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25/04/2024 | FRANCE | N°22/01866

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-3, 25 avril 2024, 22/01866


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 64B



Chambre civile 1-3



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 AVRIL 2024



N° RG 22/01866



N° Portalis DBV3-V-B7G-VCUZ





AFFAIRE :



[I] [E] [P] épouse [B]



C/



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Janvier 2022 par le TJ de NANTERRE

N° chambre : 1

N° RG : 19/07

144



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :







Me Violaine FAUCON-TILLIER





Me Jérôme HOCQUARD de la SELARL ELOCA





Me Anne-sophie DUVERGER de la SCP

C R T D ET ASSOCIES



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NO...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 64B

Chambre civile 1-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 AVRIL 2024

N° RG 22/01866

N° Portalis DBV3-V-B7G-VCUZ

AFFAIRE :

[I] [E] [P] épouse [B]

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Janvier 2022 par le TJ de NANTERRE

N° chambre : 1

N° RG : 19/07144

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Violaine FAUCON-TILLIER

Me Jérôme HOCQUARD de la SELARL ELOCA

Me Anne-sophie DUVERGER de la SCP

C R T D ET ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [I] [E] [P] épouse [B]

née le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 9] (TUNISIE)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Yael SCEMAMA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1627

Représentant : Me Violaine FAUCON-TILLIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 725

APPELANTE

****************

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

Division du contentieux,

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Jérôme HOCQUARD de la SELARL ELOCA, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0087

INTIMEE

S.A. AVANSSUR, exerçant sous le nom de DIRECT ASSURANCE

N° SIRET : 378 393 946

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentant : Me Anne-sophie DUVERGER de la SCP C R T D ET ASSOCIES, Postulant/plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 713

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Président,

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme FOULON,

FAITS ET PROCEDURE :

Le 31 décembre 2009, à [Localité 8] (73), Mme [I] [E] [P], épouse [B], âgée de 48 ans, et exerçant la profession de chirurgien-dentiste au sein d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée dont elle est l'unique associée (SELARL du Docteur [I] [B]), a été victime d'un accident de ski. Elle a chuté en descendant d'un télésiège, après avoir été bousculée par Mme [D] [G], enfant mineure dont le père était assuré auprès de la société Avanssur.

Selon le certificat initial du Dr. [K], Mme [B] présentait les lésions suivantes :

" entorse du ligament croisé antérieur de stade 3 genou droit, associée à une entorse du ligament latéral interne de stade 1 du genou homolatéral ".

L'implication dans l'accident et la responsabilité de l'assuré ayant été contestées par la société Avanssur, Mme [B] a fait assigner cette dernière, en présence de la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, par acte d'huissier du 1er avril 2014, devant le tribunal judiciaire de Nanterre, afin d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices et, avant-dire droit, la désignation d'un expert.

Par jugement du 11 février 2016, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

- dit que la responsabilité de M. [W] [G], en sa qualité de représentant légal de sa fille [D] [G], est engagée dans l'accident de ski dont Mme [B] a été victime le 31 décembre 2009,

- dit que la société Avanssur, assureur de la responsabilité civile de M. [G], est tenue d'indemniser les préjudices subis par Mme [B] du fait de cet accident,

- sursis à statuer sur la réparation des préjudices et, avant-dire droit, ordonné une expertise médicale, et commis pour y procéder le Dr. [M] [N],

- alloué à Mme [B] une indemnité de 15 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice corporel et une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'expert a déposé son rapport du 26 juillet 2016.

Au vu de ce rapport, par actes des 26 et 28 juin 2019, Mme [B] a fait assigner la société Avanssur et la CPAM des Hauts-de-Seine devant le tribunal de grande instance de Nanterre en indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 13 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- condamné la société Avanssur à payer à Mme [B], les sommes suivantes, à titre de réparation de son préjudice corporel, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la décision :

* au titre des frais divers.........................................................................................580,99 euros,

* au titre de la tierce personne temporaire'''''''''..............................2 329 euros,

* au titre de l'incidence professionnelle...................................................................2 500 euros,

* au titre du déficit fonctionnel temporaire............................................................1 452,50 euros,

* au titre des souffrances endurées..........................................................................7 000 euros,

* au titre du préjudice esthétique temporaire'''''''''..........................1 000 euros,

* au titre du déficit fonctionnel permanent.............................................................17 500 euros,

* au titre du préjudice d'agrément..........................................................................1 500 euros,

- condamné la société Avanssur à payer à la CPAM des Hauts-de-Seine la somme de 1 203,36 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2020 et dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,

- condamné la société Avanssur aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et qui pourront être recouvrés directement, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- condamné la société Avanssur à payer à Mme [B] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Avanssur à payer à la CPAM des Hauts-de-Seine la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Avanssur à payer à la CPAM des Hauts-de-Seine la somme de 401,12 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- rejeté pour le surplus.

Par acte du 25 mars 2022, Mme [B] a interjeté appel du jugement et prie la cour, par dernières écritures du 24 janvier 2024, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

* limité les condamnations de la société Avanssur :

o à 1 000 euros s'agissant du préjudice esthétique temporaire alors que la demande se portait 2 500 euros,

o à 17 500 euros s'agissant du déficit fonctionnel permanent alors que la demande se portait à 27 000 euros,

o à 1 500 euros s'agissant du préjudice d'agrément alors que la demande se portait à 10 000 euros,

o à 2 500 euros s'agissant de l'incidence professionnelle alors que la demande se portait à 67 959 euros,

o à 7 000 euros s'agissant des souffrances endurées alors que la demande se portait à12 000 euros,

* débouté Mme [B] de sa demande de dépenses de santé actuelles à hauteur de 350 euros et de sa demande relative à la perte de gains professionnels actuels à hauteur de 18 000 euros ainsi que sa demande de sursis à statuer s'agissant des pertes de gains professionnels futurs,

En conséquence, et statuant à nouveau,

- condamner la société Avanssur, assureur en responsabilité civile de M. [G], en sa qualité de représentant légal de sa fille, [D] [G], à verser à Mme [B] la somme totale de 127 287,69 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice ci-après détaillé :

I) Préjudices patrimoniaux

a) Préjudices patrimoniaux temporaires

* Dépenses de santé actuelles''''''''''.'''..'''''350 euros,

* Frais divers''''''''''''.''''..........'''''.580,99 euros

* Frais d'assistance par tierce personne temporaire '''''''''2 329 euros,

* Perte de gains professionnels actuels '''''''''''''.18 000 euros,

b) Préjudices Patrimoniaux permanents

* Incidence professionnelle'''''''''''''''...''. 67 959 euros,

II - Préjudices extra patrimoniaux

a) Préjudices extra patrimoniaux temporaires

* Déficit fonctionnel temporaire '''''''''''...''''1 452,50 euros,

* Souffrances endurées'''''''''''''''''''. 12 000 euros,

* Préjudice esthétique temporaire''''''''''.'''''.2 500 euros,

b) Préjudices extra patrimoniaux permanents

* Déficit fonctionnel permanent''''''''''''''''.. 27 000 euros,

* Préjudice d'agrément''''''''''''''''''''10 000 euros,

- condamner la société Avanssur au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Avanssur aux entiers dépens d'instance, en ce compris les honoraires de l'expert qui seront recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM des Hauts-de-Seine,

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de sa demande.

Par dernières écritures du 22 janvier 2024, la société Avanssur prie la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ses dispositions critiquées,

En conséquence,

- fixer l'indemnisation du préjudice corporel de Mme [B] sur les postes de préjudice critiqués de la façon suivante :

* incidence professionnelle..................................................................................2 500 euros,

* préjudice esthétique temporaire........................................................................1 000 euros,

* souffrances endurées........................................................................................7 000 euros,

* déficit fonctionnel permanent..........................................................................14 200 euros,

* préjudice d'agrément.........................................................................................1 500 euros,

- débouter Mme [B] des demandes formulées au titre des dépenses de santé actuelles, pertes de gains professionnels actuels et futurs,

- débouter Mme [B] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- débouter la CPAM des Hauts-de-Seine de sa demande tendant à la réformation du jugement et de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- condamner Mme [B] et la CPAM des Hauts-de-Seine aux dépens de la présente instance.

Par dernières écritures du 19 septembre 2022, la CPAM des Hauts-de-Seine prie la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions relatives à la CPAM des Hauts-de-Seine,

Y ajoutant,

- condamner la société Avanssur à lui régler les intérêts au taux légal sur la somme de 1 203,36 euros à compter du 1er décembre 2014, date de la première demande ; ces intérêts formant anatocisme à l'expiration d'une année conformément à l'article 1343-2 du code civil,

En tout état de cause,

- condamner la société Avanssur à lui régler la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Avanssur au paiement des entiers dépens avec recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

La responsabilité de l'auteur du dommage n'est plus contestée, de même que la garantie de son assureur, la société Avanssur, seule poursuivie au titre de l'action directe, de sorte que le litige porte uniquement sur la liquidation des préjudices de Mme [B].

I. Sur l'évaluation des préjudices

La cour d'appel, saisie dans les conditions de l'article 954 du code de procédure civile, n'est pas saisie de prétentions relativement aux postes de préjudice suivants, définitivement arrêtés par le tribunal : frais divers (580, 99 euros), frais d'assistance par tierce personne temporaire (2 329 euros), déficit fonctionnel temporaire (1 452, 50 euros), et perte de gains professionnels futurs (néant).

A. Sur les préjudices patrimoniaux

1. Les préjudices temporaires

a) Les dépenses de santé actuelles

Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation déjà exposés tant par les organismes sociaux que par la victime.

Les débats d'appel et les pièces soumises à la cour n'apportent aucun élément nouveau de nature à remettre en cause le rejet de la demande de Mme [B], qui ne produit pas davantage en cause d'appel que devant le tribunal de pièce justificative à même d'établir l'existence d'un reste à charge ouvrant droit à indemnisation.

b) La perte de gains professionnels actuels

Pour débouter Mme [B] de sa demande chiffrée à 18 000 euros, le tribunal, après avoir constaté la baisse du chiffre d'affaires de Mme [B] d'environ 20 % pour l'année 2010 par rapport aux années 2009 et 2011 et considéré que la perte de gains professionnels était " établie dans son principe ", a considéré que la somme réclamée ne correspondait pas à la perte de résultat afférente à une diminution du chiffre d'affaires de la SARL mais à une somme que Mme [B] prétendait ne pas avoir épargnée (compte de retraite complémentaire) afin de maintenir son résultat, et que le lien de causalité entre la réduction de cette épargne et l'accident n'était pas démontré. Il a en outre estimé que le montant réclamé, représentant 30 % du résultat 2009, était nettement supérieur à la réduction du chiffre d'affaires (20 %).

Devant la cour d'appel, Mme [B] sollicite la même somme tout en expliquant avoir affirmé à tort devant le tribunal qu'elle avait pu maintenir " son bénéfice " entre 2009 et 2010 grâce à la diminution des versements opérés à titre de cotisation de retraite (18 000 euros versés en 2010, contre 36 000 euros en 2009). Elle explique que cette analyse reposait sur une appréciation erronée des éléments comptables qu'elle entend voir corrigés à hauteur d'appel, au vu d'une nouvelle attestation comptable ayant procédé au rattachement de certaines charges au bon exercice comptable.

Elle estime que ses revenus sont constitués à la fois de sa rémunération au titre de la gérance de la SELARL dont elle est l'unique associée et des résultats de la SELARL. Partant de là, elle relève un écart de revenus de 64 402, 03 euros entre l'année 2009 et l'année 2010 (148 989, 84 euros contre 84 587, 81 euros), mais maintient néanmoins sa demande d'indemnisation à hauteur de 18 000 euros, d'abord, en ce que cette somme correspond à la baisse constatée de 20 % du chiffre d'affaire appliquée aux " résultats retraités " de la société en 2009 (20 % de 88 989, 84 = 17 797, 068 euros), ensuite en ce que la somme de 18 000 euros ajoutée aux résultats retraités pour 2010 (24 587, 81 euros), soit 42 587, 81 euros, correspond au résultat qui pouvait être escompté dans une année " normale ", exempte d'accident, étant donné que la moyenne des résultats entre 2008 à 2011 s'élève à 43 297, 91 euros.

La société Avanssur répond qu'il ressort des éléments comptables communiqués que Mme [B] n'a subi aucune perte au titre de ses rémunérations, sa rémunération nette de 60 000 euros en 2009 ayant été maintenue en 2010 et même portée à hauteur de 90 000 euros en 2011. Elle fait valoir que la SELARL, entité juridique détentrice de la personnalité morale, n'est pas intervenue dans le cadre de la présente procédure afin de faire valoir un éventuel préjudice résultant de l'absence de Mme [B], et ajoute que la perte sur la base des " résultats retraités " n'est pas vérifiable, les erreurs du précédent comptable n'étant pas établies.

Sur ce,

Le préjudice professionnel qui résulte de l'incapacité temporaire de la victime est le préjudice économique correspondant aux revenus dont la victime a été privée pendant la période d'arrêt d'activité professionnelle imputable.

L'expert impute à l'accident un arrêt de travail du 31 décembre 2009 au 14 février 2010 et une reprise à mi-temps thérapeutique jusqu'à la fin du mois de mars 2010.

Toutefois, il incombe à Mme [B] de démontrer que les gains professionnels qu'elle a perçus entre le 31 décembre 2009, date de l'accident, et le 1er septembre 2010, date de la consolidation de son état, sont inférieurs à ceux qu'elle aurait perçus si elle n'avait pas été victime de l'accident, au moyen d'un comparatif entre les revenus antérieurs et les revenus conservés.

Or, il ressort des pièces comptables versées aux débats que Mme [B] a perçu la même rémunération en sa qualité de gérante de la SELARL en 2009 et en 2010 (60 000 euros), ce qui ne permet pas d'établir une diminution des revenus tirés de son activité professionnelle.

A cet égard, l'affirmation de Mme [B] selon laquelle " ses revenus sont constitués de sa rémunération en sa qualité de gérante à laquelle s'ajoute le résultat de la SELARL, qu'il ait été distribué ou non " procède d'une confusion entre ses revenus personnels et ceux de la SELARL, alors que cette dernière, en tant que personne morale, constitue une entité juridique autonome. Il est indifférent, de ce point de vue, que sur un plan comptable puisse être calculé le " revenu global" de l'associé unique en additionnant sa rémunération en tant que gérant avec le résultat d'exploitation de la société.

Dans ses conditions, alors que seul est indemnisable le préjudice personnellement subi par la victime, Mme [B], agissant en son nom personnel, n'apparaît pas fondée à demander une indemnisation au titre de la réduction du résultat de la personne morale " SELARL du docteur [I] [B] " qui n'est pas partie à l'instance.

En outre, s'il ressort des avis d'imposition des années 2010 et 2011 que Mme [B] a déclaré pour l'année 2009, outre 17 500 euros au titre des " salaires et assimilés ", 90 434 euros de " revenus non commerciaux professionnels ", contre seulement 60 000 euros au titre des " salaires et assimilés " en 2010, ces différences quant à la nature des revenus déclarés ne sont pas expliquées par Mme [B] dans ses écritures et ne trouvent pas non plus d'explication dans les éléments comptables versés aux débats, ce qui ne permet pas de les relier par un lien de causalité certain avec l'accident.

Pour ces motifs substitués à ceux du tribunal, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande indemnitaire au titre d'une perte de gains professionnels actuels.

2. Le préjudice permanent " incidence professionnelle "

Mme [B] fait valoir que dans le cadre de l'exercice de sa profession, elle passe plusieurs heures par jour dans la position debout ou semi-assise et qu'elle subit de ce fait une pénibilité accrue en raison des séquelles de l'accident. Elle estime que cette pénibilité doit être compensée à hauteur de 10% des revenus qu'elle percevra jusqu'à son départ en retraite, soit, sur la base d'un bénéfice moyen de 45 000 euros, 67 959 euros (10% x 45 000 x 15, 102).

La société Avanssur répond que l'incidence professionnelle doit être indemnisée en fonction de l'analyse de chacune des composantes de ce poste de préjudice, non sur la base d'une perte annuelle de revenus corrélée au taux de déficit fonctionnel permanent - 10 % en l'espèce. Elle fait valoir que Mme [B] ne se trouve aucunement contrainte à la station debout prolongée, les soins auprès des patients lui permettant d'alterner la position debout et assise. Elle demande la confirmation du jugement qui pour allouer à Mme [B] une somme de 2 500 euros a tenu compte d'une gêne très modérée.

Sur ce,

L' incidence professionnelle a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage en raison de la survenance de son handicap.

Lors de l'examen clinique pratiqué le 24 mai 2016, l'expert a constaté " une discrète limitation de la flexion par rapport au côté opposé et une instabilité ". Il conclut : " au plan professionnel, on peut concevoir une gêne, très modérée, lors de la station debout prolongée ".

Compte tenu de ces éléments et des conditions d'exercice de la profession de Mme [B] dont celle-ci fait état, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a justement évalué ce poste de préjudice à la somme de 2 500 euros.

B. Sur les préjudices extrapatrimoniaux

1. Les préjudices temporaires

a) Les souffrances endurées

Ce poste indemnise les souffrances physiques et morales subies par la victime jusqu'à la date de consolidation.

Mme [B] a subi les douleurs traumatiques liées à une entorse du ligament croisé antérieur de stade 3 et une entorse du ligament latéral interne de stade 1. Elle a été traitée initialement par l'immobilisation de son genou droit et a par la suite bénéficié de séances de rééducation entre mi-février 2010 et la fin de l'année 2010.

L'expert a évalué le préjudice de souffrances à 3 sur une échelle de sept degrés, ce qui correspond à des souffrances modérées. L'évaluation de l'expert n'est pas critiquée.

Compte tenu de ces éléments, il apparaît que le tribunal a fait une exacte appréciation des éléments de la cause pour chiffrer la réparation due à ce titre à la somme de 7 000 euros.

b) Le préjudice esthétique temporaire

Ce poste de préjudice vise à indemniser une altération de l'apparence physique, même temporaire suite à l'accident.

L'expert a tenu compte de l'évolution du préjudice esthétique de la manière suivante :

- 2,5/7 jusqu'au 31 mars 2010 (3 mois), date à laquelle Mme [B] a cessé de porter une genouillère de façon permanente et de marcher avec deux béquilles ;

- 1,5/7 jusqu'au 15 avril (15 jours) au regard de la marche avec un seule canne ;

- 1/7 jusqu'à la consolidation, le 1er septembre, sans que soit précisée la nature du préjudice esthétique subi durant cette période.

Compte tenu de la période durant laquelle Mme [B] a subi une altération de son apparence physique, liée à l'usage de genouillères et de béquilles, il apparaît que ce chef de préjudice a été exactement évalué par le premier juge à la somme de 1 000 euros.

2. Les préjudices permanents

a) Le déficit fonctionnel permanent

Ce poste de préjudice vise à indemniser la réduction définitive, après consolidation, du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel de la victime résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-psychologique, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment la douleur permanente qu'elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.

Il s'agit, pour la période postérieure à la consolidation, de la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales) du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve.

L'expert ne précise pas spécifiquement dans ses conclusions les éléments dont il a tenu compte pour évaluer à 10 % le taux de déficit fonctionnel permanent de Mme [B].

Cette dernière relate dans ses écritures l'existence de petites limitations fonctionnelles (flexion, accroupissement), de douleurs résiduelles ponctuelles avec la sensation de genou qui lâche, et de la perte de la qualité de vie (douleurs au port de chaussures à talons par exemple).

Si les douleurs n'ont pas pu être objectivées lors de l'examen clinique, l'expert a néanmoins constaté des limitations fonctionnelles (" discrète limitation en flexion, des signes d'instabilité antéro-postérieure ") et a retenu, à titre permanent, une " gêne, très modérée, lors de la station debout prolongée ".

Compte tenu de l'âge de Mme [B] à la date de la consolidation (49 ans) et du taux de déficit fonctionnel permanent fixé par l'expert (10 %), il apparaît que le tribunal a fait une exacte appréciation des éléments de la cause en retenant une valeur du point de 1 750 euros pour chiffrer ce poste de préjudice à 17 500 euros (1 750 x 10).

b) Le préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice tend à indemniser l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu'elle pratiquait antérieurement au dommage. Ce poste inclut également la limitation de la pratique antérieure.

L'expert estime que " le préjudice d'agrément est démontré " :

- s'agissant de la pratique ski : " il n'y a pas de contre-indication réelle à la pratique du ski, mais à la condition qu'il s'agisse d'un ski suivant un niveau modéré et éventuellement avec le port d'une genouillère avec renforts latéraux " ;

- s'agissant de la pratique tennistique : elle " n'est pas strictement contre-indiquée mais à la condition d'une pratique modérée avec le port d'une genouillère avec renforts latéraux " ;

- " pour les longues marches, en particulier en terrain irrégulier ".

Tandis que les pièces produites par l'appelante suffisent à rapporter la preuve d'activités sportives antérieures au dommage (ski, tennis, sport en salle), il ressort du rapport d'expertise l'existence de lésions imputables à l'accident, de nature à limiter ses pratiques sportives.

Se trouve ainsi caractérisé un préjudice d'agrément qui sera justement évalué à la somme de 4 000 euros.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

II. Sur le recours de la CPAM et les intérêts au taux légal

Dans les instances introduites par une déclaration d'appel postérieure au 17 septembre 2020, la cour d'appel n'est saisie d'aucun appel incident lorsque l'appelant incident ne demande pas l'infirmation du jugement dans le dispositif de ses conclusions (Cf. Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 20-10.694 ; Civ. 2e, 29 juin 2023, n° 22-14.432).

La CPAM ne formulant aucune demande d'infirmation du jugement, la cour ne peut donc que confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SA Avanssur à lui régler la somme de 1 203, 36 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2020, date des conclusions de première instance, étant observé, au surplus, que la CPAM ne justifie pas davantage devant la cour avoir réclamé à la société Avanssur le règlement de ses débours à une date antérieure.

III. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

La société Avanssur succombant, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

L'équité commande en outre d'indemniser Mme [B] et la CPAM de leurs frais irrépétibles. La société Avanssur sera ainsi condamnée à régler la somme de 3 000 euros à Mme [B] et la somme de 1 500 euros à la CPAM des Hauts-de-Seine.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la SA Avanssur à payer à Mme [I] [E] [P], épouse [B], la somme de 1 500 euros au titre du préjudice d'agrément,

Statuant à nouveau du chef de jugement infirmé,

Condamne la SA Avanssur à payer à Mme [I] [E] [P], épouse [B], la somme de 4 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

Y ajoutant,

Condamne Mme [I] [E] [P] épouse [B] aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne la SA Avanssur à payer à Mme [I] [E] [P] épouse [B] la somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA Avanssur à payer à la CPAM des Hauts-de-Seine la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-3
Numéro d'arrêt : 22/01866
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;22.01866 ?
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