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23/04/2024 | FRANCE | N°22/02155

France | France, Cour d'appel de Versailles, Ch civ.1-4 expropriation, 23 avril 2024, 22/02155


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 70H



Ch. civ 1-4 expropriations



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 23 AVRIL 2024



N° RG 22/02155 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VDHK



AFFAIRE :



L'ÉTAT - MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE - DIRECTION RÉGIONALE ET INTERDÉPARTEMENTALE DE L'EQUIPEMENT ET DE L'AMENAGEMENT ILE DE FRANCE - DIRECTION DES ROUTES D'ILE DE FRANCE



C/



S.A.S. AJP





Décision déférée à

la cour : Jugement rendu le 10 novembre 2020 par le juge de l'expropriation de VERSAILLES

RG n° : 19/00030



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Stéphanie GAUTIER



Me Mélina ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 70H

Ch. civ 1-4 expropriations

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 AVRIL 2024

N° RG 22/02155 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VDHK

AFFAIRE :

L'ÉTAT - MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE - DIRECTION RÉGIONALE ET INTERDÉPARTEMENTALE DE L'EQUIPEMENT ET DE L'AMENAGEMENT ILE DE FRANCE - DIRECTION DES ROUTES D'ILE DE FRANCE

C/

S.A.S. AJP

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 novembre 2020 par le juge de l'expropriation de VERSAILLES

RG n° : 19/00030

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Stéphanie GAUTIER

Me Mélina PEDROLETTI,

Mme [U] [R] (Commissaire du gouvernement)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

L'ÉTAT - MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE - DIRECTION RÉGIONALE ET INTERDÉPARTEMENTALE DE L'EQUIPEMENT ET DE L'AMENAGEMENT ILE DE FRANCE - DIRECTION DES ROUTES D'ILE DE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentant : Stéphanie GAUTIER de la SELARL DES DEUX PALAIS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 38 et Me Stéphane DESFORGES de la SELARL LE SOURD DESFORGES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0131substitué à l'audience par Me Grégoire DUCONSEIL, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A.S. AJP, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Philomène CONRAD, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1958

INTIMÉE

****************

Les fonctions du COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT étant exercées par Madame [U] [R], direction départementale des finances publiques

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Mars 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président,

Madame Séverine ROMI, Conseiller,

Madame Marie-Cécile MOULIN-ZYS, Conseiller

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Kalliopi CAPO-CHICHI

****************

L'Etat (ministère de la transition écologie et solidaire-Direction régionale et interdépartementale de l'équipement et de l'aménagement Ile-de-France) procède à l'expropriation de parcelles sises à [Localité 9] (78), [Adresse 8], cadastrées BH [Cadastre 2], BH [Cadastre 3] et BH [Cadastre 4], en nature de terrain, d'une superficie de 1 574 m², 878 m² et 422 m², toutes trois situées le long de la RN 10, les deux dernières à usage de parking, appartenant à la société AJP. Celle-ci exploite un commerce de location de véhicules de tourisme et utilitaires sous l'enseigne AVIS. La déclaration d'utilité publique est datée du 4 août 2017, et l'ordonnance d'expropriation a été rendue le 21 septembre 2018.

Saisi par l'Etat, le juge de l'expropriation de Versailles a par jugement en date du 10 novembre 2020, qui sera signifié le 3 février 2021 par la société AJP à l'Etat, fixé l'indemnité due à ladite société à 163 000 euros, et a condamné l'Etat à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration en date du 29 décembre 2020, parvenue au greffe le 30 décembre 2020, l'Etat a relevé appel de ce jugement.

Par arrêt en date du 8 mars 2022, la Cour a ordonné la radiation de l'instance. Le 31 mars 2022 la société AJP a déposé un mémoire à fin de rétablissement de l'affaire qui a été réinscrite.

En son mémoire parvenu au greffe le 21 avril 2022, qui sera notifié aux parties adverses par le greffe en une lettre recommandée dont elles ont accusé réception le 27 juin 2022, l'Etat expose :

- que si l'intimée soulève la nullité de la déclaration d'appel, elle l'a fait devant le conseiller de la mise en état et non pas devant la chambre des expropriations de la Cour d'appel de Versailles ;

- que bien que la société AJP prétende que le conseil de l'appelant, inscrit au barreau de Paris, ne pouvait pas régulariser de déclaration d'appel devant la présente Cour, l'avis de la Cour de cassation du 6 mai 2021 ne saurait être suivi ; que l'article R 311-27 alinéa 2 du code de l'expropriation n'impose pas l'application des règles relatives à la territorialité de la postulation issues des articles 5 et 5-1 de la loi du 31 décembre 1971 ; que le code de l'expropriation ne contient pas de disposition à ce sujet ; que l'irrégularité de la déclaration d'appel a été couverte par la constitution d'un avocat du barreau de Versailles ; que de plus, il y aurait atteinte au droit au procès équitable au sens de la convention européenne des droits de l'Homme ;

- que la motivation du premier juge, évaluant le préjudice en appliquant un pourcentage correspondant à la diminution de la surface initiale, soit 8,32 %, au chiffre d'affaires moyen des deux dernières années, est insuffisante ;

- qu'une erreur a en outre été commise, car le chiffre d'affaires moyen était de 1 101 289 euros et non pas 1 770 000 euros ;

- qu'en effet, la société AJP est seulement locataire des parcelles en cause ;

- que les demandes de celle-ci sont très excessives, diverses décisions ayant indemnisé d'autres personnes placées dans une situation comparable à hauteur de sommes moindres ;

- qu'il n'existe pas de préjudice car la privation de places de parking à hauteur de 8,32 % nécessite seulement une réorganisation de l'espace ; qu'il n'y a qu'une perte partielle du droit au bail ;

- qu'il produit des références plus pertinentes.

L'Etat demande en conséquence à la Cour d'infirmer le jugement, et d'allouer à la société AJP une indemnité de dépossession globale de 3 214 euros (soit 3 061 euros, outre une indemnité de remploi de 153 euros).

Dans son mémoire récapitulatif parvenu au greffe le 23 février 2024, qui sera notifié aux autres parties par un lettre recommandée dont elles accuseront réception les 28 et 29 février 2024, la société AJP réplique :

- que la déclaration d'appel est nulle, car la représentation est obligatoire devant la Cour en matière d'expropriation, alors qu'un avis de la Cour de cassation en date du 6 mai 2021 a indiqué que les règles de postulation de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 s'appliquaient ; que l'appelant aurait donc dû régulariser sa déclaration d'appel par l'entremise d'un avocat du barreau de Versailles ;

- que ce n'est que le 30 juillet 2021 que l'Etat a constitué un avocat du barreau de Versailles, et il était alors hors délai pour relever appel du jugement ;

- qu'il importe peu que l'avis de la Cour de cassation dont elle se prévaut soit postérieur à la déclaration d'appel querellée, vu qu'il ne s'agit que d'une stricte application des règles de la postulation ;

- que les dispositions du titre VI du Livre II du code de procédure civile, selon lesquelles le conseiller de la mise en état est compétent pour trancher les incidents relatifs à la recevabilité de l'appel, sont applicables ; que l'incident a été joint au fond ;

- que l'appel du commissaire du gouvernement est irrecevable pour avoir été formé au delà du délai de trois mois suivant le mémoire de l'appelant et du délai de trois mois à dater de ses propres conclusions ;

- que disposant d'une flotte de 544 véhicules sur 4 sites dont 190 à 220 à [Localité 9], elle nécessite une capacité de parking de 70 véhicules au minimum, voire 77 ; que la capacité actuelle de stationnement est de 65 ;

- qu'il importe peu qu'elle ait acquis le fonds de commerce pour la somme de 75 000 euros en 2016 ;

- que sa valorisation doit se faire, dans le secteur automobile, sur une base située entre 35 % et 70 % du chiffre d'affaires ;

- que les sommes proposées par le commissaire du gouvernement ne sauraient être retenues ;

- qu'elle produit des exemples d'indemnisation pour des pertes partielles de locaux ou terrains commerciaux ;

- qu'elle forme un appel incident, critiquant les calculs du premier juge ; que son chiffre d'affaires moyen sur les deux dernières années est de 1 770 000 euros, la somme de 442 500 euros correspondant à 25 % de cette somme étant due, outre une indemnité de remploi de 10 %.

La société AJP demande en conséquence à la Cour de :

- annuler la déclaration d'appel ou à tout le moins déclarer l'appel irrecevable ;

- confirmer le jugement ;

- y ajoutant, fixer à 164 964 euros la somme à elle due, indemnité de remploi comprise ;

- sur l'appel incident, fixer l'indemnité à 442 500 euros et l'indemnité de remploi à 44 250 euros ;

- condamner l'Etat au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 2 septembre 2022, le commissaire du gouvernement a déposé un mémoire, qui a été notifié aux autres parties par un lettre recommandée du 27 septembre 2022 dont elles ont accusé réception les 28 et 29 septembre 2022, dans lequel il a soutenu :

- que l'appel était caduc car l'appelant était représenté par un avocat du barreau de Paris ;

- que ledit appel, formé le 30 décembre 2020 soit antérieurement à la notification du jugement dont appel, était irrecevable ;

- que s'agissant de la date de référence, la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme par une déclaration d'utilité publique ne peut être retenue lorsque le bien se trouve dans une zone soumise au droit de préemption urbain ; que ladite date de référence se situe dès lors au 28 mai 2015 ;

- que l'enlèvement d'une emprise foncière de 8,32 % de la superficie louée impacte l'activité commerciale de la société AJP ; que l'indemnité peut être calculée sur la base de 15 places de stationnement de capacité, à savoir 17 places utiles, soit 51 879,24 euros (3 051,72 euros x 17) ; qu'elle peut également être calculée sur la base de 17 places x 3 véhicules x 750 euros x 2 soit 76 500 euros ;

- que la moyenne de ces deux modalités de calcul donne une somme de 65 000 euros qui pourra être allouée à la société AJP, outre une indemnité de remploi de 5 350 euros.

MOTIFS

En vertu de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 :

Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l'article 4.

Ils peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel.

Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l'aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l'affaire chargés également d'assurer la plaidoirie.

Ces règles s'appliquent à la procédure d'appel en matière d'expropriation.

Au cas d'espèce la déclaration d'appel a été régularisée le 29 décembre 2020 par Maître Desforges, avocat au barreau de Paris. L'intéressé n'était pas habile à régulariser cet acte de procédure, comme n'appartenant pas au barreau de Versailles ou à l'un des barreaux des tribunaux du ressort de ladite cour. Cette déclaration d'appel est donc affectée d'une irrégularité de fond, au sens de l'article 117 du code de procédure civile, laquelle ne nécessite pas de grief pour pouvoir être retenue, en vertu de l'article 119 du même code. En outre, elle peut être proposée en tout état de cause comme il est dit à l'article 118, si bien qu'il importe peu que la société AJP ait développé des moyens de fond antérieurement, ou qu'elle ait saisi à tort le conseiller de la mise en état puisqu'il n'en existe pas en matière d'expropriation. Si l'article 121 du code de procédure civile dispose que dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, il ne permet pas à l'appelant, au travers d'une constitution d'avocat ultérieure, de régulariser la déclaration d'appel.

Par ailleurs, il importe peu que l'avis de la Cour de cassation sur cette question soit postérieur à la déclaration d'appel querellée, vu qu'il ne s'agit que d'une stricte application des règles de la postulation, lesquelles régissent d'ailleurs l'ensemble des procédures avec représentation obligatoire devant la Cour d'appel.

L'Etat soutient qu'il y a atteinte au procès équitable.

Toutefois, il résulte de l' article 6 §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de mise en oeuvre d'un recours, car il appelle, de par sa nature même, une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à une juridiction s'en trouve atteint dans sa substance même, et elles ne se concilient avec le texte susvisé que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La règle prévue par l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 définit de manière claire et précise les conditions dans lesquelles un avocat peut relever appel d'une décision. Cette règle est dépourvue d'ambiguité et présente un caractère prévisible. Elle poursuit un but légitime au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme puisqu'elle poursuit un objectif d'efficacité de la procédure et de bonne administration de la justice. Et elle ne restreint pas l'accès au juge d'appel d'une manière ou à un point tel que le droit d'accès au juge s'en trouve atteint dans sa substance même.

La déclaration d'appel querellée sera en conséquence annulée.

L'équité ne commande pas d'allouer à la société AJP une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'Etat sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

- ANNULE la déclaration d'appel en date du 29 décembre 2020 ;

- REJETTE la demande de la société AJP en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE l'Etat aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Raphaël TRARIEUX, Président et par Madame Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Ch civ.1-4 expropriation
Numéro d'arrêt : 22/02155
Date de la décision : 23/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-23;22.02155 ?
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