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25/04/2024 | FRANCE | N°22/07724

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-6, 25 avril 2024, 22/07724


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 78F



Chambre civile 1-6



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 AVRIL 2024



N° RG 22/07724 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VS2F



AFFAIRE :



SAS PSA VO FRANCE



C/



S.N.C. GARAGE DU [Localité 3]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 22/01427



Expéditions exécutoi

res

Expéditions

Copies

délivrées le : 25.04.2024

à :



Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Marion CORDIER de la SELARL SILLARD CORDIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de VERSAILLES





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 78F

Chambre civile 1-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 AVRIL 2024

N° RG 22/07724 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VS2F

AFFAIRE :

SAS PSA VO FRANCE

C/

S.N.C. GARAGE DU [Localité 3]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 22/01427

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 25.04.2024

à :

Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Marion CORDIER de la SELARL SILLARD CORDIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS PSA VO FRANCE SAS

N° Siret : 562 043 422 (RCS Versailles)

Venant aux droits de la Société Commerciale CITROEN

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2221934 - Représentant : Me Anne-Isabelle TORTI, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : P0429

APPELANTE

****************

S.N.C. GARAGE DU [Localité 3]

N° Siret : 901 095 893 (RCS Lyon)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Henry RANCHON du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER (France) LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0008 - Représentant : Me Marion CORDIER de la SELARL SILLARD CORDIER & ASSOCIÉS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 189 - N° du dossier S220103

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mars 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte reçu le 10 juillet 2012 par Maître [X] [U], notaire au sein de la société civile professionnelle ' Michel Morin et Philippe Morin', notaires associés à [Localité 6], la SCI Goncourt Oliviers a donné à bail à la Société Commerciale Citroën un immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 7].

Ce bail a fait l'objet de modifications par, d'une part, deux avenants des 28 septembre 2012 et 17 octobre 2012 aux termes desquels les parties ont modifié, notamment, la date de prise d'effet du bail, et, d'autre part, un courrier du 17 octobre 2012 aux termes duquel à la SCI Goncourt Oliviers, s'est substituée la SCI T16.

Suivant acte extrajudiciaire du 22 avril 2021, la société PSA VO France, venant aux droits de la Société Commerciale Citroën, a donné congé des locaux sis [Adresse 1] pour le 24 octobre 2021.

Le 20 octobre 2021, la SCI T16 a vendu à la société Garage du [Localité 3] l'ensemble immobilier susvisé, et les droits y attachés.

Un litige est né entre les parties, au sujet du maintien dans les lieux de la locataire, et de la remise en état de ceux-ci, des travaux de dépollution, notamment, étant à la charge du preneur en vertu du contrat de bail.

Par actes d'huissier du 11 février 2022, la société Garage du [Localité 3] a fait procéder, en vertu 'd'un acte authentique contenant bail commercial reçu par Maître [X] [U], notaire au sein de la société civile professionnelle ' Michel Morin et Philippe Morin', notaires associés à [Adresse 8] en date du 10 juillet 2012 ', à l'encontre de la société PSA VO France à :

une saisie attribution entre les mains de la société BNP Paribas,

une saisie attribution entre les mains de la société LCL,

pour avoir paiement d'une somme de 1 299 241,38 euros en principal, outre des frais, représentant :

91 697,07 euros HT d'indemnité d'occupation du 25 octobre 2021 au 31 décembre 2021,

4 529,29 euros HT de charges pour le 4ème trimestre 2021, du 25 octobre 2021 au 31 décembre 2021,

664 000 euros HT de travaux de remise en état,

322 474,80 euros HT d'indemnité d'immobilisation des locaux pour la durée des travaux (8mois).

Les saisies, fructueuses à hauteur de 1 056,48 euros pour la première et de 1 243,80 euros pour la seconde, ont été dénoncées à la société PSA VO France le 17 février 2022.

Le 11 mars 2022, la société PSA VO France a assigné la société Garage du [Localité 3] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Versailles.

Par jugement contradictoire rendu le 9 décembre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Versailles a :

rejeté la demande d'annulation des saisies-attributions diligentées par la société Garage du [Localité 3] contre la société PSA VO France selon procès-verbaux de saisie du 11 février 2022 dénoncés le 17 février 2022,

cantonné ces saisies à la somme de 977 541,17 euros et dit qu'elles ne produiront effet qu'à concurrence de cette somme,

ordonné la mainlevée partielle immédiate pour le surplus,

débouté la société PSA VO France de sa demande d'indemnisation pour saisie fautive et abusive,

débouté la société Garage du [Localité 3] de sa demande de consignation des sommes à titre de garanties,

débouté la société PSA VO France de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté la société Garage du [Localité 3] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

condamné aux entiers dépens la société PSA VO France,

rappelé que la décision est exécutoire de droit.

Le 23 décembre 2022, la société PSA VO France a interjeté appel de cette décision.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 20 juin 2023, avec fixation de la date des plaidoiries au 22 juin 2023.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 7 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société PSA VO France, appelante, demande à la cour de :

juger son appel recevable et bien fondé,

infirmer le jugement du 9 décembre 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

juger nulles les deux saisies-attributions opérées par la SNC Garage du [Localité 3] faute de titre exécutoire,

juger que la créance cause des deux saisies attributions, n'est ni liquide ni exigible,

juger que le bail commercial notarié du 10 juillet 2012, en vertu duquel ont été pratiquées les saisies-attributions, ne contient aucune créance liquide et exigible,

juger la SNC Garage du [Localité 3] dépourvue de titre exécutoire à son encontre, fondant ses saisies-attributions,

juger la SNC Garage du [Localité 3] fautive dans la mise en 'uvre des saisies-attributions pratiquées,

juger abusives les deux saisies-attributions pratiquées sur ses comptes,

Par conséquent,

annuler les deux mesures de saisies attributions diligentées le 11 février 2022 entre les mains de la BNP Paribas et le LCL une saisie-attribution par actes de Maitre [Z] [V] pour paiement de la somme de 1 300 015,97 euros, lesquels actes ont été dénoncés à la demanderesse le 17 février 2022, (sic)

ordonner la mainlevée de ces deux mesures de saisies-attributions,

condamner la SNC Garage du [Localité 3] au paiement de la somme de 530 000 à son profit, en réparation du préjudice résultant du caractère abusif des deux mesures de saisie pratiquées sur ses comptes bancaires le 11 février 2022,

condamner la SNC Garage du [Localité 3] au paiement de la somme de 50 664 euros, sur la base des justificatifs produits, à son profit, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile exposés en première instance,

condamner la SNC Garage du [Localité 3] aux entiers dépens exposés en première instance,

Subsidiairement et y ajoutant,

cantonner ces saisies à la somme de 115 471,63 euros TTC correspondant à

la somme de 91 697,07 euros HT ou 110 036,48 euros TTC au titre d'une indemnité d'occupation pour la période du 25 octobre 2021 au 31 décembre 2021,

la somme de 4 529,29 euros HT ou 5 435,14 euros TTC au titre des charges du 4ème trimestre pour la période du 25 octobre 2021 au 31 décembre 2021,

enjoindre la SNC Garage du [Localité 3] de communiquer la facture correspondante sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

condamner la SNC Garage du [Localité 3] au paiement de la somme de 530 000 euros à son profit, en réparation du préjudice résultant du caractère abusif des deux mesures de saisie pratiquées sur ses comptes bancaires le 11 février 2022,

condamner la SNC Garage du [Localité 3] au paiement de la somme de 50 664 euros, sur la base des justificatifs produits, à son profit, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile exposés en première instance,

condamner la SNC Garage du [Localité 3] aux entiers dépens exposés en première instance,

En tout état de cause :

condamner la SNC Garage du [Localité 3] au paiement de la somme de 30 000 euros à son profit sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

condamner la SNC Garage du [Localité 3] aux entiers dépens,

rejeter toutes demandes, fins et prétentions de la société Garage du [Localité 3].

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 15 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Garage du [Localité 3], intimée, demande à la cour de :

confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Versailles, le 9 décembre 2022, en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des saisies-attributions diligentées par la société Garage du [Localité 3] contre la société PSA VO France, selon procès-verbaux de saisie du 11 février 2022, dénoncés le 17 février 2022 ; débouté PSA VO France de sa demande d'indemnisation pour saisie abusive et fautive ; débouté PSA Retail France de sa demande d'amende civile (sic) ; débouté PSA VO France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

infirmer partiellement le jugement rendu le 9 décembre 2022, en ce qu'il a cantonné les saisies à la somme de 977 541,17 euros et dit qu'elles ne produiront effet qu'à concurrence de cette somme ; ordonné la mainlevée partielle immédiate pour le surplus ; débouté la société Garage du [Localité 3] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Y faisant droit statuant à nouveau :

débouter la société PSA VO France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

juger qu'elle justifie d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible à l'encontre de la société PSA VO France relative à des travaux de remise en état des locaux et des indemnités d'immobilisation sur le fondement du bail notarié revêtu de la formule exécutoire reçu le 10 juillet 2012 par Me [X] [U], notaire à [Localité 6],

Subsidiairement,

confirmer le jugement attaqué cantonnant les causes de la saisie à la somme de 977 541,17 euros,

En conséquence,

débouter la société PSA VO France de ses demandes d'annulation et de mainlevées subséquentes des deux saisies-attribution diligentées le 11 février 2022,

juger que les deux saisies-attribution diligentées le 11 février 2022 ne sont pas abusives,

débouter PSA VO France de sa demande de dommages et intérêts,

débouter PSA Retail France de sa demande d'amende civile (sic),

débouter PSA VO France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

condamner PSA VO France au paiement de la somme de 50 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner PSA VO France au paiement de la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

condamner PSA VO France aux entiers dépens.

A l'issue de l'audience du 7 mars 2024, où elle a finalement été examinée, après avoir été plusieurs fois renvoyée à la demande des parties, au motif de pourparlers en cours, l'affaire a été mise en délibéré au 25 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION 

Sur l'étendue de la saisine de la cour

A titre liminaire la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, pour autant qu'elles sont soutenues par des moyens développés dans la discussion, et qu'elle ne répond aux moyens que pour autant qu'ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions.

Elle rappelle également, s'agissant des prétentions énoncées au dispositif saisissant la cour, que les  demandes de 'juger' qui ne tendent qu'au rappel des moyens invoqués à l'appui des demandes sans conférer de droit à la partie qui les requiert, ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Sur les contestations liées au titre exécutoire

L'appelante soutient que les saisies attribution querellées sont nulles pour avoir été pratiquées sans titre exécutoire, en violation des dispositions des articles L.111-2 et L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution, et de l'article 502 du code de procédure civile. Elle fait valoir que les saisies ont été pratiquées en vertu d'un acte authentique contenant un bail commercial du 10 juillet 2012, lequel constituerait le titre exécutoire, mais que :

d'une part, le créancier désigné au titre visé dans les procès-verbaux de saisie, qui n'a d'ailleurs pas été dénoncé, n'est pas le créancier poursuivant, tandis que le débiteur désigné au titre concerné n'est pas le débiteur poursuivi, et que la société Garage du [Localité 3] ne démontre pas le maintien du titre exécutoire à son profit, au fil des cessions intervenues ;

d'autre part, l'huissier instrumentaire ayant pratiqués les saisies-attributions contestées, sur instructions de la SNC Garage du [Localité 3], ne disposait pas matériellement de la copie exécutoire du bail notarié au moment où il a procédé aux saisies ; que contrairement à ce qu'elle soutient, la société Garage du [Localité 3] n'a jamais justifié de la remise du titre exécutoire à son conseil.

L'intimée objecte qu'elle justifie bien d'un titre exécutoire permettant la mise en oeuvre de mesures d'exécution forcée, qu'en effet, les actes notariés constituent des titres exécutoires au sens de l'article L.111-3-4° du code des procédures civiles d'exécution, qu'un acte notarié est doté d'une force exécutoire, que la force exécutoire réside non pas dans la formule exécutoire, mais dans l'original même de l'acte, communément appelé minute, que comme l'a rappelé le juge de l'exécution, il n'est pas exigé que l'huissier ait disposé matériellement de la copie exécutoire du bail notarié au moment où il a procédé aux saisies, qu'en première instance, elle avait justifié de la remise du titre exécutoire à son conseil, dès l'exécution de la mesure de saisie, qu'enfin, il résulte de la lettre de l'article L.111-6 du code des procédures civiles d'exécution et de la jurisprudence qu'un bail notarié est doté de la force exécutoire dès lors qu'il contient des éléments permettant l'évaluation de la somme exigible.

A titre liminaire, il est, d'une part, établi, par l'attestation que l'appelante verse elle-même aux débats ( sa pièce n°17), que la société Garage du [Localité 3] est bien le nouveau propriétaire des biens immobiliers objet du bail du 10 juillet 2012, pour les avoir acquis de la société T16, que s'était substituée la SCI Goncourt Oliviers ( pièce n°28 de l'appelante), et, d'autre part, par les propres affirmations de la société PSA VO France, qui a délivré congé au bailleurs en cette qualité ( sa pièce n°14), que l'appelante vient aux droits de la Société Commerciale Citroën. En conséquence, c'est en vain que la société PSA VO France conteste à la société Garage du [Localité 3] le droit de se prévaloir de l'ensemble des dispositions du bail susvisé.

En vertu des articles L.111-2 et L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution, la mise en oeuvre d'une mesure d'exécution forcée, et singulièrement d'une saisie-attribution, est réservée au créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

Aux termes de l'article L.111-3 du même code, 'constituent des titres exécutoires (... ) 4° les actes notariés revêtus de la formule exécutoire.'

Si les actes dressés par les notaires sont effectivement exécutoires, leur force exécutoire ne réside pas dans la minute, contrairement à ce que soutient l'intimée, qui pourtant rappelle elle-même les termes de l'article 502 du code de procédure civile et qu'un acte notarié exécutoire consiste en une copie certifiée conforme de la minute et revêtue de la formule exécutoire. Pour qu'un acte notarié ait force exécutoire, il faut en effet qu'il soit revêtu de la formule exécutoire, de sorte qu'un acte notarié ne constitue un titre exécutoire permettant de recourir à des mesures d'exécution forcée que s'il a fait l'objet d'une expédition revêtue de la formule exécutoire.

Or en l'espèce :

les procès verbaux du 11 février 2022 se réfèrent à 'un acte authentique contenant bail commercial', sans viser une copie exécutoire,

le 16 mars 2022, aucune copie exécutoire de ce bail commercial ne se trouvait en possession de l'huissier qui a procédé aux saisies attribution du 11 février 2022, ainsi qu'il résulte d'un constat d'huissier opéré à cette date à la demande de l'appelante, sur rendez-vous et après sommation interpellative du 11 mars 2022 : étaient détenus en l'étude de l'huissier 3 contrats de bail notariés, portant chacun d'eux la formule exécutoire, mais pas le contrat de bail visé à l'appui des saisies litigieuses ;

l'intimée, qui prétend avoir 'justifié' en première instance de la remise du titre exécutoire à son conseil dès l'exécution de la mesure de saisie, ce qui n'est pas exactement ce que retient le jugement du 9 décembre 2022, qui indique seulement que 'la société Garage du [Localité 3] mentionne d'ailleurs que le titre exécutoire avait été remis à son conseil dès l'exécution de la saisie. La preuve ne pouvait alors en être demandée à l'huissier postérieurement à la saisie', ne produit aucune version de l'acte authentique revêtue de la formule exécutoire, et ce alors même qu'est en débat la question de la détention, par le créancier saisissant, d'un titre exécutoire.

Le seul acte notarié dont dispose la cour est en effet une copie de la minute, produite par la société PSA VO France, mais qui n'est pas revêtue de la formule exécutoire.

La cour ne peut ainsi que constater que la société Garage du [Localité 3] ne justifie pas qu'elle dispose bien d'un acte notarié revêtu de la formule exécutoire, le seul qui constitue un titre exécutoire au sens de l'article L.111-3 du code des procédures civiles d'exécution susvisé, condition indispensable pour pouvoir mettre en oeuvre une mesure d'exécution forcée.

Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres contestations relatives à leur validité, liées à l'existence de créances liquides et exigibles, ou de statuer sur le montant de la créance, contesté par l'une et l'autre partie, les saisies attribution querellées doivent être annulées, et leur mainlevée ordonnée.

Le jugement déféré est infirmé en conséquence.

Sur la demande de dommages et intérêts de l'appelante

Visant, notamment, les articles L.121-2 et L.111-7 du code des procédures civiles d'exécution, ainsi que l'article 1240 du code civil, la société PSA VO France considère que la société Garage du [Localité 3] a engagé sa responsabilité en faisant pratiquer les deux saisies-attributions en cause sans titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, sans attention ni précaution, et avec une légèreté blâmable, y compris de la part de l'huissier instrumentaire. Elle souligne que la société Garage du [Localité 3] avait déjà bloqué, deux mois auparavant, une somme totale de 6.579.156,27 euros sans titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, à l'encontre d'une autre entité du groupe PSA, non concernée par le bail. Elle soutient que l'indisponibilité de ses comptes fait qu'elle se trouve depuis des mois dans l'impossibilité de payer les salaires, les loyers, les organismes sociaux, ses fournisseurs, etc, ce qui crée une situation catastrophique ; qu'aucune banque n'ayant accepté de lui consentir un prêt à bref délai, elle a dû faire appel à la société Stellantis, dont elle est la filiale, faute de quoi elle aurait immanquablement été contrainte de déposer le bilan ; qu'en outre, elle a subi un préjudice d'image. Au titre de l'indemnisation de ses préjudices résultant des frais d'emprunt, du coût de l'immobilisation des sommes bloquées sur ses comptes pendant la présente procédure, du retard affectant le paiement des salaires, des cotisations sociales, des taxes et de ses fournisseurs, de l'atteinte à son image et de la désorganisation de ses services, elle réclame 330 000 euros de dommages et intérêts, dont 30 000 euros au titre des intérêts d'emprunt, outre 200 000 euros à titre de dommages et intérêts punitifs (sic).

La société Garage du [Localité 3], outre des arguments devenus inopérants dès lors que la cour retient que les saisies litigieuses ont été pratiquées sans titre exécutoire, objecte que les postes de préjudice dont il est réclamé l'indemnisation sont infondés tant sur le plan juridique que sur le terrain probatoire. Elle fait valoir que les frais d'emprunt ne sont pas justifiés, que les comptes de la société saisie n'ont été rendus indisponibles que durant 15 jours, en vue de la régularisation des opérations en cours, comme prévu à l'article L.162-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'indisponibilité totale faisant ensuite place à l'effet attributif, et que les saisies dénoncées le 17 février 2022 se sont révélées partiellement infructueuses, les sommes appréhendées étant très nettement inférieures au montant de sa créance, de sorte que les arguments de la société PSA VO France sont dénués de toute crédibilité.

Aux termes de l'article L.121-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution peut condamner le créancier à des dommages et intérêts en cas d'abus de saisie.

L'abus est en l'espèce caractérisé, dès lors que la société Garage du [Localité 3] a fait procéder à des mesures d'exécution forcée sans s'assurer préalablement qu'elle était bien titulaire d'un titre exécutoire qui l'autorisait à le faire.

Il en est résulté pour la société dont les comptes bancaires ont été saisis à tort, un préjudice qui mérite réparation, étant toutefois précisé que :

l'objet de dommages et intérêts n'étant pas de 'punir' l'auteur d'un dommage, mais de réparer le préjudice de celui qui l'a subi, intégralement mais pas au delà du dommage causé, la société PSA VO France ne peut prétendre à l'octroi d'une somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts 'punitifs' ;

la cour n'étant saisie que de la contestation de deux saisies attribution pratiquées le 11 février 2022 à l'encontre de la société PSA VO France, elle n'a pas à prendre en considération des saisies attribution qui ont été pratiquées à l'encontre d'une autre société, en l'espèce la société PSA Retail France, quand bien même il s'agirait d'une société appartenant au même groupe qu'elle ; la société PSA VO France n'a pas qualité pour solliciter l'indemnisation d'un préjudice qu'elle n'a pas elle-même subi.

Il revient par ailleurs à celui qui réclame l'indemnisation d'un préjudice d'en faire la démonstration, de même que celle de l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise et le préjudice allégué.

Or, d'une part, la cour ne peut que constater que la société appelante ne fournit absolument aucun élément de nature à étayer ses affirmations quant à la réalité du préjudice subi.

D'autre part, compte tenu des montants dérisoires qui figuraient sur les deux comptes bancaires qui ont été saisis, soit 1 056,48 euros et 1 243,80 euros, ce qui nonobstant ce que soutient l'appelante ne constitue pas des sommes importantes au regard du capital social de la société PSA VO France qui approche les 14 millions d'euros à la lecture de sa pièce n°2, il est manifeste que les besoins en trésorerie de fonctionnement de cette dernière n'étaient pas provisionnés sur ces comptes au moment de la saisie, en sorte que le lien de causalité entre le préjudice matériel allégué - la nécessité de procéder à un emprunt, le coût de l'immobilisation des sommes bloquées sur les comptes, l'impossibilité de régler immédiatement les salaires, les cotisations sociales, les taxes, et les fournisseurs, la désorganisation critique des services et le risque d'une situation de cessation des paiements - et l'abus de saisie n'est pas démontré.

Le seul préjudice effectivement subi procède d'une atteinte à l'image de la société, résultant de la mise en oeuvre, à son encontre, de mesures d'exécution forcée infondées.

Il sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement déféré est infirmé en conséquence.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Garage du [Localité 3] doit supporter les dépens de première instance et d'appel, et elle ne se verra allouer aucune indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le justificatif des frais d'avocat exposés en première instance sur lequel la société PSA VO France appuie sa demande au titre des frais irrépétibles à hauteur de 50 664 euros concerne non pas l'appelante, mais la société PSA Retail France, laquelle, au vu des éléments fournis par les parties, a été opposée à la société Garage du [Localité 3] dans le cadre de litiges distincts.

Il est justifié, au titre de la présente procédure d'appel, d'honoraires d'avocat à hauteur de 3 048 euros.

L'équité commande, au vu des justificatifs produits, et des frais nécessairement exposés par l'appelante pour faire valoir ses droits, qui ne se limitent pas aux-dits frais d'avocats, d'allouer à celle ci une somme totale de 10 000 euros, au titre de la première instance et de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

INFIRME, en toutes ses dispositions soumises à la cour, le jugement rendu le 9 décembre 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Versailles, sauf en ce qu'il a débouté la société Garage du [Localité 3] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Annule la saisie attribution pratiquée le 11 février 2022 à la demande de la société Garage du [Localité 3] à l'encontre de la société PSA VO France entre les mains de la société BNP Paribas, et celle pratiquée le 11 février 2022 à la demande de la société Garage du [Localité 3] à l'encontre de la société PSA VO France entre les mains de la société LCL ;

Ordonne la mainlevée de ces mesures,

Condamne la société Garage du [Localité 3] au paiement à la société PSA VO France d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour saisies abusives ;

Déboute la société Garage du [Localité 3] de sa demande au titre des frais irrépétibles au titre de l'appel ;

Condamne la société Garage du [Localité 3] aux dépens, et à régler à la société PSA VO France une somme totale de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-6
Numéro d'arrêt : 22/07724
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;22.07724 ?
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