COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 24 AVRIL 2024
N° RG 22/01262
N° Portalis DBV3-V-B7G-VESK
AFFAIRE :
[B] [X]
C/
[D] [H] épouse [Y]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : AD
N° RG : F 20/01000
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Johanna BISOR BENICHOU
Me Astrid GENTES
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [B] [X]
née le 19 avril 1972 à [Localité 7] (Philippines)
de nationalité philippine
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Johanna BISOR BENICHOU de la SELEURL LACROIX AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0504
APPELANTE
****************
Madame [D] [H] épouse [Y]
née le 24 juillet 1942 à [Localité 6] (Liban)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Astrid GENTES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0248
Monsieur [O] [Y]
né le 4 septembre 1940 à [Localité 5] (Liban)
de nationalité libanaise
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Astrid GENTES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0248
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 7 février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [X] indique qu'elle a été engagée par M. et Mme [Y], en qualité d'employée d'entretien, par contrat de travail verbal à durée indéterminée, à compter du 20 mai 2017.
La convention collective nationale des salariés du particulier employeur est applicable au litige.
Mme [X] indique qu'elle percevait une rémunération fixe brute mensuelle de 1 200 euros, et qu'elle a été licenciée verbalement le 6 juin 2019.
Le 10 août 2022, Mme [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de qualification de la relation en contrat de travail, en requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 11 mars 2022, le conseil de prud'hommes, en formation de départage, de Boulogne-Billancourt (section activités diverses) a :
. débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes, l'existence d'un contrat de travail n'étant pas établie
. dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
. dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile
. débouté les parties du surplus de leurs demandes
. condamné Mme [X] aux dépens de l'instance.
Par déclaration adressée au greffe le 15 avril 2022, Mme [X] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 9 janvier 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [X] demande à la cour de :
. accueillir Madame [X] en ses présentes conclusions, l'y déclarer recevable et y faisant droit,
. infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [B] [X] de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il a jugé que l'existence d'un contrat de travail n'était pas établie.
. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les Consorts [Y] de l'ensemble de leurs demandes.
Statuant à nouveau,
. dire et juger que Madame [X] était liée par un contrat de travail avec les Consorts [Y],
. fixer son salaire moyen brut mensuel à la somme de 4 714,80 euros,
. dire et juger qu'elle a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse le 6 juin 2019,
. condamner les Consorts [Y] à lui verser les sommes suivantes :
. Rappel d'heures complémentaires du mois de juin 2017 au mois de mai 2019 41.539,02 euros (sous déduction de la somme brute correspondant à la somme nette reçue de 28.600,00 euros)
. Congés payés y afférents : 4.153,90 euros
. Rappel d'heures supplémentaires du 22 mai 2017 au 2 juin 2019 : 88.964,83 euros
. Congés payés y afférents : 8.896,48 euros
. Dommages et intérêts pour absence de contrepartie obligatoire en repos :43.036,75 euros
. Dommages et intérêts pour privation des repos quotidiens et hebdomadaires et non-respect des temps de pause (1 mois) :4.714,80 euros
. Indemnité forfaitaire du fait de la rupture de la relation de travail (3 mois) :14.144,40 euros
. Indemnité en application de l'article 700 du CPC : 1.500,00 euros
. ordonner la remise des documents suivants, conformes à la décision à intervenir :
. Attestation pôle emploi
. Certificat de travail
. Bulletins de paie du 20 mai 2017 au 6 juin 2019
. débouter les Consorts [Y] de l'ensemble de leurs demandes
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [Y] et Mme [Y] demande à la cour de:
. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute Madame [X] en toutes ses demandes, fins et conclusions,
. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne Madame [X] aux entiers dépens,
. infirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du CPC,
. infirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute les époux [Y] du surplus de leurs demandes,
En conséquence, statuant a nouveau et y ajoutant :
. juger Madame [X] irrecevable et infondée en toutes ses demandes ;
. condamner Madame [B] [X] à verser une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du Code de Procédure civile ;
. condamner Madame [B] [X] à verser aux époux [Y] de la somme de 5.000 Euros au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral ;
. condamner Madame [B] [X] à verser aux époux [Y] la somme de 4.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
. condamner Madame [B] [X] aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi
par Maître Astrid GENTES dans les conditions de l'article 699 du CPC.
MOTIFS
Sur l'existence d'un contrat de travail
Mme [X] expose qu'elle a été embauchée en qualité d'employée d'entretien par les Consorts [Y], lesquels ont profité de sa situation d'étranger en situation irrégulière pour lui imposer des conditions de travail inhumaines afin que leur luxueuse villa soit soigneusement entretenue.
M. et Mme [Y] objectent que Mme [X] reprend exactement les mêmes moyens de défense qu'elle avait développés devant le Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt, qu'ainsi elle ne produit aucune preuve, ni ancienne, ni nouvelle tendant à démontrer qu'elle aurait été engagée même verbalement comme « gouvernante » par M. et Mme [Y], que les vidéos mettent en scène Mme [X] en train de faire des tâches ménagères, en équilibre sur un balcon au 1 er , en train de nettoyer des vitres, en train de repasser, qu'il s'agit également de preuves qu'elle s'établit à elle-même, à une date où les [Y] sont au Liban. Ils ajoutent qu'elle ne produit aucun témoignage ni de preuve de l'encaissement des « salaires » qui lui auraient été versés, et que la maladie de Mme [Y], âgée de 75 ans et atteinte de troubles psychiques et d'éthylisme, est de nature à expliquer la présence incongrue de Mme [X] dans la maison.
**
L'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Ces trois conditions sont cumulatives.
Au cas présent, il n'est pas contesté par les parties qu'aucun contrat de travail n'a été signé entre les parties, et que Mme [X] n'était pas immatriculée au registre au RCS ou à l'Urssaf, de sorte qu'il lui appartient d'établir qu'elle était placée dans un lien de subordination à l'égard de M. et Mme [Y].
A cette fin, Mme [X], qui invoque l'existence d'un contrat de travail du 20 mai 2017 au 6 juin 2019, produit :
1. une décharge en date du 7 avril 2018 rédigée en anglais et signée par Mme [X] et par Mme [Y] (+ traduction libre) par laquelle Mme [X] indique « avoir reçu son salaire pour le mois de mars 2018 pour un montant de 1200 euros »
2. un récapitulatif mensuel des règlements reçus par Mme [X]
3. un récapitulatif quotidien des horaires de Mme [X]
4. un tableau récapitulatif du temps de travail effectif de Mme [X]
5. un tableau synthétique récapitulant les heures supplémentaires dues à Mme [X]
6. une lettre recommandée de Me Johanna Bisor Benichou aux consorts [Y] en date du 27 février 2020 leur demandant de régulariser la situation de sa cliente sous 8 jours s'agissant tant de l'exécution que de la rupture abusive de son contrat de travail
7. un courrier officiel de Me Patricia Rotkpoff à Me Johanna Bisor Benichou en date du 18 mai 2020
8. un PV de constat de la SCP Venezia & Associés en date du 4 juin 2020 établi par Maître [S] [R], huissier de justice, retranscrivant différentes vidéos figurant sur le téléphone portable de M. [X] et portant sur des séquences des 27 mars 2019 à 10h04 pm, du 20 mars 2019 à 4h57 pm, le 31 mars 2019 à 15h13, le 9 avril 2019 à 20h03, le 30 avril 2019 à 18h38.
Ces seuls éléments, établissant seulement que Mme [X], dont les allégations selon lesquelles elle était en situation irrégulière sont dépourvues d'offre de preuve, a été présente sur le lieu du domicile des intimés et y a réalisé quelques travaux, notamment de nettoyage les 20 et 27 mars 2019, sur une période d'un mois, et a reçu de Mme [Y] son salaire pour le mois de mars 2018 pour un montant de 1 200 euros à titre de salaire, sont insuffisants à faire la preuve de l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Sur ce critère du pouvoir de sanction de l'employeur, la cour relève que Mme [X] n'invoque d'ailleurs aucune pièce de son dossier, lequel ne comporte aucun relevé de compte établissant une quelconque rémunération ou rétribution versée par les intimés à l'appelante.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que l'existence d'un contrat de travail n'était pas établi et débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, et de laisser à la charge de chacune des parties les dépens par elle exposés en appel.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y ajoutant,
DIT n'y a avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à chacune des parties la charge des dépens exposés en appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président