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04/04/2024 | FRANCE | N°23/01650

France | France, Cour d'appel de Versailles, Chambre civile 1-6, 04 avril 2024, 23/01650


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 38E



Chambre civile 1-6



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 AVRIL 2024



N° RG 23/01650 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VXLM



AFFAIRE :



[U] [D]



[H] [D]



C/



BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Janvier 2023 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 21/04621



Expéditions exéc

utoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.04.2024

à :



Me Martina BOUCHE, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE AV...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 38E

Chambre civile 1-6

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 AVRIL 2024

N° RG 23/01650 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VXLM

AFFAIRE :

[U] [D]

[H] [D]

C/

BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Janvier 2023 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 21/04621

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.04.2024

à :

Me Martina BOUCHE, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [U] [D]

né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 8] (Algérie)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 2]

Madame [H] [D]

née le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Martina BOUCHE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 266 - Représentant : Me Arnaud DELOMEL, Plaidant, avocat au barreau de RENNES, vestiaire : 164, substitué par Me Ornella REMOND MALHERBE, avocat au barreau de RENNES

APPELANTS

****************

BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE

Société anonyme coopérative de Banque Populaire à capital variable, régie par les articles L 512-2 et suivants du code monétaire et financier et l'ensemble des textes relatifs aux banques populaires et aux établissements de crédit

N° Siret : 549 800 373 (RCS Versailles)

[Adresse 6]

[Localité 5]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 26070 - Représentant : Me Justin BEREST de la SELEURL JB AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D538, substitué par Me Nora AMROUN, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2024, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

Titulaires d'un compte chèques ouvert dans les livres de la société Banque Populaire Val de France, les époux [D] exposent que, désireux de placer leurs économies, ils ont effectué des recherches qui ont conduit une société VLD, se présentant comme spécialiste dans le négoce de diamants, à prendre contact avec eux et à leur proposer d'investir dans l'achat de diamants.

C'est ainsi qu'ils ont signé deux contrats 'de vente et de mise au coffre', le premier (n° 3636) conclu le 04 octobre 2017 avec la société Mon Coffre Fort, les diamants acquis étant confiés à la garde de la société VLD pour une durée d'un an, un second non daté (n° 3739), puis réalisé dix-neuf virements depuis leur compte bancaire pour un total de 80.385 euros, soit : du 03 au 27 novembre, quatorze virements au montant de 4.500 euros et un dernier de 2.385 euros puis, du 15 au 20 février 2018, quatre virements de 4.000, 4.000, 3.500 et 3.500 euros.

Par ailleurs, à la suite de nouvelles recherches personnelles et de la prise de contact d'une personne s'identifiant comme gestionnaire du site d'une société Coinquick se présentant comme prestataire de services d'investissement en cryptomonnaies, ils ont choisi d'investir dans les actifs numériques virtuels et procédé, depuis ce même compte bancaire, à quatre versements et plus précisément les 05 décembre 2017 et 15 janvier 2018 à des montants s'établissant à 4.300, 4.000, 3.000 et 2.500 euros, ceci pour un total de 13.800 euros.

Constatant qu'ils avaient été victimes d'escroqueries et que leurs investissements étaient perdus, ils ont déposé une plainte auprès du Service Régional de Police Judiciaire d'[Localité 7], le 28 avril 2018 (susceptible d'aboutir à la tenue d'un procès pénal précisent-ils dans leurs dernières conclusions), puis, après vaine mise en demeure adressée à leur banque, selon lettre du 31 mai 2021, de leur restituer le montant total des sommes investies (soit : 94.185 euros), ils l'ont assignée en responsabilité suivant acte du 29 juillet 2021, lui imputant à faute des manquements à son devoir légal de vigilance ainsi qu'à son obligation d'information pour solliciter sa condamnation au paiement de ladite somme à titre indemnitaire outre la réparation de leur préjudice moral et de jouissance.

Par jugement contradictoire rendu le 26 janvier 2023 le tribunal judiciaire de Versailles a :

rejeté toutes les demandes présentées par monsieur [U] [D] et madame [H] [D],

condamné in solidum monsieur [U] [D] et madame [H] [D] aux dépens dont distraction au profit de maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux articles 699 'et suivants' du code de procédure civile,

condamné in solidum monsieur [U] [D] et madame [H] [D] à verser à la société Banque Populaire Val de France une somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par dernières conclusions (n° 2) notifiées le 06 décembre 2023, monsieur [U] [D] et madame [H] [D], appelants de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 10 mars 2023, demandent à la cour, au visa des articles L 561-4 et suivants du code monétaire et financier, 1240 et 1241, 1112-1 et 1231-1 du code civil :

d'infirmer le jugement (entrepris) en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

à titre principal

de juger et retenir que la société Banque Populaire Val de France n'a pas respecté son obligation légale de vigilance,

de juger et retenir que la société Banque Populaire Val de France est responsable des préjudices subis par monsieur et madame [D],

à titre subsidiaire

de juger et retenir que la société Banque Populaire Val de France n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de monsieur et madame [D],

de juger et retenir que la société Banque Populaire Val de France est responsable des préjudices subis par monsieur et madame [D],

en tout état de cause

de condamner la société Banque Populaire Val de France à rembourser à monsieur et madame [D] la somme de 94.185 euros correspondant à la totalité des investissements auprès des sociétés VLD et Coinquick, en réparation de leur préjudice matériel,

de condamner la société Banque Populaire Val de France à verser à monsieur et madame [D] la somme de 18.837 euros correspondant à 20% du montant des investissements, au titre de leur préjudice moral et de jouissance,

de condamner la société Banque Populaire Val de France à verser à monsieur et madame [D] la somme de 6.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la même aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 22 août 2023 la société anonyme coopérative de Banque Populaire Val de France prie la cour, visant les articles L 133-6 et suivants du code monétaire et financier :

de déclarer monsieur [U] [D] et madame [H] [D] mal fondés en leur appel, de les en débouter,

de confirmer le jugement (entrepris) en ce qu'il a :rejeté toutes les demandes présentées par monsieur [U] [D] et madame [H] [D] // condamné in solidum monsieur [U] [D] et madame [H] [D] aux dépens dont distraction au profit de maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile // condamné in solidum monsieur [U] [D] et madame [H] [D] à verser à la société Banque Populaire Val de France une somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,

de débouter monsieur [U] [D] et madame [H] [D] de l'intégralité de leurs prétentions, fins et moyens,

y ajoutant

de condamner in solidum monsieur [U] [D] et madame [H] [D] à verser à la société Banque Populaire Val de France une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

de condamner in solidum monsieur [U] [D] et madame [H] [D] aux dépens dont distraction au profit de maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024 et l'affaire, initialement fixée pour être plaidée à l'audience du 31 janvier 2024 a été renvoyée, en raison de l'indisponibilité de l'avocat des appelants, à l'audience du 28 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En préambule à leur argumentation les appelants consacrent des développements à trois points du jugement qu'ils contestent, s'agissant, en premier lieu, de l'affirmation selon laquelle 'il est constant que le banquier a l'obligation d'exécuter un virement que son client lui ordonne' alors que diverses dispositions du code monétaire et financier prévoient la possibilité pour une banque d'empêcher son client de réaliser des opérations et qu'en certaines situations elle peut, dans l'exercice de son devoir de vigilance, bloquer les opérations, s'agissant, en deuxième lieu, du 'non-sens factuel' consistant à dire, 'à la décharge de la banque', que le compte était approvisionné alors qu'un compte l'est nécessairement et s'agissant, enfin, de la seule prise en considération de la disponibilité des fonds et de la capacité des consorts [D] à réaliser d'importants virements alors qu'ils évoquaient différents points d'anomalie sur lesquels le tribunal aurait dû, selon eux, se pencher, comme retenu par diverses juridictions de fond.

Ils y ajoutent des propos liminaires sur les obligations et règles des établissements bancaires en matière de contrôle qui doivent les conduire à s'intéresser à la 'normalité' du fonctionnement bancaire d'un client comme en cours d'exécution, l'article L 133-10 du code monétaire et financier, de portée générale, leur permettant de refuser d'exécuter une opération de paiement.

Tout ceci avant de reprendre les mêmes griefs à l'encontre de la société Banque Populaire que devant le tribunal, tandis que cette dernière poursuit la confirmation du jugement en ses différentes appréciations.

Sur l'obligation de vigilance de la banque

Il convient de rappeler que le tribunal a d'abord jugé que la victime d'agissements frauduleux réclamant des dommages-intérêts ne peut se prévaloir des obligations de vigilance et de déclaration résultant des articles L 561-4 à L 561-22 du code monétaire et financier, imposées aux organismes financiers et qui ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux ainsi que le financement du terrorisme et ne peuvent être utilisées à d'autres fins, invoquant notamment pour ce faire la doctrine de la Cour de cassation (notamment : Cass com, 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-12335, publié au bulletin)

S'attachant ensuite aux virements effectués et évoquant, ensemble, 'l'obligation d'exécuter un virement que le client lui ordonne, pourvu que l'ordre soit régulier et que le compte contienne une somme disponible suffisante' , le principe de non-immixtion et un devoir de surveillance se limitant aux anomalies apparentes, il a porté son appréciation sur la période de réalisation des virements litigieux, leur montant, leur destinataire, la suffisance de la provision, leur caractère habituel en regard d'autres virements et des revenus mensuels des époux [D] permettant de dégager des liquidités suffisantes pour conclure à l'absence d'anomalies apparentes affectant ces opérations et rejeté le grief.

Pour contester cette appréciation en reprenant ce moyen à titre principal, les appelants estiment, sur le premier point, que la position de la Cour de cassation, réaffirmée dans l'arrêt de 2022 précité, n'est en rien justifiée et que la logique inverse devrait primer au vu des règles européennes, invoquant en particulier cinq directives ; ils soutiennent que la Cour de cassation se fonde uniquement sur les dispositions relatives aux obligations de déclaration de soupçons pour y englober les règles de vigilance et de contrôle et qu'il est contestable qu'elles viennent 'bloquer' le consommateur dans l'affirmation de manquements légaux commis par la banque.

Ils font valoir que les arguments contraires à cette position sont légion, évoquant l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'absence de motivation juridique de la Cour de cassation, le caractère explicite et fondamental du droit européen quant à la protection du consommateur, la confusion dénuée de sens entretenue par la Cour de cassation sur les obligations de vigilance et de contrôle des banques ne prévoyant une immunité pénale, civile et administrative que dans les déclarations faites aux services de Tracfin ou encore leur inadéquation aux positions et pratiques des banques s'estimant liées à l'égard de leur clientèle par les dispositions relatives à la vigilance.

Et, sur le second point, ils se prévalent des règles que les banques s'imposent à elles mêmes en particulier dans le contexte actuel d'un essor de placements à haut risque avec des rendements annoncés parfois irréalistes, tels qu'identifiés et publiés sur son site internet par l'Autorité des Marchés Financiers (ou AMF), de sorte que les professionnels du secteur ne peuvent en ignorer la dangerosité et se doivent de protéger leurs clients.

Rappelant le principe général issu de l'article L 561-4-1 al 1 et 2 (applicable) du code monétaire et financier, le contrôle classique issu de l'article L 561-5-1 du même code et de l'arrêté du 02 septembre 2009 (sur les informations à recueillir lors de l'entrée en relation d'affaires puis à actualiser durant sa poursuite) et le contrôle renforcé issu des articles L 561-10 et L 561-1-2 du même code induisant une politique de vigilance quant au client et à certaines opérations 'particulièrement complexes ou d'un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d'objet licite', ils incriminent, au cas particulier, l'absence de vigilance de leur adversaire à divers titres.

Ils lui reprochent plus précisément ledit manquement à son obligation de vigilance en regard des achats atypiques opérés par monsieur [D], ceci dans le contexte de nombreuses alertes des autorités compétentes (telle l'AMF) quant aux investissements de particuliers français dans les cryptoactifs et dans divers biens (vins, diamants, etc ...), quant aux produits vendus par les sociétés VLD et Coinquick, également, qui étaient totalement illégaux faute d'être autorisés sur le territoire français et s'inscrivent dans le cadre d'une escroquerie internationale, et enfin en contemplation du fonctionnement inhabituel de leur compte bancaire.

Sur ce dernier point, ils font valoir qu'ils étaient retraités depuis des années et disposaient de revenus mensuels de 7.670 euros, que les opérations en cause, exécutées vers des destinations étrangères situées en Allemagne, au Royaume-Uni et au Portugal, portaient sur des montants excédant largement leurs ressources, qu'ils n'avaient jamais exécuté antérieurement de telles opérations, qu'était également inhabituels leur fréquence et leur caractère répétitif et que ces mouvements pouvaient présenter un caractère potentiellement frauduleux.

Ils concluent à l'infirmation du jugement sur ce point, à l'engagement de la responsabilité de la banque sur le fondement de l'article 1231-1 (nouveau) du code civil et L 561-8 al 1er du code monétaire et financier qui aurait dû conduire la banque à refuser d'exécuter ces opérations.

En réplique et sur le premier point, la société Banque Populaire reprend en la développant, son argumentation première adoptée par le tribunal, précisant que la doctrine de la Cour de cassation ressortait déjà d'un arrêt rendu par sa chambre commerciale le 28 avril 2004 (pourvoi n° 02-15054) et commenté dans le rapport annuel de la Cour pour l'année 2004.

Elle tire également argument du fait que son obligation d'alerte, strictement limitée à la détection de transactions portant sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, se double d'une interdiction faite à la Banque de communiquer à l'auteur de l'opération l'existence d'une déclaration de soupçon à son égard selon l'article L 561-18 du même code.

Sur le second point, l'intimée oppose aux époux [D] l'interdiction pour la banque de s'immiscer dans les affaires de son client, faute de mandat et d'obligation légale de conseil, le client bénéficiant, conformément à l'article 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, du droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses affaires.

Elle en déduit que les appelants ne peuvent se prévaloir du caractère inhabituel des opérations litigieuses qui aurait empêché l'exécution des versements demandés et pas davantage de leur caractère anormal, propres à l'alerter ; elle se prévaut de l'absence d'inadéquation des investissements à leurs revenus, de la préexistence d'opérations contemporaines aux montants similaires, de la position largement créditrice que présentait leur compte chèques ou encore du fait que ne constituaient pas des anomalies les banques européennes dans lesquelles étaient ouverts les comptes destinataires.

Elle ajoute 'à titre superfétatoire' que la liste 'pléthorique' de décisions dont se réclame son adversaire, au demeurant non factuellement explicitées, ne sont pas transposables et conclut à la confirmation du jugement les déboutant de ce chef.

Ceci étant exposé et sur le premier point, les époux [D] échouent à démontrer qu'est dénuée d'assise juridique et contrevient au droit européen protecteur du consommateur la jurisprudence nationale en ce qu'elle fait une stricte application des articles L 561-1 et suivants, R 561-1 et suivants du code monétaire et financier qui conduit à exclure que ces dispositions puissent servir de fondement à une action en responsabilité engagée par un client à l'encontre de sa banque.

Il ressort, en effet, de l'intitulé-même des directives qu'ils citent en se bornant à reproduire leur numérotation et sans les analyser (à savoir les directives n° 91/308/CE du 10 juin 1991, n° 2001/97/CE du 04 décembre 2001,n° 2005/60/CE du 26 octobre 2005, n° 2015/849 UE du 20 mai 2015 et n° 2018/843 UE du 30 mai 2018) et des objectifs affirmés (à titre exemplatif, le considérant 46 de la troisième directive ou 50 de la dernière), qu'elles portent sur la prévention de la solidité, de l'intégrité du système financier utilisé à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme et, pour la dernière, qu'elle entend tenir compte du caractère évolutif des menaces qui pèsent sur ce système et des vulnérabilités.

Elles ne font donc qu'intégrer, dans un souci de protéger l'intérêt général, un moyen de lutte contre cette criminalité précisément ciblée.

Le tribunal doit par conséquent être approuvé en ce qu'il énonce pertinemment, par motifs adoptés relatifs à la confidentialité des informations, aux autorités de contrôle en charge de sanctionner et à la finalité du devoir de vigilance imposé aux établissements financiers par ces textes, qu'ils ne peuvent fonder l'action en responsabilité des époux [D] à l'encontre de leur banque.

Sur le second point, c'est à la faveur d'une lecture hâtive du jugement entrepris que les appelants reprochent au tribunal, en reproduisant sa motivation de manière tronquée, d'avoir jugé que la banque avait l'obligation d'exécuter les ordres transmis dès lors que les premiers juges nuançaient cette affirmation en assortissant expressément cette obligation de réserves, lesquelles tiennent notamment à la régularité de l'ordre ou à la suffisance de la provision. (page 6/9 du jugement).

A l'examen de la motivation des premiers juges, il en va de même de la critique des époux [D] portant sur un défaut de réponse à l'ensemble des éléments factuels qu'ils tiennent pour des anomalies.

A cet égard et en raison du principe de non-ingérence, il y a lieu de considérer qu'il n'incombe pas au banquier comme en l'espèce simple teneur de compte et non investi d'un mandat particulier ou d'une mission générale de police (tout au plus débiteur, en amont d'éventuelles poursuites qui ne lui appartiennent pas, de l'obligation de signalement relative à une suspicion de blanchiment ou de trafic illicite évoquée plus avant), de réclamer des explications à son client sur les ordres qu'il donne ou de procéder à des investigations destinées à s'assurer de la régularité, de l'opportunité ou encore de la dangerosité des opérations qui lui sont demandées d'accomplir.

Si la Banque Populaire peut se prévaloir de sa qualité de prestataire de service de paiement et du fait qu'elle s'est bornée à exécuter de simples ordres de virement, il lui revient toutefois de satisfaire à son devoir de surveillance en présence d'anomalies, pour peu qu'elles soient apparentes, susceptibles d'affecter les éléments matériels qui lui sont transmis ou lorsque l'opération envisagée et le fonctionnement du compte présentent des indices évidents propres à faire douter de leur régularité.

Au cas particulier, le faisceau d'éléments dont font état les époux [D], qu'ils soient pris individuellement ou dans leur ensemble, ne leur permettent pas de prétendre qu'ils se présentaient comme des indices apparents d'irrégularité de nature à susciter le doute de leur teneur de compte.

En effet, s'agissant des griefs tirés de l'inéquation de ces virements en regard de la situation personnelle des époux [D] et de leurs pratiques, les anomalies apparentes qu'ils invoquent ne peuvent être retenues dès lors que leurs montants (ci-avant précisés et pour un total de 94.185 euros) n'étaient pas révélateurs d'extravagance en regard de leurs ressources (soit un revenu annuel imposable de 87.185 euros), que la banque établit que dans une période contemporaine ils ont pu opérer cinq prélèvements pour des montants s'établissant entre 1.000 et 4.145,06 euros (pièces n° 1 à 3 de la banque), qu'ils ne contestent pas que leur compte est resté créditeur tout au long de la période considérée, comme retenu par le tribunal, et que ces retraits par virements pouvaient présenter une utilité économique pour des retraités disposant de leur niveau de ressources et soudain désireux de faire fructifier le surplus de leurs revenus non affecté aux charges de la vie courante afin d'accroître leur capital, ceci au moyen de virements successifs susceptibles de répondre à des options de placements laissés à leur libre arbitre.

S'agissant, par ailleurs, des opérations proprement dites, le libellé de ces virements, qui ne peuvent s'analyser en une opération bancaire particulièrement complexe ou comme d'un montant inhabituellement élevé, ne faisait pas apparaître qu'en étaient bénéficiaires les sociétés VLD ou Coinquick ou que leur objet portait sur l'acquisition de diamants aux termes de contrats signés avec la structure Mon Coffre Fort puis de placements dans la cryptomonnaie.

Il ne peut donc lui être reproché de n'avoir pas alerté ses clients sur leurs dangers en tenant compte des communiqués, publications, enquêtes ou rapports d'activité qu'ils citent en soutenant que la banque disposait de ces informations.

La localisation à l'étranger des banques destinataires des fonds n'engendre pas, per se, la suspicion et s'il est établi en l'espèce que les fonds en question ont été virés au profit des établissements Novo Banco, Serena Gmbh, High Colors Limited et TR/NRW Market Ltd, se situant au Portugal, en Allemagne et au Royaume-Uni, il peut être relevé qu'il s'agit de pays appartenant au continent européen dont il n'est pas démontré qu'ils suscitent des craintes particulières quant à la fiabilité de leurs systèmes financiers et que les époux [D] n'établissent pas que ces sociétés faisaient objet de signalements induisant un soupçon quant à la probité de leurs activités.

Par suite, mérite confirmation le jugement qui les déboute de leur action indemnitaire fondée sur le manquement de la banque à son devoir de vigilance.

Sur l'obligation d'information de la banque

Saisi à titre subsidiaire, comme la cour, de cette même demande indemnitaire fondée, cette fois, sur le manquement à l'obligation d'information qui pèse sur la banque, le tribunal a jugé que le fondement juridique invoqué, soit l'article 1112-2 du code civil, ne se rapportait qu'à un devoir général d'information ne pesant que sur les parties à la négociation contractuelle, qu'une banque prestataire d'un service d'investissement n'est tenue à un devoir d'information ou de conseil adapté à son client que lorsqu'elle lui recommande, à sa demande ou spontanément, un produit ou un service et que selon le droit commun de la responsabilité civile, la faute de la victime ayant concouru à la réalisation du dommage exonère partiellement l'auteur d'un tel manquement.

Et pour rejeter ce moyen, il a jugé, s'agissant des investissements dans les cryptomonnaies, que les relations contractuelles des parties au litige se limitent à la gestion du compte courant, qu'il est établi que les époux [D] se sont eux-mêmes livrés à des recherches sur internet pour effectuer les investissements litigieux, qu'il n'est pas contesté que n'a pas été demandé le conseil de la banque ou sollicitées ses informations quant aux risques des investissements réalisés dont elle n'avait pas connaissance.

Les appelants reprennent ce même fondement juridique, y ajoutant les dispositions relatives à la sanction encourue en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution de l'obligation, et font valoir que l'obligation générale d'information s'inscrit dans un rapport de confiance noué avec ses clients par la banque qui se doit de les informer en raison de sa position et de ses connaissances.

S'y ajoute, poursuivent-ils, une obligation spéciale d'information en matière d'investissements financiers lorsque l'opération fait apparaître la perspective d'un risque pour le client, tels leurs placements financiers atypiques, et il appartient à la banque de rapporter la preuve de son accomplissement.

Ils se prévalent, plus précisément, du fait qu'ils n'ont reçu, malgré les alertes de l'AMF, aucune information sur les risques inhérents aux placements en cryptomonnaie ou sur le défaut de légalité des placements proposés, que la banque adopte une attitude passive en disant n'être pas concernée par ces achats et, plus généralement, évoquent les initiatives de diverses banques (les sociétés Boursorama, B for Bank, Fortuneo, BNP Paribas, HSBC, Crédit Agricole, Société Générale, CIC, Caisse d'Epargne et Banque Postale) visant à contrôler, voire à bloquer, des opérations portant sur l'acquisition et la vente de diamants et de cryptomonnaie en adaptant leur comportement en regard de leur obligation générale d'information mais aussi en tenant compte de l'évolution des pratiques et des escroqueries financières 'qui émaillent le pays depuis maintenant 5 années'.

La banque, approuvant pleinement la motivation du tribunal, rétorque que le fondement juridique visé n'est pas applicable du fait que l'article invoqué est inclus dans une sous-section relative aux négociations se rapportant à la conclusion du contrat, que le compte chèques en cause a été ouvert bien avant les faits litigieux et que les virements ne peuvent s'analyser en des négociations.

Elle soutient qu'elle s'est bornée à exécuter les ordres de paiement irrévocables donnés par ses clients et n'a été consultée à aucun moment sur les opérations de placement sous-jacentes, que c'est auprès des sociétés VLD et Coinquick qu'il convient de rechercher ledit manquement, que les pratiques d'autres établissements, justifiées par ses adversaires par la production de documents isolés et sortis de leur contexte, n'induisent pas une obligation de communication et d'information de portée générale, qu'elle n'était pas à même de connaître les investissements réalisés et enfin, que les époux [D], à qui il appartenait notamment de se prémunir contre tout risque d'escroquerie, sont eux-mêmes, du fait de leurs diverses négligences, à l'origine de leur dommage, comme cela se déduit des déclarations et de la plainte pénale de monsieur [D].

Et elle conclut qu'ils sont mal venus à rechercher sa responsabilité.

Ceci étant dit, s'il est constant que les prestataires de services d'investissement doivent donner à leurs clients, afin d'éclairer leur consentement, des informations telles qu'elles ressortent du règlement général de l'AMF leur permettant de comprendre, outre la nature du service d'investissement, les spécificités des investissements proposés et les risques y afférents, ceci connaissance prise de leurs profils et de leurs attentes, et s'il est vrai qu'il incombe à la banque de rapporter la preuve de sa satisfaction à cette obligation, tel ne se présente pas en l'espèce le rapport contractuel entre les parties puisque la société Banque Populaire n'a la qualité, comme il a été dit, que de prestataire de services de paiement.

Il ressort des éléments de la procédure et en particulier des termes de la plainte que monsieur [D] a adressée, sous la forme de deux lettres manuscrites, aux services de police (pièce n° 4 de la banque) qu'il s'est lui-même chargé de la recherche d'un investissement puis d'un second qui a porté sur la cryptomonnaie dans un souci de diversification de ses placements, et qu'il a traité de manière quelque peu hasardeuse, dans une courte période s'étendant de septembre 2017 à janvier 2018, avec des personnes se présentant comme administrateurs des sites internet et en se bornant à des échanges téléphoniques ou par courriels et en se fiant, pour le premier de ses investissements, à 'une documentation sur les diamants d'investissement' qui lui avait été adressée.

Libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et l'objet de son placement financier, monsieur [D] qui fait pourtant état de sa qualité de principal de collège retraité induisant des qualités intellectuelles de bon niveau quand bien même il n'aurait pas de compétences particulières en matière financière, ne justifie ni même ne fait état de recherches plus avancées sur ces types d'investissement, pourtant décriés dans diverses communications des autorités de régulation accessibles au public ou par les médias (tel l'article du magazine 'Capital' paru le 30 août 2017 sous le titre : 'placements bidon : attention aux diamants' versé en pièce n° 6 par la banque) pas plus que sur les tiers avec lesquels il a contracté.

Certes, les négligences ou imprudences du client d'une banque ne le privent pas nécessairement de la faculté de poursuivre l'engagement de la responsabilité du banquier.

Mais la société Banque Populaire ne peut se voir imputer à faute des manquements au devoir d'information relatifs aux investissements réalisés dans les conditions sus-évoquées dès lors qu'il n'est pas démontré ni même prétendu qu'elle ait eu, de quelque manière que ce soit, la qualité de prestataire de service d'investissement.

En l'absence de plus amples griefs relatifs à la méconnaissance du devoir d'information de la Banque Populaire, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas accueilli la demande indemnitaire telle que présentée.

Sur les demandes accessoires

L'équité conduit à condamner les époux [D] à verser à la banque intimée la somme complémentaire de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile

Déboutés de ce dernier chef, les époux [D] qui succombent supporteront les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement entrepris et, y ajoutant ;

Condamne monsieur [U] [D] et madame [H] [D] à verser à la société anonyme coopérative de Banque Populaire Val de France la somme complémentaire de 3.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Mélanie RIBEIRO RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Chambre civile 1-6
Numéro d'arrêt : 23/01650
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.01650 ?
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