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24/04/2024 | FRANCE | N°22/01253

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre sociale 4-4, 24 avril 2024, 22/01253


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



Chambre sociale 4-4



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 24 AVRIL 2024



N° RG 22/01253

N° Portalis DBV3-V-B7G-VERH



AFFAIRE :



[P] [B]



C/



[I] [E] épouse [C]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F 2

0/01001



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Johanna BISOR BENICHOU



Me Astrid GENTES







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT-QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 AVRIL 2024

N° RG 22/01253

N° Portalis DBV3-V-B7G-VERH

AFFAIRE :

[P] [B]

C/

[I] [E] épouse [C]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 mars 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F 20/01001

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Johanna BISOR BENICHOU

Me Astrid GENTES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT-QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [B]

né le 4 janvier 1972 à [Localité 7] (Philippines)

de nationalité philippine

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Johanna BISOR BENICHOU de la SELEURL LACROIX AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0504

APPELANT

****************

Madame [I] [E] épouse [C]

née le 24 Juillet 1942 à [Localité 6] (Liban)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Astrid GENTES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0248

Monsieur [K] [C]

né le 4 septembre 1940 à [Localité 5] (LIBAN)

de nationalité libanaise

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Astrid GENTES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0248

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 7 février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [B] indique avoir été engagé par M. et Mme [C], en qualité « d'homme à tout faire », par contrat de travail verbal à durée indéterminée, à compter du 8 août 2018.

La convention collective nationale des salariés du particulier employeur est applicable au litige.

M. [B] indique avoir été licencié verbalement le 3 juin 2019.

Le 10 août 2022, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de qualification de la relation en contrat de travail, de requalification du licenciement verbale en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement de départage du 11 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses ) a :

. écarté des débats la vidéo sur clé USB (pièce n°6) produite par M. [B]

. débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes, l'existence d'un contrat de travail n'étant pas établie

. dit n'y avoir lieu à exécution provisoire

. dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile

. débouté les parties du surplus de leurs demandes

. condamné M. [B] aux dépens de l'instance.

Par déclaration adressée au greffe le 15 avril 2022, M. [B] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 30 janvier 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [B] demande à la cour de :

. accueillir M. [B] en ses présentes conclusions, l'y déclarer recevable et y faisant droit,

. infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté des débats la vidéo sur clé USB (pièce n°6) produite par M. [B], en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il a jugé que l'existence d'un contrat de travail n'était pas établie.

. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les Consorts [C] de l'ensemble de leurs demandes.

Statuant à nouveau,

. dire et juger recevable la vidéo sur clé USB (pièce n°6) produite par Monsieur [B].

. dire et juger que Monsieur [B] était lié par un contrat de travail avec les consorts [C],

. fixer son salaire moyen brut mensuel à la somme de 4 714,80 euros,

. dire et juger qu'il a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse le 3 juin 2019,

. condamner les Consorts [C] à lui verser les sommes suivantes :

. Rappel d'heures complémentaires du mois de septembre 2018 au mois de mai 2019 15.759,18 euros (sous déduction de la somme brute correspondant à la somme nette reçue de 10.800,00 euros)

. Congés payés y afférents 1 575,92 euros

. Rappel d'heures supplémentaires du 13 août 2018 au 2 juin 2019 34 400,42 euros

. Congés payés y afférents 3 440,04 euros

. Dommages et intérêts pour absence de contrepartie obligatoire en repos 15 049,81 euros

. Dommages et intérêts pour privation des repos quotidiens et hebdomadaires et non-respect des temps de pause (1 mois) 4.714,80 euros

. Indemnité forfaitaire du fait de la rupture de la relation de travail (3 mois) 14 144,40 euros

. Indemnité en application de l'article 700 du CPC 1 500,00 euros

. ordonner la remise des documents suivants, conformes à la décision à intervenir :

. Attestation pôle emploi

. Certificat de travail

. Bulletins de paie du 8 août 2018 au 3 juin 2019

. débouter les Consorts [C] de l'ensemble de leurs demandes.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. et Mme [C] demandent à la cour de :

. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute Monsieur [B] en toutes ses demandes, fins et conclusions,

. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il écarte des débats la « vidéo ' pièce adverse n°6 » prise clandestinement par Monsieur [B]

. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne Monsieur [B] aux entiers dépens,

. confirmer le jugement entrepris en ce qu'il écarte des débats la vidéo sur clé USB prise

clandestinement par Monsieur [B],

. infirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du CPC,

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute les époux [C] du surplus de leurs demandes,

En conséquence, statuant a nouveau et y ajoutant :

. juger Monsieur [B] irrecevable et infondée en toutes ses demandes ;

. écarter des débats la « vidéo ' pièce adverse n°6 » prise clandestinement par Monsieur [B];

. condamner Monsieur [B] à payer une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du Code de Procédure civile ;

. condamner Monsieur [B] à verser aux époux [C] de la somme de 5 000 Euros au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral ;

. condamner Monsieur [B] à verser aux époux [C] la somme de 4 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

. condamner Monsieur [B] aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître [S] [H] dans les conditions de l'article 699 du CPC ;

MOTIFS

Sur la recevabilité de la pièce n°6 produite par M. [B]

L'employeur expose qu'en l'absence de contrat de travail apparent, la charge de la preuve repose sur l'appelant, que les vidéos produites par l'appelant sont illégales, en application de l'article 226-2 du code pénal, et doivent être écartées des débats, que les scènes filmées sont des mises en scène, les intimés ne lui ayant jamais demandé de réaliser le moindre travail pour leur compte.

Le salarié objecte que l'irrecevabilité de cette preuve porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, puisque cette pièce est un élément déterminant lui permettant de démontrer qu'il a été engagé par les intimés alors qu'il était sans papier et dans le cadre d'un travail dissimulé, cette dissimulation impliquant nécessairement pour les intimés de ne pas lui permettre de se procurer les preuves incontestables de l'existence d'un contrat de travail, que l'atteinte à la vie personnelle des intimés par la production de cette preuve est strictement proportionnée au but poursuivi puisque cette pièce se borne à montrer M. [B] réaliser de nombreuses prestations de travail sous les ordres et directives de M. [C].

**

Il est désormais admis que l'obtention illicite d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats et que le juge doit, lorsque la question se présente à lui, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits antinomiques en présence et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte au principe de licéité et de loyauté de la preuve à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Soc 25 novembre 2020, n°17-19.523).

Il résulte de l'article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. (Ass. Plénière, 22 décembre 2023 n°20-20.648, publié).

Au cas présent, s'il existe des motifs pour M. [B] de faire la preuve de l'existence d'un contrat de travail par la production de vidéos prises le 19 avril 2019 à l'insu des intimées, la cour relève que l'appelant produit également un constat d'huissier en pièce 7, dont l'irrecevabilité n'est pas sollicitée par les intimés, et qui constitue la retranscription de la vidéo du 19 avril 2019 et d'autres vidéos montrant M. [B] exécutant diverses prestations de travail sur le bien des intimés, à leur domicile de [Localité 8].

Par conséquent, la production de la pièce n°6, dont il n'est pas contestée qu'elle constitue une preuve illicite, n'est pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de M. [B].

Le jugement sera en conséquence confirmé, pour d'autres motifs, en ce qu'il a écarté des débats comme irrecevable la vidéo sur clé USB -pièce n°6- produite par M. [B].

Sur l'existence d'un contrat de travail

L'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Ces trois conditions sont cumulatives.

Au cas présent, il n'est pas contesté par les parties qu'aucun contrat de travail n'a été signé entre les parties, et que M. [B] n'était pas immatriculé au registre au RCS ou à l'Urssaf, de sorte qu'il lui appartient d'établir qu'il était placé dans un lien de subordination à l'égard de M. et Mme [C].

A cette fin, M. [B], qui invoque l'existence d'un contrat de travail du 8 août 2018 au 3 juin 2019, produit :

1. un récapitulatif quotidien des horaires de M. [B]

2. un tableau récapitulatif du temps de travail effectif de M. [B]

3. un tableau synthétique récapitulant les heures supplémentaires dues à M. [B]

4. une lettre recommandée de Me Johanna Bisor Benichou [conseil de M. [B]] à M. et Mme [C] en date du 27 février 2020

5. un courrier officiel de Me [Y] [D] [conseil des intimés] à Me Johanna Bisor Benichou en date du 8 mai 2020 leur demandant de régulariser la situation de son client sous 8 jours s'agissant tant de l'exécution que de la rupture abusive de son contrat de travail

6. une clé USB sous enveloppe et des photographies montrant M. et Mme [C], sans indication de date, et un pied chaussé d'une chaussure de chantier sur un outil, non identifiable,

7. un PV de constat de la SCP Venezia & Associé en date du 4 juin 2020, établi par Maître [X] [V], huissier de justice, retranscrivant différentes vidéos figurant sur le téléphone portable de M. [B] et portant sur des séquences des 19 avril 2019 à 9h, 28 avril 2019 à 10h28, 30 avril 2018 à 8h48, 30 avril 2019 à 18 heures 58, 2 mai 2019 à 16h41, 3 mai 2019 à 10h04, 5 mai 2019 à 9h06, 6 mai 2019 à 9h22

Ces seuls éléments, établissant seulement que M. [B], dont les allégations selon lesquelles il était en situation irrégulière sont dépourvues d'offre de preuve, a été présent sur le lieu du domicile des intimés les 19 avril et 5 mai 2019 (sur les huit vidéos figurant au constat d'huissier), et y a réalisé quelques travaux, notamment de jardinage, sont insuffisants à faire la preuve de l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Sur ce critère du pouvoir de sanction de l'employeur, la cour relève que M. [B] n'invoque d'ailleurs aucune pièce de son dossier, lequel ne comporte aucun relevé de compte établissant une quelconque rémunération ou rétribution versée par les intimés à l'appelant.

Le jugement, dont pour le surplus la cour adopte les motifs pertinents, sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que l'existence d'un contrat de travail n'était pas établi et débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle des intimés

Par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont débouté les intimés de leur demande reconventionnelle en paiement par l'appelant de dommages-intérêts au titre de l'abus du droit d'agir en justice.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, et de laisser à la charge de chacune des parties les dépens par elle exposés en appel.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Y ajoutant,

DIT n'y a avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

LAISSE à chacune des parties la charge des dépens exposés en appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre sociale 4-4
Numéro d'arrêt : 22/01253
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;22.01253 ?
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