25 euros arrêté au 5 février 2024, et d'un préjudice physique, pour un montant total de 15 000 euros.

Ils invoquent également un préjudice moral qu'ils chiffrent à 10 000 euros.

A titre subsidiaire, ils concluent au nécessaire rejet des demandes de la société Emmaüs Habitat et à la confirmation de l'ordonnance ayant désigné un expertise judiciaire, arguant de leurs précédents développements quant à l'indécence du logement.

En réponse aux arguments adverses, ils font observer qu'ils ont attendu des années pour obtenir un logement conforme à la composition de leur famille et qu'ils demandent bien une mutation à la société Emmaüs Habitat qui ne leur a toutefois proposé aucune solution de relogement.

Quant aux affirmations de la bailleresse selon lesquelles le logement serait salubre et conforme aux critères de décence, ils font observer qu'elle feint de ne pas comprendre la situation ; que les différents interlocuteurs dont elle fait état ont refusé de procéder à un examen de fond du problème, se contentant de passer sur certains murs un testeur d'humidité, sans se poser la question des raisons impliquant leurs problèmes de santé.

Ils ajoutent que leur demande de logement était accompagnée d'un certificat médical concernant M. [W] et la nécessité pour lui d'avoir une habitation salubre, sans humidité, de sorte que la société Emmaüs Habitat était parfaitement informée de cette exigence et n'a pourtant pas hésité à leur proposer un logement qui avait fait l'objet d'un important dégât des eaux qui semble avoir été mal traité.

Ils avancent que les différents professionnels de santé sont unanimes sur le fait que leurs problèmes de santé sont la conséquence de l'exposition aux moisissures ; que la pièce n° 11 versée par l'intimée à propos de la première réunion d'expertise tenue le 31 janvier 2024 sur site ne consiste qu'en des photographies prises en dehors de la présence de l'expert et qui ne font ressortir que l'aspect visuel du logement.

Les consorts [W] sollicitent ensuite l'infirmation de l'ordonnance qui ne leur a accordé qu'une provision de 5 000 euros pour les préjudices subis qui s'élèvent pourtant à la somme totale de 129 634,47 euros, en renvoyant à leurs précédents développements.

Enfin, ils forment une demande au titre de la procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, faisant observer que l'appelante ne fait à hauteur d'appel que prétendre que les demandes seraient disproportionnées, sans apporter un quelconque élément nouveau.

Sur ce,

Selon le 1er alinéa de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Aux termes de l'article 145 du même code, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il est de jurisprudence constante que les dispositions de l'article 146 du code de procédure civile relatives aux mesures d'instruction ordonnées au cours d'un procès ne s'appliquent pas lorsque le juge est saisi d'une demande fondée sur l'article 145.

L'article 1719 1° du code civil prévoit que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent.

Aux termes de la 1ère phrase du 1er alinéa de l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale, défini par un seuil maximal de consommation d'énergie finale par mètre carré et par an, et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.

Les 3 premiers aliénas de l'article 20-1 de la même loi précisent que si le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l'article 6, le locataire peut demander au propriétaire sa mise en conformité sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. A défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois, la commission départementale de conciliation peut être saisie et rendre un avis dans les conditions fixées à l'article 20. La saisine de la commission ou la remise de son avis ne constitue pas un préalable à la saisine du juge par l'une ou l'autre des parties.

L'information du bailleur par l'organisme payeur de son obligation de mise en conformité du logement, telle que prévue à l'article L. 843-1 du code de la construction et de l'habitation, tient lieu de demande de mise en conformité par le locataire.

Le juge saisi par l'une ou l'autre des parties détermine, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. Il peut réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu'à l'exécution de ces travaux. Le juge transmet au représentant de l'Etat dans le département l'ordonnance ou le jugement constatant que le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l'article 6.

Par ailleurs, il découle des dispositions du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 qui définit les caractéristiques d'un logement décent, qu'un logement présentant un degré d'humidité et de moisissures tel qu'il porte atteinte à la santé des occupants n'est pas décent au sens de ce texte.

Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, la particularité de cette affaire réside dans l'existence de preuves contradictoires.

Ainsi, d'un côté, il existe plusieurs éléments tendant à démontrer que la société Emmaüs Habitat aurait respecté son obligation de délivrance d'un logement décent.

Lors de la prise de possession du logement par M. et Mme [W], l'état des lieux établi contradictoirement le 15 novembre 2022 mentionne que l'appartement est, selon les éléments, à l'état neuf ou en bon état.

M. [A], commissaire de justice, relève aux termes du procès-verbal établi le 10 janvier 2023 en présence de Mme [W], Mme [G], responsable habitat et cadre de vie de la société Emmaüs Habitat, M. [O], gardien de la résidence, Mme [R], du service d'hygiène de la ville de [Localité 6] et la société Baudart, que l'état général du logement est « très bon » et que le testeur d'humidité mis à sa disposition par une inspectrice de salubrité au service d'hygiène de la ville de [Localité 6] n'a mesuré d'humidité dans aucune des pièces. A l'issue de ces constats, seul un rendez-vous est pris avec une entreprise de travaux afin d'effectuer des retouches de peinture et le rebouchage de micro-fissures aux abords des fenêtres.

Au vu de ces constatations, la direction générale des services techniques ' service hygiène ' cadre de vie, de la ville de [Localité 6] va adresser le 7 février 2023 un courrier à Mme [W] pour l'informer que lors de la visite du 10 janvier précédent, il n'a pas été observé d'humidité, que les travaux incombant au bailleur vont être réalisés le 8 février et que la situation ne relève pas d'une insalubrité pour laquelle le service est compétent.

L'expert désigné par l'assureur de la société Emmaüs Habitat, le cabinet Sedgwick, va se rendre sur place le 13 février 2023, et en présence de Mme [W] et de l'expert de son assureur, le cabinet IXI, va indiquer qu'il ne constate pas d'humidité, que l'appartement est sain en ce qu'il y a une ventilation correcte de l'air. Seules « quelques moisissures derrière les équipements de cuisine et gaines techniques » vont être observées, avec un forfait de nettoyage fongicide évalué à 600 euros.

Le cabinet Sedgwick va indiquer classer sans suite le dossier, aucun lien de causalité n'étant rapporté, et noter que son confrère, expert de l'assureur de M. et Mme [W], en fait de même.

Ainsi, c'est à juste titre que l'appelante fait valoir que les différentes réunions contradictoires organisées dans le cadre de ce litige ont toutes mis en évidence l'absence de problème d'insalubrité du logement.

Toutefois, ces éléments apparaissent en totale contradiction avec d'autres pièces versées aux débats par les intimés.

Ainsi, aux termes du constat réalisé le 1er janvier 2023 par M. [M] [C], commissaire de justice, à la demande de Mme [W] et en sa seule présence, il est déploré des traces en pied de façade extérieure de l'immeuble au niveau d'une des chambres de l'appartement loué à M. et Mme [W], l'absence de joints de cadres fenêtres, des trous entre le mur et les encadrements des fenêtres, des cloques dans la peinture, des micro-fissures, plusieurs robinets fuyards avec un « goutte à goutte » s'en échappant, l'existence de moisissures et de colorations noircies sous l'évier et dans une gaine de la cuisine, l'existence dans les 2 chambres de petits jours/trous entre le cadre et la fenêtre, ainsi que la présence de moisissures visible derrière les radiateurs, dans la salle de bains, une forte odeur d'humidité à la dépose du tablier de la baignoire ainsi que des traces noircies et moisissures apparentes sur tout le pan de mur situé derrière la baignoire, des cloques à plusieurs endroits des murs, des moisissures dans la gaine technique située au-dessus des toilettes.

Selon le rapport d'humidité réalisé à la demande de Mme [W] le 3 janvier 2023 par la société Apache, il existe dans l'appartement une « humidité structurelle importante en partie basse des murs porteurs et de refends », pouvant être due à des problèmes de remontées par capillarités.

Mme [W] va également faire effectuer des « prélèvements d'air et de surface pour recherche et identification de moisissures » par la société Analyzair, dans le premier temps le 9 janvier 2023, laquelle intervenante va conclure à « une très forte contamination fongique de la cuisine, de la salle de bains et des 2 chambres », les souches de moisissures retrouvées pouvant « être allergisantes, pathogènes », voire « toxiques », avec « la présence de salpêtre, retrouvé sur chacun des prélèvements de surface », indiquant « une humidité trop importante du logement », puis dans un second temps le 27 novembre 2023, qui vont conduire l'entreprise aux mêmes conclusions.

Le 9 janvier 2023 également, Mme [W] va recevoir M. [E] [B], expert en bâtiment, lequel va relever aux termes de son rapport destiné selon la requérante à identifier l'origine des moisissures, que celles-ci « ont très probablement pour origine un dégât des eaux importants qui n'a pas été suivi d'un traitement adéquat consistant en une déhumidification de l'air et un séchage des ouvrages », mais que ne peut être exclue « une remontrée d'humidité depuis les soubassements », et préconiser un lessivage des surfaces affectées avec un produit fongique suivi d'un séchage.

La voisine occupant l'appartement situé au-dessus de celui loué à M. et Mme [W] atteste quant à elle rencontrer les mêmes problèmes d'humidité et de moisissures, ainsi que du fait que les précédents occupants du logement du rez-de-chaussée sont partis à cause de ces problèmes, ayant des répercussions sur la santé de leurs enfants, de même qu'un autre voisin habitant dans le même immeuble.

Dès lors, au vu des constats tout à fait antinomiques résultant de ces divers éléments de preuve, établis au contradictoire des parties pour ceux concluant à la salubrité du logement, et des multiples éléments s'agissant de ceux relevant une humidité et des moisissures telles qu'elles rendraient le logement insalubre, il est impossible, au stade du référé, d'en tirer une conclusion qui s'imposerait avec l'évidence requise.

Par ailleurs, les intimés versent au dossier de très nombreuses pièces médicales, en particulier des certificats médicaux, qui laissent supposer que l'état de santé dégradé des 3 membres de la famille serait en lien avec l'exposition, pendant un peu moins de 2 mois, à des moisissures toxiques.

Pour ne prendre que quelques exemples, s'agissant de M. [W], seul membre de la famille pour lequel il est allégué un état antérieur de fragilité, un certificat d'un médecin généraliste daté du 1er avril 2014, adresse le patient à un pneumologue pour une suspicion « d'aspergillose broncho pulmonaire allergique », en indiquant qu'il a été exposé au cours des mois de novembre et décembre 2022 à des moisissures toxiques.

En ce qui concerne Mme [W], de multiples certificats médicaux établis entre le 1er décembre 2022 et le 3 février 2024, sont également communiqués, évoquant des lésions de type conjonctivite allergique, vomissements, prurit dans les yeux et la gorge, toux, rhinite, céphalées etc, avec nécessité d'un traitement de long terme, et cela suite à l'humidité déplorée dans le logement, sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agit-là des déclarations de l'intéressée ou d'une indication des médecins.

S'agissant de l'enfant du couple, [I], née le 25 août 2018, le premier certificat la concernant est daté du 29 novembre 2022 ; le 26 décembre 2022, un médecin généraliste va indiquer qu'elle présente une asthénie et une rhinite ; le 16 janvier 2023, un autre médecin généraliste va considérer que les symptômes orientent vers une infection pulmonaire. Une très grande quantité de documents médicaux sont versés, témoignant d'un grand nombre de consultations médicales depuis la fin de l'année 2022, plusieurs certificats indiquant que son état de santé nécessite qu'elle vive dans un logement sans humidité et sans moisissures, tout comme ses parents. Il apparaît également qu'elle a été soignée pour de l'asthme. Un courrier du 9 janvier 2024 d'un professeur de l'hôpital Robert-Debré indique revoir [I] après une première consultation le 5 décembre 2023, qui avait révélé une infection virale et nécessité un traitement antibiotique, et que lors de ce 2e rendez-vous, l'examen est tout à fait rassurant, mentionnant souhaiter la revoir dans 4 mois pour évaluer le côté « rhino-sinusien ».

Si ces divers éléments tendent à corroborer la présence d'une humidité et de moisissures dans le logement litigieux d'une ampleur telle que ces désordres seraient à l'origine des difficultés médicales rencontrées par les membres de la famille [W], il est toutefois à ce stade prématuré d'en déduire l'existence d'un lien de causalité certain.

En conséquence, c'est à juste titre que le premier juge a débouté les consorts [W] de leurs demandes principales mais qu'il a fait droit à leur demande subsidiaire aux fins de désignation d'un expert judiciaire.

En revanche, en l'absence de caractère avéré de l'indécence du logement loué par la société Emmaüs Habitat à M. et Mme [W], ceux-ci ne peuvent qu'être déboutés de leurs demandes de provision à titre de réparation de leurs divers préjudices, l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile supposant l'absence de contestations sérieuses pour pouvoir allouer de telles provisions.

L'ordonnance querellée sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a condamné la société Emmaüs Habitat à verser une provision aux consorts [W], dont les demandes subsidiaires sur ce point ne peuvent a fortiori qu'être rejetées.

Compte tenu de ce que les demandes de la société Emmaüs Habitat prospèrent pour partie en appel, s'agissant du rejet des demandes de provision, le recours intenté ne saurait être qualifié d'abusif au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Les demandes des consorts [W] à ce titre seront rejetées.

Sur les demandes accessoires :

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Toutefois, compte tenu de la singularité de ce dossier dans lequel des professionnels ont pu rendre des conclusions opposées, il convient de dire que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés en appel. Il sera, pour la même raison et en considération de l'équité, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance du 21 juillet 2023, sauf en ce qu'elle a condamné la société Emmaüs Habitat à verser une provision à M. et Mme [W],

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de provision de Mme [Z] [X] épouse [W], M. [S] [J] [W] et [I] [W], représentée par ses parents,

Déboute Mme [Z] [X] épouse [W], M. [S] [J] [W] et [I] [W], représentée par ses parents de leur demande au titre de l'appel abusif,

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Dit que chaque partie conservera la part des dépens d'appel par elle exposés.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-5
Numéro d'arrêt : 23/06056
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;23.06056 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award